• Que voulez- vous que je vous dise? J'ai l'impression de vivre au ralenti, d'hiberner et pourtant, je ne me refais pas, quoi qu'il arrive. Persiste mon engagement partout, en permanence. N'ayant pas beaucoup d'énergie, je l'utilise avec parcimonie, au gré de sa bonne volonté, dans une écoute particulièrement amplifiée du corps. Mon ami Boris a su heureusement me soutenir, renforcer ma conviction, me donner de la légitimité et de l'assurance quand après les attentats, il a répété combien la rencontre et la discussion étaient les meilleures des solutions face aux désordres de ce monde de méfiance, de peur, de ressentiment, trop souvent de haine, principalement de délires et fantasmes.

    Alors, oui, ma foi, et c'est de circonstance, je continue.

    D'abord, j'écoute mes nombreux amis musulmans. Entre nous, rien ne change; cela n'a pas lieu d'être de toute façon, les événements de janvier n'ont rien à voir, ni à faire dans nos relations. Tout au plus, ils ont permis de renforcer nos liens car nous savons que la rencontre, l'accueil, le partage sont les meilleures défenses face à la division, l'opposition et la violence.

    - Dans l'Islam, tuer, c'est interdit!, s'exclama l'une de mes amies quand le sujet des attentats traversa la pièce. Même pas une mouche, une fourmi, rien! On la prend et la met dehors, c'est tout.

    - C'est le respect de tout ce qui est vivant, le respect de la vie, ajoutai- je.

    Et c'en fut fini.

    Ensuite, j'ai affiché partout «Tuer une âme non coupable du meurtre d'une autre âme ou de dégâts sur la terre , c'est comme d'avoir tué l'humanité toute entière; et faire vivre une âme , c'est comme faire vivre l'humanité entière », Coran, sourate V, verset 32.

    En plus des engagements habituels individuels et personnels sur mon lieu de travail, au quotidien, dans la communication non violente et le reste, je contribue à un projet à plus large échelle dans le cadre d'une institution régionale impulsé fin 2014 avec d'autres engagés de ma trempe basé sur la rencontre, la solidarité, la gratuité, le partage de tout ce qui existe et se réalise concrètement en preuve qu'une autre société est possible. Sa nécessité en est devenue que plus urgente depuis janvier. Mes étincelles à répétition insistantes ont fait mouche, trouvant écho dans un terreau bien préparé et je me réjouis des premières mises en œuvre.

    J'ai donc encore bien des récits à écrire d'autant que je n'ai pas fait le tour de ce qu'il s'est passé ces dernières années. J'y vais doucement parce que l'énergie est nécessaire ailleurs, j'y vais tout de même. Lira qui voudra, l'avantage de la faille narcissique est que l'inutilité ou l'inefficacité n'ébranlent pas les convictions parce que finalement, l'égo ne se soucie pas de ce que ces actions peuvent lui rapporter ou lui prendre. Quitte à nourrir un ensorcellement du monde, autant que c'en soit un qui me corresponde, autour de valeurs fraternelles, équitables, respectueuses de la vie, de l'humanité dans son unité et de la terre qui nous porte. Je laisse à d'autres la capture des événements pour faire leur auto- promotion et vendre leurs opinions, leurs livres; chacun fait ce qu'il peut avec son humanité faillible et mortelle. Je suis quant à moi lucide sur le fait que mes engagements sont ridiculement insignifiants devant l'énormité de la tâche quand je suis si menue surtout que je suis revenue de cette fable du colibri, des intuitions aux Amanins puis ailleurs ayant été confirmées par des découvertes rédhibitoires sur ce mouvement. Alors, oui, c'est vrai, ce que je fais, je le fais principalement pour moi.

    Je comble mes besoins énormes d’authenticité et d'intégrité, me nourris de ces échanges et de l'énergie bénéfique qui s'installe quand je tâche de la faire vibrer sur d'autres niveaux, je m'exalte des partages avec ceux qui aspirent à un autre monde, d'autres relations, espérant ensemble que ce que nous réalisons puisse porter quelques fruits ou du moins limiter les casses contemporaines à l’œuvre. Tous les jours, je me regarde en face, dans le miroir, je me sais debout et digne, en accord avec ce que je dis, pense et espère. Le doute ne m'étreint pas à ce propos car je sais surtout depuis les heures terribles de 2006 que je veux, mon heure venue, mourir en paix, partir la conscience tranquille. Fragile et branlante, je reste une guerrière.

     

    Il y a quelques mois, un thérapeute m'interpellait:

    - Personne ne vous demande d'avoir des ailes dans le dos. Quand allez- vous arrêter de vous occuper des autres? Pourquoi ne vous occupez- vous pas d'abord de vous?

    - Et ben quoi! Nous avons aussi besoin de gens qui s'engagent et vivent leurs vies en accord avec leurs convictions et leurs espérances, balançai- je agacée de cette mode hédoniste lucrative pour nombre de thérapies alternatives dans une société à l'individualisme et au narcissisme forcenés.

    Il finit par me cataloguer d'extra- terrestre ( les deux séances avec lui mériteraient que je vous les raconte). 

    Quelques jours plus tard, une amie maroco- italienne s'inquiétait de ma santé, j'avais l'air fatiguée, je lui rapportai alors à demi- mot les paroles de ce thérapeute et sa réaction spontanée me fit largement sourire: « Il peut toujours vous le dire mais vous n'allez pas changer parce que vous êtes comme ça et que c'est de ça que vous êtes faite. ». Tout était dit.

     


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  • Quand il était au collège, mon garçon avait quelques rares amis qu'il considérait tels parce qu'ils le défendaient et le protégeaient de ceux qui lui cherchaient des noises. Ils sont passés souvent à la maison, y dormant parfois. L'un d'eux essayait de rester aussi longtemps que possible car la situation à la maison lui était insupportable. Son père était mort, sa mère, complètement dépassée par la situation, sans emploi, ni permis de conduire, désœuvrée, avec quatre enfants. Son fils unique la fuyait, chez eux par les jeux, le plus possible à l'extérieur, errant d'un copain à l'autre, squattant de ci de là. Rapidement, ces enfants furent placés en foyer et ce garçon put terminer son CAP tranquillement, revaloriser son image de soi grâce à la constance du contexte de vie. Ensuite, je fus heureuse d'apprendre qu'il avait trouvé une place d'apprenti boulanger, son rêve et une autre dans un foyer adapté à sa situation. Il ne venait et n'appelait plus, mon garçon ayant parfois des nouvelles quand ils partageaient des jeux en ligne. Je lui souhaitais vraiment de continuer à réussir malgré les fracas de son histoire et j'étais soulagée, de surcroît, de n'avoir plus à l'héberger, à me retrouver face à ses contradictions et paradoxes, ayant largement à faire avec mon propre garçon.

     

    Fin août, il ressurgit dans l'urgence.

     

    Fiston me demanda de venir à son ordi pour une conversation directe avec lui en cette fin d'après- midi; il m'expliqua qu'il ne savait pas où dormir ces prochains jours et demandait à venir chez nous. Je n'en avais aucune envie et refusais de prendre une décision sous la pression immédiatement. Je lui demandai de rester jusqu'au lendemain chez ceux qui l'hébergeaient ces jours- ci afin de préparer la suite. Il accepta et négocia une nuit supplémentaire. Je passai la soirée et la nuit à mettre de l'ordre dans ma caboche et mes émotions, tiraillée entre indignation, propension à vouloir aider tout le monde, aspiration à la tranquillité, préoccupation financière et sentiments ambivalents envers ce garçon.

     

    Le lendemain matin, il rappela mon fils pour demander si je pouvais venir le chercher car il trimballait une grosse valise. Ce n'était pas le moment pour moi et je refusai. Il insista un peu mais je ne cédai pas, ce qui me coûtait néanmoins soucieuse que je suis d'autrui; j'avais vraiment besoin de poser des limites. Prise ailleurs, je ne pus m'occuper de son installation, ils s'arrangèrent entre eux pour lui trouver un couchage et de la place. Au retour, je discutai avec lui.

     

    Il m'expliqua que cela faisait six mois qu'il squattait à gauche à droite, chez des copain, chez sa copine, où on voulait bien le garder... jusqu'à ce qu'il soit mis dehors parfois avec un billet. Un essai de retour à la maison s'était soldé par un échec, sa mère refusa de le nourrir et de l'héberger ne serait- ce qu'une nuit, son nouveau compagnon ne réagissant pas. Le garçon n'avait pas de revenu, trimballait tous ses biens dans une grosse valise encombrante et très souvent, n'avait rien à manger. Il disait chercher un emploi sans cesse mais ne savait rien des démarches administratives, comme s'inscrire à Pôle Emploi, par exemple. Le passage aux dix- huit ans avait tout bouleversé, justifia t-il au début. Comme je l'interrogeai sur son apprentissage et son foyer, il raconta tranquillement que son patron l'avait viré parce qu'il n'était pas satisfait de son travail et son comportement: pas d'investissement, attente d'ordre, aucune initiative, inactivité notoire ponctuelle, retards répétés, absences injustifiées. Connaissant l'énergumène, j'imaginais parfaitement la situation. Ce garçon maîtrise très bien les codes de la politesse et feint pareillement la soumission aux adultes, aux ordres, tout en n'en faisant qu'à sa tête dès qu'ils ont le dos tourné; il dit « Oui» sans adhérer, ni agir comme convenu. Cela nous avait valu quelques conflits, j'en avais l'expérience, je ne m'étonnai donc nullement. Pour le foyer, il raconta qu'il avait été mis dehors parce qu'il n'avait pas respecté le règlement intérieur qui interdit les visites au- delà d'une certaine heure, sa petite copine ( dont il change très souvent) a été surprise à passer la nuit dans sa chambre. « Et bien, tu t'es foutu dans la merde toi- même» affirmai- je implacablement. Il ne put que le reconnaître. Je lui expliquai alors qu'il était hors de question qu'il restât chez nous car je n'en avais pas les moyens. Je le dépannais un ou deux jours le temps de trouver une solution durable, pérenne. Je ne voulais pas qu'il nous revint avec les mêmes problématiques plus tard et encore moins le savoir livré à lui- même, avec sa tête de mule à la rue.

     

    Je l'emmenai d'abord à la Mission Locale la plus proche. Manque de chance, elle était à son premier jour de vacances pour deux semaines. Nous ramassâmes quelques documentations et rentrâmes. Il m'aida de bon cœur à préparer le repas du soir, reconnaissant d'avoir un toit pour la nuit et nous discutâmes encore. Finalement, nous nous mîmes d'accord sur le fait qu'il lui était préférable d'aller à la Mission locale de sa ville d'origine car il y avait plus d'opportunités et de facilité là- bas que dans notre bourg de campagne. Les garçons papotèrent ensuite entre eux tard dans la nuit surtout de leurs jeux vidéos et je tâchai de dormir malgré leurs bla- bla. Au matin, j'appelai la Mission Locale de sa ville, pris quelques renseignements et après qu'ils eurent émergé à leurs heures d'ado décalés, j'y emmenai tout ce monde, lui demandant de prendre sa valise au cas où il y aurait une solution immédiate pour lui. Quand nous arrivâmes, je me présentai au premier bureau et expliquai la situation. La jeune femme qui nous reçut m'interpella d'un ton violent, répétant à plusieurs reprises: « Il faut appeler le 115! Mais pourquoi vous n'avez pas appelé le 115? » et j'en passe. Elle me passa un savon, elle lui passa un savon: «Ah mais vous êtes majeur désormais, c'est à vous de vous prendre en main, vous êtes responsable, vous pouvez vous marier, avoir un enfant, aller en prison, voter… ». La situation me parut ubuesque, mon fiston resta bouche bée. Finalement, le garçon put se faire enregistrer, définir sa situation et obtenir une place le lendemain matin à une réunion d'information générale pour tout nouvel inscrit sur leurs droits et devoirs. Pour une place en foyer, il était trop tard, les appels étant à faire avant une heure dépassée. Je ramenai la troupe à la maison pour une nouvelle nuit. Il parla de prendre le train le lendemain matin tôt naturellement. Empêtrée de mes foutues émotions, je lui dis que je l'emmenai car je n'étais pas rassurée à l'idée de le savoir à pied et en train avec sa grosse valise encombrante. Ils papotèrent de nouveau tard malgré mes indications sur le programme du lendemain. Au matin, je me préparai et allai le réveiller à plusieurs reprises sans qu'il bougeât, répondant constamment oui, oui quand je lui parlais. Nous partîmes avec un quart d'heure de retard.

     

    Connaissant bien la ville, je choisis un itinéraire plus rapide pour rejoindre le lieu ; avec ce quart d'heure de retard, j'avais à agir vite et efficacement. En chemin, je lui fis part de mes sentiments face à son attitude, « Tu as 18 ans et es considéré comme responsable, certes, mais il serait temps que tu arrêtes de t'imaginer que tu sais tout mieux que tout le monde et d'écouter ce que te disent les personnes expérimentées ; parce qu'à vouloir n'en faire qu'à ta tête, tu te fous dans la merde. » Oui, oui et belles phrases sensées pour réponse. Evidemment, je n'étais pas du tout CNV, trop fâchée et contrariée par ces événements. En plus, vessie commença à se manifester ( tiens donc). Le comble fut quand arrivée quasiment à destination, la route se révéla barrée pour travaux. Suivre la déviation se révéla tout aussi catastrophique puisqu'elle ramenait à une autre route barrée et nous tournâmes en ville vainement. J'appelai la Mission Locale pour les prévenir de son retard en raison de ces routes barrées et non de sa négligence, il fut excusé et l'interlocutrice, aimablement, m'expliqua qu'il ne pourrait probablement plus entrer dans la salle car aucun retard n'était toléré. Grrr! J'étais furieuse, de cette colère rentrée, à chercher des mots pour ne pas exploser violemment et inutilement. Nous arrivâmes devant la porte avec … un quart d'heure de retard. Le fameux quart d'heure. Je le mis face à sa responsabilité et nous entrâmes. Je pris le temps de saluer l'interlocutrice et n'en pouvant plus, je demandai à aller aux toilettes.

     

    - Nous n'en avons pas pour le public, expliqua t-elle simplement.

     

    J'explosai, autant que faire se peut en telles circonstances parce que je ne voulais pas nous fermer les portes de l'aide à ce garçon:

     

    - Ah mais c'est de la discrimination là, je vais en référer à qui de droit!! Vous préférez peut- être que je me lâche devant vous? C'est inadmissible d'être traitée comme ça. Je suis handicapée et vous me refusez l'accès aux toilettes. En plus, je m'occupe de ce gamin dont personne ne s'occupe quand je n'ai aucun lien, aucune obligation envers lui.

     

    A la vue de son visage en décomposition et aux réactions de certains de ses collègues, je continuai:

     

    - Veuillez m'excusez, ce n'est pas personnel, j'entends bien que vous obéissez à un règlement, mais là, j'en ai par dessus la tête et avec ces routes barrées là, là et là ( j'indiquais les directions tout autour du lieu), j'ai vraiment de quoi me mettre en colère.

     

    Ils se rassurèrent, encore sur le qui vive toutefois... sans m'autoriser à aller aux toilettes. Je serrai les écoutilles et le garçon, à côté se fit tout petit, s'excusant et répétant qu'il se rendait compte à quel point mon état physique était problématique, contrariant et … handicapant. Je posai la question de son hébergement, expliquant que je n'avais pas les moyens de le garder et nous fûmes renvoyés à une autre association ailleurs parce qu'eux ne s'en occupaient pas. Ils prirent quand même un rendez- vous pour la prochaine réunion où il devait impérativement se rendre à l'heure.

     

    La main entre les jambes, trépignant et gesticulant pour éviter la fuite, nous repartîmes vers cette autre association. Heureusement, le garçon connaissait le chemin et nous arrivâmes à la bonne adresse. Pas de toilettes en vue. Nous cherchâmes un bon quart d'heure la porte d'entrée... où nous trouvâmes une affiche indiquant que l'entrée était de l'autre côté. Zou! C'était reparti.

     

    De loin, je vis les attroupements devant la porte, un malaise diffus me prit alors que tout le bas ventre se comprimait; la détresse se lisait sur ces visages durs, éperdus, méfiants. Alors que nous passions l'entrée, je fus regardée par quelques uns bizarrement, ma tenue tranchait indéniablement avec le décor: manteau, chapeau, jupette, collants originaux, bottes et sac à main, un brin d'élégance, tout détonait en ces lieux de désœuvrement et de colère. Nous passâmes le seuil en se faufilant parmi des personnes conversant vivement en langues étrangères, femmes et enfants se réfugiaient dans les coins et recoins, une violence sourde et forte remplissait l'air. Il y avait là des humains de tout âge, tout sexe, à plusieurs couleurs et langues. A l'accueil, une femme était au téléphone, tendue, énervée. Je compris rapidement qu'elle cherchait une solution pour une famille avec des enfants en bas âge qui, pour l'instant, vivait dans les bois, sous tente. Elle ne trouvait que des réponses négatives et la révolte et l'indignation se lisaient sur son visage. Nous attendîmes plusieurs minutes, ma vessie hurlant toujours plus fort. Quand elle raccrocha, je lui expliquai que nous venions pour le jeune homme à la rue suite à notre passage à la Mission Locale, elle se leva et commença à nous expliquer que ces locaux était un hébergement pour la journée et non pour la nuit, qu'il était possible d'y rester plutôt que de traîner à la rue, de s'y asseoir, d'y manger, d'y prendre une douche, d'y laver son linge, qu'une assistante sociale était dans le bureau sur la gauche, qu'elle nous recevrait dès que notre tour sera venu. En pleine explication, je la coupai et lui demandai s'il y a avait des toilettes accessibles. Elle s'irrita: « Je termine ma phrase et je vous les montre.». Je ne savais plus ou donner de la tête. Enfin, le garçon alla prendre son tour devant le bureau de l'assistante sociale et je filai aux toilettes. Horreur! Elles étaient dans un état lamentable, sale, en désordre, sans savon. Ce fut une galère que de m'y sonder et de soulager mon pauvre ventre qui n'en pouvait plus. Je me disais que fiston, qui n'avait pas voulu venir, aurait eu grand besoin de voir cette vie afin qu'il mesure sa chance et arrête de se plaindre de la mère abominable qu'il avait quand il était fâché et contrarié. Tant pis.

     

    Notre tour arriva rapidement et j'accompagnai le garçon dans le bureau où j'expliquai sa situation. La toute jeune femme qui nous faisait face connaissait ces situations et posa quelques questions avant de lui expliquer ce qui existait pour lui: l'hébergement d'urgence au 115 à appeler avant 10h pour ne pas dormir dans la rue, avec des lieux différents, à plus ou moins grand nombre de lits, qu'il faut quitter chaque matin pour recommencer chaque jour, avec des populations infinies entre des jeunes, des vieux, des enfants, des familles, des personnes souffrant de diverses pathologies ou dépendances, toujours un surveillant auprès de qui il était possible de rester pour être rassuré, les locaux d'ici où il y avait des coffres où déposer ses affaires afin de ne pas les trimballer toute la journée, des douches, des toilettes et des machines à laver, en attendant d'avoir une place dans des foyers à hébergement de longue durée, le temps de se retourner, une aide pour lui permettre de s'acheter à manger et surtout l'ouverture de ses droits à l'indemnisation chômage. Qu'il sache également, que partout, toujours, il y avait un encadrement et des personnes à qui il peut s'adresser pour répondre à toutes ses questions. Il ne pipait mot, répondant aux questions, évoquant vaguement des peurs tout à fait légitimes. Elle tâcha de le rassurer et de lui faire comprendre qu'il était fondamental pour lui d'enclencher ces aides afin de ne pas se retrouver totalement seul dans cette errance qu'il avait connue jusqu'alors car elle ne menait nulle part. Si j'étais soulagée de le savoir pris en charge, je fis un effort immense pour ne pas pleurer devant la violence de cette réalité. « Ah si seulement fiston pouvait voir ça! Quelle leçon ce serait pour lui! ». Soudain, nous entendîmes des éclats de voix derrière la porte et la jeune femme sortit en s'excusant. Il y avait un début de bagarre et rapidement, les cadres intervinrent pour calmer les esprits. Pendant ces quelques minutes, j'expliquai au garçon que j'étais bouleversée par cet environnement, que je l'étais encore plus à l'idée de le laisser là dedans mais que fondamentalement, c'était la meilleure solution pour qu'il puisse se construire un proche avenir plus stable et durable. Il comprenait bien que je lisais sur son visage l'inquiétude et la peur. C'était difficile pour tous. Le temps passait et j'avais à rentrer surtout que j'étais tiraillée et remuée par cette ambiance. Quand sa prise en charge fut claire à ses yeux, je demandai à partir. L'assistante sociale me rassura et le garçon vint chercher sa valise restée dans le coffre. Avant de partir, je lui souhaitais bonne chance et il me remercia mille fois, conscient que j'étais la première à s'être occupée de lui de la sorte. De retour à la maison, j'eus besoin de plusieurs heures pour me remettre, à peu près, et racontai l'aventure à mon garçon qui resta silencieux.

     

    Régulièrement, je demande des nouvelles, capte des échos de conversations sur la toile entre lui et mon garçon. Il eut plusieurs nuits en foyer d'urgence, son dossier Pôle Emploi trouva une issue favorable lui permettant d'avoir de tout petits revenus, il pouvait s'acheter à manger chaque jour et assista à la fameuse réunion. La machine était en marche; au moins, il avait quelques solutions. Plus tard, j'appris qu'il en avait assez de dormir avec les clodos, qu'il était reparti avec des chaussettes mouillées aux pieds parce qu'elles n'avaient pas eu le temps de sécher au foyer pendant la nuit, qu'il cherchait à retourner chez un copain puis finalement, sa mère l'appela pour lui demander de garder les animaux pendant qu'elle partait en vacances. Il y resta deux semaines et aux dernières nouvelles, il était à Bordeaux chez quelqu'un dont j'ai oublié la définition.

    Puisse t-il s'en sortir!

     

    En conclusion, j'estime avoir fait ma part. Quant à toutes les questions, pensées et l'indignation que soulève ce genre d'épisode, je n'ai pas envie d'en parler maintenant, c'est trop énorme et ça ne sert à rien. A minima, j'apporte un témoignage, à qui en voudra, sur cette réalité de notre société.

     

    Atd quart monde

     


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  • La soirée était paisible, fiston jouait silencieux devant son ordinateur, je vaquai à quelque ouvrage. Mon téléphone mobile annonça un message de son gong tonitruant, c'était une amie de fiston avec qui je partage souvent. Si le confort matériel ne pose pas de souci chez eux, il y a une grande souffrance, des conflits violents, une communication bancale, une errance générale, un grand désarroi. Elle trouve chez moi l'empathie qui fait cruellement défaut et quelques remontages de bretelles de temps en temps, de l'écoute, une présence auprès de mon garçon; elle se sait accueillie. En général, quand elle me salue, c'est qu'elle a besoin de parler, je posai donc mon ouvrage pour être disponible.

    Ce n'était pas un SMS mais un MMS. Je l'ouvris et y découvris une photo en gros plan d'un nouveau- né emmitouflé de rose. Je crus en une poupée de porcelaine réaliste et répondis légère: « Qu'est- ce que c'est?», rapidement, me vint un «Ma fille». Le choc. Je ne la savais pas enceinte, elle a l'âge de mon fils. Je retournai une ligne de points d'interrogation et elle m'expliqua qu'elle avait fait un déni de grossesse. J'interrogeai fiston, il ne savait rien et tomba des nues, incapable de réagir pendant plusieurs heures.

    Le lendemain, je la rappelai et elle me raconta son histoire.

    Elle n'avait rien remarqué, tout fonctionnait comme avant. Quelques signes nauséeux avaient passés pour une gastro, les saignements sporadiques conservaient leur anarchie habituelle, elle ne prenait pas de ventre. Ce dimanche après- midi, elle se sentit mourir, avec des douleurs abdominales atroces et des heures passées sur les toilettes. Elle était seule, encore, à la maison. Le samu refusa de venir la chercher estimant que sa vie n'était pas en danger, elle éplucha tous les numéros jusqu'à ce qu'une cousine la prit en charge. Couchée à l'arrière de la voiture, elle se tordait de douleur. Aux urgences, il y eut une échographie abdominale et là, le «Vous êtes enceinte» provoqua la sortie du ventre immédiatement. Le temps manqua pour la conduire en maternité, elle accoucha dans la demi- heure, Bébé et Maman se rencontraient pour la première fois. Tout allait bien, la petite avait seulement les pieds tordus du fait d'avoir grandi le long de la colonne vertébrale, en cachette. Je l'appelai «pochette surprise».

    Dans ma tête, c'était la bousculade, j'avais besoin d'y voir clair aussi, je pris le temps de poser quelques questions, d'entendre ce qu'elle me disait et surtout de rester à ce présent et non à mes propres histoires passées. J'appris qu'elle acceptait la petite, lui avait donné des prénoms significatifs à ses yeux, qu'elle s'en occupait avec amour et soin, qu'il n'était pas question de l'abandonner, que la famille, bien que choquée et bousculée, la soutenait. C'était loin d'être anodin.

    Spontanément, je lui avais proposé le matériel qui me restait de la petite enfance de mon garçon gardé inutilement des années parce que je voulais d'autres enfants finalement restés morts- conçus, elle me remercia en déclinant l'offre: elle recevait de tous et la maison était déjà pleine du plus que nécessaire. Je fus soulagée. Je la rencontrai à l'hôpital, y croisai son père et nous discutâmes. Je trouvai la clarté dont j'avais besoin, et en particulier, heureusement, la mise à distance entre leurs vies et la mienne.

    Si cela nécessita un effort interne important, je me réjouis de constater que j'étais lucide sur ma fâcheuse propension à vouloir aider tout le monde, du coût que cela m'induisait et, ô joie, une petite voix me soufflait: «Reste à ta place! Elle a des parents, une famille, ils ont plus d'argent que toi, tu n'as pas à prendre en charge ce qui ne relève pas de ta responsabilité, laisse- les vivre leurs expériences dans leur propre fatras, n'y mêle pas le tien.». Et miracle! Je m'y suis tenue. Je pris soin de mon cheminement, des émotions de mon fils grandement bousculé, de celles de ma mère à qui il avait soufflé mot et y mettait sa propre histoire, j'offre à cette jeune fille ce qu'elle ne trouve pas ailleurs. En outre, la vision, le contact de ce bébé ne m'impliqua pas, mon deuil est complet, je suis passée à d'autres étapes de la vie. Par contre, le traumatisme de l'hôpital se révéla particulièrement. Revenir en ces lieux me coûtait, mon fils lui, en fut incapable, évoquant notamment les odeurs qui le rebutaient au plus haut point. Que ce fut en maternité, à l’autre bout de là où j'étais en 2006 n'y changea rien, nous ne supportons pas d'y revenir. Nous avons nos propres chemins à parcourir.

    Désormais, la jeune maman vit ses expériences, comble avec sa petite le vide affectif qui la mine, espère, se réjouit, se désespère, s'attriste, elle encaisse, elle s'essaie, elle cherche. Quand elle en a besoin, elle me contacte, nous échangeons, je l'écoute sans falloir ou devoir, ni pour elle, ni pour son entourage. Elle se sent mieux après. Je l'accompagne de bon cœur, exprimant également mes sentiments et pensées pour qu'elle entende d'autres voix/ voies que les enjeux conflictuels autour d'elle et surtout la petite. Même si nous ne nous voyons que rarement, elle sait qu'elle peut compter sur nous.

    Il n'empêche que le choc a été intense. Alors que je connais le déni de grossesse, les grossesses précoces, bien cette jeune femme, je mesure l'impact émotionnel que ce fut pour elle d'abord puis pour tous ceux qui l'entourent. Il était nécessaire de mettre de l'ordre et de la clarté, de ne pas mélanger les histoires; je m'y attelais alors que je n'étais pas tout à fait remise des épisodes précédents ... et je n'en étais pas non plus tout à fait remise quand un autre événement se produisit avec des fracas similaires… A suivre ( décidément).


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  • Grâce aux nouvelles technologies, le lien avec les amis éloignés se nourrit quotidiennement, certains, à des milliers de kilomètres, étant plus présents que tel membre de l'entourage vivant à quelques mètres. Cela n'empêche pas que lorsque l'un d'eux est dans mes parages, je m'arrange pour le voir au maximum d'autant que souvent, je n'ai pas les moyens de me rendre chez eux. Se vivent dès lors des situations étranges.

    Un passé à connaissances et événements communs fonde l'histoire mutuelle, le cours du quotidien au fil des ans s'y est ajouté par touche. Petits et grands événements se sont succédé, se sont partagés par téléphone, courriels, photos ou réseau social, plus rarement par lettre et colis, notre passé persiste et évolue néanmoins puisque nous le réinventons au fur et à mesure de nos vécus. L'amitié s'inscrit dans la durée, en décennies, faux semblant d'immuabilité puisque nous changeons chacun selon les circonstances de nos histoires individuelles. Le lien s'élabore donc de ce mélange de circonstances passées et présentes principalement par le récit que nous en faisons; l'humain est de paroles.

    Que se dire quand nous nous retrouvons sur un temps limité, quand il s'agit de trouver l'espace et les contours d'une relation interpersonnelle inscrite en cet instant dans l'inter corporalité? Les démarrages ne sont pas si simples. Il existe de multiples stratégies passant par la météo, la santé, les petites tracasseries du quotidien, les questions sur la famille, les animaux, la maison, le travail, une lecture ou un film commun, l'installation sur le lieu, la boisson ou l'aliment à partager; tout y passe selon le contexte.

    Avec une amie de plus de vingt- cinq ans, j'avais recours aux camarades communs d'autrefois, de lycée ou d'université, leurs parents, les échos perçus sur leurs vies actuelles et quelques conclusions sur nos chemins devenus réellement antinomiques. Cela nous ennuyait vite car nos vies n'ont plus rien à voir avec eux et ce lointain contexte. Nous avons changé et le regard à posteriori révèle les questionnements et réinterprétations par ce que nous sommes aujourd'hui sur ce que nous étions autrefois. Régulièrement, je me disais que c'était trop bête de perdre ce temps précieux avec le passé révolu, qu'il y avait tant à dire de bien plus intéressant et beau dans nos vies présentes. Seulement, engluée dans cette stratégie, le temps me manquait.

    En juillet, elle était là avec toute sa famille. Lors d'une soirée complète à préparer le repas et manger en familles mélangées, j'exposai mon idée sur la mise en relation via le passé et ce soir- là, nous fûmes mieux ancrées dans le présent de nos vies par les enfants, le déroulement du repas partagé, les attitudes et gestes de chacun car nous avions le temps. Cela nous fit le plus grand bien. Au gré des autres rencontres, les échanges variaient au hasard, surtout quand nous étions seules. Entre deux, les sujets abordés continuaient leur chemin dans ma caboche et je réalisai que mon amie avait besoin de beaucoup d'empathie, que j'étais maladroite avec elle, que je n'arrivais pas à lui donner la place et l'attention nécessaires. Je fus particulièrement interloquée quand elle me fit la remarque que je parlais beaucoup de SeN et de sa famille qu'elle connaî- ssai-t aussi. Je n'avais pas cette impression, « C'est elle qui l'entend amplifié» pensai- je sur le coup, contrariée puis, je laissai la remarque suivre son chemin. Comme leur départ approchait, je lui dis combien je la sentais nerveuse, confuse, que j'en étais désolée d'autant que je n'arrivais pas à lui donner l'empathie dont elle avait besoin et encore moins de quoi l'aider à y voir clair, étant apparemment moi- même encombrée d'un truc mal défini. Ce disant, je réalisai alors que j'avais cru ce truc passé, relégué parce que j'en avais sous- estimé l'onde: je reste très choquée de ce qu'il s'est passé avec SeN, sa famille et ces soit- disant amis pendant et après les heures sombres de la maladie.

    Au quotidien, je ne pense ni à eux, ni aux événements, je suis réellement satisfaite d'avoir quitté ces schémas et relations toxiques, mortifères, sans issue, je me sens en adéquation avec ce que je suis, aime dans une vie à portes ouvertes et libre, entourée de personnes avec qui je partage de bons moments, authentiques et sincères; je suis véritablement passée à une autre dimension. D'ailleurs, je ne croise plus ces anciennes connaissances alors que je sais que nous utilisons des espaces communs, qu'ils passent régulièrement devant chez moi; ma demande à l'univers de ne plus les mettre sur mon chemin a été entendue et se réalise depuis des mois. Elles ne ressurgissent que lorsque des circonstances m'y ramènent: passer près de chez eux, en entendre parler, retrouver des connaissances communes, pour les plus fréquents. Ainsi, la présence de mon amie est un déclencheur, malgré elle, malgré moi provoquant et alimentant, en plus, ma stratégie de mise en relation. Grâce à elle, j'ai pu mesurer l'onde du choc et je lui en suis reconnaissance ( MERCI à toi qui te reconnaîtra), j'ai senti que j'avais à prendre soin de ces émotions et sentiments absolument, que j'avais une profonde envie d'en finir avec ce traumatisme*, de vivre ma relation à elle pour ce qu'elle est maintenant et non plus par le biais d'un passé révolu. Pourtant, il m'a fallu des semaines, des mois, d'autres événements pour arriver à mettre des mots, avancer vers une potentielle résolution car à la suite de ces péripéties, en survinrent d'autres, tout aussi agitées et bouleversantes.  

    Et oui, encore: à suivre.

     

    * Rien que d'écrire et relire ce mot me coûte C'est dire combien j'ai besoin de regarder en face ce que je vis à l'intérieur à savoir prendre et accepter la mesure du choc, soigner ce que j'ai au plus profond sans passer par eux, sidérée que je suis d'avoir vécu ces événements avec eux, en particulier. J'en reparlerai plus tard car c'est une sacrée aventure, croyez- moi.


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  • Fiston était en camp, j'étais seule à la maison, me reposant assise dans le séjour occupée à quelque travail manuel quand la sonnette de l'entrée retentit. Je n'attendais personne. Je découvris à ma grande surprise le fils d'une connaissance qui m'expliqua qu'il avait eu du mal à me trouver. Je l'accueillis ravie, m'étonnant qu'il fut sans sa femme. Je leur avais si souvent proposé de passer me voir quand ils sont dans le coin, j'étais contente qu'il osât enfin. Sa mère finirait alors peut- être par venir à son tour. Il entra.

    Nous échangeâmes sur les circonstances de sa visite, pause à son emploi, passage devant chez moi; je débarrassai un coin de table au milieu de mes activités expliquant ce que je faisais entre scie sauteuse et fils de soie; je lui proposai à boire, à manger, il déclina. Nous nous assîmes.

    Je devisai joyeusement de tout et de rien, prenant des nouvelles de la grande famille. Il était étrange, gesticulant sur sa chaise, pris de tics que je ne lui connaissais pas, trifouillant son téléphone. Je fis mine de ne rien remarquer. Après quelques minutes, coupé de ce que je racontai, il me lança: « J'ai un service à vous demander.» Il s'agissait de lui faire les ourlets de trois pantalons, ce que je faisais de temps en temps pour sa mère, son père.

     - Vous les avez avec vous?

    - Non, sauf celui que je porte.

     - Ce n'est pas urgent?

     - Quand même, parce que j'en ai besoin rapidement.

    - Et bien, comment fait-on? Vous me les déposez plus tard, je fais au plus vite et vous revenez les chercher dès que c'est terminé, cela vous convient? Parce que là, vous n'allez pas repartir en slip.

     Spontanément, il se leva et enleva son pantalon, insistant sur l'urgence. Surprise, je n'entendis pas de suite.

     - C'est la première fois que je suis le seul à me déculotter, ce n'est pas normal.

     Je me concentrai sur l'ourlet, remarquant que sa femme l'avait déjà tenté, à la main.

     - Elle s'est donné de la peine, je vois. Je m'étonne qu'elle ne l'ait pas cousu à la machine, votre mère en a pourtant une et je sais que vous partagez beaucoup.

     - Les parents ne sont pas là pour deux mois et nous ne cherchons pas dans leurs affaires en leur absence.

     Je m'attelai à la tâche avec concentration et soin résistant ainsi à ce qu'il débitait. Car oui, à partir du moment où il fut déculotté, je n'eus pour tout sujet que des allusions au sexe, aux coucheries généralisées à ses yeux normales.

     Je regrettai ma petite robe rouge du jour quand il lâcha:

     - Vous avez chaud?

     - Non, m'enfin, je n'attendais personne et j'ai encore le droit de me promener comme je veux chez moi. Je ne sors pas comme ça.

     Il me parla de son travail, de ses collègues et patrons, expliquant que le restaurant précédent avait fermé parce que les patronnes en avaient assez de ne plus pouvoir faire l'amour à leur conjoint le dimanche.

    - Vous en êtes certain?, m’exclamai- je dubitative

    - Oui! Il n'y a que ça, des histoires de cul, tout le monde couche avec tout le monde, affirmait- il avec conviction, donnant des exemples en pagaille.

    Je réfutai l'idée expliquant que je ne connaissais personne vivant dans cet état d'esprit, j'avais bien une copine revendiquant sa liberté de choisir des hommes d'un soir ou deux pour passer du bon temps sans se poser la question du couple sur la durée mais c'était tout, je n'étais pas d'accord. ( Je regrettai après de ne pas lui avoir balancé à la figure que ni sa femme, ni sa sœur, ni sa mère ne couchait à tire larigot avec tout le monde.)

    - C'est parce que vous êtes dans votre bulle que vous ne vous en rendez pas compte mais je vous assure, c'est comme ça.

    Il me raconta alors ses aventures avec majoritairement des femmes plus âgées, n'importe où, n'importe quand, comment il distinguait clairement sa vie en famille et sa vie à l'extérieur mettant des frontières infranchissables entre les deux.

     - C'est vrai que vous vous êtes marié très jeune, remarquai- je

    Elle avait à peine 18 ans et lui 21, parce que dans leurs pratiques familiales, garçons et filles ne se fréquentent pas, ils se marient, fondent une famille, histoires ancestrales sur la virginité des filles et la volonté des parents de savoir leurs enfants en couple, base de sécurité élémentaire à leurs yeux.

    - Oui, je l'ai fait pour que mes parents arrêtent de me mettre la pression et maintenant, ma vie est définitivement foutue.

    - Vous le pensez vraiment?, m'étonnai- je

    - Oui, j'en suis sûr. Je fais tout ce que je peux pour qu'elle ne manque de rien et soit heureuse ( c'est- à- dire assurer son confort matériel ), j'aime mes enfants, je m'en occupe quand je rentre et je vis ma vie à l'extérieur dont elle ne sait rien. D'ailleurs, personne ne doit savoir que je suis venu chez vous, seul parce que sinon, elle nous arrachera la tête et ma mère va me harceler.

     Tout ce temps, je continuai l'ourlet du pantalon; cela me donnait un sentiment de contrôle sur la situation, je me protégeai. Bien qu'invisible, la violence était bien présente: violence de ses paroles et allusions jamais explicites au point de me faire réagir extérieurement, violence des représentations qu'il exposait sur les hommes, les femmes, leurs relations, lui- même n'étant que le reflet des coutumes du milieu où il avait grandi, la violence des non- dits et du poids des traditions dans sa famille, violence qu'il subit et inflige … J'étais simplement sous le choc. C'était d'autant plus fort que je connais toute la famille, je leur rends visite régulièrement, je sais leurs histoires, leurs situations, les inquiétudes de sa mère. Chez eux, je sens les non- dits, les silences, les paroles lancées en pleine figure, les attentes, les cachotteries, les jugements, le tiraillement entre la tradition et la modernité, la douleur du déracinement, les carences liées à l'absence ou le peu d'études autres que religieuses et orales, le flou généralisé quant aux sentiments, besoins, demandes. Là, chez moi, je me prenais tout ce chaos interpersonnel régi par une moralité et des convenances sociales familiales: lui, désespéré en errance, jouant à ce qu'il croit devoir être en tant qu'homme, sa femme certainement intuitivement consciente de ce qu'il fait, en insécurité profonde vu qu'elle n'a rien sans lui, totalement dépendante économiquement dans un pays qui n'est le sien que depuis son mariage, sa mère déchirée entre ses sentiments et son désarroi face à un monde éloigné de ce quoi en quoi elle croit, le cirque dans un mutisme total où nul ne communique, où tout est écrasé par de représentations traditionnelles dites religieuses. Je pensai en particulier à sa mère, si anxieuse et inquiète pour ses enfants et petits- enfants, voulant, pour leur bien, les pousser vers des schémas de sécurité obsolètes ici et maintenant. Dire aussi, qu'aux yeux de ses parents, il était, de leurs fils, le plus droit, le plus respectueux, le plus digne de confiance! Finalement, je m'en prenais tant à la figure que dans cette urgence, je m'accrochai à cet ourlet et pleurai à l'intérieur de ce qui se concrétisait là, en direct.

     Le pantalon terminé, il considéra le travail magnifique ( là, j'avais répondu à un de ses besoins), je sentis par contre qu'il n'en pouvait plus, son corps était désordonné, il ne se tenait pas tranquille ( un autre de ses besoins plus ou moins identifié n’avait pas trouvé réponse). Nous convînmes qu'il apportait les deux autres le lendemain à sa pause.

     Quand il arriva, j'avais la même robe rouge et un corsaire dessous. Il me demanda si j'avais froid aujourd'hui. « Je ne veux pas que vous vous imaginiez que je cherche à vous allumer.» c'était dit, j'avais plus d'aplomb que la veille, ayant encaissé le choc et étant plus au clair sur moi- même et son attitude. D'abord, il sembla vouloir attendre que j'en eus finis, continuant des allusions, m'interrogeant sur ma vie sentimentale. Je lui notai que les hommes, à partir d'un certain âge, rencontraient des problèmes d'érection, remplissaient les cabinets d'urologues ravis de ce fond de commerce avec des pilules pour bander, ( révélateur à mon humble avis de la misère dans laquelle est vécue la sexualité, la limitant à un pénis bien dressé pénétrant un vagin et de l'avilissement des hommes en les cantonnant dans des représentations quasi dogmatiques sur ce qu'ils sont censés être, faire et avoir). Il l'ignorait, s'en choqua et poussa un: « Oh ben! Il faut que je me dépêche d'en profiter alors! ». Je continuai mes travaux d'ourlet avec concentration, feignant de ne rien entendre. Il eut un message, s'en occupa et s'excusa d'avoir à partir; avant, il voulait régler la récupération des pantalons terminés et un retour pour la tâche accomplie:

     - Cela ne vous dérange pas que je vienne les chercher ce soir vers 22h30 après mon travail?

     - Si vous ne faîtes que passer, ça devrait aller.

     - Ah bon? Parce que vous ne m'ouvririez pas la porte pour me recevoir?

    - Non, dépassé 10 heures et demie, je vis une grande histoire d'amour avec mon lit, mes livres et ma musique, rien d'autre.

    - Bien, maintenant, sincèrement, dîtes- moi ce que vous voulez car tout travail mérite salaire.

    - Je n'avais pas pensé vous demander quoi que ce soit; habituellement, je le fais pour rien et votre mère me remercie avec quelques bons plats. Je n'en sais rien.

    - Allez, dîtes- moi, j'insiste.

    - Bah, j'ai vu que vous aviez 5 euros, donnez- moi ça.

    - Ne vous gênez pas pour me dire vraiment ce que vous voulez!

    - Bon, comme vous insistez, ce sera alors 10 euros.

    Il posa un billet sur la table et entama un récit:

    - Un jour, j'ai passé une après- midi avec une femme parce que je voulais apprendre la recette d'un cake fameux qu'elle savait préparer. Elle me montra comment faire et à la fin, je voulus lui rendre son dû. Elle ne voulait rien et comme j'insistai, elle me demanda de la payer… en nature.

    Décidément, il avait du mal à lâcher. Je ne cédai rien, il finit par comprendre et repartit. Au soir, il récupéra ses pantalons en me remerciant à nouveau et fila sans une allusion ou un mot. L'épisode paraissait clos. Dans le flot des événements de l'été, je n'eus guère le temps de m'y pencher, j'en parlais à Yolande au téléphone par besoin de m'en décharger.

    - Au début, je n'ai pas compris ce qu'il se passait, il était bizarre et j'ai alors remarqué que je transpirais sous les bras au point d'en mouiller ma robe ce qui chez moi est exceptionnel. J'ai réalisé plus tard que j'avais eu peur. Il n'a pas eu de geste déplacé, heureusement mais je restais sur le qui- vive, méfiante avec ces propos incessants autour du sexe. Ce qu'il voulait, c'était coucher avec moi, comme ça.

    - Il est venu sur une pulsion, sans réfléchir et il est tombé sur quelqu'un qui ne rentre pas dans ses schémas habituels, il a certainement été bousculé lui aussi.

    Peu à peu, je m'insurgeai, comment des hommes peuvent – ils imaginer coucher avec une femme, comme ça? Comment a t-il pu imaginer que j'allais coucher avec lui, comme ça? Parce que j'ai eu un enfant hors mariage? Parce que je ne me suis jamais mariée? Parce que je suis célibataire? Parce que je quitte les hommes à ma propre initiative? Que suis- je moi? Quelle image de la femme! Quelle image de l'homme! Que de flou, de détresse! Je n'ai pas fini d'entendre résonner l'épisode dans ma caboche, mon cœur et mon corps.

    Alors que je répétai l'aventure à Nadine lors d'une réunion CNV, elle nota: « J'entends combien tu as eu d'empathie pour toutes ces personnes, de lui aux membres de sa famille, jusqu'à tous ceux qui vivent dans des structures traditionnelles de ce type, mais je n'entends rien de toi. Tu aurais certainement besoin d'énormément d'empathie, toi d'abord, non? ». Je ne m'étais pas posé la question, je n'avais pas eu le temps… parce qu'après cet épisode, lui avait succédé un autre tout aussi bouleversant.

     A suivre ...

     


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  • Un jour que je rendais visite à Idil et sa famille, elle m'expliqua qu'elle était en grève. Cette femme d'affaire en commerce international brassant des millions de dollars avait pris un an de congé sabbatique pour se consacrer à sa famille et là, elle en avait par dessus la tête: « Je ne fais que la cuisine et du ménage! » s'exclama t-elle en anglais. Pendant plusieurs jours, elle ne s'en occupa plus, chacun ayant la charge, à chaque repas, par exemple, de trouver un endroit ou une façon de manger convenant à tous. L'idée de base me plut immédiatement.

     Avant que je ne sois malade, mon fiston était petit. Seule avec lui, je tâchai de lui faire faire sa part, laborieusement; il est des âges où les enfants aiment faire plaisir à leurs parents, je me suis toutefois épuisée à tout mener de front. La cohabitation avec SeN ne fut guère aisée sur ce point, il y avait la maison, le jardin en plus du reste et il critiquait mes actes domestiques sans pour autant sortir de ses gestes et pratiques obsessionnels sur ses secteurs définis ( son tapis, son salon, son linge, etc.). A l'arrivée de la maladie, il fut en l'occurrence incapable de gérer le quotidien tout en refusant l'aide d'autres. Je constatai alors, que la vie continuait son chemin, douloureusement et chaotiquement, certes mais tout de même, elle continuait. A nouveau seule avec mon garçon devenu ado, je n'avais plus du tout envie de retourner aux fonctionnements d'autrefois, j'optai donc pour l'application de la grève sans préavis en cas de désaccord notoire jusqu'à ce que la situation trouvât une solution satisfaisante pour chacune des parties. Actuellement, j'en suis à cinq mois au sujet de la cuisine et du linge de mon garçon.

     Il râlait sans cesse sur les repas, jugeant les contenus dégueulasses, allant jusqu'à dire que j'étais incapable de cuire des pâtes; le linge propre, repassé traînait dans sa chambre au même titre que le sale avec une armoire vide à portes grandes ouvertes. Non, merci! L'opposition adolescente et les enjeux relationnels ont leurs raisons d'être, soit, qu'il assume ses engagements! Ainsi, je ne cuisine plus qu'à ma guise, sans me soucier de lui, je ne m'occupe plus de son linge: à lui de le mettre dans la machine, l'accrocher, le décrocher, le ranger. Au début, il protesta grandement, j'expliquai et réexpliquai qu'il avait à assumer ses choix revendicatifs et d'opposition, qu'absolument rien ne m'obligeait à prendre en charge ces tâches rébarbatives et ennuyeuses surtout avec un retour ingrat et mon travail non respecté. « Je ne suis pas la bonniche de service».

     Il se promène avec du linge froissé, en manque parfois, il lui arrive de ne pas manger parce qu'il a la flemme de préparer ou avale n'importe quoi, cuit ou non, congelé ou cru, directement dans la boite ou le sachet. Si je ne culpabilise pas, il ne m'est pas aisé de le voir négligé, négligeant, s'empêtrer désorganisé et dépassé; je résiste à mes envies de faire pour lui, à sa place car je sais que ce n'est pas lui rendre service, qu'il a besoin de faire ses expériences. Bon, il est vrai que quand le linge sec traîne et que j'ai besoin de la place, je le balance sur son lit ( tout ce qui traîne d'ailleurs y est jeté quand j'en ai assez de le voir dans les lieux communs). En cuisine, lors de mes préparations, je ne fais pas systématiquement des portions individuelles ne souhaitant pas moi- même recommencer à chaque repas. Pour le riz, les pâtes, par exemple, j'en fais une bonne quantité afin d'éviter au maximum le travail de vaisselle, quand les produits sont en nombre dans leurs emballages, qu'ils sont décongelés, je les prépare. Ensuite, il fait son choix, y puisant ou non, les mangeant froids s'il n'est venu que tard parce que je refuse qu'il salisse une autre casserole.

     Après bien des protestations, de l'ironie quant à ma capacité à tenir le cap, une indifférence feinte, il accepta et comprit. L'expérience porta dès lors ses fruits délicieux:

    - Pour le linge, c'est silence radio sauf quand quelque pièce a besoin de réparation, raccommodage, repassage. Dans ce cas, il demande et accepte ma réponse.

     - Quand il y a à manger, il me demande s'il peut en prendre, si je refuse, il le respecte.

     - S'il trouve quelque chose qu'il aime, il ne le mange plus en douce, seul dans sa chambre, il m'en propose et/ ou laisse une portion à ma volonté.

     - Son discours a changé, à la place des « C'est dégueulasse! », « Il n'y a jamais rien de bon à bouffer ici!», ce sont des « Je ne dis pas que ce n'est pas bon, je n'aime pas, c'est tout. », « Je n'en ai pas envie maintenant», « Tu es d'accord pour que je mange ça et pas ça? », «  Tu es d'accord pour que je me fasse des pâtes là? », « Je préférerais avec une autre sauce, un autre parfum, avec ça ou sans ça. » tout en mangeant sans râler, « Cela ne te dérange pas si je mange plus tard? Je débarrasserai. », etc.

     - S'il a envie de manger un truc spécial, il m'en fait part sans exiger quoi que ce soit et il est enchanté quand je le prépare. Il est par exemple devenu grand amateur de mes glaces maison, ne voulant plus des achetées.

     - Si les circonstances s'y prêtent et qu'il est invité à manger avec moi, il m'aide et remercie systématiquement pour le repas, mon invitation avec une sincère gratitude.

     - Comme nous n'avons plus de combiné- four- micro ondes, il cuisine avec les éléments à disposition sans rouspéter, ne se contentant pas de réchauffé, de plats tout prêts que je n'achète que très rarement. Il est en outre heureux quand une pizza surgelée ou des raviolis sont à sa disposition parce que, dans ma grève, il y a aussi le refus de compenser par des achats de nourriture industrielle.

     - Il pose des questions sur les préparations, les ingrédients, les modes de cuisson, les épices, les recettes. Grâce à des enquêtes en ligne, j'ai suffisamment de points pour recevoir un appareil ménager qui programme, mélange, cuit, maintient au chaud selon des recettes pré enregistrées ou à inventer en mode manuel. Je lui en ai parlé: « Avec ce truc, est-ce que tu te mettrais à cuisiner mieux? ». Réponse affirmative après avoir visionné une vidéo de présentation. Il est intéressé car avec cette machine électronique, il n'y a plus ni attention précise obligatoire, ni débordement, ni brûlé. L'appareil est commandé et j'attends de voir ce qu'il adviendra de son usage. En tout cas, la question a été négociée et la décision prise ensemble.

     J'ai été claire et j'ai tenu ma parole fermement, comment pouvais- être plus explicite sur ce que je voulais? Il n'a rien voulu entendre de mes explications verbales ou de mes essais antérieurs aussi je lui ai offert l'opportunité d'expérimenter par lui- même une vie où il a à assumer ses revendications, à trouver des solutions à ce qu'il posait comme problème et à sortir du discours où je portais plus ou moins clairement à ses yeux la responsabilité d'une situation qui lui déplaisait, je l'ai ramené à lui, à ce qu'il vivait à l'intérieur afin qu'il y regarde et y mette de la clarté, de l'ordre, qu'il envisage la situation sous un autre angle que celui de l'accusation floue à mon égard. De même, nos places et rôles respectifs ont été mis à plat; en me positionnant clairement, il avait à se positionner lui aussi. IL m'importait qu'il se frotte aux notions de respect et d'acceptation d'autrui dans sa complexité, sur l'instant, en dehors des jugements et présupposés, qu'il prenne conscience de la responsabilité qu'implique la liberté et qu'il voit au- delà des représentations dictant ce que chacun doit être ou faire, ne pas être ou ne pas faire- ce n'est pas parce que je suis sa mère que je dois faire telle ou telle chose, ce n'est pas parce qu'il est mon fils ado qu'il doit adopter telle ou telle attitude. Une amie nota à mon récit de grève qu'il apprenait l'autonomie en s'occupant de ses repas et de son linge, il apprend également celle qui se détache des schémas pré- mâchés, imposés et mal définis puisqu'ils ne correspondent pas à la réalité de ce que nous vivons. Falloir et devoir n'ont plus de sens dans ces circonstances, ils deviennent obsolètes, de victime, il passe à acteur, la vie se nourrit d'une toute autre énergie. De toute façon, le processus est en marche depuis belle lurette et lui aura eu la chance d'en être dès l'enfance alors que j'aurai attendu de subir l'épreuve de cette saloperie de maladie pour enfin franchir le seuil vers d'autres fonctionnements après avoir souffert et erré pendant des lustres. La clarté a décidément une importance fondamentale. Et merci Idil pour ta si bonne idée! <3


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  • Un souci récurent dans beaucoup de familles, théâtre de bien des enjeux personnels et relationnels que la chambre d'un ado! Je ne veux pas analyser le pourquoi du comment ici, simplement relater en quoi ce lieu a été un déclencheur, un terrain fertile de relation.

    Il y a longtemps que je ne m'en occupe plus, sauf en cas de grands travaux genre déménagements ou réaménagements. Aussi pénible que ce puisse être parfois au regard de la zone sinistrée qu'elle devient, je tâche de résister à l'envie de faire à sa place. C'est comme remplir le tonneau des Danaïdes car les questions importantes n'y sont pas réglées, justes repoussées: enjeu de territoire, attachement, détachement, autonomie, responsabilité, vie commune et respect de chaque espace privé, par exemple… Auparavant, alors qu'il était en camp pour une semaine, j'avais déménagé, démonté pour adapter à son mode de vie, fabriquant un bureau à coup de scie sauteuse, transformant une bibliothèque, changeant l'armoire cassée pour un autre ré adaptée, débarrassé ce qui encombrait l'espace inutilement. Après des mois d'utilisation, la situation ne s’était pas améliorée. Trop peu souvent à mon goût, il rangeait et nettoyait. « Qu'il vive dans son bazar et sa saleté si ça lui chante! » me disais- je peu convaincue. Cela devient particulièrement pénible quand il trimballe la saleté de sa chambre dans l'appartement au bout de ses pieds et que ses odeurs envahissent le reste de l’appartement. En juillet, il partait pour une semaine, je comptais en profiter pour souffler un peu, décidée à n'y pas toucher, refusant de m'y fatiguer, j'avais programmé du repos et du calme, pour finir mon année scolaire. Cause toujours.

     D'abord, je ressentis le besoin impérieux d'aérer, les odeurs venant de cette pièce me dérangeant à chacun de mes passages devant la porte fermée. J'entrai donc pour y ouvrir la fenêtre le premier jour, le deuxième. Comme ce fut insuffisant vu ce qui y traînait, je continuai en ramassant les déchets organiques ou d'emballage, espérant enlever les raisons des mauvaises odeurs. Rien n'y fit.

    Je pris ensuite en passant le linge sale qui forcément finit dans la machine à laver vu que l'infection envahissait alors la salle de bains. « Ça suffit! C'est déjà plus clair, il n'aura qu'à faire la suite lui- même en rentrant!» m'affirmai- je. Malgré mes ramassages, l'odeur persistait.

    J'enlevai les draps et les lavai. Je découvris que son oreiller était brûlé, la housse très sale. Je démontai, lavai et réparai le tout, retournai et aérai le matelas.

    Cela faisait quatre jours que je répétai: « Non! Je ne ferai pas sa chambre! ». Ceci dit, au fur et à mesure de mes passages, je découvrais des amoncellements cachés, des tâches abominables, une saleté innommable dans les recoins et vraiment, je me dis qu'il était impossible de faire dégager les odeurs en laissant la pièce dans cet état. Je n'avais vraiment pas envie de m'y mettre., exténuée que j'étais. Je me décidai à demander de l'aide… Qui? Je sais que je peux compter sur quelques personnes, je n'avais cependant pas envie d'entendre des: « Tu dois faire ça, tu ne dois pas faire ça, il doit faire ci, il doit faire ça », j'ai donc appelé mon amie Yolande qui, je le savais ne jugerait personne.

     Elle m'écouta avec attention, y réfléchit et me fit part de son désaccord pour s'occuper de cette chambre quand mon garçon n'était pas là. « Je savais que tu me dirais ça. », lui répondis- je sans rancœur. Tant pis.

    Quatre jours avaient passé, je n'avais toujours aucune envie de faire cette chambre. Je sentis de l'agacement, du désespoir, de l'impuissance grandir en moi de manière démesurée. La colère me conduisit à des phrases type: « Quel sale gosse! Quel porc! Quelle feignasse! » et j'en passe. Ma petite voix me rappela rapidement à l'ordre: «Envisageons la question sous un autre angle: qu'est- ce qui dysfonctionne dans cette pièce au point qu'il soit incapable d'en prendre soin? ». Je laissai cheminer les pensées en méditation et commençai à déplacer les meubles, nettoyer dans les recoins, m'asseyant régulièrement pour observer les lieux, y voir vivre mon garçon dans ses habitudes d'ado. Armée de mon balai, je ramassai des tas et des tas de saletés, poussières, miettes et autres surprises, l'aspirateur étant en réparation depuis des semaines, bien sûr. « Qu'est- ce qu'il fait dans sa chambre? Qu'est- ce qu'il y aime? De quoi a t-il besoin? ». Un lit, une armoire ( et encore puisque le linge traîne de ci de là), un bureau pour son ordi- chéri, de la place pour ses remèdes, ses livres, ses jeux, ses affaires de classe. Elle fait 9,5 m² soit trois à quatre fois moins que celle qu'il avait dans la maison cinq ans auparavant. Sentimental, il a du mal à se défaire et ce fut avec beaucoup d'attention et de soin, en le rassurant sur leur stockage, en sécurité ailleurs que je lui ai déjà enlevé quelques affaires. Là, force était de constater qu'il était encore débordé par une multitude d'objets divers, repoussés dans le coins bien qu'inutilisés. Je vidai donc tiroirs, armoire et étagères, chaque classe d'objets déposée dans une caisse ou un carton dans l'attente de son retour afin que nous trions ensemble. Je pris des mesures, déplaçai les meubles en plusieurs essais, en sortis deux.

    Il s'agissait de l'énorme bibliothèque lourde et imposante que lui avait fabriquée SeN en d'autres temps pour sa grande chambre d'autrefois. Ce dernier avait fait ce que lui voulait sans se soucier de mes demandes ou des besoins de mon garçon. En partant de cette foutue maison, je voulais la lui laisser, trop encombrante et lourde; mon garçon refusa, attaché à quelque lien ou souvenir. Elle nous suivit donc dans deux appartements. Si dans le premier , elle trouva plus ou moins sa place, elle s'avérait envahissante et encombrante dans sa dernière petite chambre. Je l'avais déjà transformée en deux parties- une bibliothèque et un bureau- au premier essai d'aménagement. Ce ne fut pas probant et vu l'usage de la chambre, je me dis que décidément, elle était de trop. Je la sortis de la pièce, aménageai les autres meubles, élaborant plusieurs plans pour son bureau informatique, lui laissant cette liberté, entamai le tri de la montagne de papiers trouvés au fond de l'armoire ainsi que le rangement de son matériel électronique et informatique éparpillé partout en capharnaüm. IL était temps de le récupérer que je n'avais pas terminé. Avant de partir, je lui accrochai ses tableaux favoris, lui aménageai un coin Japon dont il est grand fan près du lit afin qu'il trouvât du beau en arrivant et non pas que le chambardement.

     Sur le chemin du retour, dans la voiture, je lui annonçai doucement les événements et leur non- achèvement. Il fut rassuré d'apprendre que je n'avais pas eu d'accident, la dernière expérience ayant abouti à un traumatisme crânien et des points de suture mais restait interdit devant mon obstination à déplacer des meubles, à me lancer dans des grands travaux, seule, avec mes petits bras pas musclés et mes capacités physiques branlantes. Avant la maison, j'allai acheter une planche découpée qui l'intrigua. Arrivé, il resta choqué un long moment surtout à la vue de son lit impraticable, envahi par les caisses et cartons à trier. Nous le débarrassâmes ensemble afin qu'il pût y dormir au soir, je lui faisais en même temps le récit de mon parcours avec cette chambre. Il écouta attentivement puis fit de gros yeux ahuris quand je lui montrai mes rangements et classements avec ordre, clarté, organisation et ergonomie, selon ses besoins et sa façon de vivre. «Tu aimes t'emmerder toi alors!  lâcha t-il alors que j'en arrivai aux papiers trouvés au fond de l'armoire. Cela fait des années que je n'ose pas y mettre le nez tellement c'est énorme! » Et j'avais commencé à trier sans lui.

     Les deux ou trois jours suivants, nous travaillâmes ensemble; parfois, il avait la larme à l’œil réalisant avec quel soin j'avais pris mes décision en fonction non pas de mes envies mais bien en fonction de ce que lui vivait. « J'ai voulu te faire une chambre qui ressemble à ce que tu es maintenant et que tu ne sois plus encombré par les vieilleries du passé.». Tous les vêtements, papiers, livres et autres babioles triés et rangés ou débarrassés, il m'embrassa, empli de gratitude car il était soulagé et touché.

      La grosse bibliothèque encombrante sortit de la chambre et resta plusieurs jours ou dans le couloir ou sur la terrasse, fiston n'arrivant pas à prendre de décision. Je lui laissai le temps, proposant des solutions parfois. Finalement, il en démonta lui- même la partie supérieure avec ces mots: « Je l'aimais bien ce meuble mais ça ne sert à rien de se raccrocher aux choses du passé. ». Je lui promis de garder les planches à l'abri afin qu'il le récupère à sa guise, plus tard, s'il le voulait. La partie basse resta dans le couloir en banc rangement devant la porte de sa chambre, en attendant.

     Il m'indiqua être dérangé par les murs blancs vides, je lui peignis des tableaux autour du thème du Japon, selon ses choix; il en fut particulièrement ému.  Il choisit son aménagement de bureau ( qui chamboulait du coup l'aménagement du salon… inachevé à ce jour) et ainsi, au bout de 10 jours de gros labeur, sa chambre prit jolie et propre forme.

     Tout resta en ordre et clair jusqu'à la rentrée scolaire, soit deux mois! ( A partir de septembre, c'est une autre affaire, entre les journées au lycée, les transports et les envies d'ordi en repos, il n'a plus le cœur de s'en occuper, je recommence à réclamer et répéter mes demandes de propreté et d'ordre).

     

    Retrouvant Yolande, je lui fis le récit de cette histoire.  Elle en fut enchantée estimant l'expérience riche et belle parce que:

     - dans la quête de satisfaire mes besoins de propre, d'ordre et de beau, j'avais pris soin des besoins de mon fiston, respecté ce qu'il est, ce qu'il aime, pris le temps de décider en fonction de ce que je sentais en lui et non de ce que je voulais moi,

     - comment nous étions allés l'un à la rencontre de l'autre parce qu'en lui faisant part de ma réflexion profonde , il avait su entendre le soin que j'avais de lui,

     - comment il avait été touché et reconnaissant, soulagé de ce qui lui pesait sans trouver la force de s'y atteler seul.

    Ensuite, elle me parla de ce que ma demande avait engendré chez elle: la joie que son refus ait été accueilli avec respect et considération, comment ma demande lui avait permis de mettre de la clarté en elle sur son propre besoin d'ordre, dans ses affaires, dans sa maison et son refus d'aller ranger chez autrui quand elle n'y arrivait pas chez elle. D'une telle clarté, qu'elle n'en ressentait aucune culpabilité.  

     

    Ainsi donc, ce terrain miné et terriblement conflictuel que représente la chambre d'ado sale et désordonnée est devenu une belle aventure de partage et de reconnaissance. Mon amie Yolande répète à l'envi que le besoin de clarté est très important, j'ai mis du temps à comprendre; désormais, j'en mesure l'immensité. L'expérience de la chambre en est un bel exemple. Les éléments du quotidien sont le théâtre d'enjeux multiples et complexes où chacun ramène son histoire et ses représentations, comment pourrions- nous éviter le désordre, la violence, les malentendus, la frustration si nous ne mettions pas de la clarté en nous et dans les relations à l'autre d'abord?

     Dernièrement, un cousin me taquina à propos de ma vie vécue sur une autre planète, j'ai souri en répondant que j'étais de la même planète indéniablement mais dans une autre dimension ... et franchement, pour rien au monde je ne reviendrai à celle du flou, de la violence, de la non relation.

     


    2 commentaires
  • Bon, il est bien clair que la carence en fer et l'anémie me mettaient raplapla, cela a été dit. Par delà, au regard de ce qu'il est passé, je me dis que je suis décidément une dure à cuire pour avoir tenu le cap pendant ces deux mois de prétendues vacances. Et oui, juillet et août ont été le théâtre de plus d'une aventure alors que je n'ai pas bougé de chez moi. J'ai beau faire, même renfermée, il m'arrive constamment des trucs. Plus ou moins dans l'ordre chronologique, voici en introduction la liste des événements:

    - la problématique de la chambre du fiston- ado

    - la visite impromptue et bouleversante d'un ancien voisin

    - la réflexion engendrée par la visite d'une amie venue de loin

    - une surprise monumentale qui nous laissa fiston et moi abasourdis plusieurs jours

    - l'arrivée et la prise en charge d'un copain de mon garçon

    Le tout conjugué aux habituelles aventures quotidiennes entre la maladie, ses conséquences, mes bricolages, le soutien à la famille, le budget mini et un ado hurlant des heures entières devant son ordi tous les jours pendant plus de deux mois. Autant dire que ce fut mouvementé.

    Si je tiens à les raconter, c'est parce que ce sont des situations particulières avec leurs lots respectifs d'émotions, de chocs, demandant une énergie folle, provoquant des éclairages crus sur des situations concrètes. Cela n'arrive pas qu'aux autres, ces événements sont mon quotidien.

     

    A suivre donc, par épisode.


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  •  Nous étions en pleine conversation, ma mère, fiston et moi, dans la tranquillité du quotidien quand tout à coup  vessie se manifesta. Comme d'habitude, je pliai mes jambes en croisant les genoux et retins mon entre- jambe dans l'espoir d'éviter la fuite, continuant d'écouter chacun et de formuler quelques paroles, l'autre main plongeant en même temps dans le sac à la recherche de mon matériel. Cela dura quelques secondes puis ma mère, mon garçon me lancèrent chacun à leur tour, l'un derrière l'autre: « Va donc aux toilettes! ». Sans perdre quoi que ce fut de mon calme, je leur répondis: « Vous n'êtes pas dans mon corps pour savoir comment réagir et savez très bien que j'ai des problèmes à ce niveau, que j'ai besoin de sondes pour me soulager. Quand une personne en fauteuil roulant se trouve devant un escalier et qu'elle a besoin de monter alors qu'il n'y a ni rampe, ni ascenseur, vous ne lui dites pas  Lève- toi et marche ». Le matériel en main, je partis vers les toilettes nonchalamment et de loin, j'entendis mon fiston rire en répétant « Lève toi et marche ».

    La démonstration était cinglante.

     

     


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  • Une fois n'est pas coutume et parce que j'en parle trèès souvent, je me contenterai aujourd'hui de vous inviter à aller voir cette vidéo sur les handicaps invisibles; j'ai particulièrement aimé les interventions du neurologue.

    Bé voui...

    N'hésitez pas à faire part de vos impressions et sentiments en commentaires!

    C'est ici

    A bientôt pour retrouver mes tartines... du moins les courageux qui s'y plongent.


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