• Grâce aux nouvelles technologies, le lien avec les amis éloignés se nourrit quotidiennement, certains, à des milliers de kilomètres, étant plus présents que tel membre de l'entourage vivant à quelques mètres. Cela n'empêche pas que lorsque l'un d'eux est dans mes parages, je m'arrange pour le voir au maximum d'autant que souvent, je n'ai pas les moyens de me rendre chez eux. Se vivent dès lors des situations étranges.

    Un passé à connaissances et événements communs fonde l'histoire mutuelle, le cours du quotidien au fil des ans s'y est ajouté par touche. Petits et grands événements se sont succédé, se sont partagés par téléphone, courriels, photos ou réseau social, plus rarement par lettre et colis, notre passé persiste et évolue néanmoins puisque nous le réinventons au fur et à mesure de nos vécus. L'amitié s'inscrit dans la durée, en décennies, faux semblant d'immuabilité puisque nous changeons chacun selon les circonstances de nos histoires individuelles. Le lien s'élabore donc de ce mélange de circonstances passées et présentes principalement par le récit que nous en faisons; l'humain est de paroles.

    Que se dire quand nous nous retrouvons sur un temps limité, quand il s'agit de trouver l'espace et les contours d'une relation interpersonnelle inscrite en cet instant dans l'inter corporalité? Les démarrages ne sont pas si simples. Il existe de multiples stratégies passant par la météo, la santé, les petites tracasseries du quotidien, les questions sur la famille, les animaux, la maison, le travail, une lecture ou un film commun, l'installation sur le lieu, la boisson ou l'aliment à partager; tout y passe selon le contexte.

    Avec une amie de plus de vingt- cinq ans, j'avais recours aux camarades communs d'autrefois, de lycée ou d'université, leurs parents, les échos perçus sur leurs vies actuelles et quelques conclusions sur nos chemins devenus réellement antinomiques. Cela nous ennuyait vite car nos vies n'ont plus rien à voir avec eux et ce lointain contexte. Nous avons changé et le regard à posteriori révèle les questionnements et réinterprétations par ce que nous sommes aujourd'hui sur ce que nous étions autrefois. Régulièrement, je me disais que c'était trop bête de perdre ce temps précieux avec le passé révolu, qu'il y avait tant à dire de bien plus intéressant et beau dans nos vies présentes. Seulement, engluée dans cette stratégie, le temps me manquait.

    En juillet, elle était là avec toute sa famille. Lors d'une soirée complète à préparer le repas et manger en familles mélangées, j'exposai mon idée sur la mise en relation via le passé et ce soir- là, nous fûmes mieux ancrées dans le présent de nos vies par les enfants, le déroulement du repas partagé, les attitudes et gestes de chacun car nous avions le temps. Cela nous fit le plus grand bien. Au gré des autres rencontres, les échanges variaient au hasard, surtout quand nous étions seules. Entre deux, les sujets abordés continuaient leur chemin dans ma caboche et je réalisai que mon amie avait besoin de beaucoup d'empathie, que j'étais maladroite avec elle, que je n'arrivais pas à lui donner la place et l'attention nécessaires. Je fus particulièrement interloquée quand elle me fit la remarque que je parlais beaucoup de SeN et de sa famille qu'elle connaî- ssai-t aussi. Je n'avais pas cette impression, « C'est elle qui l'entend amplifié» pensai- je sur le coup, contrariée puis, je laissai la remarque suivre son chemin. Comme leur départ approchait, je lui dis combien je la sentais nerveuse, confuse, que j'en étais désolée d'autant que je n'arrivais pas à lui donner l'empathie dont elle avait besoin et encore moins de quoi l'aider à y voir clair, étant apparemment moi- même encombrée d'un truc mal défini. Ce disant, je réalisai alors que j'avais cru ce truc passé, relégué parce que j'en avais sous- estimé l'onde: je reste très choquée de ce qu'il s'est passé avec SeN, sa famille et ces soit- disant amis pendant et après les heures sombres de la maladie.

    Au quotidien, je ne pense ni à eux, ni aux événements, je suis réellement satisfaite d'avoir quitté ces schémas et relations toxiques, mortifères, sans issue, je me sens en adéquation avec ce que je suis, aime dans une vie à portes ouvertes et libre, entourée de personnes avec qui je partage de bons moments, authentiques et sincères; je suis véritablement passée à une autre dimension. D'ailleurs, je ne croise plus ces anciennes connaissances alors que je sais que nous utilisons des espaces communs, qu'ils passent régulièrement devant chez moi; ma demande à l'univers de ne plus les mettre sur mon chemin a été entendue et se réalise depuis des mois. Elles ne ressurgissent que lorsque des circonstances m'y ramènent: passer près de chez eux, en entendre parler, retrouver des connaissances communes, pour les plus fréquents. Ainsi, la présence de mon amie est un déclencheur, malgré elle, malgré moi provoquant et alimentant, en plus, ma stratégie de mise en relation. Grâce à elle, j'ai pu mesurer l'onde du choc et je lui en suis reconnaissance ( MERCI à toi qui te reconnaîtra), j'ai senti que j'avais à prendre soin de ces émotions et sentiments absolument, que j'avais une profonde envie d'en finir avec ce traumatisme*, de vivre ma relation à elle pour ce qu'elle est maintenant et non plus par le biais d'un passé révolu. Pourtant, il m'a fallu des semaines, des mois, d'autres événements pour arriver à mettre des mots, avancer vers une potentielle résolution car à la suite de ces péripéties, en survinrent d'autres, tout aussi agitées et bouleversantes.  

    Et oui, encore: à suivre.

     

    * Rien que d'écrire et relire ce mot me coûte C'est dire combien j'ai besoin de regarder en face ce que je vis à l'intérieur à savoir prendre et accepter la mesure du choc, soigner ce que j'ai au plus profond sans passer par eux, sidérée que je suis d'avoir vécu ces événements avec eux, en particulier. J'en reparlerai plus tard car c'est une sacrée aventure, croyez- moi.


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  • Fiston était en camp, j'étais seule à la maison, me reposant assise dans le séjour occupée à quelque travail manuel quand la sonnette de l'entrée retentit. Je n'attendais personne. Je découvris à ma grande surprise le fils d'une connaissance qui m'expliqua qu'il avait eu du mal à me trouver. Je l'accueillis ravie, m'étonnant qu'il fut sans sa femme. Je leur avais si souvent proposé de passer me voir quand ils sont dans le coin, j'étais contente qu'il osât enfin. Sa mère finirait alors peut- être par venir à son tour. Il entra.

    Nous échangeâmes sur les circonstances de sa visite, pause à son emploi, passage devant chez moi; je débarrassai un coin de table au milieu de mes activités expliquant ce que je faisais entre scie sauteuse et fils de soie; je lui proposai à boire, à manger, il déclina. Nous nous assîmes.

    Je devisai joyeusement de tout et de rien, prenant des nouvelles de la grande famille. Il était étrange, gesticulant sur sa chaise, pris de tics que je ne lui connaissais pas, trifouillant son téléphone. Je fis mine de ne rien remarquer. Après quelques minutes, coupé de ce que je racontai, il me lança: « J'ai un service à vous demander.» Il s'agissait de lui faire les ourlets de trois pantalons, ce que je faisais de temps en temps pour sa mère, son père.

     - Vous les avez avec vous?

    - Non, sauf celui que je porte.

     - Ce n'est pas urgent?

     - Quand même, parce que j'en ai besoin rapidement.

    - Et bien, comment fait-on? Vous me les déposez plus tard, je fais au plus vite et vous revenez les chercher dès que c'est terminé, cela vous convient? Parce que là, vous n'allez pas repartir en slip.

     Spontanément, il se leva et enleva son pantalon, insistant sur l'urgence. Surprise, je n'entendis pas de suite.

     - C'est la première fois que je suis le seul à me déculotter, ce n'est pas normal.

     Je me concentrai sur l'ourlet, remarquant que sa femme l'avait déjà tenté, à la main.

     - Elle s'est donné de la peine, je vois. Je m'étonne qu'elle ne l'ait pas cousu à la machine, votre mère en a pourtant une et je sais que vous partagez beaucoup.

     - Les parents ne sont pas là pour deux mois et nous ne cherchons pas dans leurs affaires en leur absence.

     Je m'attelai à la tâche avec concentration et soin résistant ainsi à ce qu'il débitait. Car oui, à partir du moment où il fut déculotté, je n'eus pour tout sujet que des allusions au sexe, aux coucheries généralisées à ses yeux normales.

     Je regrettai ma petite robe rouge du jour quand il lâcha:

     - Vous avez chaud?

     - Non, m'enfin, je n'attendais personne et j'ai encore le droit de me promener comme je veux chez moi. Je ne sors pas comme ça.

     Il me parla de son travail, de ses collègues et patrons, expliquant que le restaurant précédent avait fermé parce que les patronnes en avaient assez de ne plus pouvoir faire l'amour à leur conjoint le dimanche.

    - Vous en êtes certain?, m’exclamai- je dubitative

    - Oui! Il n'y a que ça, des histoires de cul, tout le monde couche avec tout le monde, affirmait- il avec conviction, donnant des exemples en pagaille.

    Je réfutai l'idée expliquant que je ne connaissais personne vivant dans cet état d'esprit, j'avais bien une copine revendiquant sa liberté de choisir des hommes d'un soir ou deux pour passer du bon temps sans se poser la question du couple sur la durée mais c'était tout, je n'étais pas d'accord. ( Je regrettai après de ne pas lui avoir balancé à la figure que ni sa femme, ni sa sœur, ni sa mère ne couchait à tire larigot avec tout le monde.)

    - C'est parce que vous êtes dans votre bulle que vous ne vous en rendez pas compte mais je vous assure, c'est comme ça.

    Il me raconta alors ses aventures avec majoritairement des femmes plus âgées, n'importe où, n'importe quand, comment il distinguait clairement sa vie en famille et sa vie à l'extérieur mettant des frontières infranchissables entre les deux.

     - C'est vrai que vous vous êtes marié très jeune, remarquai- je

    Elle avait à peine 18 ans et lui 21, parce que dans leurs pratiques familiales, garçons et filles ne se fréquentent pas, ils se marient, fondent une famille, histoires ancestrales sur la virginité des filles et la volonté des parents de savoir leurs enfants en couple, base de sécurité élémentaire à leurs yeux.

    - Oui, je l'ai fait pour que mes parents arrêtent de me mettre la pression et maintenant, ma vie est définitivement foutue.

    - Vous le pensez vraiment?, m'étonnai- je

    - Oui, j'en suis sûr. Je fais tout ce que je peux pour qu'elle ne manque de rien et soit heureuse ( c'est- à- dire assurer son confort matériel ), j'aime mes enfants, je m'en occupe quand je rentre et je vis ma vie à l'extérieur dont elle ne sait rien. D'ailleurs, personne ne doit savoir que je suis venu chez vous, seul parce que sinon, elle nous arrachera la tête et ma mère va me harceler.

     Tout ce temps, je continuai l'ourlet du pantalon; cela me donnait un sentiment de contrôle sur la situation, je me protégeai. Bien qu'invisible, la violence était bien présente: violence de ses paroles et allusions jamais explicites au point de me faire réagir extérieurement, violence des représentations qu'il exposait sur les hommes, les femmes, leurs relations, lui- même n'étant que le reflet des coutumes du milieu où il avait grandi, la violence des non- dits et du poids des traditions dans sa famille, violence qu'il subit et inflige … J'étais simplement sous le choc. C'était d'autant plus fort que je connais toute la famille, je leur rends visite régulièrement, je sais leurs histoires, leurs situations, les inquiétudes de sa mère. Chez eux, je sens les non- dits, les silences, les paroles lancées en pleine figure, les attentes, les cachotteries, les jugements, le tiraillement entre la tradition et la modernité, la douleur du déracinement, les carences liées à l'absence ou le peu d'études autres que religieuses et orales, le flou généralisé quant aux sentiments, besoins, demandes. Là, chez moi, je me prenais tout ce chaos interpersonnel régi par une moralité et des convenances sociales familiales: lui, désespéré en errance, jouant à ce qu'il croit devoir être en tant qu'homme, sa femme certainement intuitivement consciente de ce qu'il fait, en insécurité profonde vu qu'elle n'a rien sans lui, totalement dépendante économiquement dans un pays qui n'est le sien que depuis son mariage, sa mère déchirée entre ses sentiments et son désarroi face à un monde éloigné de ce quoi en quoi elle croit, le cirque dans un mutisme total où nul ne communique, où tout est écrasé par de représentations traditionnelles dites religieuses. Je pensai en particulier à sa mère, si anxieuse et inquiète pour ses enfants et petits- enfants, voulant, pour leur bien, les pousser vers des schémas de sécurité obsolètes ici et maintenant. Dire aussi, qu'aux yeux de ses parents, il était, de leurs fils, le plus droit, le plus respectueux, le plus digne de confiance! Finalement, je m'en prenais tant à la figure que dans cette urgence, je m'accrochai à cet ourlet et pleurai à l'intérieur de ce qui se concrétisait là, en direct.

     Le pantalon terminé, il considéra le travail magnifique ( là, j'avais répondu à un de ses besoins), je sentis par contre qu'il n'en pouvait plus, son corps était désordonné, il ne se tenait pas tranquille ( un autre de ses besoins plus ou moins identifié n’avait pas trouvé réponse). Nous convînmes qu'il apportait les deux autres le lendemain à sa pause.

     Quand il arriva, j'avais la même robe rouge et un corsaire dessous. Il me demanda si j'avais froid aujourd'hui. « Je ne veux pas que vous vous imaginiez que je cherche à vous allumer.» c'était dit, j'avais plus d'aplomb que la veille, ayant encaissé le choc et étant plus au clair sur moi- même et son attitude. D'abord, il sembla vouloir attendre que j'en eus finis, continuant des allusions, m'interrogeant sur ma vie sentimentale. Je lui notai que les hommes, à partir d'un certain âge, rencontraient des problèmes d'érection, remplissaient les cabinets d'urologues ravis de ce fond de commerce avec des pilules pour bander, ( révélateur à mon humble avis de la misère dans laquelle est vécue la sexualité, la limitant à un pénis bien dressé pénétrant un vagin et de l'avilissement des hommes en les cantonnant dans des représentations quasi dogmatiques sur ce qu'ils sont censés être, faire et avoir). Il l'ignorait, s'en choqua et poussa un: « Oh ben! Il faut que je me dépêche d'en profiter alors! ». Je continuai mes travaux d'ourlet avec concentration, feignant de ne rien entendre. Il eut un message, s'en occupa et s'excusa d'avoir à partir; avant, il voulait régler la récupération des pantalons terminés et un retour pour la tâche accomplie:

     - Cela ne vous dérange pas que je vienne les chercher ce soir vers 22h30 après mon travail?

     - Si vous ne faîtes que passer, ça devrait aller.

     - Ah bon? Parce que vous ne m'ouvririez pas la porte pour me recevoir?

    - Non, dépassé 10 heures et demie, je vis une grande histoire d'amour avec mon lit, mes livres et ma musique, rien d'autre.

    - Bien, maintenant, sincèrement, dîtes- moi ce que vous voulez car tout travail mérite salaire.

    - Je n'avais pas pensé vous demander quoi que ce soit; habituellement, je le fais pour rien et votre mère me remercie avec quelques bons plats. Je n'en sais rien.

    - Allez, dîtes- moi, j'insiste.

    - Bah, j'ai vu que vous aviez 5 euros, donnez- moi ça.

    - Ne vous gênez pas pour me dire vraiment ce que vous voulez!

    - Bon, comme vous insistez, ce sera alors 10 euros.

    Il posa un billet sur la table et entama un récit:

    - Un jour, j'ai passé une après- midi avec une femme parce que je voulais apprendre la recette d'un cake fameux qu'elle savait préparer. Elle me montra comment faire et à la fin, je voulus lui rendre son dû. Elle ne voulait rien et comme j'insistai, elle me demanda de la payer… en nature.

    Décidément, il avait du mal à lâcher. Je ne cédai rien, il finit par comprendre et repartit. Au soir, il récupéra ses pantalons en me remerciant à nouveau et fila sans une allusion ou un mot. L'épisode paraissait clos. Dans le flot des événements de l'été, je n'eus guère le temps de m'y pencher, j'en parlais à Yolande au téléphone par besoin de m'en décharger.

    - Au début, je n'ai pas compris ce qu'il se passait, il était bizarre et j'ai alors remarqué que je transpirais sous les bras au point d'en mouiller ma robe ce qui chez moi est exceptionnel. J'ai réalisé plus tard que j'avais eu peur. Il n'a pas eu de geste déplacé, heureusement mais je restais sur le qui- vive, méfiante avec ces propos incessants autour du sexe. Ce qu'il voulait, c'était coucher avec moi, comme ça.

    - Il est venu sur une pulsion, sans réfléchir et il est tombé sur quelqu'un qui ne rentre pas dans ses schémas habituels, il a certainement été bousculé lui aussi.

    Peu à peu, je m'insurgeai, comment des hommes peuvent – ils imaginer coucher avec une femme, comme ça? Comment a t-il pu imaginer que j'allais coucher avec lui, comme ça? Parce que j'ai eu un enfant hors mariage? Parce que je ne me suis jamais mariée? Parce que je suis célibataire? Parce que je quitte les hommes à ma propre initiative? Que suis- je moi? Quelle image de la femme! Quelle image de l'homme! Que de flou, de détresse! Je n'ai pas fini d'entendre résonner l'épisode dans ma caboche, mon cœur et mon corps.

    Alors que je répétai l'aventure à Nadine lors d'une réunion CNV, elle nota: « J'entends combien tu as eu d'empathie pour toutes ces personnes, de lui aux membres de sa famille, jusqu'à tous ceux qui vivent dans des structures traditionnelles de ce type, mais je n'entends rien de toi. Tu aurais certainement besoin d'énormément d'empathie, toi d'abord, non? ». Je ne m'étais pas posé la question, je n'avais pas eu le temps… parce qu'après cet épisode, lui avait succédé un autre tout aussi bouleversant.

     A suivre ...

     


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  • Un jour que je rendais visite à Idil et sa famille, elle m'expliqua qu'elle était en grève. Cette femme d'affaire en commerce international brassant des millions de dollars avait pris un an de congé sabbatique pour se consacrer à sa famille et là, elle en avait par dessus la tête: « Je ne fais que la cuisine et du ménage! » s'exclama t-elle en anglais. Pendant plusieurs jours, elle ne s'en occupa plus, chacun ayant la charge, à chaque repas, par exemple, de trouver un endroit ou une façon de manger convenant à tous. L'idée de base me plut immédiatement.

     Avant que je ne sois malade, mon fiston était petit. Seule avec lui, je tâchai de lui faire faire sa part, laborieusement; il est des âges où les enfants aiment faire plaisir à leurs parents, je me suis toutefois épuisée à tout mener de front. La cohabitation avec SeN ne fut guère aisée sur ce point, il y avait la maison, le jardin en plus du reste et il critiquait mes actes domestiques sans pour autant sortir de ses gestes et pratiques obsessionnels sur ses secteurs définis ( son tapis, son salon, son linge, etc.). A l'arrivée de la maladie, il fut en l'occurrence incapable de gérer le quotidien tout en refusant l'aide d'autres. Je constatai alors, que la vie continuait son chemin, douloureusement et chaotiquement, certes mais tout de même, elle continuait. A nouveau seule avec mon garçon devenu ado, je n'avais plus du tout envie de retourner aux fonctionnements d'autrefois, j'optai donc pour l'application de la grève sans préavis en cas de désaccord notoire jusqu'à ce que la situation trouvât une solution satisfaisante pour chacune des parties. Actuellement, j'en suis à cinq mois au sujet de la cuisine et du linge de mon garçon.

     Il râlait sans cesse sur les repas, jugeant les contenus dégueulasses, allant jusqu'à dire que j'étais incapable de cuire des pâtes; le linge propre, repassé traînait dans sa chambre au même titre que le sale avec une armoire vide à portes grandes ouvertes. Non, merci! L'opposition adolescente et les enjeux relationnels ont leurs raisons d'être, soit, qu'il assume ses engagements! Ainsi, je ne cuisine plus qu'à ma guise, sans me soucier de lui, je ne m'occupe plus de son linge: à lui de le mettre dans la machine, l'accrocher, le décrocher, le ranger. Au début, il protesta grandement, j'expliquai et réexpliquai qu'il avait à assumer ses choix revendicatifs et d'opposition, qu'absolument rien ne m'obligeait à prendre en charge ces tâches rébarbatives et ennuyeuses surtout avec un retour ingrat et mon travail non respecté. « Je ne suis pas la bonniche de service».

     Il se promène avec du linge froissé, en manque parfois, il lui arrive de ne pas manger parce qu'il a la flemme de préparer ou avale n'importe quoi, cuit ou non, congelé ou cru, directement dans la boite ou le sachet. Si je ne culpabilise pas, il ne m'est pas aisé de le voir négligé, négligeant, s'empêtrer désorganisé et dépassé; je résiste à mes envies de faire pour lui, à sa place car je sais que ce n'est pas lui rendre service, qu'il a besoin de faire ses expériences. Bon, il est vrai que quand le linge sec traîne et que j'ai besoin de la place, je le balance sur son lit ( tout ce qui traîne d'ailleurs y est jeté quand j'en ai assez de le voir dans les lieux communs). En cuisine, lors de mes préparations, je ne fais pas systématiquement des portions individuelles ne souhaitant pas moi- même recommencer à chaque repas. Pour le riz, les pâtes, par exemple, j'en fais une bonne quantité afin d'éviter au maximum le travail de vaisselle, quand les produits sont en nombre dans leurs emballages, qu'ils sont décongelés, je les prépare. Ensuite, il fait son choix, y puisant ou non, les mangeant froids s'il n'est venu que tard parce que je refuse qu'il salisse une autre casserole.

     Après bien des protestations, de l'ironie quant à ma capacité à tenir le cap, une indifférence feinte, il accepta et comprit. L'expérience porta dès lors ses fruits délicieux:

    - Pour le linge, c'est silence radio sauf quand quelque pièce a besoin de réparation, raccommodage, repassage. Dans ce cas, il demande et accepte ma réponse.

     - Quand il y a à manger, il me demande s'il peut en prendre, si je refuse, il le respecte.

     - S'il trouve quelque chose qu'il aime, il ne le mange plus en douce, seul dans sa chambre, il m'en propose et/ ou laisse une portion à ma volonté.

     - Son discours a changé, à la place des « C'est dégueulasse! », « Il n'y a jamais rien de bon à bouffer ici!», ce sont des « Je ne dis pas que ce n'est pas bon, je n'aime pas, c'est tout. », « Je n'en ai pas envie maintenant», « Tu es d'accord pour que je mange ça et pas ça? », «  Tu es d'accord pour que je me fasse des pâtes là? », « Je préférerais avec une autre sauce, un autre parfum, avec ça ou sans ça. » tout en mangeant sans râler, « Cela ne te dérange pas si je mange plus tard? Je débarrasserai. », etc.

     - S'il a envie de manger un truc spécial, il m'en fait part sans exiger quoi que ce soit et il est enchanté quand je le prépare. Il est par exemple devenu grand amateur de mes glaces maison, ne voulant plus des achetées.

     - Si les circonstances s'y prêtent et qu'il est invité à manger avec moi, il m'aide et remercie systématiquement pour le repas, mon invitation avec une sincère gratitude.

     - Comme nous n'avons plus de combiné- four- micro ondes, il cuisine avec les éléments à disposition sans rouspéter, ne se contentant pas de réchauffé, de plats tout prêts que je n'achète que très rarement. Il est en outre heureux quand une pizza surgelée ou des raviolis sont à sa disposition parce que, dans ma grève, il y a aussi le refus de compenser par des achats de nourriture industrielle.

     - Il pose des questions sur les préparations, les ingrédients, les modes de cuisson, les épices, les recettes. Grâce à des enquêtes en ligne, j'ai suffisamment de points pour recevoir un appareil ménager qui programme, mélange, cuit, maintient au chaud selon des recettes pré enregistrées ou à inventer en mode manuel. Je lui en ai parlé: « Avec ce truc, est-ce que tu te mettrais à cuisiner mieux? ». Réponse affirmative après avoir visionné une vidéo de présentation. Il est intéressé car avec cette machine électronique, il n'y a plus ni attention précise obligatoire, ni débordement, ni brûlé. L'appareil est commandé et j'attends de voir ce qu'il adviendra de son usage. En tout cas, la question a été négociée et la décision prise ensemble.

     J'ai été claire et j'ai tenu ma parole fermement, comment pouvais- être plus explicite sur ce que je voulais? Il n'a rien voulu entendre de mes explications verbales ou de mes essais antérieurs aussi je lui ai offert l'opportunité d'expérimenter par lui- même une vie où il a à assumer ses revendications, à trouver des solutions à ce qu'il posait comme problème et à sortir du discours où je portais plus ou moins clairement à ses yeux la responsabilité d'une situation qui lui déplaisait, je l'ai ramené à lui, à ce qu'il vivait à l'intérieur afin qu'il y regarde et y mette de la clarté, de l'ordre, qu'il envisage la situation sous un autre angle que celui de l'accusation floue à mon égard. De même, nos places et rôles respectifs ont été mis à plat; en me positionnant clairement, il avait à se positionner lui aussi. IL m'importait qu'il se frotte aux notions de respect et d'acceptation d'autrui dans sa complexité, sur l'instant, en dehors des jugements et présupposés, qu'il prenne conscience de la responsabilité qu'implique la liberté et qu'il voit au- delà des représentations dictant ce que chacun doit être ou faire, ne pas être ou ne pas faire- ce n'est pas parce que je suis sa mère que je dois faire telle ou telle chose, ce n'est pas parce qu'il est mon fils ado qu'il doit adopter telle ou telle attitude. Une amie nota à mon récit de grève qu'il apprenait l'autonomie en s'occupant de ses repas et de son linge, il apprend également celle qui se détache des schémas pré- mâchés, imposés et mal définis puisqu'ils ne correspondent pas à la réalité de ce que nous vivons. Falloir et devoir n'ont plus de sens dans ces circonstances, ils deviennent obsolètes, de victime, il passe à acteur, la vie se nourrit d'une toute autre énergie. De toute façon, le processus est en marche depuis belle lurette et lui aura eu la chance d'en être dès l'enfance alors que j'aurai attendu de subir l'épreuve de cette saloperie de maladie pour enfin franchir le seuil vers d'autres fonctionnements après avoir souffert et erré pendant des lustres. La clarté a décidément une importance fondamentale. Et merci Idil pour ta si bonne idée! <3


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  • Un souci récurent dans beaucoup de familles, théâtre de bien des enjeux personnels et relationnels que la chambre d'un ado! Je ne veux pas analyser le pourquoi du comment ici, simplement relater en quoi ce lieu a été un déclencheur, un terrain fertile de relation.

    Il y a longtemps que je ne m'en occupe plus, sauf en cas de grands travaux genre déménagements ou réaménagements. Aussi pénible que ce puisse être parfois au regard de la zone sinistrée qu'elle devient, je tâche de résister à l'envie de faire à sa place. C'est comme remplir le tonneau des Danaïdes car les questions importantes n'y sont pas réglées, justes repoussées: enjeu de territoire, attachement, détachement, autonomie, responsabilité, vie commune et respect de chaque espace privé, par exemple… Auparavant, alors qu'il était en camp pour une semaine, j'avais déménagé, démonté pour adapter à son mode de vie, fabriquant un bureau à coup de scie sauteuse, transformant une bibliothèque, changeant l'armoire cassée pour un autre ré adaptée, débarrassé ce qui encombrait l'espace inutilement. Après des mois d'utilisation, la situation ne s’était pas améliorée. Trop peu souvent à mon goût, il rangeait et nettoyait. « Qu'il vive dans son bazar et sa saleté si ça lui chante! » me disais- je peu convaincue. Cela devient particulièrement pénible quand il trimballe la saleté de sa chambre dans l'appartement au bout de ses pieds et que ses odeurs envahissent le reste de l’appartement. En juillet, il partait pour une semaine, je comptais en profiter pour souffler un peu, décidée à n'y pas toucher, refusant de m'y fatiguer, j'avais programmé du repos et du calme, pour finir mon année scolaire. Cause toujours.

     D'abord, je ressentis le besoin impérieux d'aérer, les odeurs venant de cette pièce me dérangeant à chacun de mes passages devant la porte fermée. J'entrai donc pour y ouvrir la fenêtre le premier jour, le deuxième. Comme ce fut insuffisant vu ce qui y traînait, je continuai en ramassant les déchets organiques ou d'emballage, espérant enlever les raisons des mauvaises odeurs. Rien n'y fit.

    Je pris ensuite en passant le linge sale qui forcément finit dans la machine à laver vu que l'infection envahissait alors la salle de bains. « Ça suffit! C'est déjà plus clair, il n'aura qu'à faire la suite lui- même en rentrant!» m'affirmai- je. Malgré mes ramassages, l'odeur persistait.

    J'enlevai les draps et les lavai. Je découvris que son oreiller était brûlé, la housse très sale. Je démontai, lavai et réparai le tout, retournai et aérai le matelas.

    Cela faisait quatre jours que je répétai: « Non! Je ne ferai pas sa chambre! ». Ceci dit, au fur et à mesure de mes passages, je découvrais des amoncellements cachés, des tâches abominables, une saleté innommable dans les recoins et vraiment, je me dis qu'il était impossible de faire dégager les odeurs en laissant la pièce dans cet état. Je n'avais vraiment pas envie de m'y mettre., exténuée que j'étais. Je me décidai à demander de l'aide… Qui? Je sais que je peux compter sur quelques personnes, je n'avais cependant pas envie d'entendre des: « Tu dois faire ça, tu ne dois pas faire ça, il doit faire ci, il doit faire ça », j'ai donc appelé mon amie Yolande qui, je le savais ne jugerait personne.

     Elle m'écouta avec attention, y réfléchit et me fit part de son désaccord pour s'occuper de cette chambre quand mon garçon n'était pas là. « Je savais que tu me dirais ça. », lui répondis- je sans rancœur. Tant pis.

    Quatre jours avaient passé, je n'avais toujours aucune envie de faire cette chambre. Je sentis de l'agacement, du désespoir, de l'impuissance grandir en moi de manière démesurée. La colère me conduisit à des phrases type: « Quel sale gosse! Quel porc! Quelle feignasse! » et j'en passe. Ma petite voix me rappela rapidement à l'ordre: «Envisageons la question sous un autre angle: qu'est- ce qui dysfonctionne dans cette pièce au point qu'il soit incapable d'en prendre soin? ». Je laissai cheminer les pensées en méditation et commençai à déplacer les meubles, nettoyer dans les recoins, m'asseyant régulièrement pour observer les lieux, y voir vivre mon garçon dans ses habitudes d'ado. Armée de mon balai, je ramassai des tas et des tas de saletés, poussières, miettes et autres surprises, l'aspirateur étant en réparation depuis des semaines, bien sûr. « Qu'est- ce qu'il fait dans sa chambre? Qu'est- ce qu'il y aime? De quoi a t-il besoin? ». Un lit, une armoire ( et encore puisque le linge traîne de ci de là), un bureau pour son ordi- chéri, de la place pour ses remèdes, ses livres, ses jeux, ses affaires de classe. Elle fait 9,5 m² soit trois à quatre fois moins que celle qu'il avait dans la maison cinq ans auparavant. Sentimental, il a du mal à se défaire et ce fut avec beaucoup d'attention et de soin, en le rassurant sur leur stockage, en sécurité ailleurs que je lui ai déjà enlevé quelques affaires. Là, force était de constater qu'il était encore débordé par une multitude d'objets divers, repoussés dans le coins bien qu'inutilisés. Je vidai donc tiroirs, armoire et étagères, chaque classe d'objets déposée dans une caisse ou un carton dans l'attente de son retour afin que nous trions ensemble. Je pris des mesures, déplaçai les meubles en plusieurs essais, en sortis deux.

    Il s'agissait de l'énorme bibliothèque lourde et imposante que lui avait fabriquée SeN en d'autres temps pour sa grande chambre d'autrefois. Ce dernier avait fait ce que lui voulait sans se soucier de mes demandes ou des besoins de mon garçon. En partant de cette foutue maison, je voulais la lui laisser, trop encombrante et lourde; mon garçon refusa, attaché à quelque lien ou souvenir. Elle nous suivit donc dans deux appartements. Si dans le premier , elle trouva plus ou moins sa place, elle s'avérait envahissante et encombrante dans sa dernière petite chambre. Je l'avais déjà transformée en deux parties- une bibliothèque et un bureau- au premier essai d'aménagement. Ce ne fut pas probant et vu l'usage de la chambre, je me dis que décidément, elle était de trop. Je la sortis de la pièce, aménageai les autres meubles, élaborant plusieurs plans pour son bureau informatique, lui laissant cette liberté, entamai le tri de la montagne de papiers trouvés au fond de l'armoire ainsi que le rangement de son matériel électronique et informatique éparpillé partout en capharnaüm. IL était temps de le récupérer que je n'avais pas terminé. Avant de partir, je lui accrochai ses tableaux favoris, lui aménageai un coin Japon dont il est grand fan près du lit afin qu'il trouvât du beau en arrivant et non pas que le chambardement.

     Sur le chemin du retour, dans la voiture, je lui annonçai doucement les événements et leur non- achèvement. Il fut rassuré d'apprendre que je n'avais pas eu d'accident, la dernière expérience ayant abouti à un traumatisme crânien et des points de suture mais restait interdit devant mon obstination à déplacer des meubles, à me lancer dans des grands travaux, seule, avec mes petits bras pas musclés et mes capacités physiques branlantes. Avant la maison, j'allai acheter une planche découpée qui l'intrigua. Arrivé, il resta choqué un long moment surtout à la vue de son lit impraticable, envahi par les caisses et cartons à trier. Nous le débarrassâmes ensemble afin qu'il pût y dormir au soir, je lui faisais en même temps le récit de mon parcours avec cette chambre. Il écouta attentivement puis fit de gros yeux ahuris quand je lui montrai mes rangements et classements avec ordre, clarté, organisation et ergonomie, selon ses besoins et sa façon de vivre. «Tu aimes t'emmerder toi alors!  lâcha t-il alors que j'en arrivai aux papiers trouvés au fond de l'armoire. Cela fait des années que je n'ose pas y mettre le nez tellement c'est énorme! » Et j'avais commencé à trier sans lui.

     Les deux ou trois jours suivants, nous travaillâmes ensemble; parfois, il avait la larme à l’œil réalisant avec quel soin j'avais pris mes décision en fonction non pas de mes envies mais bien en fonction de ce que lui vivait. « J'ai voulu te faire une chambre qui ressemble à ce que tu es maintenant et que tu ne sois plus encombré par les vieilleries du passé.». Tous les vêtements, papiers, livres et autres babioles triés et rangés ou débarrassés, il m'embrassa, empli de gratitude car il était soulagé et touché.

      La grosse bibliothèque encombrante sortit de la chambre et resta plusieurs jours ou dans le couloir ou sur la terrasse, fiston n'arrivant pas à prendre de décision. Je lui laissai le temps, proposant des solutions parfois. Finalement, il en démonta lui- même la partie supérieure avec ces mots: « Je l'aimais bien ce meuble mais ça ne sert à rien de se raccrocher aux choses du passé. ». Je lui promis de garder les planches à l'abri afin qu'il le récupère à sa guise, plus tard, s'il le voulait. La partie basse resta dans le couloir en banc rangement devant la porte de sa chambre, en attendant.

     Il m'indiqua être dérangé par les murs blancs vides, je lui peignis des tableaux autour du thème du Japon, selon ses choix; il en fut particulièrement ému.  Il choisit son aménagement de bureau ( qui chamboulait du coup l'aménagement du salon… inachevé à ce jour) et ainsi, au bout de 10 jours de gros labeur, sa chambre prit jolie et propre forme.

     Tout resta en ordre et clair jusqu'à la rentrée scolaire, soit deux mois! ( A partir de septembre, c'est une autre affaire, entre les journées au lycée, les transports et les envies d'ordi en repos, il n'a plus le cœur de s'en occuper, je recommence à réclamer et répéter mes demandes de propreté et d'ordre).

     

    Retrouvant Yolande, je lui fis le récit de cette histoire.  Elle en fut enchantée estimant l'expérience riche et belle parce que:

     - dans la quête de satisfaire mes besoins de propre, d'ordre et de beau, j'avais pris soin des besoins de mon fiston, respecté ce qu'il est, ce qu'il aime, pris le temps de décider en fonction de ce que je sentais en lui et non de ce que je voulais moi,

     - comment nous étions allés l'un à la rencontre de l'autre parce qu'en lui faisant part de ma réflexion profonde , il avait su entendre le soin que j'avais de lui,

     - comment il avait été touché et reconnaissant, soulagé de ce qui lui pesait sans trouver la force de s'y atteler seul.

    Ensuite, elle me parla de ce que ma demande avait engendré chez elle: la joie que son refus ait été accueilli avec respect et considération, comment ma demande lui avait permis de mettre de la clarté en elle sur son propre besoin d'ordre, dans ses affaires, dans sa maison et son refus d'aller ranger chez autrui quand elle n'y arrivait pas chez elle. D'une telle clarté, qu'elle n'en ressentait aucune culpabilité.  

     

    Ainsi donc, ce terrain miné et terriblement conflictuel que représente la chambre d'ado sale et désordonnée est devenu une belle aventure de partage et de reconnaissance. Mon amie Yolande répète à l'envi que le besoin de clarté est très important, j'ai mis du temps à comprendre; désormais, j'en mesure l'immensité. L'expérience de la chambre en est un bel exemple. Les éléments du quotidien sont le théâtre d'enjeux multiples et complexes où chacun ramène son histoire et ses représentations, comment pourrions- nous éviter le désordre, la violence, les malentendus, la frustration si nous ne mettions pas de la clarté en nous et dans les relations à l'autre d'abord?

     Dernièrement, un cousin me taquina à propos de ma vie vécue sur une autre planète, j'ai souri en répondant que j'étais de la même planète indéniablement mais dans une autre dimension ... et franchement, pour rien au monde je ne reviendrai à celle du flou, de la violence, de la non relation.

     


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  • Bon, il est bien clair que la carence en fer et l'anémie me mettaient raplapla, cela a été dit. Par delà, au regard de ce qu'il est passé, je me dis que je suis décidément une dure à cuire pour avoir tenu le cap pendant ces deux mois de prétendues vacances. Et oui, juillet et août ont été le théâtre de plus d'une aventure alors que je n'ai pas bougé de chez moi. J'ai beau faire, même renfermée, il m'arrive constamment des trucs. Plus ou moins dans l'ordre chronologique, voici en introduction la liste des événements:

    - la problématique de la chambre du fiston- ado

    - la visite impromptue et bouleversante d'un ancien voisin

    - la réflexion engendrée par la visite d'une amie venue de loin

    - une surprise monumentale qui nous laissa fiston et moi abasourdis plusieurs jours

    - l'arrivée et la prise en charge d'un copain de mon garçon

    Le tout conjugué aux habituelles aventures quotidiennes entre la maladie, ses conséquences, mes bricolages, le soutien à la famille, le budget mini et un ado hurlant des heures entières devant son ordi tous les jours pendant plus de deux mois. Autant dire que ce fut mouvementé.

    Si je tiens à les raconter, c'est parce que ce sont des situations particulières avec leurs lots respectifs d'émotions, de chocs, demandant une énergie folle, provoquant des éclairages crus sur des situations concrètes. Cela n'arrive pas qu'aux autres, ces événements sont mon quotidien.

     

    A suivre donc, par épisode.


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  • Après des mois de fatigue, au point de refuser les sorties de l'été, de traîner à la maison sans comprendre pourquoi je n'avais pas envie de mettre le nez dehors, j'ai commencé à prendre des gélules de fer. La peur d'une recrudescence de Devic avait conduit à un bilan sanguin complet, l'anémie et le fer se révélèrent les seuls points négatifs. Une chance! Ce n'est pas grave et quelques gélules facilement avalées compenseront le souci le temps de soigner ce qui provoque ces carences ( mon alimentation n'étant pas en cause). « Prends en déjà une chaque matin et si tu les supportes, passe à deux! » me conseilla Colette, médecin généraliste hors compétition. Et oui, jusqu'à deux par jour! En plus, tête brûlée que je suis, j'ai décidé de ne prendre dorénavant qu'un immunosuppresseur quotidien ( arrêter me fait peur…). Alors, depuis quatre jours, je sens l'amélioration, tranquillement, avec des détails faussement insignifiants: je reprends l'écriture par ici, je mets de l'ordre dans des vieilleries informatiques, je danse avec les copines sans m'écrouler, j'ai le goût de reprendre des aventures extérieures, je me remets à gesticuler en musique à la maison. Il suffit que je traîne à la prendre pour que le corps, rapidement me ramène à cette fatigue. Puissent les circonstances me permettre de raconter ne serait- ce que les dernières vacances! Parce qu'à bien y réfléchir, même une personne en pleine santé aurait eu de quoi être épuisée… Il n'est guère aisé tous les jours d'être une guerrière non violente, engagée et clairvoyante.


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  • Hier au matin, du bruit à la porte me porta vers elle, curieuse et au son de l'aspirateur extérieur, je compris que c'étaient les agents de nettoyage des parties communes. Je voulais signaler une tache sous les escaliers due à une ancienne crotte de chien puante que j'avais ramassée ( ou comment découvrir que je suis une des seules personnes à utiliser les escaliers) quelques jours auparavant, leur demander s'ils avaient des produits spécifiques pour nettoyer la moquette, s'ils voulaient bien s'en occuper. J'ouvris et restai quelques secondes coite devant le monsieur à aspirateur juste devant ma porte. Il eut la même réaction et nous finîmes dans les bras l'un de l'autre. C'était un ancien stagiaire avec lequel le courant avait bien passé, que j'avais revu après sa formation pour s'occuper de son aîné en difficulté à l'école ( pas facile de passer de l'Italie à la France du jour au lendemain). Je connais toute sa famille où j'ai été accueillie chaleureusement, la relation est belle et riche. Nous ne nous étions pas vus depuis des mois, les circonstances de la vie nous trimballant chacun à nos affaires et là, le destin nous offrait des retrouvailles inespérées. Le temps était compté au regard de son emploi, cela ne nous empêcha pas de prendre des nouvelles de chacun, de s'inviter mutuellement à se retrouver. Nous étions enchantés. Il me raconta en riant comment il leur avait été demandé de rassurer les personnes âgées inquiètes ouvrant leur porte à leur passage.

     

    Il faisait beau et comme la table du séjour était ( encore) envahie par des travaux, je décidai de manger sur la terrasse; autour de midi, la circulation est moindre et il est possible d'avoir quelques minutes de tranquillité. L'assiette à la main, j'ouvrais la porte ravie des rayons de soleil illuminant la place quand je découvris le boum boum d'essai de sono sur la place du bourg en vue d'un petit festival local. Oh non! Avais- je vraiment envie de supporter ces bruits? Je m'assis néanmoins avec l'espoir d'en faire abstraction, les belles journées ayant été rares cet été et donc les rayons du jour précieux. Quelques secondes plus tard, mes oreilles furent interpellées, je reconnaissais des notes au loin. Mon visage s'illumina: je rêve? Est- ce possible? Ici, en ces contrées? Oui, c'était bien elle et pas avec n'importe quel titre.

    Björk, All is full of love.

    Mon repas devint un enchantement et je gardais le sourire tout du long car en prime, après ce titre, il n'y en eut pas d'autre.

     

    Ces petits événements du jour m'apparurent tels des clins d’œil du hasard, des cadeaux de la vie, une belle leçon.

    La vie avait soufflé: « Ne t'en fais pas!», si quelques inquiétudes me préoccupaient, j'avais vraiment à les lâcher parce qu'il ne sert à rien de se faire du mouron sur ce qui pourrait arriver. Préjuger ferme les portes des possibles. Il est bon d'avoir des rappels de temps en temps. Merci.


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    Sur le calendrier, je regarde régulièrement afin de réaliser que nous sommes en septembre, fiston débute aujourd'hui sa terminale, dans une semaine, je ferai ma rentrée:

    - Merdum! Je suis lessivée.

    - Comment? Après toutes ces semaines de vacances?

    - Ouai, enfin, vacances est un grand mot pour des réalités variées et multiples.

    En ce qui me concerne, il désigne une période où je n'assure pas de cours dans le cadre de mon emploi salarié. N'ayant pas d'obligation contractuelle, je me lance alors dans de grands travaux comptant sur ma capacité à écouter le corps, ses capacités et ses réserves d'énergie.

    Je grimpe sur les escabeaux pour nettoyer les hauts de meubles, de murs, les fonds de placards, fixer les lustres, tableaux, étagères, je m'accroupis pour ranger sous les lits et dans les moindres recoins, je trie, jette, nettoie, range et déplace les meubles afin d'optimiser au maximum notre espace petit chargé des matériaux de nos travaux divers ( de la dentelle à la menuiserie pour moi, majoritairement dans l'électronique et le numérique pour mon garçon). Je mets le nez dans les ouvrages en veille, fais le tour des éléments sous la main allant jusqu'à monter ou descendre de la matière première aux cave et garage. S'en suivent les activités intensives en textile, menuiserie, peinture, carton, tricot ( pas trop quand il fait chaud), réparation, plus le mini jardinage sur la terrasse, sans compter bien sûr les tâches ménagères quotidiennes qui me gonflent à un point qu'aucun mot connu ne saurait dire.

    Quelques sorties ponctuelles en vue de sentir d'autres airs surviennent de temps en temps. Cet été, elles furent rares car je n'avais pas l'énergie suffisante. Parce que oui, je suis lessivée depuis juin. Se reposer? Je le fais, je le jure! S'asseoir à regarder le monde s'agiter, s'allonger et somnoler quand c'est nécessaire, aller au lit quand il le demande, y traînasser le matin, prendre le temps de vivre, ne rien faire, tout ça je connais très bien. Pourtant, si vacances existent, je les imagine quelque part où il n'y a que verdure et eaux chantantes, chaises longues ou coussins au sol, repas et ménage pris en charge par d'autres, aucun souci logistique domestique, aucun humain en manque d'empathie, pas d'ordinateur, de radio ( la télévision, je n'ai déjà pas ouf!), rien que le monde à regarder et écouter. Une retraite dans un monastère? Ce n'est malheureusement pas d'actualité car il y a constamment de quoi parasiter le projet.

    En juillet, j'en étais à un tel point qu'un simple rhume me cloua sur place plusieurs jours, tellement faible que je me risquai à une pause d'immunosuppresseur afin de permettre au corps de lutter contre l'infection. Si je constatai en deux jours l'amélioration incroyable du teint, de la peau et du transit, je n'ai rien senti de différent côté fatigue, le rhume accaparant toute l'énergie disponible. Craignant Devic, je profitai d'un rendez- vous de routine chez le médecin pour évoquer mon état, elle me programma une prise de sang avec un large bilan. A la lecture, des résultats, je n'eus qu'à rire.

    Les globules blancs se portent comme un charme. Certes, je suis à peine au- dessus des minima mais vu le traitement que je prends, c'est bienheureux. Le reste est bon, j'ai des chiffres à en faire pâlir d'envie plus d'un… Sauf que les globules rouges sont réduits, le fer raplapla. Devic est en sommeil, mon système immunitaire dans les clous, les raisons de ma fatigue viennent d'ailleurs, peut- être quelques soucis féminins liés à l'âge. La série des rendez- vous médicaux continuant à son rythme coutumier depuis plusieurs années, il y aura bien quelque soignant pour me donner le coup de pouce en fer qui me manque et l'un ou l'autre m'aider à ne pas sombrer dans cette fatigue. Fin août, le neurologue a été ravi de voir mon état général et a répété à plusieurs reprises son accord sur des pauses d'immunosuppresseurs de temps en temps, en particulier lors d'infection. Je ne vais pas me gêner, c'est que j'ai énormément de trucs à faire, comme, par exemple, écrire toutes les péripéties et aventures survenues ne serait- ce que ces derniers mois… Ben voui, même lessivée à traîner la patte à la maison en grand remue- ménage et méninges, il m'arrive plein de trucs, arriver au sens particulier qu'ils viennent à moi, nullement parce que je les ai cherchés.

    Dire qu'il y en a qui s'ennuient.


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  • Lors du séjour d'août 2006 dans les Vosges, en plus de la surprise accrobranche, mon amie Sandrine offrit une séance de minigolf. Nous étions tous enthousiastes de s'y essayer et à aucun moment la question de ma très basse vision ne se posa en limite, nous voulions le faire, nous y allions, c'est tout. Mes souvenirs sont visuellement flous, forcément; me restent surtout des lumières, des formes, des bruits, des voix, le vent et la chaleur, des sensations.

    Mon fiston fonçait comme un bourrin et s'énervait de sa balle virevoltant partout, pas là où il voulait. J'entendais les mouvements brusques de son club dans les airs et sur le sol, son impatience, son agacement, il rouspétait. J'essayai de lui parler mais comme d'habitude, il avait besoin de faire son expérience et n'écouta rien. Sa camarade se concentrait plus tout en exprimant son caractère boudeur, chouinant quand elle n'obtenait pas le résultat escompté. C'est qu'à vivre dans un univers où la compétition règne, il est difficile de rater, perdre, entendre que le plus important est de participer et partager. Au bout du compte, tous furent joyeusement sidérés d'apprendre que la personne ayant le meilleur score était… moi.

    Et oui, celle qui ne voyait quasiment rien avait gagné.

    La patience des enfants avait été éprouvée car ils voulaient jouer, gagner alors qu'avec mon amie, nous prenions le temps nécessaire à être pleinement dans le jeu, tranquillement. Elle me décrivait le parcours, j'en faisais le tour de près et si ma courte vue me cachait un élément, j'y allais des doigts et des pieds. Certains trous placés dans un décor foncé étaient invisibles à mes yeux depuis le point d'envoi, aussi, posait- elle un carton blanc au- dessus, à côté, en contraste afin que je les situasse tout en m'indiquant systématiquement où elle le mettait pour que j'adaptasse mes gestes. Sur certains parcours, ce fut joliment mené et le résultat heureux, sur d'autres, catastrophique, la balle filant loin de son objectif, plus d'un impossible à terminer en raison de leur complexité et de mon incapacité à voir.

    Je voulais profiter de la sortie en bonne compagnie, chaque expérience étant un cadeau inestimable au regard des mois passés, je ne comptais absolument pas gagner, j'espérais souvent, en entendant les enfants se tourmenter, qu'ils finissent en tête à égalité et finalement, la fortune en décida autrement. S'ils sont restés cois et déçus de leur défaite malgré leurs efforts, nous finîmes tous par se retrouver dans la joie de ma victoire improbable. Quelle leçon de vie pour ces petiots! Malgré mes limites physiques indéniables , grâce à la coopération, je réussis à participer pleinement à cette activité. Tellement rassurant et nourrissant pour nos âmes, tellement loin des limites, empêchements vécus au quotidien en d'autres compagnies. Ce fut une belle victoire de vie, pour nous tous.


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  •  Nous étions en pleine conversation, ma mère, fiston et moi, dans la tranquillité du quotidien quand tout à coup  vessie se manifesta. Comme d'habitude, je pliai mes jambes en croisant les genoux et retins mon entre- jambe dans l'espoir d'éviter la fuite, continuant d'écouter chacun et de formuler quelques paroles, l'autre main plongeant en même temps dans le sac à la recherche de mon matériel. Cela dura quelques secondes puis ma mère, mon garçon me lancèrent chacun à leur tour, l'un derrière l'autre: « Va donc aux toilettes! ». Sans perdre quoi que ce fut de mon calme, je leur répondis: « Vous n'êtes pas dans mon corps pour savoir comment réagir et savez très bien que j'ai des problèmes à ce niveau, que j'ai besoin de sondes pour me soulager. Quand une personne en fauteuil roulant se trouve devant un escalier et qu'elle a besoin de monter alors qu'il n'y a ni rampe, ni ascenseur, vous ne lui dites pas  Lève- toi et marche ». Le matériel en main, je partis vers les toilettes nonchalamment et de loin, j'entendis mon fiston rire en répétant « Lève toi et marche ».

    La démonstration était cinglante.

     

     


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