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Temps de travail.
Lors de la journée exposition, j'avais de la bonne compagnie ( heureusement, parce que seule, cela eut été quelque peu très difficile). Nous discutions quand les passants ne s'arrêtaient pas et j'appris ainsi que ma compagne d'aventure travaille de nuit à l'usine… avec, en plus, une activité artisanale à production continuelle et multiples expositions de vente. Comme je relevais son courage face à une tâche si ardue, elle m'expliqua que c'était son choix, que cela l'arrangeait pour le moment, racontant son rythme de vie puis elle me demanda à son tour combien d'heures je travaillais.
Elle savait déjà que j'exerce le métier de formatrice pour adultes, je n'avais pas à expliquer ce que cela implique en terme de temps de travail ( heures d'enseignement en direct + heures périphériques englobant les tâches annexes et la perpétuelle mise à jour de la caboche). Je n'en restais pas moins gênée de dire à combien j'étais officiellement: « Bah, tu sais, comme j'ai une maladie grave et des handicaps, j'ai un poste aménagé, je fais six heures par semaine». Je fus surprise de l'entendre s'exclamer spontanément et avec conviction: « Et c'est déjà beaucoup! », tranquillement.
Mon cœur s'emplit de gratitude à son encontre et en le racontant ici deux semaines après, j'en suis au même sentiment car à travers ces mots, je mesurais combien elle savait ce que ces six heures représentaient en tant qu'effort, combat et victoire alors que je vis avec une foutue maladie capricieuse et dangereuse. Elle sait également que je suis à de multiples activités quotidiennes ( mère célibataire, bénévolat, implication dans l'économie sociale et solidaire, activités créatives et j'en passe). Je n'avais pas à justifier ou expliquer, elle savait. Ce fut un soulagement car dans cette société obnubilée par le travail (notion qui mériterait à elle seule des kilomètres de réflexion dont je n'ai pas envie ici maintenant), ce genre de conversation provoque des réactions multiples m'amenant à expliquer et donner de l'empathie pour accompagner mes interlocuteurs dans leurs sentiments ( besoin de reconnaissance, de clarté, de repos, …) qui n'ont rien à voir avec mes six heures de travail salarié. Si je le fais de bon cœur, j'en ai parfois marre d'avoir à mobiliser tant d'énergie pour ouvrir les yeux.
Quoi qu'il en soit, évoquer son temps de travail est tronqué d’emblée. Parce que les notions de base déjà ne sont pas claires: qu'est- ce que le temps de travail? Qu'est- ce que le travail? De quoi parle t-on exactement? Qu'est- ce que cette question implique et révèle comme représentations de la société et de l'individu?
Plutôt que de disserter longuement, j'ai une petite anecdote pour conclure.
Mercredi dernier, nous étions à table, fiston et moi. Je lui dis au passage que le lendemain était ma dernière séance de cours, qu'après, j'étais en vacances. Il marmonna un truc que je ne compris pas et lui fis répéter.
- Je n'ai pas compris, tu veux bien répéter?
- J'ai dit: profite- en bien de ces vacances!
- Comment ça? Qu'est- ce que tu veux dire?
- Ben oui, après, tu seras avec moi tous les jours, tout le temps, à la maison.
- Il y a un truc qui m'échappe là ( j'étais en mode ramollo du cerveau cause canicule), tu veux bien m'expliquer?
- Tu dis toujours que d'aller au travail, ce sont des vacances pour toi, que tu en reviens mieux que quand tu y es allée, que tu le préfères à la maison où il y a ces tâches domestiques et ma personne à supporter, alors, aujourd'hui, je te dis de bien profiter de ton dernier jour de vacances.
Et oui, j'en suis là: l'intense temps de travail salarié est pour moi un temps de vacances quand le temps de travail autre me fatigue bien plus. Il y a un signe qui ne trompe pas: avant une tâche laborieuse, je m'attache les cheveux ce qui est souvent le cas à la maison. Pour partir à mon emploi, je les détache.
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