• De la chambre d'ado.

    Un souci récurent dans beaucoup de familles, théâtre de bien des enjeux personnels et relationnels que la chambre d'un ado! Je ne veux pas analyser le pourquoi du comment ici, simplement relater en quoi ce lieu a été un déclencheur, un terrain fertile de relation.

    Il y a longtemps que je ne m'en occupe plus, sauf en cas de grands travaux genre déménagements ou réaménagements. Aussi pénible que ce puisse être parfois au regard de la zone sinistrée qu'elle devient, je tâche de résister à l'envie de faire à sa place. C'est comme remplir le tonneau des Danaïdes car les questions importantes n'y sont pas réglées, justes repoussées: enjeu de territoire, attachement, détachement, autonomie, responsabilité, vie commune et respect de chaque espace privé, par exemple… Auparavant, alors qu'il était en camp pour une semaine, j'avais déménagé, démonté pour adapter à son mode de vie, fabriquant un bureau à coup de scie sauteuse, transformant une bibliothèque, changeant l'armoire cassée pour un autre ré adaptée, débarrassé ce qui encombrait l'espace inutilement. Après des mois d'utilisation, la situation ne s’était pas améliorée. Trop peu souvent à mon goût, il rangeait et nettoyait. « Qu'il vive dans son bazar et sa saleté si ça lui chante! » me disais- je peu convaincue. Cela devient particulièrement pénible quand il trimballe la saleté de sa chambre dans l'appartement au bout de ses pieds et que ses odeurs envahissent le reste de l’appartement. En juillet, il partait pour une semaine, je comptais en profiter pour souffler un peu, décidée à n'y pas toucher, refusant de m'y fatiguer, j'avais programmé du repos et du calme, pour finir mon année scolaire. Cause toujours.

     D'abord, je ressentis le besoin impérieux d'aérer, les odeurs venant de cette pièce me dérangeant à chacun de mes passages devant la porte fermée. J'entrai donc pour y ouvrir la fenêtre le premier jour, le deuxième. Comme ce fut insuffisant vu ce qui y traînait, je continuai en ramassant les déchets organiques ou d'emballage, espérant enlever les raisons des mauvaises odeurs. Rien n'y fit.

    Je pris ensuite en passant le linge sale qui forcément finit dans la machine à laver vu que l'infection envahissait alors la salle de bains. « Ça suffit! C'est déjà plus clair, il n'aura qu'à faire la suite lui- même en rentrant!» m'affirmai- je. Malgré mes ramassages, l'odeur persistait.

    J'enlevai les draps et les lavai. Je découvris que son oreiller était brûlé, la housse très sale. Je démontai, lavai et réparai le tout, retournai et aérai le matelas.

    Cela faisait quatre jours que je répétai: « Non! Je ne ferai pas sa chambre! ». Ceci dit, au fur et à mesure de mes passages, je découvrais des amoncellements cachés, des tâches abominables, une saleté innommable dans les recoins et vraiment, je me dis qu'il était impossible de faire dégager les odeurs en laissant la pièce dans cet état. Je n'avais vraiment pas envie de m'y mettre., exténuée que j'étais. Je me décidai à demander de l'aide… Qui? Je sais que je peux compter sur quelques personnes, je n'avais cependant pas envie d'entendre des: « Tu dois faire ça, tu ne dois pas faire ça, il doit faire ci, il doit faire ça », j'ai donc appelé mon amie Yolande qui, je le savais ne jugerait personne.

     Elle m'écouta avec attention, y réfléchit et me fit part de son désaccord pour s'occuper de cette chambre quand mon garçon n'était pas là. « Je savais que tu me dirais ça. », lui répondis- je sans rancœur. Tant pis.

    Quatre jours avaient passé, je n'avais toujours aucune envie de faire cette chambre. Je sentis de l'agacement, du désespoir, de l'impuissance grandir en moi de manière démesurée. La colère me conduisit à des phrases type: « Quel sale gosse! Quel porc! Quelle feignasse! » et j'en passe. Ma petite voix me rappela rapidement à l'ordre: «Envisageons la question sous un autre angle: qu'est- ce qui dysfonctionne dans cette pièce au point qu'il soit incapable d'en prendre soin? ». Je laissai cheminer les pensées en méditation et commençai à déplacer les meubles, nettoyer dans les recoins, m'asseyant régulièrement pour observer les lieux, y voir vivre mon garçon dans ses habitudes d'ado. Armée de mon balai, je ramassai des tas et des tas de saletés, poussières, miettes et autres surprises, l'aspirateur étant en réparation depuis des semaines, bien sûr. « Qu'est- ce qu'il fait dans sa chambre? Qu'est- ce qu'il y aime? De quoi a t-il besoin? ». Un lit, une armoire ( et encore puisque le linge traîne de ci de là), un bureau pour son ordi- chéri, de la place pour ses remèdes, ses livres, ses jeux, ses affaires de classe. Elle fait 9,5 m² soit trois à quatre fois moins que celle qu'il avait dans la maison cinq ans auparavant. Sentimental, il a du mal à se défaire et ce fut avec beaucoup d'attention et de soin, en le rassurant sur leur stockage, en sécurité ailleurs que je lui ai déjà enlevé quelques affaires. Là, force était de constater qu'il était encore débordé par une multitude d'objets divers, repoussés dans le coins bien qu'inutilisés. Je vidai donc tiroirs, armoire et étagères, chaque classe d'objets déposée dans une caisse ou un carton dans l'attente de son retour afin que nous trions ensemble. Je pris des mesures, déplaçai les meubles en plusieurs essais, en sortis deux.

    Il s'agissait de l'énorme bibliothèque lourde et imposante que lui avait fabriquée SeN en d'autres temps pour sa grande chambre d'autrefois. Ce dernier avait fait ce que lui voulait sans se soucier de mes demandes ou des besoins de mon garçon. En partant de cette foutue maison, je voulais la lui laisser, trop encombrante et lourde; mon garçon refusa, attaché à quelque lien ou souvenir. Elle nous suivit donc dans deux appartements. Si dans le premier , elle trouva plus ou moins sa place, elle s'avérait envahissante et encombrante dans sa dernière petite chambre. Je l'avais déjà transformée en deux parties- une bibliothèque et un bureau- au premier essai d'aménagement. Ce ne fut pas probant et vu l'usage de la chambre, je me dis que décidément, elle était de trop. Je la sortis de la pièce, aménageai les autres meubles, élaborant plusieurs plans pour son bureau informatique, lui laissant cette liberté, entamai le tri de la montagne de papiers trouvés au fond de l'armoire ainsi que le rangement de son matériel électronique et informatique éparpillé partout en capharnaüm. IL était temps de le récupérer que je n'avais pas terminé. Avant de partir, je lui accrochai ses tableaux favoris, lui aménageai un coin Japon dont il est grand fan près du lit afin qu'il trouvât du beau en arrivant et non pas que le chambardement.

     Sur le chemin du retour, dans la voiture, je lui annonçai doucement les événements et leur non- achèvement. Il fut rassuré d'apprendre que je n'avais pas eu d'accident, la dernière expérience ayant abouti à un traumatisme crânien et des points de suture mais restait interdit devant mon obstination à déplacer des meubles, à me lancer dans des grands travaux, seule, avec mes petits bras pas musclés et mes capacités physiques branlantes. Avant la maison, j'allai acheter une planche découpée qui l'intrigua. Arrivé, il resta choqué un long moment surtout à la vue de son lit impraticable, envahi par les caisses et cartons à trier. Nous le débarrassâmes ensemble afin qu'il pût y dormir au soir, je lui faisais en même temps le récit de mon parcours avec cette chambre. Il écouta attentivement puis fit de gros yeux ahuris quand je lui montrai mes rangements et classements avec ordre, clarté, organisation et ergonomie, selon ses besoins et sa façon de vivre. «Tu aimes t'emmerder toi alors!  lâcha t-il alors que j'en arrivai aux papiers trouvés au fond de l'armoire. Cela fait des années que je n'ose pas y mettre le nez tellement c'est énorme! » Et j'avais commencé à trier sans lui.

     Les deux ou trois jours suivants, nous travaillâmes ensemble; parfois, il avait la larme à l’œil réalisant avec quel soin j'avais pris mes décision en fonction non pas de mes envies mais bien en fonction de ce que lui vivait. « J'ai voulu te faire une chambre qui ressemble à ce que tu es maintenant et que tu ne sois plus encombré par les vieilleries du passé.». Tous les vêtements, papiers, livres et autres babioles triés et rangés ou débarrassés, il m'embrassa, empli de gratitude car il était soulagé et touché.

      La grosse bibliothèque encombrante sortit de la chambre et resta plusieurs jours ou dans le couloir ou sur la terrasse, fiston n'arrivant pas à prendre de décision. Je lui laissai le temps, proposant des solutions parfois. Finalement, il en démonta lui- même la partie supérieure avec ces mots: « Je l'aimais bien ce meuble mais ça ne sert à rien de se raccrocher aux choses du passé. ». Je lui promis de garder les planches à l'abri afin qu'il le récupère à sa guise, plus tard, s'il le voulait. La partie basse resta dans le couloir en banc rangement devant la porte de sa chambre, en attendant.

     Il m'indiqua être dérangé par les murs blancs vides, je lui peignis des tableaux autour du thème du Japon, selon ses choix; il en fut particulièrement ému.  Il choisit son aménagement de bureau ( qui chamboulait du coup l'aménagement du salon… inachevé à ce jour) et ainsi, au bout de 10 jours de gros labeur, sa chambre prit jolie et propre forme.

     Tout resta en ordre et clair jusqu'à la rentrée scolaire, soit deux mois! ( A partir de septembre, c'est une autre affaire, entre les journées au lycée, les transports et les envies d'ordi en repos, il n'a plus le cœur de s'en occuper, je recommence à réclamer et répéter mes demandes de propreté et d'ordre).

     

    Retrouvant Yolande, je lui fis le récit de cette histoire.  Elle en fut enchantée estimant l'expérience riche et belle parce que:

     - dans la quête de satisfaire mes besoins de propre, d'ordre et de beau, j'avais pris soin des besoins de mon fiston, respecté ce qu'il est, ce qu'il aime, pris le temps de décider en fonction de ce que je sentais en lui et non de ce que je voulais moi,

     - comment nous étions allés l'un à la rencontre de l'autre parce qu'en lui faisant part de ma réflexion profonde , il avait su entendre le soin que j'avais de lui,

     - comment il avait été touché et reconnaissant, soulagé de ce qui lui pesait sans trouver la force de s'y atteler seul.

    Ensuite, elle me parla de ce que ma demande avait engendré chez elle: la joie que son refus ait été accueilli avec respect et considération, comment ma demande lui avait permis de mettre de la clarté en elle sur son propre besoin d'ordre, dans ses affaires, dans sa maison et son refus d'aller ranger chez autrui quand elle n'y arrivait pas chez elle. D'une telle clarté, qu'elle n'en ressentait aucune culpabilité.  

     

    Ainsi donc, ce terrain miné et terriblement conflictuel que représente la chambre d'ado sale et désordonnée est devenu une belle aventure de partage et de reconnaissance. Mon amie Yolande répète à l'envi que le besoin de clarté est très important, j'ai mis du temps à comprendre; désormais, j'en mesure l'immensité. L'expérience de la chambre en est un bel exemple. Les éléments du quotidien sont le théâtre d'enjeux multiples et complexes où chacun ramène son histoire et ses représentations, comment pourrions- nous éviter le désordre, la violence, les malentendus, la frustration si nous ne mettions pas de la clarté en nous et dans les relations à l'autre d'abord?

     Dernièrement, un cousin me taquina à propos de ma vie vécue sur une autre planète, j'ai souri en répondant que j'étais de la même planète indéniablement mais dans une autre dimension ... et franchement, pour rien au monde je ne reviendrai à celle du flou, de la violence, de la non relation.

     

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  • Commentaires

    1
    Mardi 7 Octobre 2014 à 09:32

    Joli papier...

    Qui me donne l'envie d'aller faire le tri dans les placards... Les miens!

    Bises

    2
    Mardi 7 Octobre 2014 à 17:31

    Bon vent sur la voie de la clarté! ^^

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