• je ne fabule ou n'exagère pas!

    Les lieux nous habitent et sont le théâtre de nombreux enjeux. En écho à mes articles sur ces possibilités ( dans cette même catégorie), je viens de lire cet entretien avec Christine Ulivucci, psychanalyste et psychothérapeute:  Exorciser les lieux.

    Si le cœur vous en dit, allez-y ... et faites- moi un éventuel retour, j'en serai ravie.

     


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  • Dans le cadre du suivi de mon état, avec la vigilance exigée, je vois le neurologue deux fois par an, au printemps et à l’automne. Heureusement, ces visites se passent vite avec les habituelles questions, mises au point et l’examen global: se mettre debout les pieds joints, les bras tendus en avant, yeux fermés, yeux ouverts, toucher le nez avec les doigts bras écartés, tests des réflexes aux articulations, passage de l‘objet pointu sur la plante des pieds, suivi du doigt par les yeux, vibration du diapason, quelques pas pieds nus.

    Mises à part quelques périodes à grosses fatigues ou douleurs spéciales,  il y rarement du neuf... et c’est tant mieux.

    J’avais déjà abordé la question de ma fatigue persistante à quelques reprises, expliquant mes conditions de vie, soucis divers avec son lot d’anémie et les épisodes mouvementés du quotidien. En septembre cette année, ce fut un rapide tour de la question de la vie avec ma mère diminuée en besoin d’aide constant. Conseil du médecin, insistant: prendre du fer chaque jour en raison de mes réserves trop faibles ainsi que des vitamines, du magnésium… Sans le dire à voix haute, je pensais seulement “ Oui, quand j’ai des sous”.

    La conversation sur le départ m’amena à glisser cette remarque, négligemment dans un but premier qui m’échappe désormais:

    - Au regard de ce que j’observe chez d’autres malades, je sais que j’ai vraiment de la chance d’être dans l’état où je suis...

    Là, le neurologue plongea ses yeux dans les miens profondément et d’une voix grave, me coupa dans mon envolée:

    - Oui, vous avez BEAUCOUP de chance.

    Touchée par cette inattendue remarque pleine de gravité peu coutumière, je chantai in extremis et joyeusement avant de partir:

    - Et chaque jour,  je rends grâce au ciel pour ce cadeau

    De retour à la maison, je retrouvai ma mère dans notre quotidien habituel.  Comme elle rouspétait et chicanait à mon encontre, je lui relatai l’anecdote. Elle m’écouta à peine, centrée sur ses propres peines et besoins. Piquante et avisée, je balançai d’une voix ferme: “Si j’ai de la chance,  toi, tu en as encore plus parce que je peux m’occuper de toi. Et je peux te garantir que beaucoup d’autres en seraient totalement incapables. D’ailleurs, j’en connais en pleine santé, avec de l’argent, de la place qui ne s’occupent de personne et surtout pas de leurs parents”.

    Et merde.


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    etc


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  • Pour ma mère, je suis une étrangeté et ce depuis des lustres… (pas que pour elle, c’est vrai m’enfin de sa part, c’est plus pertinent ) . Maintenant que nous vivons ensemble et partageons beaucoup de temps après plus de vingt ans séparées, le quotidien est ponctué de nombreux moments particuliers parfois étonnants. Nos chemins divaguent de ci de là au hasard des circonstances et des croisements se révèlent. En voici un particulièrement cocasse:

    Un jour, alors que j’écoutais de ma musique, ma mère me posa cette question l’air vraiment interloqué

    - Mais pourquoi écoutes- tu donc toujours de la musique arabe? Et pourquoi tu fais de la soupe turque? ( sous musique arabe, elle entend orientale ce qui couvre une grande diversité de rythmes, d’instruments, de voix, de musiques, de langues)

    - Et bien, parce que j’aime ça. Et comme je ne connais pas mes origines génétiques paternelles, toutes les portes sont ouvertes, héhé!.

    - C’est le multi culturalisme à fond avec elle tu sais, Mémé, ajouta fiston tout aussi hilare.

     

    Quelques jours plus tard, j’écoutais quelques albums de Björk. Je la taquinais en lui jetant un:

     - Ah! Tu vois, je n’écoute pas que de la musique arabe!

    - Bah, ce n’est pas beaucoup mieux, répondit- elle laconiquement.

    - Pour sûr! C’est une Islandaise avec un répertoire très particulier!

     

    Fiston et moi pouffions, non pour se moquer mais parce que nous savons que nos goûts musicaux sont peu communs.

    Le temps passa et un midi, j’étais à table, sur la terrasse avec elle. Je ne parlais pas, elle se révéla loquace évoquant sa jeunesse ( années 60, dans un village au fond d’une vallée conservatrice, comme tant d’autres contrées en ce temps) ... et là, j’apprends qu’elle aimait beaucoup danser, en particulier avec une copine ... et… elles se sont fait remonter les bretelles par une matrone au bal parce qu’elles bougeaient trop du popotin à son goût, arguant que c’était indécent, que lors d’un passo doble dansé à elles deux, le bruit courut qu’elles étaient lesbiennes… et de fil en aiguille, j’appris également que quelques membres de sa famille furent outrés et mirent tout en oeuvre pour la décourager de fréquenter un ami ARABE et comble encore, un ami JUIF!!!

    Non mais franchement Maman! Comment espérer avoir une fille “ordinaire” quand, en ton temps, toi- même, tu te révélais si particulière au point que des décennies plus tard, tu restes une étrangeté pour tes frères et  belles- soeurs !!!

    Allez, j'en remets une couche:


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  • Nous sommes tous mortels, voués à l’oubli et il n’y a absolument rien à faire contre cette réalité.

    Quand une personne connue meurt, c’est le flot d’hommages, d’émotions et des références fréquentes à sa part d’inoubliable, d’immortalité. Foutaise. Nous sommes  tous destinés à laisser la place à l’absence, au vide puis au néant .

    Chanter, écrire, peindre, sculpter, construire, bâtir, transmettre,  gagner des millions, évoquer des mots, des oeuvres, faire des enfants, enseigner, rien n’y fait, ce n’est qu’une question de temps. Pour le commun des mortels, il y a la mort puis l’oubli quand tous ceux qui nous ont connus nous oublient ou disparaissent. En deux ou trois générations, au mieux, c’en est fini de notre existence, de nos oeuvres, actes et paroles, de notre présence, de notre héritage. Une vague trace dans l’inconscient,  l’Adn. Ceux qui connaissent la célébrité ont un plus grand délai variable selon les circonstances. Ils passent néanmoins eux aussi à la trappe.

    Autrefois, dans nos sociétés, la mort était omniprésente. Il y avait les hécatombes dues aux famines, aux épidémies, la mortalité infantile ravageuse, la  mort prenait à domicile, parmi les siens puis les morts étaient veillés, les cimetières au centre du village. Aujourd’hui, les malades, les mourants sont mis à l’écart, les cadavres ne se montrent pas. Les vivants s’inventent des histoires pour entamer le deuil, se rassurer, calmer leurs angoisses depuis la nuit des temps et jusque dans des détails intimes, la question de sa propre fin est repoussée. La mort est cependant devenue tabou et foule de stratégies s’élaborent sans cesse, partout pour l’éloigner de nous en se cachant les effets du temps sur les cheveux, le visage, le corps, en se construisant des histoires de jeunesse éternelle, loin des maladies, des handicaps, de la mort, constamment déportés. S’il est heureux de vaincre les maladies et d’offrir au maximum la possibilité de vivre longtemps en bonne santé, il  y a dans ces stratégies une rupture avec ce que nous sommes, fondamentalement: des êtres faibles, fragiles, de passage pour un court laps de temps variable. Il n’y a pas d’âge pour mourir, ni d’instant particulier et nos existences ne tiennent qu’à des fils ténus que les Parques coupent aléatoirement, inévitablement, dans la gloire ou pas. .

    Bla bla général et empli de banalités.

    Sûrement… sauf que j’ai une expérience concrète de la proximité de la mort et de ce qu’elle implique en terme de fin. J’ai réalisé que la mort en soi porte une part de libération quand la souffrance et la douleur sont lourdes, que l’avenir se présente sous des formes abominables. J’ai réalisé que je ne crois en aucune forme de survivance par delà la mort, tout au plus je l’envisage comme le retour des matières,  des atomes à l’univers qui me les a prêtés quelques minimes années. Ils retourneront à la terre, aux étoiles. Quelque part chez mon fiston des brins d’Adn hérités de mes ancêtres continueront une route qui ne m’appartient aucunement. J’ai réalisé que j’étais terrifiée à l’idée de quitter ceux que j’aime irrémédiablement, ce qui a fait ma vie concrètement: mes études, mes quêtes, mes lectures, mes apprentissages, mes rencontres, mes expériences, mes livres, mes ouvrages, mes matières, mon univers. Je reste effrayée par la mort non pour elle- même mais parce qu’elle signifie quitter la vie, quitter ma vie.

    Quant à la mort d’autrui, j’en mesure le caractère inévitable et terrible également, pleinement parce que justement je ne crois en aucune survivance par delà la mort. J’ai l’urgence de  régler les conflits, les non- dits afin d’être en ordre, en paix avec moi- même et autrui. Je suis logiquement attristée d’entendre et voir les broutilles détruire des relations, engendrer des conflits, des rancunes, simplement parce que personne n’a su ou voulu laisser tomber son ego, ses enjeux, son pseudo pouvoir, son contrôle pour aller à la rencontre de l’autre, poser ce qui envenime les âmes et les existences afin de le dépasser ensemble.

    A travers la psychanalyse, j’ai mesuré le poids des ancêtres dans ma propre histoire; certains, bien que morts depuis des lustres ( et dont j’ignore tout) ont orienté ma vie non par une volonté propre survivant au delà de leur mort mais par les énergies qu’ils ont émis de leur vivant incrustées dans les inconscients de la lignée puis mes fidélités envers eux avec le chimérique espoir de résoudre ces problèmes ancestraux. A l’aide d’autres supports, j’ai eu des contacts avec des défunts, à plusieurs reprises et j’ai longtemps été perturbée, interdite par ces expériences qui échappent à ma rationalité et mes convictions profondes. C’est la Communication Non Violente qui m’apporta une réponse car en apprenant à se relier à soi, aux autres, il est possible de se relier à nos ancêtres non par une survivance de leur être, leur âme mais par le fait que depuis l’apparition de notre espèce, nous avons tous les mêmes structures mentales, les mêmes besoins, nous faisons les mêmes expériences des sentiments et des émotions et qu’il est donc possible de se relier à eux.  Il n’est nullement question, à mes yeux, d’un au delà, d”une existence par delà la mort physique, tout au plus un inconscient collectif comme l’évoque Jung, peut- être...

    IL n’en reste pas moins qu’étant agnostique, je sais que je suis incapable d’établir des certitudes; les questions métaphysiques m’échappent. Songer que c’est en mourant que j’obtiendrai des réponses n’est qu’une gymnastique intellectuelle futile car face à ma mort, en 2006, je me sentais poussée vers un mur contre lequel j’allais m’écraser et ne plus rien sentir que l’anéantissement de mon être en quelques secondes puis le néant total si cette notion peut être seulement concevable pour l’esprit humain avec cet ego incapable de penser sa fin.

    Et quoi? C’est morbide, agaçant, dérangeant (ou rien du tout)? Surtout pas.

    Parce que chaque être qui disparaît, c’est un univers tout entier qui disparaît. Jamais personne d’identique ne reviendra. Son vécu, son ensorcellement du monde s’évanouissent définitivement et irrémédiablement. Plus jamais quelqu’un ne vivra, n’expérimentera, ne créera, ne ressentira comme lui. Sa voix, son odeur s’évanouiront, l’unité qu’il a mis jusque dans ses chaussettes, ses babioles s’envolera. Nous avons alors à célébrer la vie, à mesurer la chance inestimable d’être bien vivant, en compagnie d’êtres chers ou non car tous participent à la vie avec nous, à mesurer les merveilles créées par la nature et l’humanité, respirer pleinement l’air de notre temps, réceptacle de nos ancêtres, creuset de ce qui viendra un demain qui nous échappe forcément, à être vigilant pour que notre passage fugace soit bénéfique à la vie et non destructeur, à être plein de gratitude pour ce qui nous est  offert chaque seconde. Aussi, vraiment, il est urgent d’aimer, d’apprécier, de savourer, de mettre de l‘ordre et d’aller à la rencontre de soi et d’autrui,  là, dans chaque instant que le temps nous accorde.  Il est urgent de célébrer la vie car elle est précieuse, fugace et irremplaçable.


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  • Sen en turc signifie tu- toi. Quand j’ai choisi ce pseudo, j’étais en visionnage intensif du Voyage de Chihiro où Sen est le nom de Chihiro dans le monde des esprits où elle se retrouve coincée. Je savais au fond de moi que ce choix avait quelque lien avec la traduction turque mais je me suis cachée longtemps derrière Miyazaki. Comme je n’étais pas entendue au quotidien, j’ai écrit sur la toile avec l’espoir ténu que SeN y comprendrait ce qui ne passait pas dans la vraie vie. Finalement, cela a été le déclencheur de colères violentes jusqu’à des menaces et une rupture définitive à la rancoeur persistante. Je sens depuis un bon bout que ce SeN me dérange aussi, j’ai pris la décision de changer ce pseudo bientôt, au fur et à mesure de l’énergie disponible à ce laborieux et fastidieux ouvrage. Je n’ai pas encore trouvé de remplaçant à ce jour. Sachez néanmoins, vous qui me suivez depuis le début, qui me connaissez en vrai ou qui avez eu le courage de lire l’histoire, que le changement est imminent. Je tâcherai de faire au mieux, j’ai besoin de temps. Déjà, vous êtes avertis.

    Cette volonté n’arrive certainement pas par hasard, il y a eu des verbalisations ces derniers mois qui montrent que la résilience est en marche tant pour moi que pour fiston. Paroles entendues, paroles dites, elles sortent et prennent sens. Ce changement de pseudo est l’aboutissement d’un long processus au bout duquel nous arrivons.

    En relisant l’article, je réalise également combien le passage par le personnage de Chihiro a du sens dans mes intuitions d’autrefois confirmées depuis. Coincé dans un monde d’esprits, de chimères, est- ce ainsi que je percevais ce SeN avec lequel je cohabitais? Nous avons tous des stratégies pour répondre à nos besoins, celles des membres de cette famille leur permettent de continuer à vivre, elles étaient toxiques pour fiston et moi. Parallèlement, nos stratégies étaient dérangeantes, incompréhensibles,  dangereuses pour eux. Pas étonnant que cela ait fini si mal.

    Ils ont disparu physiquement de ma vie et par bonheur, je ne les croise plus bien que nous partagions quelques espaces type commerces. Leurs fantômes, incarnations de ce qu’ils représentent dans nos parcours nous hantent à des degrés variables notamment quand des rumeurs nous parviennent, quand d’autres m’en parlent, quand je passe dans ce village, quand des circonstances nous y ramènent. Changer ce pseudonyme est une étape supplémentaire, son choix sera révélateur. La gestation est en cours, son apparition entérinera notre mutation... nos guérisons?


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  • Après de longues années de bons et loyaux services, elle avait été licenciée. Elle saisit l’occasion pour revenir aux études que la vie précédemment lui avait refusées; ainsi, nous nous rencontrâmes. Elle entrait à l’école d’aide- soignante quand je plongeai en Devic. Quelques années passèrent et nous nous retrouvâmes. Nous avions bien des aventures à se raconter et j’écoutais particulièrement son parcours car je la retrouvai démolie par des collègues qui allèrent jusqu’aux menaces de mort parce qu’elle avait dénoncé des maltraitances dans le service. Comme elle argumentait et expliquait ce qu’il s’était passé, je tins à lui dire combien je comprenais son choix de dénoncer, relevai son intégrité, son courage. Afin de clairement exprimer ma compréhension, j’évoquai à demi mots ma propre expérience avec SeN pendant les heures sombres de Devic. Son sang ne fit qu’un tour et je lis sur son visage, son corps le choc de telles révélations.

    Dès sa première année au lycée, fiston me parla d’un copain d’un copain qui avait un truc au cerveau qui l'empêchait de comprendre les réactions d’autrui. L’année d’après, ils étaient les meilleurs amis du monde. Le binome porta de tels fruits que ce fameux camarade obtint son BEP sous le regard enchanté de tous leurs profs. Longtemps, ces derniers me louèrent l’attitude de mon garçon qui l’avait accompagné avec bienveillance et exigence tout en continuant son propre chemin couronné de réussites tant scolaires que relationnelles . J’avais entendu le même discours chez la mère de ce garçon, mon fiston étant son premier vrai copain à venir chez eux et chez qui il allait, du pain béni car avec un syndrome d’Asperger, il avait traversé de longues années de solitude. Elle était d’autant plus enchantée et reconnaissante que son fils s’entend aussi très bien avec moi, que le courant était passé entre elle et moi. Désormais,  elle et ses enfants savent qu’ils peuvent compter sur nous.  Je les ai longuement écoutés raconter leurs péripéties, leurs vécus, leurs parcours difficiles et laborieux.  Ils savent que j’ai des ennuis de santé, que fiston et moi avons un parcours particulier également mais n’étant pas du genre à nous étaler, encore moins quand les interlocuteurs ont de grands besoins d’empathie, ce n’était pas très clair pour eux. Dernièrement, je suis allée en promenade avec elle autour d’un plan d’eau. Nous échangeâmes sur ses difficultés socio- économiques ( ceux qui parlent des pauvres ne les connaissent pas), sa recherche d’emploi, ses questionnements, ses envies, ses démarches, ses doutes. Au trois quart du tour, j’ajoutai simplement que la vie était pleine de surprises, que nous ne savions pas de quoi demain sera fait malgré nos illusions de contrôle, que jamais je n’aurais imaginé ma vie telle qu’elle est, en particulier avec cette foutue maladie. Elle saisit l’occasion pour me demander comment elle était survenue, ce que j’avais vécu et tranquillement, je lui fis ce long récit. De retour à la voiture, elle était en pleurs, bouleversée, choquée; j’en étais désolée car ce n’était absolument pas ce que je voulais, les années ont passé et je le raconte sans émoi particulier. Pour elle, cependant, c’était présent et elle mesurait alors ce que cela avait été pour fiston et moi. Surtout, elle avait envie de prendre SeN en face, de lui demander sa version des faits, de lui dire ce qu’elle avait eu envie de lui faire à l’écoute de mon récit. L’escarre, en particulier était révélateur à ses yeux.

    Chacune a vécu des circonstances, des événements qui les ont rendues  sensibles, conscientes à des sujets que beaucoup ne veulent pas entendre et à l’écoute de mon récit, elles mesurent ce que je ne dis pas. Je n’ai pas besoin d’expliquer, de dire et redire ce qu’il en était de moi, de mon fiston, de nos sentiments et émotions face aux événements, aux réactions, paroles, actes de ceux qui nous entouraient; derrière les faits, elles savent ce qu’il s’est joué. Quel repos, quel calme je sens alors en moi! La même simplicité que quand nous causons entre malades de Devic parmi lesquels j’ai rencontré quelques perles.

    C’est rarement le cas pourtant; par je ne sais quel mystère, beaucoup virent rapidement la conversation vers ceux qui m’entouraient en ce temps. Est- ce un réflexe face à des questions type:  “ Et moi? Qu’est- ce que j’aurais fait? Comment  aurais- je réagi? Aurais- je  vu, entendu, compris?”. Peu importe. Personnellement, j’avoue, cette réaction m’agace, j’en ai assez entendu et je n’ai plus envie de cette sympathie à leur encontre. Au coeur de la tempête, je leur ai donné de l’empathie, quand je me reconstruisais lentement, je leur ai donné de l’empathie, quand j’ai ouvert les yeux et voulu me sauver, je leur ai donné de l’empathie, quand je suis partie, je leur ai donné de l’empathie... Maintenant, ça suffit. Je n’ai plus envie de chercher à comprendre, expliquer leurs attitudes désastreuses, encore moins de les justifier ou de les excuser.

    De rares échos de leurs paroles me sont parvenus ces dernières années; systématiquement, j’ai le sentiment qu’ils n’ont toujours pas compris, je reste la vilaine à leurs yeux, ils continuent de se présenter en victimes ( oui, oui, vous lisez bien) et cela me met en colère, de cette émotion salvatrice qui s’exprime quand nous percevons une menace à notre intégrité. Quoi qu’ils disent et fassent, je sais par quoi je suis passée et comment leurs attitudes m’ont confrontée à des situations terribles. Je vois clair et je ne pardonne pas, c’est aussi radical que cela. Je me suis libérée, la vie me préserve de ce genre de personnes et circonstances, Dieu merci! Je suis à d’autres voies, d’autres rencontres, d’autres événements, sur une autre planète et c’est tellement mieux. D’ailleurs, ceux qui me connaissent telle que je suis aujourd’hui sont certes d’abord bouleversés par cette histoire puis terriblement heureux de voir ce que je suis devenue. Puisse la vie continuer à nous préserver d’une telle expérience... et mes blablas à ouvrir ne serait- ce qu’une paire d’yeux.


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  • Lors de la journée exposition, j'avais de la bonne compagnie ( heureusement, parce que seule, cela eut été quelque peu très difficile). Nous discutions quand les passants ne s'arrêtaient pas et j'appris ainsi que ma compagne d'aventure travaille de nuit à l'usine… avec, en plus, une activité artisanale à production continuelle et multiples expositions de vente. Comme je relevais son courage face à une tâche si ardue, elle m'expliqua que c'était son choix, que cela l'arrangeait pour le moment, racontant son rythme de vie puis elle me demanda à son tour combien d'heures je travaillais.

    Elle savait déjà que j'exerce le métier de formatrice pour adultes, je n'avais pas à expliquer ce que cela implique en terme de temps de travail ( heures d'enseignement en direct + heures périphériques englobant les tâches annexes et la perpétuelle mise à jour de la caboche). Je n'en restais pas moins gênée de dire à combien j'étais officiellement: « Bah, tu sais, comme j'ai une maladie grave et des handicaps, j'ai un poste aménagé, je fais six heures par semaine». Je fus surprise de l'entendre s'exclamer spontanément et avec conviction: « Et c'est déjà beaucoup! », tranquillement.

    Mon cœur s'emplit de gratitude à son encontre et en le racontant ici deux semaines après, j'en suis au même sentiment car à travers ces mots, je mesurais combien elle savait ce que ces six heures représentaient en tant qu'effort, combat et victoire alors que je vis avec une foutue maladie capricieuse et dangereuse. Elle sait également que je suis à de multiples activités quotidiennes ( mère célibataire, bénévolat, implication dans l'économie sociale et solidaire, activités créatives et j'en passe). Je n'avais pas à justifier ou expliquer, elle savait. Ce fut un soulagement car dans cette société obnubilée par le travail (notion qui mériterait à elle seule des kilomètres de réflexion dont je n'ai pas envie ici maintenant), ce genre de conversation provoque des réactions multiples m'amenant à expliquer et donner de l'empathie pour accompagner mes interlocuteurs dans leurs sentiments ( besoin de reconnaissance, de clarté, de repos, …) qui n'ont rien à voir avec mes six heures de travail salarié. Si je le fais de bon cœur, j'en ai parfois marre d'avoir à mobiliser tant d'énergie pour ouvrir les yeux.

    Quoi qu'il en soit, évoquer son temps de travail est tronqué d’emblée. Parce que les notions de base déjà ne sont pas claires: qu'est- ce que le temps de travail? Qu'est- ce que le travail? De quoi parle t-on exactement? Qu'est- ce que cette question implique et révèle comme représentations de la société et de l'individu?

    Plutôt que de disserter longuement, j'ai une petite anecdote pour conclure.

    Mercredi dernier, nous étions à table, fiston et moi. Je lui dis au passage que le lendemain était ma dernière séance de cours, qu'après, j'étais en vacances. Il marmonna un truc que je ne compris pas et lui fis répéter.

    - Je n'ai pas compris, tu veux bien répéter?

    - J'ai dit: profite- en bien de ces vacances!

    - Comment ça? Qu'est- ce que tu veux dire?

    - Ben oui, après, tu seras avec moi tous les jours, tout le temps, à la maison.

    - Il y a un truc qui m'échappe là ( j'étais en mode ramollo du cerveau cause canicule), tu veux bien m'expliquer?

    - Tu dis toujours que d'aller au travail, ce sont des vacances pour toi, que tu en reviens mieux que quand tu y es allée, que tu le préfères à la maison où il y a ces tâches domestiques et ma personne à supporter, alors, aujourd'hui, je te dis de bien profiter de ton dernier jour de vacances.

     Et oui, j'en suis là: l'intense temps de travail salarié est pour moi un temps de vacances quand le temps de travail autre me fatigue bien plus. Il y a un signe qui ne trompe pas: avant une tâche laborieuse, je m'attache les cheveux ce qui est souvent le cas à la maison. Pour partir à mon emploi, je les détache.


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  •  Dimanche dernier, j'avais une grande exposition à quelques kilomètres de chez moi. Dans ma petite vieille voiture, j'ai bourré au maximum les marchandises à l'arrache parce que j'étais seule à le faire, en retard pour cause de courte nuit post repas de mariage et altercation en pointillé sur mes mini heures de sommeil avec un grand ado de fiston geek limite no life rageux et couche- très- tard... ou très tôt. En conduisant, je n'y voyais rien que devant, toutes les autres fenêtres étant obstruées, « Il ne manquerait plus que je me fasse arrêter par les flics. » pensai- je vaguement. La fée n'en reste pas moins déterminée.

    Après une longue journée sur place ( dont je parlerai ultérieurement... ou pas selon mes opportunités et envies), j'avais décidé de laisser plusieurs paquets là- bas afin de les utiliser lors d'un prochain atelier ( même phrase que dans les parenthèses précédentes). Ils étaient lourds et volumineux. Soulagée d'eux, je pris le temps tranquillement, avec de l'aide, de charger ma voiture méthodiquement et là, le mystère du congélateur se rappela à moi: les marchandises allégées ne rentraient plus dans la voiture. J'eus besoin de plusieurs essais pour enfin fermer le coffre ( Bon c'est vrai qu'en plus, j'ai perdu une des vis qui tiennent le système de fermeture sur la porte et que la restante est à revisser à chaque usage, cela n'arrange pas le micmac).

    J'en suis arrivée à me demander si je n’étais pas la clef du mystère finalement. Après tout, ces aventures sont à l'image de ma mini cave débordante, de mon garage croulant sous les planches et cartons, de mon appartement RUTETE ( mot norvégien prononcé routètè désignant le désordre). De là à dire que je suis bordélique, NON! Parce qu'en réalité, je fais de mon mieux avec l'espace dont je dispose, réduit en raison de ma condition sociale et économique de mère célibataire à petits revenus.

    Au delà de ces considérations purement matérialistes, il y a surtout le fait que je refuse de me limiter pour des raisons extérieures à ce que je sens et veux. Je tiens à vivre ma vie comme je l'entends, en pleine conscience, expérimentant, créant, partageant, apprenant et me fichant allègrement de ce que pensent les autres en particulier ceux qui ont besoin de se plier à des normes pour se sentir exister, accepter.

    Quand mon copain Leif en visite chez nous, du haut de ses trois ans parla de RUTETE en se baladant entre mes tas de bazar, j'en fus enchantée et pensai spontanément que j'allais être sa tata RUTETE. J'en ris de bon cœur, me dis à chaque évocation que vraiment, ce nom me va bien. Je me pencherai sur la sémantique norvégienne du champ lexical du désordre avec attention et curiosité, c'est certain, il n'empêche que j'aime être RUTETE.

    Petit congélateur débordant de victuailles pour notre bon plaisir et qui vient partager un repas chez nous, petite voiture utilisée avec parcimonie, en multi covoiturage et partance vers des aventures collaboratives, riches et passionnantes, appartement et dépendances débordant de livres, matières premières pour création en suspens, gestation, cours d'élaboration, … où je trouve toujours de la place pour ceux qui demandent à y dormir.

    Dans une autre vie, une femme adepte du vide façon magazine de décoration me répétait souvent: « Mais enfin, il faut jeter, se débarrasser! Impossible de s'en sortir avec toutes ces choses! ». Déjà, avec il faut, je n'entends plus rien, c'est mort, ensuite, je ne me reconnaissais pas du tout dans ce besoin qui n'était absolument pas le mien ( j'ai besoin de place aménagée, adaptée à mes activités, pas de jeter). Au bout d'un moment, lassée et agacée, j'ai lancé: « C'est sûr, si je me débarrasse de tous mes livres, de tout mon matériel de création, qu'à la place, je m'achète un canapé et une télévision, j'aurai de la place et de l'ordre.» Je ne suis pas certaine qu'elle ait compris, aveuglée qu'elle est de son souci obsessionnel du qu'en dira t-on et de ce qu'il FAUT faire. Basta! J'en ai fini avec ces gens- là et je m'éclate dans mon bazar entre un congélateur, une vieille voiture branlante, une cave, un garage, un appartement qui débordent... DE VIE!... d'une vie unique qui me ressemble … ce qui est loin d'être le cas de beaucoup ( oui, je suis vilaine).

    De toute façon, la vie est pleine de surprises: c'est ainsi aujourd'hui ( depuis de nombreuses années aussi) puis un jour, qui sait, j'aurai ces espaces aménagés, adaptés à mes activités et l'ordre rigoureux régnant dans mes tiroirs et armoires se généralisera à l'habitation toute entière!! Ce sera vraiment bien.


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  • Souvent, je suis perdue, je ne comprends rien à ce qu'exprime mon corps. Là, depuis quelques semaines, c'est du grand n'importe quoi.

    Je remarquai d'abord que j'avais quelques difficultés à rentrer dans mes pantalons habituellement confortables, surprenant changement quand depuis des années, je m'y voyais flotter au point d'envisager la taille en dessous. Je me pesais: deux kilos de pris, rien de vraiment probant à priori.

    Cependant, au fur et à mesure des jours, je n'arrivais plus à fermer les ceintures de ces mêmes pantalons, uniquement en forçant. Mais que se passait-il donc? Je ne comprenais pas, je n'avais pas changé d'alimentation justifiant un élargissement conséquent ces dernières semaines, surtout pas avec ces deux petits kilos. Je me rassurai vaguement en constatant qu'après quelques heures, les textiles étirés, je me sentais à nouveau bien en dehors d'un léger serrement sur les hanches, la taille largement baillant, comme d'habitude ( je peux passer au moins deux mains entre mon ventre et la ceinture). Enthousiaste, j'observais que la partie supérieure de mon corps s'étoffait quant à mes yeux, la basse semblait immobile. « Chouette alors!, pensai- je, le corps se rééquilibre et quelques rondeurs en haut rendront la danse orientale plus gourmande» parce que franchement, la danse orientale par les maigres- minces, c'est de loin pas aussi joli que celle par les enrobées. J'y vis donc une vraie bonne nouvelle, le signe d'une amélioration de mon état de santé physique et mental.

    Dans le magazine Causette d'octobre 2014, pages 42 à 44, je lus un article sur la représentation des femmes dans la publicité au Mali et y découvris un encart de photographies de femmes aux postérieurs énormes. C'étaient des publicités vantant les mérites d'un produit permettant un volumineux arrondissement. Dire qu'en Europe, il n'est question que de le réduire. Je me surpris dans les jours suivants à observer les derrières des femmes croisées au hasard. Majoritairement, les Européennes n'ont pas de fesses rebondies, c'est encore plus flagrant chez les Asiatiques. En même temps, ma copine vénézuélienne noire de peau me racontait comment ses amis lui disaient qu'elle n'était pas une vraie noire vu qu'elle n'avait pas de derrière volumineux alors que ma sœur me dit que j'ai un vrai « cul de négresse», moi qui suis d'une blancheur de porcelaine.

    Après deux ou trois deux semaines, par je ne sais par quel mystère, survint une puce à l'oreille: essayer les derniers pantalons fabriqués maison en morphologie adaptée... Et là, catastrophe! Deux récents peu ou pas portés ne s'enfilaient plus aisément, se révélèrent impossible à fermer. «Tout ce travail pour rien! » me dis- je attristée. Je me précipitai sur la balance, pas de changement, rien que ces deux kilos stables. Je courus alors vers le mètre de couturière et pris quelques mesures. Arrivée au tour de hanches, je n'en crus pas mes yeux, j'explosai tous les records. C'était tellement énorme que je m'y repris à plusieurs reprises: dans la soirée, dans la nuit, au matin, toute la journée. J'étais incrédule d'autant que je continue malgré ce record à rentrer dans des pantalon taille 40 ( pas des slims ou des raides, d'accord mais les autres oui).

    Comment cela était- il arrivé? Le léger ralentissement d'activité des derniers mois pouvait- il justifier une telle explosion? Alors que mon alimentation n'a pas vraiment changé? Serait- ce lié à ce déséquilibre hormonal qui a déjà détraqué mon utérus provoquant anémie et manque de fer? Le corps exprimerait- il quelque chose de spécial façon Lise Bourbeau?

    Le lendemain, j'étais abattue et démoralisée, complètement tiraillée entre mes envies de rondeurs et ce postérieur élargi en disproportion du reste. A table, fiston saisit mon état. Le plus naturellement, il me fit une leçon sur l'absurdité de mon inquiétude, que je n'étais pas grosse, que c'était n'importe quoi de s'en faire pour ça, s’exclama que j'avais à être contente, que c'était le signe que ma santé allait mieux,.

    - Et de toute façon, tu as besoin de grossir un peu.

    Il me toucha de sa sincérité spontanée mais cela ne me rassura pas sur mon énorme tour de hanche

    - J'ai un gros cul…

    - Tu racontes vraiment n'importe quoi! Tu n'es pas grosse, tu n'as pas de gros cul.

    Au soir, je décidai de prendre quelques éléments en main dès le lendemain: éliminer les rares sucres rapides que je mange, contrôler les graisses et les sucres lents, augmenter protéines et légumes, s'atteler à cette foutue tâche consistant à diminuer ces largeurs tant appréciées en Afrique. Dans l'absurdité totale qui me sied tant quand je suis en mode moral- ras- les- chaussettes, je regardais les sites sur la chirurgie esthétique, les conseils de régime, d'activité physique, les crèmes, les plantes, les méthodes coûteuses d'amincissement sur cette zone, tous ces conseils à deux balles sur un phénomène naturel que seule une représentation chimérique de la femme dans nos sociétés qualifie de problème. Déprimant. Surtout qu'avec Devic, le sport n'est pas aisément accessible, l'alimentation un vrai casse -tête entre tous les conseils contradictoires lus, entendus, reçus de partout et nulle part. Galère. J'étais fatiguée d'avance de prendre la situation en main de manière drastique.

    Au deuxième jour, dans l'après- midi, je me décidai à dépasser cette foutue fatigue, ces faiblesses musculaires ressenties parfois au quotidien, surtout dans la danse; remonta également, logiquement, ce vieil espoir de retrouver la course. Je me mis à sautiller dans l'appartement, trottiner à la moindre occasion, constatant que j'en étais capable. Je m'interrogeai sur ce qui était accessible avec mes particularités (vessie capricieuse, repos soudain nécessaire, équilibre défaillant), le sport en extérieur se révélant problématique. J'optai donc pour la corde à sauter et les exercices façon zumba facilement accessibles sur la Toile… en plus de la danse orientale hebdomadaire et des marches à la moindre occasion. Le soir, fiston me surprit en plein exercice zumba- fitness, gesticulant dans le salon devant une vidéo en anglais où s'agitaient quatre ou cinq femmes athlétiques. « Non mais là, Maman ,faut que tu arrêtes ton délire!». Pourtant, une séance familiale de corde à sauter se programma avec ma sœur et ce même fiston réjoui de montrer les exercices appris auprès d’entraîneurs professionnels en boxe thaï venus au lycée qui avaient crevé tous les ado de la classe.

    Au troisième jour, je commençais à réguler mon alimentation pour envisager la perte non de kilos mais bien de centimètres sur ces rondeurs basses… car il y a longtemps que j'affirme: « Si j'avais eu à la poitrine ce que j'ai aux hanches, ma vie aurait été complètement différente.». Fiston m'interpella souvent: « Accepte- toi donc comme tu es! Celui qui ne t'accepte pas comme ça n'a vraiment rien compris à la vie. Et de toute façon, le corps change tout le temps de zéro à quatre – vingt- dix ans, c'est pareil pour tout le monde». J'avoue, j'étais fière de l’entendre parler ainsi, naturellement et sincèrement tout en en ayant rien à faire, restant avec mes sentiments ambivalents. Comme il y revint spontanément plus tard alors que je n'en disais rien, insistant sur l'absurdité de vouloir maigrir, « Tu veux devenir anorexique ou quoi?! », je lui demandai s'il était inquiet. « Ben oui! Tu n'es pas grosse, tu veux ressembler à quoi?! Tu vas te rendre malade, c'est tout». Bon, il était temps d'expliquer: « Je ne veux pas maigrir, je veux perdre des centimètres à un endroit précis. Je l'ai déjà fait il y a une dizaine d'années avec une diététicienne. J'avais perdu seulement trois ou quatre kilos et trois tailles de pantalons. Je veux rééquilibrer mon corps, tu comprends, pas maigrir. Ce serait bien si on ne voyait plus les os sur la poitrine, non? Ce sont quels muscles là d'ailleurs? Et comment les étoffer?» Il parut rassuré et plus tard, il revint me dire que c'étaient les pectoraux, me montra les exercices à faire parce qu'il y avait réfléchi, lui qui avait travaillé en Unss la musculation avec un vrai entraînement sportif sérieux. Je lui racontai que mes abdominaux se portaient bien, la danse orientale mobilisant largement ces muscles, que par contre, mes cuisses avaient encore bien à récupérer des fontes dues à la paralysie des longs mois de crise Devic, que mes fessiers étaient bien rebondis, vivaces, que faire des pompes, c'était impossible pour moi. ,« N'importe quoi!, rétorqua t-il. Comme me le disait le prof de sport, ce n'est pas impossible, c'est juste une question d'adaptation, de temps et d’entraînement, tu es parfaitement capable de le faire.» Et toc! Dire que je répète à l'envi ce genre de phrases à mes élèves… Charité bien ordonnée commence par soi- même.

    Plus tard, piquée par une autre mouche (fréquentes quand l'esprit chemine en sourdine et arrière- plan avec une foule de pensées et idées), je fis un test: sur un moteur de recherche, je rentrai « J'aime la culotte de cheval». Mise à part une petite intervention sur un forum d'une femme affirmant aimer ses rondeurs typiquement féminines, il n'y avait que des liens vers des sites à multiples conseils pour lutter contre ce « fléau», des kilomètres de témoignages tristes et désespérés de femmes en combat contre cette atroce difformité majoritairement indélogeable. Un échange notamment sur l'achat des jeans m'interpella, c'était un drame de s'habiller avec taille- jambes fines et hanches généreuses, une quête difficile, pénible que de trouver un pantalon mettable et confortable avec une telle morphologie.. Absurdité de cette production de masse sous prétexte de mode: ce n'est pas aux vêtements de s'adapter aux corps, non, ce sont les corps qui ont à se déformer pour entrer dans les vêtements… A quel prix?

    Dans ma caboche, se bousculent des images venues d'ici, d'ailleurs, d'aujourd'hui, d'autres temps. Le corps y a tellement de représentations. Les prétendus idéaux sont aussi variables que les âges et les espaces, tout me paraît si irrationnel. Surtout, me reviennent constamment à l'esprit les mots de ce chorégraphe allemand entendu dans un documentaire consacré à la danse passé sur Arte il y a quelques mois. Il y avait eu trois thèmes: le pied, la nudité et les corps différents. Ce chorégraphe était dans le dernier car bossu, petit, difforme. Il avait eu cette terrible remarque cinglante: « Finalement Hitler aura gagné sur ce plan: aujourd'hui, c'est son idéal de corps athlétique qui l'emporte.»

    Dans ce questionnement, me reviennent pareillement les cinq blessures d'âme énoncées par Lise Bourdeau. Notre morphologie serait révélatrice de l'une d'elles. Si une thérapeute m'a dit un jour que je les cumulais toutes, mon corps exprimerait clairement la blessure de trahison. L'explosion des hanches ces dernières semaines en seraient- elles l'expression? Ras le bol de ces paroles et discours répétés avec force et conviction quand dans la réalité, les actes et gestes sont aux antipodes? « Oui, oui, promis! Je te rembourserai ton argent! » disent des proches réclamant de l'aide financière parce que leur situation matérielle les met en danger régulièrement, « Promis! Je ne recommencerai plus! » jure tel autre après des actes me mettant en difficulté, «Nous sommes droits, honnêtes, ouverts d'esprit, tolérants» répétaient ceux- là concrètement xénophobes, sectaires, médisants, « J'ai foi en des valeurs chrétiennes» affirme un tel alors qu'il n'est pas foutu de s'occuper de ses parents âgés, encore moins d'autrui, ne se souciant que de lui- même, ce prétendu philosophe brassant mille et une grandes idées d'éternité, d'humanité, de création, de sagesse alors que son quotidien est une quête narcissique, qu'il est rempli d'un égo surdimensionné terrifié à l’idée de sa finitude, sa disparition, son oubli, et que dire des « Je t'aime» de celui qui devint violent, de celui qui se révéla maltraitant par incapacité à ne serait- ce qu'entendre mes besoins vitaux ou cet autre disparu à la première occasion après des paroles émerveillées? Si je me crois en bon chemin sur ces voies périlleuses grâce à la psychanalyse, la communication bienveillante, force est de constater que d'après Lise Bourbeau, mon corps, lui, est loin de s'y retrouver.

    Enfin, avec Devic et ces terribles épreuves qui furent les miennes, j'ai un rapport différent au corps. Je tâche de l'écouter, d'en prendre soin, de le respecter, même s'il reste pour moi une sorte d'animal sauvage inapprivoisable dont les réactions m'échappent complètement. Ce corps dont je parle, c'est celui qui vit, s'active, se détruit, se régénère, se construit en dehors de tout contrôle par la volonté, la pensée. Le rapport au corps morphologique reste quant à lui totalement ambivalent. Certes, je redresse mes dents grâce à la dentosophie, je m'habille joliment, je me coiffe, je travaille la grâce avec la danse, je tâche de lui trouver un équilibre mais je n'aime pas bien de mes apparences physiques… et la largeur de hanches disproportionnée est particulièrement sujette à ce désamour. J'ai beau réfléchir et trouver tous les arguments à la vacuité des représentations d'idéal physique, remarquer le goût de beaucoup pour ces rondeurs féminines, mesurer l'affection qui m'est portée pour ce que je suis, je traîne toujours et encore un reliquat de désamour de l'enfance qui s'est fixé sur et dans ma morphologie.

    Quoi qu'il en soit, le corps porte notre histoire. Déjà par le hasard de la génétique et des combinaisons de nos gênes au moment de notre conception, ensuite par les circonstances de sa prise en charge par la culture et l'éducation ( alimentation, activités physiques, culturelles, intellectuelles), le transfert de nos proches, le regard de la société dans laquelle nous évoluons, nos interactions avec autrui, les gestes et postures captés tout au long de la vie, nos maladies, accidents, efforts, paresses, faiblesses et forces, l'environnement, notre époque, …

    Si l'approche de Lise Bourbeau me laisse sceptique, il n'empêche que oui, indubitablement, le corps parle. Dans tellement de langues, que c'en est vraiment, vraiment compliqué.

    Et je ne comprends pas grand chose au mien bien qu'il me permette d'aller toujours plus loin vers ces mystères.

     Que faire alors?

    Vivre en harmonie avec ce qui est juste pour soi.

    Si j'ai envie de remettre mes pantalons d'avant, de rééquilibrer mes largeurs, j'envoie ce message à mon corps par la pensée, l'alimentation, l'activité physique et mets en œuvre ce qui me convient pour parvenir à la perte de ces centimètres embarrassants. Si j'ai envie de courir à nouveau, de danser sans peiner quand il s'agit de remonter du sol à l'aide des cuisses, je vais continuer mes activités voire les augmenter. Je fais également le choix des traitements médicamenteux, des thérapeutiques. S'appliquer une hygiène de vie, un régime, une activité physique n'a de sens que si cela est pris en conscience, avec clarté vis- à- vis de soi et non parce qu'il y a un sentiment d'obligation envers quelques autres personnes ou idéologies. De même, si les théories de Lise Bourbeau ont quelque pertinence, que ces hanches larges sont le signes de blessures de trahison, d'un désamour ancien, ou d'autres travers, j'agis sur ce qui est à ma portée aujourd'hui. En mettant de l'attention et de la bienveillance à mes actes, je baigne mon corps dans une énergie particulière. Il réagira et répondra, à moi de m'y adapter ensuite. Comme avec notre inconscient, nous n'en avons jamais fini avec notre corps. De zéro à quatre- vingt- dix ans ( voire plus), il change... et nous parle. Il ne se taira que quand il aura complètement rendu à l’univers ces atomes qui nous ont été prêtés pendant nos éphémères années de vie.

    Passés tous ces blablas, il me reste maintenant à voir ce que je vais faire sur la durée: résister aux tentations alimentaires, aux courbatures, à la paresse, aux jugements que je suis parfaitement capable de m'infliger ou que d'autres pourraient tout aussi facilement lâcher, accepter ou non l'évolution du corps, les messages qu'il me lancera, inévitablement. Cela promet.

     


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