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J'ai l'impression que le raplapla s'amenuise doucement, pour preuve ces écritures, partie émergée d'un iceberg d'envie de sujets en pagaille me trottant dans la tête. Deux cures de fer m'ont soutenue plus ou moins quelques temps et puis, ma situation économique m'a vite ramenée à la réalité: tous ces soins complémentaires sont coûteux et finissent par passer à la trappe. C'est que j'ai des décisions à prendre au quotidien pour finir le mois sans passer par la case rouge, case qui par effet de vases communicants ampute le mois suivant, donc, j'aime mieux me l'éviter. C'est un sport de haute voltige d'autant que des proches dans une situation économique terrible me sollicitent régulièrement pour simplement survivre, les études en informatique du fiston me coûtent cher, il y a à manger correctement, à payer les factures impondérables, à faire tenir une voiture branlante, y mettre de l'essence pour aller travailler. Dans mes pérégrinations, j'ai rencontré une femme devenue sacrée copine atteinte également d'une maladie auto- immune; elle me répète souvent que ce genre de pathologie amplifie les carences en minéraux, vitamines et oligo- éléments, que nous avons à être plus vigilants et soucieux de compenser ces pertes. Comment faire alors? N'étant pas d'un naturel à me laisser abattre, je cherche des solutions accessibles au moment où j'ai besoin de quelque chose, dans ce domaine comme dans les autres. En ces jours printaniers, je sollicite particulièrement la générosité de Mère Nature.
Refusant les médicaments chimiques, je bénéficie depuis plusieurs mois d'un traitement homéopathique pris en charge par la Sécu pour calmer les hémorragies, permettant à mon organisme de se recharger en globules rouges et fer. Je l'accompagne en limitant au maximum café et thé parce qu'ils font disparaître le fer. Je mange du chou, du pissenlit, des légumes lacto- fermentés, des légumineuses, des fruits secs, des noix variées, du chocolat noir pour tâcher de me recharger en minéraux, vitamines, oligo-éléments. Une voix lointaine et bienveillante me souffla les bénéfices de l'ortie, j'en fais depuis une cure intensive: en infusion, fraîches, dans les soupes, les légumes. Il y a aussi la cure de jus de bouleau pour nettoyer l'organisme et surtout, dès qu'un rayon de soleil pointe sur la terrasse, je m'y jette visage, bras et mollets découverts pour charger la vitamine D naturellement. Évidemment, j'écoute mon corps, soigne mes relations, mon état d'esprit avec la méditation permanente, regrette néanmoins le peu de place accordée au Qi Gong cette année paradoxalement, je me charge de dormir tranquillement et autant que nécessaire, je ris, m’amuse, me nourris l'âme. Je marche en permanence pieds nus à la maison, tâche de tenir les préceptes élémentaires de la neuro- posture et ne lâche rien sur l'utilisation quotidienne de l'activateur en dentosophie. Je continue les lavements, encore et toujours pour soulager ma pauvre tuyauterie détraquée du fait de blessures à la moelle. Je marche autant que je le peux au moindre prétexte.
J'ignore concrètement les bénéfices de ce genre de choix, au moins, ils ont le mérite de ne pas laisser le corps se dégrader. Je m'étonne d'ailleurs que malgré les vagues de gastro, grippe et autres maladies touchant l'entourage familial, amical ou professionnel, je passe à travers, supportant tout au plus un léger rhume rapidement pris en charge par quelques granules. C'est un grand mystère pour moi, je l'avoue.
- La santé, c'est tout!, s'exclama, après mon témoignage, l'enseignante lors de ma dernière intervention auprès des étudiants en première année de soins infirmiers ce mois- ci.
- Qu'est- ce que la santé?, ajoutai- je. Parce que paradoxalement, je me sens en meilleure santé que bien d'autres qui ne sont pas malades, ont tout pour eux.
Parce que j'écoute mon corps, que je prends soin de lui malgré tout? Parce que d'abord, il y a la vie et que je veux la vivre pleinement?
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Devic est envahissant et terrifiant, certes, mais il reste accessoire et n'empêche pas de vivre ce qu'il y a à vivre par ailleurs. Le corps notamment continue son chemin avec son lot d'aventures liées aux circonstances. N'en déplaise à l'idéologie ambiante, les femmes ont des échéances biologiques indéniables. La maladie est venue anéantir mes ultimes maigres espoirs de famille nombreuse en me fauchant sur les dernières années de fécondité optimale, j'en ai fait laborieusement mon deuil. Désormais, je traverse les désagréments de la quarantaine passée entre fibromes et autres réjouissances utérines ou hormonales. C'est que j'ai à être particulièrement vigilante: ma grand- mère maternelle, ma tante maternelle et ma grande- tante maternelle sont mortes du cancer du sein, ma mère a eu le sien à 45 ans et un autre de l'utérus cinq ans après, métastasé, devenant à ce jour une miraculée selon les mots de son médecin. Il est vrai, j'avoue, qu'avant Devic, je m'attendais à un cancer de cet ordre, pas effrayée d'avoir à affronter les contrôles voire même les traitements puisque je les sais efficaces si la tumeur est prise à temps. Depuis Devic, bien que sous les feux de nombreux médecins et spécialistes, je tâche de veiller à toutes les parties de mon corps ( et de mon psychisme) car la médecine est cloisonnée voire explosée entre ses spécialités et bien des maux peuvent s’installer parce qu'aucun médecin n'a regardé de ce côté.
Depuis mai- juin 2014, j'avais (?) des règles hémorragiques impressionnantes, me vidant à gros flots et caillots en quelques heures. Ma sœur me mit en garde vu nos antécédents, j'expliquai qu'en l'absence de saignement en dehors des règles, je ne m'inquiétais pas. J'étais pourtant terriblement fatiguée, complètement à plat. Comme je lui en parlais, mon médecin généraliste prescrivit un bilan sanguin complet au cours de l'été, une anémie et une carence en fer, seules se révélèrent, heureusement car elle avait demandé pareillement les marqueurs de cancer. Régulièrement, je fais des cures de fer que je supporte moyennement sans toutefois régler le problème véritablement ( je raconterai ces péripéties par ailleurs) et prends un traitement homéopathique qui semble faire effet.
Il y a ainsi plus de six mois que je tâche de vivre au mieux avec une énergie fluctuante. Je pose des priorités, je mesure chaque activité et tout le quotidien se passe au rythme de ce que je peux ou non faire au moment où se présentent les événements, les activités. Les tâches ménagères sont au minimum syndical, la grève avec le fiston varie en intensité, je continue mon emploi vaillamment avec joie tout en baillant à longueur de temps ce qui amuse beaucoup mes interlocuteurs, j'étale mes travaux commencés, souvent inachevés dans le séjour, me fichant pas mal du désordre, je file au lit vite fait résistant avec plus ou moins de force au-delà de 21h, décollant du lit au matin uniquement par discipline, je rationalise au maximum mes déplacements pour me ménager et justifier l'utilisation de la voiture absurde. C'est que j'ai un fiston de 18 ans en pleine préparation du bac et construction de son avenir avec des choix post- bac exigeant énergie et opiniâtreté, plus les autres aléas de cet âge, une multitude de personnes qui me sollicitent pour survivre dans un monde qui les malmènent violemment ou pour envisager d'autres relations, d'autres perspectives, j'ai fait plusieurs formations, etc, etc. Quand j'ai du temps pour moi avec une faible énergie, je traîne à la maison, vaquant à des activités mesurées: lire, coudre, crocheter, broder, tricoter, regarder des films ou des séries, écouter des livres lus, la radio, de la musique. Forcément, j'en oublie d'écrire parce que c'est la dernière de mes préoccupations. J'y pense et puis l'idée de me retrouver assise devant l'écran pendant des heures à tourner mes phrases, mes structures de texte, trouver la formulation pertinente, argumentée et claire m'en éloigne. Le blog vit donc lui aussi au gré des circonstances et surtout de mes envies. En même temps, j'écris depuis 2008, j'ai publié 551 articles, il y a de quoi lire, relire et re – re- lire, je le fais moi- même de temps en temps. Certains font remonter un ancien article tombé dans les limbes, j'y ai déjà pensé et finalement, cela ne me correspond pas alors, si vous avez le temps long, je vous invite à piocher dans les archives d'ici en attendant des nouvelles fraîches. Surtout, faites comme vous avez envie.
A la prochaine, ici ou ailleurs.
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Ayant beaucoup d’œufs, j'avais envie de préparer quelque dessert. J'abordai la question avec fiston, obtins l'habituelle réponse laconique et vide. Je me souvins d'une tablette de chocolat blanc et l'idée d'une mousse avec des fruits rouges le fit un peu réagir depuis le canapé où il était vautré avec sa console de jeu:
- Oh! Donne- moi quelques carreaux s'il te plaît
- Si je t'en donne, c'est ça de moins dans la recette.
- C'est pas grave, ça ne changera rien, tu verras.
Je lui donnai une ligne qu'il engloutit vite fait.
- Hummmm, il est bon ce chocolat.
- C'est un pâtissier.
- Il n'empêche qu'il est bon.
J'ouvris la porte du frigo et préparai vaguement les ingrédients, glissant un pot de crème liquide à côté des œufs. Je lis ensuite plusieurs recettes, histoire de faire à ma façon, comme d'habitude puis, je perdis l'envie de m'y mettre ce soir- là. Je ne manquai pas de cacher la tablette de chocolat blanc parce qu'en évidence aux yeux de fiston, elle aurait disparu dans la nuit, certainement.
Le lendemain matin, je vaquai aux occupations habituelles et l'idée de la mousse me revint. J'étais bien embêtée parce que je n'avais aucune envie de la faire, surtout qu'il y avait besoin de la laisser prendre au frais au moins six heures… ce qui nous ramenait bien après le repas ( et donc, c'était râpé pour le prétendu dessert). Je tirai au flanc en préparant les ingrédients du repas ( escargots beurre maître d'hôtel- que mon garçon adore- et risotto aux champignons). L'heure tourna encore et sans grand enthousiasme, je me décidai à faire cette mousse. C'était dimanche et comme je n'avais rien fait de spécial pour les 18 ans de mon garçon dans la semaine, je me forçai la main, en plus des escargots. Je déposai les carreaux en morceau dans une petite casserole sur le tout petit feu vitrocéramique. Je savais très bien que c'est à faire fondre au bain- marie mais j'avais la flemme de sortir plus de vaisselle et la casserole spéciale bain- marie en particulier. Je me mis à laver le riz rond à plusieurs eaux et les minutes passèrent. Le chocolat ne semblait pas bouger et quand j'y mis le nez, je découvris que le fond était brûlé et granuleux. Bravo! Je pris une petite cuillère pour reprendre celui qui n'avait pas été atteint, le tout vint d'une pièce. «Bon, je vais faire le tri dans le saladier, ça ira», pensai- je. Tu parles! Tout se mélangea et il y en avait partout. Parce que le granuleux brûlé était majoritairement en minuscules graines, que j'ai sali l'évier, deux cuillères, un couteau, une spatule, aggravé le cas de la casserole. J'avais en outre plein de chocolat à demi fondu ou brûlé sur les mains. Je songeai à enlever des œufs sur la recette vu que sur la tablette initiale, j'avais déjà perdu bien de la matière. Agacée, je sortis un saladier supplémentaire et le chinois pour passer ce magma informe au tamis avec l'espoir de ne pas tout perdre; ce fut heureux mis à part que j'alourdis le poids de vaisselle sale ( pour quelqu'un qui avait eu la flemme de sortir la casserole à bain- marie, c'était ballot). Comme , inévitablement, le chocolat ainsi récupéré refroidissait et donc durcissait, je me rappelai alors de la préparation des œufs. Vite, je séparai le blanc des jaunes, fis monter les premiers au super robot et constatai avec effroi que les jaunes versés sur le chocolat accéléraient son refroidissement! La mixture devint une espèce de truc informe où rien ne se mêlait. Les blancs montés, je les transvasai dans un précédent saladier que j'avais vite rincé et grattai la mixture jaune- chocolat refroidi pour la mettre à battre au fouet dans le super robot. L'idée d'utiliser le blender me traversa l'esprit, j'y renonçai estimant avoir assez sali de vaisselle. Hormis quelques morceaux, après plusieurs minutes, l'ensemble parut se fondre, j'ajoutai un bout de beurre. Pendant ce temps, les blancs attendaient… Dépitée, je mêlai le tout doucement, pressentant la catastrophe à venir. Léchant de temps en temps les résidus, je trouvai le goût agréable et y mis mes espérances; la mixture passa au réfrigérateur. Je préparai le repas et fis la vaste vaisselle. A 12h30, fiston n'était toujours pas levé, je finis par manger seule. Heureusement, le repas fut fameux et je me régalai. Il débarqua bien plus tard, avala le risotto peu enthousiaste et les escargots froids.
Durant l'après- midi, je jetai de temps en temps, un œil sur la prétendue mousse au chocolat blanc. Mon espoir se déconfit au même rythme que les blancs en neige retombaient. Après 16h, je mangeai des fruits rouges seuls entre deux coutures ou coupes puis n'y tenant plus, je sortis la mixture. Le spectacle n'était pas glorieux: du jaune coulant dessous, du blanc en mousse lâche dessus. Je me servis et goûtai: pas terrible avec les fruits rouges, peu de matière, la prétendue mousse plus proche du liquide que de la mousse, par contre, le goût chocolat blanc était très fort. Après deux ou trois cuillères à café, j'eus un haut le cœur, trop d’œuf, trop de beurre de cacao ( ben oui, le chocolat blanc, ce n'est QUE du beurre de cacao), je rapportai le plat à mon garçon: « Tu peux tout manger, c'est trop riche pour moi, ça devrait alors te plaire.. enfin, j'espère parce que franchement, elle est ratée». A mon grand soulagement, il mangea toute la partie mousse et peu finit dans l'évier. « C'était bon, même si c'était spécial» conclut- il. Je lui racontai alors mes mésaventures du matin dues uniquement à ma flemme de sortir la casserole à bain- marie. A chaque épisode, il glissai un:
- Tout ça parce que tu n'as pas pris la casserole à bain- marie.
- J'aurais pu très bien aussi mettre le chocolat dans un bol posé sur l'eau de la casserole.
Mon récit ne l’intéressait pas, il se souciait peu des détails, j'insistai néanmoins, notamment sur la notion de flemme dont il est champion. Après trois au quatre épisodes, il voulut raccourcir:
- Maintenant, tu sais que la prochaine fois, tu sortiras la casserole à bain- marie
Et moi de conclure définitivement:
- Ben non, la prochaine fois, je ne ferai rien quand je n'en ai pas envie.
Le soir venu, je repris la lecture du livre de Christophe André, Méditer jour après jour. Jusqu'à cet instant, je n'y avais pas appris grand-chose m'y attardant pour finir ce qui a été commencé. Par hasard, j'arrivais au chapitre, Agir et ne pas agir. Écho formidable à mon expérience du jour, j'y trouvai confirmation de ma conclusion sur la mousse au chocolat blanc ratée: « La présence mentale à l'action nous permet de mieux comprendre à quel moment une action devient inutile», « Apprendre à se désobéir: un acte simple de clarification et de libération personnelle...», « La pleine conscience nous permet, finalement, de considérablement augmenter notre liberté. Plus je la pratiquerai, plus je ressentirai dans mon quotidien la différence entre réagir ( aveuglément, aux impulsions) et répondre ( en toute conscience). Et plus je préférerai répondre à ce que me demande le quotidien, avec toute ma conscience, qu'y réagir, l'esprit absent.».
Grande est ma gratitude envers la mousse au chocolat blanc ratée.
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Que voulez- vous que je vous dise? J'ai l'impression de vivre au ralenti, d'hiberner et pourtant, je ne me refais pas, quoi qu'il arrive. Persiste mon engagement partout, en permanence. N'ayant pas beaucoup d'énergie, je l'utilise avec parcimonie, au gré de sa bonne volonté, dans une écoute particulièrement amplifiée du corps. Mon ami Boris a su heureusement me soutenir, renforcer ma conviction, me donner de la légitimité et de l'assurance quand après les attentats, il a répété combien la rencontre et la discussion étaient les meilleures des solutions face aux désordres de ce monde de méfiance, de peur, de ressentiment, trop souvent de haine, principalement de délires et fantasmes.
Alors, oui, ma foi, et c'est de circonstance, je continue.
D'abord, j'écoute mes nombreux amis musulmans. Entre nous, rien ne change; cela n'a pas lieu d'être de toute façon, les événements de janvier n'ont rien à voir, ni à faire dans nos relations. Tout au plus, ils ont permis de renforcer nos liens car nous savons que la rencontre, l'accueil, le partage sont les meilleures défenses face à la division, l'opposition et la violence.
- Dans l'Islam, tuer, c'est interdit!, s'exclama l'une de mes amies quand le sujet des attentats traversa la pièce. Même pas une mouche, une fourmi, rien! On la prend et la met dehors, c'est tout.
- C'est le respect de tout ce qui est vivant, le respect de la vie, ajoutai- je.
Et c'en fut fini.
Ensuite, j'ai affiché partout «Tuer une âme non coupable du meurtre d'une autre âme ou de dégâts sur la terre , c'est comme d'avoir tué l'humanité toute entière; et faire vivre une âme , c'est comme faire vivre l'humanité entière », Coran, sourate V, verset 32.
En plus des engagements habituels individuels et personnels sur mon lieu de travail, au quotidien, dans la communication non violente et le reste, je contribue à un projet à plus large échelle dans le cadre d'une institution régionale impulsé fin 2014 avec d'autres engagés de ma trempe basé sur la rencontre, la solidarité, la gratuité, le partage de tout ce qui existe et se réalise concrètement en preuve qu'une autre société est possible. Sa nécessité en est devenue que plus urgente depuis janvier. Mes étincelles à répétition insistantes ont fait mouche, trouvant écho dans un terreau bien préparé et je me réjouis des premières mises en œuvre.
J'ai donc encore bien des récits à écrire d'autant que je n'ai pas fait le tour de ce qu'il s'est passé ces dernières années. J'y vais doucement parce que l'énergie est nécessaire ailleurs, j'y vais tout de même. Lira qui voudra, l'avantage de la faille narcissique est que l'inutilité ou l'inefficacité n'ébranlent pas les convictions parce que finalement, l'égo ne se soucie pas de ce que ces actions peuvent lui rapporter ou lui prendre. Quitte à nourrir un ensorcellement du monde, autant que c'en soit un qui me corresponde, autour de valeurs fraternelles, équitables, respectueuses de la vie, de l'humanité dans son unité et de la terre qui nous porte. Je laisse à d'autres la capture des événements pour faire leur auto- promotion et vendre leurs opinions, leurs livres; chacun fait ce qu'il peut avec son humanité faillible et mortelle. Je suis quant à moi lucide sur le fait que mes engagements sont ridiculement insignifiants devant l'énormité de la tâche quand je suis si menue surtout que je suis revenue de cette fable du colibri, des intuitions aux Amanins puis ailleurs ayant été confirmées par des découvertes rédhibitoires sur ce mouvement. Alors, oui, c'est vrai, ce que je fais, je le fais principalement pour moi.
Je comble mes besoins énormes d’authenticité et d'intégrité, me nourris de ces échanges et de l'énergie bénéfique qui s'installe quand je tâche de la faire vibrer sur d'autres niveaux, je m'exalte des partages avec ceux qui aspirent à un autre monde, d'autres relations, espérant ensemble que ce que nous réalisons puisse porter quelques fruits ou du moins limiter les casses contemporaines à l’œuvre. Tous les jours, je me regarde en face, dans le miroir, je me sais debout et digne, en accord avec ce que je dis, pense et espère. Le doute ne m'étreint pas à ce propos car je sais surtout depuis les heures terribles de 2006 que je veux, mon heure venue, mourir en paix, partir la conscience tranquille. Fragile et branlante, je reste une guerrière.
Il y a quelques mois, un thérapeute m'interpellait:
- Personne ne vous demande d'avoir des ailes dans le dos. Quand allez- vous arrêter de vous occuper des autres? Pourquoi ne vous occupez- vous pas d'abord de vous?
- Et ben quoi! Nous avons aussi besoin de gens qui s'engagent et vivent leurs vies en accord avec leurs convictions et leurs espérances, balançai- je agacée de cette mode hédoniste lucrative pour nombre de thérapies alternatives dans une société à l'individualisme et au narcissisme forcenés.
Il finit par me cataloguer d'extra- terrestre ( les deux séances avec lui mériteraient que je vous les raconte).
Quelques jours plus tard, une amie maroco- italienne s'inquiétait de ma santé, j'avais l'air fatiguée, je lui rapportai alors à demi- mot les paroles de ce thérapeute et sa réaction spontanée me fit largement sourire: « Il peut toujours vous le dire mais vous n'allez pas changer parce que vous êtes comme ça et que c'est de ça que vous êtes faite. ». Tout était dit.
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Ce jour, était une séance de Qi Gong prévue depuis des mois; elle tombait au mieux. Épuisée, bouleversée, j'avais grand besoin de recharger des batteries à plat et je n'avais absolument pas l'énergie de participer aux défilés. Mon esprit y vola souvent, tiraillée, déchirée, dans un flou total, en sentiments ambivalents et antagonistes. Le visage fermé, rares sourires, les larmes au bord des yeux, je tins péniblement les trois heures et demie, pensées et prières en vrac, dormant debout sur les exercices de relaxation. Au retour, je sus que j'avais fait le bon choix: comment aurais -je pu piétiner plusieurs heures dans cette foule immense avec mes soucis physiques?
Un exercice en fin de séance porta ses fruits particulièrement: drainer Ren Maï (vaisseau conception) et Du maï (Vaisseau gouverneur). Il régularise les énergies Yin et Yang, ouvre tous les méridiens, prévient les désordres, désobstrue les méridiens de la stagnation d'énergies lourdes, stimule l' « oreiller de Jade » (région occipitale) permettant d'éliminer des causes de dérèglement, de maladies, de malaises tant physiques qu'émotionnels, un raffinement de l'énergie (petite circulation céleste).
Je ne pouvais trouver mieux.
En rentrant, l'esprit plus clair et le corps soutenu, je saisis en moi quelques pensées diffuses.
A la fatigue et la lassitude des derniers mois, s'ajoutèrent les événements de la semaine. La force et l'énergie qui me tiennent au quotidien furent balayées, ravagées, j'en étais presque à m'écrouler. Devant la foule immense sortie dignement en silence spontanément, j'eus des sentiments contradictoires entre partage et questionnements voire expectative. Pourquoi?
Je suis engagée, au quotidien, ma vie est un engagement. J'écoute, observe, pense, médite, lis, réfléchis, agis à mon échelle. Je voyage parmi une multitude de nationalités, couleurs, origines géographiques et sociales, croyances, identités, orientations, laissant de la place à tous, m'étonnant souvent de la quantité incroyable de minorités que je côtoie. Je pratique la bienveillance, le don, l'échange. J'interpelle, taquine, soulage, titille, déstabilise, m'insurge, informe, interroge, me remet en question et perspective constamment, sans dogmatisme. Mes actions à la noix qui ne me rapportent ni notoriété, ni argent, ni confort, ni sécurité ne sauraient déroger à la ligne de conduite sous prétexte de peur ou de profit personnel. Courageuse est le qualificatif qui revient fréquemment dans la bouche de ceux qui parlent de moi. Comment pourrais- je faire autrement? Mes convictions humanistes sont chevillées au corps, mes besoins d'intégrité, d'authenticité omniprésents énormes. Mon fils me l'a souvent reproché et je le sais légitime dans ses besoins de sécurité, de confort. Seulement, voilà, j'ai souvent le sentiment de me battre contre des moulins à vent dans l'indifférence, de payer le prix fort pour pas grand-chose. Un syndrome de Cassandre? Puis là, tout à coup, un événement atroce secoue à grande échelle, comme un électro- choc et en moi, paradoxalement s'amplifient des sentiments de solitude, d'abattement voir de fatalisme…
N'est -il pas terrible qu'un tel fracas soit nécessaire pour que s'élèvent les voix de la liberté et de la fraternité?
Combien de temps couvriront- elles les voix de ceux qui attisent la haine, l'intolérance, la division, la compétition et le profit aveugles, l'individualisme forcené, l'humiliation, la méfiance, la peur, la morosité, le pessimisme, la course à la médiocrité et l’esbroufe, le narcissisme exacerbé?
Combien de temps avant que le train- train ne rendorme les esprits et que les grandes idées retournent aux placards des fuites quotidiennes?
Je sens le doute, le scepticisme, une certaine amertume parce que j'entrevois le désenchantement, le retour de l'ambiance nauséabonde d'avant. Certes les idéaux sont grands et magnifiques, ils transcendent les foules mais ils résistent peu à l'idéologie individualiste en quête de profit personnel voire égoïste, à la volonté légitime de sécurité et de tranquillité dans une société en mutation, mondialisée, vouée à un ultra- libéralisme inhumain où les inégalités sont de plus en plus criantes et insupportables, où l'avenir angoisse. Ont- ils seulement le poids de remuer ce qui s'est installé si longtemps dans les esprits, l'organisation des espaces, de la communauté de vie?
Il n'est guère étonnant que j'ai eu une grosse crise de migraine hier, entre mal de tête, des yeux, nausée persistante et sommeil invasif. C'est mon foie qui crie toutes ces émotions encaissées… en porte- parole de ma foi ébranlée? Le raccourci est facile, j'avoue et cela reste probablement une construction de l'esprit. Il n'empêche que j'ai le cœur remué, peu convaincu d'une prise de conscience réelle avec des actions concrètes sur la durée. Quelques jours ne changent pas des représentations insidieusement ancrées dans le quotidien et l'esprit de beaucoup depuis des décennies.
Pour conclure à demi vu que je n'ai pas encore trouvé la clarté, j'alimente ma flamme d'espérance avec mon ami Boris. Son regard, ses mots sur les événements résonnent en moi profondément, je me sens en communion. De telles voix seront- elles entendues?
http://www.tv7.com/point-de-vue-de-boris-cyrulnik-neuropsychiatre_3979593465001.php
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Je n'ai pas la télévision et j'en suis particulièrement heureuse dans de telles circonstances. Je m'informe par la radio et le site d'Arte +7, principalement puis la presse et la toile. Au milieu du flot de paroles et de commentaires dont certains me donnent envie de vomir quand d'autres me font pleurer sans cesse ( les interventions sur France Inter hier m'ont déchiré le cœur), j'ai été spécialement reconnaissante envers Arte et son émission 28 minutes.
Parole ferme, lucide et claire.
Si vous préférez l'intelligence au fatras nauséabond ou veule d'ailleurs, je vous invite vivement à visionner ces deux émissions.
Pour nous, pour tous, pour les morts que nous pleurons et la plaie immonde qui balafre désormais notre histoire contemporaine.
28 minutes spéciale Charlie hebdo
28 minutes Quand les journalistes tombent pour la liberté
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Ce soir, j'ai tendu un grand dais noir sur mon balcon.
Dommage, je n'ai pas de crayon blanc géant pour y écrire:
Nous sommes tous Charlie.
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Ma voiture a près de dix- sept ans, plus de 200 000 km au compteur, ce n'est pas une diesel et elle perd des morceaux de temps en temps. Pourtant, cette vieille guimbarde déglinguée fait son office et j'apprécie son confort. Comme elle est déjà cabossée, sale et rouillée, je me fiche royalement des rayures, taches et bosses. Ma sœur la dit poubelle, j'avoue qu'avec tout ce que je trimbale, elle y ressemble souvent. Je l'entretiens au petit bonheur la chance grâce à l'aide de nombreux contributeurs sans qui ce me serait beaucoup trop coûteux et elle passe les contrôles techniques. Quand elle lâche, je suis dans la merd... euh… l'embarras. Si panne et casse me sont aisément envisageables, je n'imaginais pas le vol vu son état et les berlines alentour. C'est cependant ce qui arriva en septembre alors que j'avais repris le travail depuis quelques semaines.
Je descendais chargée de plats préparés la veille pour une réunion de travail suivie d'un repas à 40 km de chez moi. J'ouvris la porte du garage normalement, du moins avec le jeu observé depuis une vague de cambriolages quelques mois auparavant et atteignis acrobatiquement la porte côté conducteur. Je remarquai que le toit ouvrant était entre- ouvert... «Tiens, je ne me souviens pas de l'avoir ouvert.». Je posai mon bardas sur le siège passager et découvris les dégâts: le vide- poche arraché cassé en deux, le plastique côté conducteur pareillement, les câbles pendouillant déconnectés. La voiture ne démarrait plus. Sortie annulée.
D'un calme olympien, je repris mes affaires et remontai pour prévenir collègues et supérieure puis appelai la police. Ils arrivèrent quelques minutes plus tard avec un appareil photo et le carnet de notes. Je portai plainte, pour le principe car l'assurance ne prit rien en charge: aucune trace d'effraction et ma voiture trop vieille ne valait pas assez pour être couverte contre le vol et la tentative de vol. Youpi. Toutes les démarches se firent par téléphone. Voulant prendre le vélo pour un déplacement le lendemain, je constatai aussi le vol du VTT de mon fiston dans le garage à vélo. En plus d'avoir une clé ou un passe pour aller et venir à leur guise, ils se servaient allègrement sur des objets préalablement repérés. Ma voiture en était, certainement pour des pièces et si elle est restée, c'est parce qu'elle a un anti- démarrage codé, inattendu pour le-s voleur-s. Je perdis en outre plusieurs heures salariées le temps de m'organiser.
Une chaîne de solidarité se mit en place: ma mère me prêta sa voiture pour le temps d’immobilité, une copine me mit en contact avec un réparateur qui vint rapidement remettre les câbles et quelques jours plus tard bricoler un truc pour le toit ouvrant forcé. Il enleva le système d'ouverture puis le condamna en le collant avec du joint de pare- brise. J'en plaisantai: dorénavant, j'ai un panoramique ( accessoirement, il ne pleuvra peut- être plus à l'intérieur). Il travailla avec soin, aussi, je lui donnai ce qu'il demandait bien que la somme pesât sur le maigre budget, bien plus que ce à quoi je m'attendais. Les plastiques restent difficiles à trouver car la voiture est vieille, série spéciale fin de modèle, je roule donc sans. J'ai à retourner de temps en temps à la casse histoire de voir si par hasard, ils sont trouvables; j'avoue que je ne suis pas très motivée du moment que je peux circuler.
Entre les deux réparations, je me rendis au garage de la marque pour un contrôle- sécurité gratuit. A l'accueil, je racontai l'aventure. A l'âge de la voiture, l'interlocuteur eut une légère réaction, quand je lui dis qu'elle venait de subir une tentative de vol, il écarquilla les yeux. J'attendis sur place en sillonnant les allées entre voitures neuves et d'occasion, m'étonnant de ces grosses machines de métal et plastique, de leur prix ( « Comment peut- on mettre autant d'argent là- dedans?»), riant des arguments publicitaires et visant une station de chargement pour voiture électrique dont les affichages vantaient les mérites ( « Quelle fumisterie ces voiture nucléaires! » ). L'examen terminé, je fus hilare: le contrôleur expliqua interloqué que tout allait bien, que je pouvais rouler en toute sécurité. « Sans plastique et quand il ne pleut pas! » répondis- je. Il approuva quand j'ajoutai plus sérieusement, « C'est que je l'entretiens. ». Toutes ces circonstances étaient véritablement cocasses.
( à suivre)
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Quand il était au collège, mon garçon avait quelques rares amis qu'il considérait tels parce qu'ils le défendaient et le protégeaient de ceux qui lui cherchaient des noises. Ils sont passés souvent à la maison, y dormant parfois. L'un d'eux essayait de rester aussi longtemps que possible car la situation à la maison lui était insupportable. Son père était mort, sa mère, complètement dépassée par la situation, sans emploi, ni permis de conduire, désœuvrée, avec quatre enfants. Son fils unique la fuyait, chez eux par les jeux, le plus possible à l'extérieur, errant d'un copain à l'autre, squattant de ci de là. Rapidement, ces enfants furent placés en foyer et ce garçon put terminer son CAP tranquillement, revaloriser son image de soi grâce à la constance du contexte de vie. Ensuite, je fus heureuse d'apprendre qu'il avait trouvé une place d'apprenti boulanger, son rêve et une autre dans un foyer adapté à sa situation. Il ne venait et n'appelait plus, mon garçon ayant parfois des nouvelles quand ils partageaient des jeux en ligne. Je lui souhaitais vraiment de continuer à réussir malgré les fracas de son histoire et j'étais soulagée, de surcroît, de n'avoir plus à l'héberger, à me retrouver face à ses contradictions et paradoxes, ayant largement à faire avec mon propre garçon.
Fin août, il ressurgit dans l'urgence.
Fiston me demanda de venir à son ordi pour une conversation directe avec lui en cette fin d'après- midi; il m'expliqua qu'il ne savait pas où dormir ces prochains jours et demandait à venir chez nous. Je n'en avais aucune envie et refusais de prendre une décision sous la pression immédiatement. Je lui demandai de rester jusqu'au lendemain chez ceux qui l'hébergeaient ces jours- ci afin de préparer la suite. Il accepta et négocia une nuit supplémentaire. Je passai la soirée et la nuit à mettre de l'ordre dans ma caboche et mes émotions, tiraillée entre indignation, propension à vouloir aider tout le monde, aspiration à la tranquillité, préoccupation financière et sentiments ambivalents envers ce garçon.
Le lendemain matin, il rappela mon fils pour demander si je pouvais venir le chercher car il trimballait une grosse valise. Ce n'était pas le moment pour moi et je refusai. Il insista un peu mais je ne cédai pas, ce qui me coûtait néanmoins soucieuse que je suis d'autrui; j'avais vraiment besoin de poser des limites. Prise ailleurs, je ne pus m'occuper de son installation, ils s'arrangèrent entre eux pour lui trouver un couchage et de la place. Au retour, je discutai avec lui.
Il m'expliqua que cela faisait six mois qu'il squattait à gauche à droite, chez des copain, chez sa copine, où on voulait bien le garder... jusqu'à ce qu'il soit mis dehors parfois avec un billet. Un essai de retour à la maison s'était soldé par un échec, sa mère refusa de le nourrir et de l'héberger ne serait- ce qu'une nuit, son nouveau compagnon ne réagissant pas. Le garçon n'avait pas de revenu, trimballait tous ses biens dans une grosse valise encombrante et très souvent, n'avait rien à manger. Il disait chercher un emploi sans cesse mais ne savait rien des démarches administratives, comme s'inscrire à Pôle Emploi, par exemple. Le passage aux dix- huit ans avait tout bouleversé, justifia t-il au début. Comme je l'interrogeai sur son apprentissage et son foyer, il raconta tranquillement que son patron l'avait viré parce qu'il n'était pas satisfait de son travail et son comportement: pas d'investissement, attente d'ordre, aucune initiative, inactivité notoire ponctuelle, retards répétés, absences injustifiées. Connaissant l'énergumène, j'imaginais parfaitement la situation. Ce garçon maîtrise très bien les codes de la politesse et feint pareillement la soumission aux adultes, aux ordres, tout en n'en faisant qu'à sa tête dès qu'ils ont le dos tourné; il dit « Oui» sans adhérer, ni agir comme convenu. Cela nous avait valu quelques conflits, j'en avais l'expérience, je ne m'étonnai donc nullement. Pour le foyer, il raconta qu'il avait été mis dehors parce qu'il n'avait pas respecté le règlement intérieur qui interdit les visites au- delà d'une certaine heure, sa petite copine ( dont il change très souvent) a été surprise à passer la nuit dans sa chambre. « Et bien, tu t'es foutu dans la merde toi- même» affirmai- je implacablement. Il ne put que le reconnaître. Je lui expliquai alors qu'il était hors de question qu'il restât chez nous car je n'en avais pas les moyens. Je le dépannais un ou deux jours le temps de trouver une solution durable, pérenne. Je ne voulais pas qu'il nous revint avec les mêmes problématiques plus tard et encore moins le savoir livré à lui- même, avec sa tête de mule à la rue.
Je l'emmenai d'abord à la Mission Locale la plus proche. Manque de chance, elle était à son premier jour de vacances pour deux semaines. Nous ramassâmes quelques documentations et rentrâmes. Il m'aida de bon cœur à préparer le repas du soir, reconnaissant d'avoir un toit pour la nuit et nous discutâmes encore. Finalement, nous nous mîmes d'accord sur le fait qu'il lui était préférable d'aller à la Mission locale de sa ville d'origine car il y avait plus d'opportunités et de facilité là- bas que dans notre bourg de campagne. Les garçons papotèrent ensuite entre eux tard dans la nuit surtout de leurs jeux vidéos et je tâchai de dormir malgré leurs bla- bla. Au matin, j'appelai la Mission Locale de sa ville, pris quelques renseignements et après qu'ils eurent émergé à leurs heures d'ado décalés, j'y emmenai tout ce monde, lui demandant de prendre sa valise au cas où il y aurait une solution immédiate pour lui. Quand nous arrivâmes, je me présentai au premier bureau et expliquai la situation. La jeune femme qui nous reçut m'interpella d'un ton violent, répétant à plusieurs reprises: « Il faut appeler le 115! Mais pourquoi vous n'avez pas appelé le 115? » et j'en passe. Elle me passa un savon, elle lui passa un savon: «Ah mais vous êtes majeur désormais, c'est à vous de vous prendre en main, vous êtes responsable, vous pouvez vous marier, avoir un enfant, aller en prison, voter… ». La situation me parut ubuesque, mon fiston resta bouche bée. Finalement, le garçon put se faire enregistrer, définir sa situation et obtenir une place le lendemain matin à une réunion d'information générale pour tout nouvel inscrit sur leurs droits et devoirs. Pour une place en foyer, il était trop tard, les appels étant à faire avant une heure dépassée. Je ramenai la troupe à la maison pour une nouvelle nuit. Il parla de prendre le train le lendemain matin tôt naturellement. Empêtrée de mes foutues émotions, je lui dis que je l'emmenai car je n'étais pas rassurée à l'idée de le savoir à pied et en train avec sa grosse valise encombrante. Ils papotèrent de nouveau tard malgré mes indications sur le programme du lendemain. Au matin, je me préparai et allai le réveiller à plusieurs reprises sans qu'il bougeât, répondant constamment oui, oui quand je lui parlais. Nous partîmes avec un quart d'heure de retard.
Connaissant bien la ville, je choisis un itinéraire plus rapide pour rejoindre le lieu ; avec ce quart d'heure de retard, j'avais à agir vite et efficacement. En chemin, je lui fis part de mes sentiments face à son attitude, « Tu as 18 ans et es considéré comme responsable, certes, mais il serait temps que tu arrêtes de t'imaginer que tu sais tout mieux que tout le monde et d'écouter ce que te disent les personnes expérimentées ; parce qu'à vouloir n'en faire qu'à ta tête, tu te fous dans la merde. » Oui, oui et belles phrases sensées pour réponse. Evidemment, je n'étais pas du tout CNV, trop fâchée et contrariée par ces événements. En plus, vessie commença à se manifester ( tiens donc). Le comble fut quand arrivée quasiment à destination, la route se révéla barrée pour travaux. Suivre la déviation se révéla tout aussi catastrophique puisqu'elle ramenait à une autre route barrée et nous tournâmes en ville vainement. J'appelai la Mission Locale pour les prévenir de son retard en raison de ces routes barrées et non de sa négligence, il fut excusé et l'interlocutrice, aimablement, m'expliqua qu'il ne pourrait probablement plus entrer dans la salle car aucun retard n'était toléré. Grrr! J'étais furieuse, de cette colère rentrée, à chercher des mots pour ne pas exploser violemment et inutilement. Nous arrivâmes devant la porte avec … un quart d'heure de retard. Le fameux quart d'heure. Je le mis face à sa responsabilité et nous entrâmes. Je pris le temps de saluer l'interlocutrice et n'en pouvant plus, je demandai à aller aux toilettes.
- Nous n'en avons pas pour le public, expliqua t-elle simplement.
J'explosai, autant que faire se peut en telles circonstances parce que je ne voulais pas nous fermer les portes de l'aide à ce garçon:
- Ah mais c'est de la discrimination là, je vais en référer à qui de droit!! Vous préférez peut- être que je me lâche devant vous? C'est inadmissible d'être traitée comme ça. Je suis handicapée et vous me refusez l'accès aux toilettes. En plus, je m'occupe de ce gamin dont personne ne s'occupe quand je n'ai aucun lien, aucune obligation envers lui.
A la vue de son visage en décomposition et aux réactions de certains de ses collègues, je continuai:
- Veuillez m'excusez, ce n'est pas personnel, j'entends bien que vous obéissez à un règlement, mais là, j'en ai par dessus la tête et avec ces routes barrées là, là et là ( j'indiquais les directions tout autour du lieu), j'ai vraiment de quoi me mettre en colère.
Ils se rassurèrent, encore sur le qui vive toutefois... sans m'autoriser à aller aux toilettes. Je serrai les écoutilles et le garçon, à côté se fit tout petit, s'excusant et répétant qu'il se rendait compte à quel point mon état physique était problématique, contrariant et … handicapant. Je posai la question de son hébergement, expliquant que je n'avais pas les moyens de le garder et nous fûmes renvoyés à une autre association ailleurs parce qu'eux ne s'en occupaient pas. Ils prirent quand même un rendez- vous pour la prochaine réunion où il devait impérativement se rendre à l'heure.
La main entre les jambes, trépignant et gesticulant pour éviter la fuite, nous repartîmes vers cette autre association. Heureusement, le garçon connaissait le chemin et nous arrivâmes à la bonne adresse. Pas de toilettes en vue. Nous cherchâmes un bon quart d'heure la porte d'entrée... où nous trouvâmes une affiche indiquant que l'entrée était de l'autre côté. Zou! C'était reparti.
De loin, je vis les attroupements devant la porte, un malaise diffus me prit alors que tout le bas ventre se comprimait; la détresse se lisait sur ces visages durs, éperdus, méfiants. Alors que nous passions l'entrée, je fus regardée par quelques uns bizarrement, ma tenue tranchait indéniablement avec le décor: manteau, chapeau, jupette, collants originaux, bottes et sac à main, un brin d'élégance, tout détonait en ces lieux de désœuvrement et de colère. Nous passâmes le seuil en se faufilant parmi des personnes conversant vivement en langues étrangères, femmes et enfants se réfugiaient dans les coins et recoins, une violence sourde et forte remplissait l'air. Il y avait là des humains de tout âge, tout sexe, à plusieurs couleurs et langues. A l'accueil, une femme était au téléphone, tendue, énervée. Je compris rapidement qu'elle cherchait une solution pour une famille avec des enfants en bas âge qui, pour l'instant, vivait dans les bois, sous tente. Elle ne trouvait que des réponses négatives et la révolte et l'indignation se lisaient sur son visage. Nous attendîmes plusieurs minutes, ma vessie hurlant toujours plus fort. Quand elle raccrocha, je lui expliquai que nous venions pour le jeune homme à la rue suite à notre passage à la Mission Locale, elle se leva et commença à nous expliquer que ces locaux était un hébergement pour la journée et non pour la nuit, qu'il était possible d'y rester plutôt que de traîner à la rue, de s'y asseoir, d'y manger, d'y prendre une douche, d'y laver son linge, qu'une assistante sociale était dans le bureau sur la gauche, qu'elle nous recevrait dès que notre tour sera venu. En pleine explication, je la coupai et lui demandai s'il y a avait des toilettes accessibles. Elle s'irrita: « Je termine ma phrase et je vous les montre.». Je ne savais plus ou donner de la tête. Enfin, le garçon alla prendre son tour devant le bureau de l'assistante sociale et je filai aux toilettes. Horreur! Elles étaient dans un état lamentable, sale, en désordre, sans savon. Ce fut une galère que de m'y sonder et de soulager mon pauvre ventre qui n'en pouvait plus. Je me disais que fiston, qui n'avait pas voulu venir, aurait eu grand besoin de voir cette vie afin qu'il mesure sa chance et arrête de se plaindre de la mère abominable qu'il avait quand il était fâché et contrarié. Tant pis.
Notre tour arriva rapidement et j'accompagnai le garçon dans le bureau où j'expliquai sa situation. La toute jeune femme qui nous faisait face connaissait ces situations et posa quelques questions avant de lui expliquer ce qui existait pour lui: l'hébergement d'urgence au 115 à appeler avant 10h pour ne pas dormir dans la rue, avec des lieux différents, à plus ou moins grand nombre de lits, qu'il faut quitter chaque matin pour recommencer chaque jour, avec des populations infinies entre des jeunes, des vieux, des enfants, des familles, des personnes souffrant de diverses pathologies ou dépendances, toujours un surveillant auprès de qui il était possible de rester pour être rassuré, les locaux d'ici où il y avait des coffres où déposer ses affaires afin de ne pas les trimballer toute la journée, des douches, des toilettes et des machines à laver, en attendant d'avoir une place dans des foyers à hébergement de longue durée, le temps de se retourner, une aide pour lui permettre de s'acheter à manger et surtout l'ouverture de ses droits à l'indemnisation chômage. Qu'il sache également, que partout, toujours, il y avait un encadrement et des personnes à qui il peut s'adresser pour répondre à toutes ses questions. Il ne pipait mot, répondant aux questions, évoquant vaguement des peurs tout à fait légitimes. Elle tâcha de le rassurer et de lui faire comprendre qu'il était fondamental pour lui d'enclencher ces aides afin de ne pas se retrouver totalement seul dans cette errance qu'il avait connue jusqu'alors car elle ne menait nulle part. Si j'étais soulagée de le savoir pris en charge, je fis un effort immense pour ne pas pleurer devant la violence de cette réalité. « Ah si seulement fiston pouvait voir ça! Quelle leçon ce serait pour lui! ». Soudain, nous entendîmes des éclats de voix derrière la porte et la jeune femme sortit en s'excusant. Il y avait un début de bagarre et rapidement, les cadres intervinrent pour calmer les esprits. Pendant ces quelques minutes, j'expliquai au garçon que j'étais bouleversée par cet environnement, que je l'étais encore plus à l'idée de le laisser là dedans mais que fondamentalement, c'était la meilleure solution pour qu'il puisse se construire un proche avenir plus stable et durable. Il comprenait bien que je lisais sur son visage l'inquiétude et la peur. C'était difficile pour tous. Le temps passait et j'avais à rentrer surtout que j'étais tiraillée et remuée par cette ambiance. Quand sa prise en charge fut claire à ses yeux, je demandai à partir. L'assistante sociale me rassura et le garçon vint chercher sa valise restée dans le coffre. Avant de partir, je lui souhaitais bonne chance et il me remercia mille fois, conscient que j'étais la première à s'être occupée de lui de la sorte. De retour à la maison, j'eus besoin de plusieurs heures pour me remettre, à peu près, et racontai l'aventure à mon garçon qui resta silencieux.
Régulièrement, je demande des nouvelles, capte des échos de conversations sur la toile entre lui et mon garçon. Il eut plusieurs nuits en foyer d'urgence, son dossier Pôle Emploi trouva une issue favorable lui permettant d'avoir de tout petits revenus, il pouvait s'acheter à manger chaque jour et assista à la fameuse réunion. La machine était en marche; au moins, il avait quelques solutions. Plus tard, j'appris qu'il en avait assez de dormir avec les clodos, qu'il était reparti avec des chaussettes mouillées aux pieds parce qu'elles n'avaient pas eu le temps de sécher au foyer pendant la nuit, qu'il cherchait à retourner chez un copain puis finalement, sa mère l'appela pour lui demander de garder les animaux pendant qu'elle partait en vacances. Il y resta deux semaines et aux dernières nouvelles, il était à Bordeaux chez quelqu'un dont j'ai oublié la définition.
Puisse t-il s'en sortir!
En conclusion, j'estime avoir fait ma part. Quant à toutes les questions, pensées et l'indignation que soulève ce genre d'épisode, je n'ai pas envie d'en parler maintenant, c'est trop énorme et ça ne sert à rien. A minima, j'apporte un témoignage, à qui en voudra, sur cette réalité de notre société.
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La soirée était paisible, fiston jouait silencieux devant son ordinateur, je vaquai à quelque ouvrage. Mon téléphone mobile annonça un message de son gong tonitruant, c'était une amie de fiston avec qui je partage souvent. Si le confort matériel ne pose pas de souci chez eux, il y a une grande souffrance, des conflits violents, une communication bancale, une errance générale, un grand désarroi. Elle trouve chez moi l'empathie qui fait cruellement défaut et quelques remontages de bretelles de temps en temps, de l'écoute, une présence auprès de mon garçon; elle se sait accueillie. En général, quand elle me salue, c'est qu'elle a besoin de parler, je posai donc mon ouvrage pour être disponible.
Ce n'était pas un SMS mais un MMS. Je l'ouvris et y découvris une photo en gros plan d'un nouveau- né emmitouflé de rose. Je crus en une poupée de porcelaine réaliste et répondis légère: « Qu'est- ce que c'est?», rapidement, me vint un «Ma fille». Le choc. Je ne la savais pas enceinte, elle a l'âge de mon fils. Je retournai une ligne de points d'interrogation et elle m'expliqua qu'elle avait fait un déni de grossesse. J'interrogeai fiston, il ne savait rien et tomba des nues, incapable de réagir pendant plusieurs heures.
Le lendemain, je la rappelai et elle me raconta son histoire.
Elle n'avait rien remarqué, tout fonctionnait comme avant. Quelques signes nauséeux avaient passés pour une gastro, les saignements sporadiques conservaient leur anarchie habituelle, elle ne prenait pas de ventre. Ce dimanche après- midi, elle se sentit mourir, avec des douleurs abdominales atroces et des heures passées sur les toilettes. Elle était seule, encore, à la maison. Le samu refusa de venir la chercher estimant que sa vie n'était pas en danger, elle éplucha tous les numéros jusqu'à ce qu'une cousine la prit en charge. Couchée à l'arrière de la voiture, elle se tordait de douleur. Aux urgences, il y eut une échographie abdominale et là, le «Vous êtes enceinte» provoqua la sortie du ventre immédiatement. Le temps manqua pour la conduire en maternité, elle accoucha dans la demi- heure, Bébé et Maman se rencontraient pour la première fois. Tout allait bien, la petite avait seulement les pieds tordus du fait d'avoir grandi le long de la colonne vertébrale, en cachette. Je l'appelai «pochette surprise».
Dans ma tête, c'était la bousculade, j'avais besoin d'y voir clair aussi, je pris le temps de poser quelques questions, d'entendre ce qu'elle me disait et surtout de rester à ce présent et non à mes propres histoires passées. J'appris qu'elle acceptait la petite, lui avait donné des prénoms significatifs à ses yeux, qu'elle s'en occupait avec amour et soin, qu'il n'était pas question de l'abandonner, que la famille, bien que choquée et bousculée, la soutenait. C'était loin d'être anodin.
Spontanément, je lui avais proposé le matériel qui me restait de la petite enfance de mon garçon gardé inutilement des années parce que je voulais d'autres enfants finalement restés morts- conçus, elle me remercia en déclinant l'offre: elle recevait de tous et la maison était déjà pleine du plus que nécessaire. Je fus soulagée. Je la rencontrai à l'hôpital, y croisai son père et nous discutâmes. Je trouvai la clarté dont j'avais besoin, et en particulier, heureusement, la mise à distance entre leurs vies et la mienne.
Si cela nécessita un effort interne important, je me réjouis de constater que j'étais lucide sur ma fâcheuse propension à vouloir aider tout le monde, du coût que cela m'induisait et, ô joie, une petite voix me soufflait: «Reste à ta place! Elle a des parents, une famille, ils ont plus d'argent que toi, tu n'as pas à prendre en charge ce qui ne relève pas de ta responsabilité, laisse- les vivre leurs expériences dans leur propre fatras, n'y mêle pas le tien.». Et miracle! Je m'y suis tenue. Je pris soin de mon cheminement, des émotions de mon fils grandement bousculé, de celles de ma mère à qui il avait soufflé mot et y mettait sa propre histoire, j'offre à cette jeune fille ce qu'elle ne trouve pas ailleurs. En outre, la vision, le contact de ce bébé ne m'impliqua pas, mon deuil est complet, je suis passée à d'autres étapes de la vie. Par contre, le traumatisme de l'hôpital se révéla particulièrement. Revenir en ces lieux me coûtait, mon fils lui, en fut incapable, évoquant notamment les odeurs qui le rebutaient au plus haut point. Que ce fut en maternité, à l’autre bout de là où j'étais en 2006 n'y changea rien, nous ne supportons pas d'y revenir. Nous avons nos propres chemins à parcourir.
Désormais, la jeune maman vit ses expériences, comble avec sa petite le vide affectif qui la mine, espère, se réjouit, se désespère, s'attriste, elle encaisse, elle s'essaie, elle cherche. Quand elle en a besoin, elle me contacte, nous échangeons, je l'écoute sans falloir ou devoir, ni pour elle, ni pour son entourage. Elle se sent mieux après. Je l'accompagne de bon cœur, exprimant également mes sentiments et pensées pour qu'elle entende d'autres voix/ voies que les enjeux conflictuels autour d'elle et surtout la petite. Même si nous ne nous voyons que rarement, elle sait qu'elle peut compter sur nous.
Il n'empêche que le choc a été intense. Alors que je connais le déni de grossesse, les grossesses précoces, bien cette jeune femme, je mesure l'impact émotionnel que ce fut pour elle d'abord puis pour tous ceux qui l'entourent. Il était nécessaire de mettre de l'ordre et de la clarté, de ne pas mélanger les histoires; je m'y attelais alors que je n'étais pas tout à fait remise des épisodes précédents ... et je n'en étais pas non plus tout à fait remise quand un autre événement se produisit avec des fracas similaires… A suivre ( décidément).
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