• C'était dans cet état d'esprit que je commençais cette année 2009 et c'est avec un certain amusement que je constate à quel point la vie s'offre à moi avec d'autant plus de générosité.


    Je n'avais rien prévu à Nouvel an et j'ai passé une très agréable soirée avec mon amie Magali et sa famille, nous avons pu rentrer sans encombre malgré le froid.  Il y eut aussi cette invitation,  chez mes amis  le 1er janvier, qui me remplit de joie et de plénitude.


    Je ne m'impose rien dans l'effort physique et j'ai pu mener quelques promenades sans conséquence fâcheuse. Quelques bonjours lancés dans le village accompagnés de vœux  ont trouvé des oreilles étonnées et j'ai reçu des retours en tout point de vue chaleureux. Se plaindre de l'égoïsme et de l'enfermement de chacun sur soi en  s'enfermement soi- même sous prétexte de se protéger de ces soit- disant égoïstes ne mène nulle part. Que celui qui peut recevoir reçoive. Que celui qui peut donner donne. Ils finiront par se rencontrer, pour leur bienfait respectif.


    Nous n'avions pu partager le réveillon comme prévu avec Chantra (encore une ancienne stagiaire avec qui s'est établi un lien d'amitié, origine thaïlandaise) et finalement, nous avons passé une très agréable soirée le 3 janvier  autour de spécialités thaï qu'elle a préparées pour nous tous. Nous sommes restés jusqu'à 2 heures du matin partant malgré nous, poussés par le temps qui s'écoule. Je crois que tant les enfants que les adultes ont été ravis de ce moment mémorable. Même Stéph, peu loquace d'habitude a participé et profité des conversations enthousiastes.


    Il y a treize ans que le père est mort et sa succession s'éternisait chaque année dans un éternel déterrement et ré-enterrement au gré des courants d'air administratifs, judiciaires. J'avais décidé en décembre d'agir, lassée de ces incessants remue- ménage des morts. Rendez- vous chez le notaire accompagnée de deux membres de la famille sur qui je peux compter. Là, je trouve ENFIN des réponses à mes questions et une solution ; je lis l'apaisement également sur les visages de mes compagnons.  Ce dossier compliqué et rébarbatif était délaissé par le notaire qui déclara ne pas avoir eu envie de s'y mettre (  ).  Grâce à mon initiative, du moins je l'ensorcèle ainsi, il a été contraint de ressortir le dossier et de notifier les faits successoraux. Quelques démarches suivront et  normalement, l'affaire sera réglée dans les prochains mois. Le deuil pourra se terminer alors ... enfin, je l'espère. J'ai fait ma part ; ma sœur et moi n'héritons de rien, je passe donc le flambeau aux personnes concernées, elles en feront ce qu'elles voudront. J'ai mes réponses, advienne que pourra pour le reste.


    Et il y a toutes ces petites choses banales qui se succèdent : les marques d'affection inattendues, les mots qui s'échappent et les dialogues établis sur des sujets délicats, ces surprises comme la carte venue de Norvège ( Ah oui, Sabine, j'aimerais vraiment venir vous rendre visite !) ou sur des petits riens comme ce catalogue que je voulais voir depuis des années et qui débarque subitement, gratuitement dans ma boite aux lettres (du matériel de création beaux arts et loisirs créatifs héhé), ces films arrivés dans la maison tout à coup pour notre plus grand bonheur quand certains ne sont guère coutumiers de ce genre d'attention...


    Etrange et fugaces impressions.


     Peu importe le temps que cela dure, je regarde simplement ce début d'année du coin de l'œil avec un sourire discret sur les lèvres d'autant que les très lents progrès de la vue  me permettent de reculer peu à peu de ce que je regarde.


    Attendre de l'autre ce qu'il n'est pas prêt à donner ne mène qu'à la frustration et l'impasse.

    Attendre de la vie ce que je désire chimériquement ne me permet pas d'avancer sur la voie de la connaissance de soi.

    Attendre inconsciemment ce que j'ai la possibilité de chercher moi même n'a rien à voir avec attendre patiemment en pleine connaissance de cause.

    Ce n'est pas le désir, moteur de vie qui est critiquable, c'est ce que j'en fais à vouloir ce qui n'est bon ni pour moi, ni pour les autres.

    Qu'importe les événements, je chemine.

    Bien qu'elle paraisse effrayante, cette voie est riche d'enseignements inestimables.


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  • Ce fut dans un brouillard épais que j'émergeai ce matin de ce réveillon et les idées me venaient avec lenteur. Pourtant, j'ai dormi suffisamment d'heures  d'une traite sans avoir à me lever sous quelconque prétexte ... J'ai  lu l'enthousiasme et l'espoir chez beaucoup, la désillusion de certains. Nous aimerions tant tous que cette nouvelle année soit plus ou au moins aussi belle que la précédente. Les vœux sincères remplissent les pages et j'ai du mal à dire quelque chose d'intelligent.


    J'avais cherché ces derniers jours à m'échapper de la  maison afin de commencer la nouvelle année en bonne compagnie. Nombreux furent ceux qui ne sortaient pas de chez eux, ceux qui ne savaient pas il y a deux jours ce qu'ils feraient de leur soirée. L'idée de me retrouver ici entre ces murs me perdait entre fureur et abattement. Non, je refusai de rester là. Grâce à un concours de circonstances, j'ai pris contact avec mon amie Magali hier matin et nous avons convenu de passer ce réveillon ensemble quand aucun projet ne se réalisait de chaque côté ; plutôt que de rester seul chacun chez soi, autant saisir l'occasion de se retrouver.  Partage du repas et arrangements en cas de mauvais temps balisèrent la logistique sans accroc. Ce fut une belle nuit simple et sereine.

     Mon fils était ravi d'être là surtout avec son grand ami le mari de mon amie, lui, l'entrepreneur chinois toujours sur le qui vive qui savoure ces festivités à la française, entre foie gras et Sauternes, huîtres et bonne compagnie. Ils ont joué ensemble et échangé ce qui ne se dit pas, la barrière de la langue poussant à d'autres expressions. Fiston s'est également occupé chaleureusement de la petite fille de nos hôtes âgée de trois et demi. « Quand il se sent accepté et aimé, il sait très bien y faire » nota judicieusement ma mère quand je le lui racontai.

    J'ai pu discuter et échanger avec mon amie trop rarement vue en raison de mon incapacité à me déplacer et de ses obligations quotidiennes de jeune mère de famille le plus souvent seule. Au milieu des fumées entre brouillard et feux d'artifice, nous avons regardé et écouté les pétarades sur la ville. Quelques minutes d'une respiration profonde qui permet de poser l'an passé et d'entrevoir l'espoir des possibles de la nouvelle année. Respiration fugace, inévitable.

    Quelques coups de fil, quelques messages en-chantèrent mon portable avec sa sonnerie d'oiseau et son squiche annonceur de message. J'eus les larmes à l'œil d'émotion en lisant ceux de fidèles qui malgré les mois de silence, d'absence continuent à me saluer chaque année.  Je me nourris de ces amitiés fidèles de la même façon que ces flux d'énergie qui me traversent en pratiquant le Qi Gong. Cette après- midi a couronné l'ensemble grâce à une sortie auprès d'amis de 25 ans. Ils ont 79 et 77 ans, simples paysans d'une autre génération, avec leur fille qui a inébranlablement été présente pour échanger nos ressentis. Avec eux, j'ai cherché les vaches au pré, fait les foins, l'herbe, j'étais cahotée dans la remorque du tracteur, nous avons joué dans leur grange et partagé des repas simples et chaleureux. Ils ont adopté mon garçon qui voue un attachement très profond à son pépé. Ma fatigue a disparu en leur compagnie, je suis repartie de chez eux emplie de joie de vivre.

    Mes pensées vont vers tous ceux que j'ai croisés et qui m'apportent tant de nos rencontres parfois fugaces. Je mesure la foule qui m'habite et me sens grande de leur présence. Les chimères du passé semblent s'apaiser, se taire devant la richesse et le recul pris ces derniers mois. Je suis dans l'instant, sans regret ni attente.

    Finalement, je n'espère rien pour la nouvelle année, je prends mon temps afin de profiter pleinement de ce qui m'est donné.  Je bois la vie, je la respire à pleins poumons. Aussi, s'il y a des vœux qui me semblent dignes d'être dits, je vous souhaite à tous d'être pleinement dans votre vie maintenant. Que le désespoir ne vous gagne pas à force de penser à ce qu'il pourrait arriver ou sur ce que vous auriez dû faire. C'est réellement le pire que je vous souhaite pour cette année, semblable à toutes les autres, cette année dont j'espère que vous la ferez vôtre.

     



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  • Je suis dans le cirage et j'ai quelques difficultés à aligner des idées claires sous les doigts au clavier. Ma tête tape encore de ci de là et quelques hauts me soulèvent le cœur pendant que mon estomac crie sa famine régulièrement :

                        j'ai fait ma deuxième migraine digestive six mois après la première qui m'avait fauchée subitement en quelques minutes.

    C'est un effet secondaire du traitement de suite que je prends chaque jour dans l'espoir de laisser dormir la maladie.


    Tout a commencé dimanche soir après la bûche pâtissière aux trois chocolats. J'ai senti presque de suite que j'aurais dû écouter l'intuition qui m'avait soufflé « Attention » ; j'ai voulu être polie envers la personne qui avait amené le gâteau. Un vague sentiment d'écœurement généralisé me prit l'âme. J'eus du mal à m'endormir et dans la nuit, je me réveillai trempée, suant à grosses gouttes. Ces manifestations existaient avant la maladie quand je mangeais quelque plat trop sucré ; avec la chimio et/ ou la maladie, il m'arrive souvent de me réveiller inondée sous ma propre sueur sans raison apparente, réaction corporelle devenue anarchique. Une atteinte du système neuro végétatif, peut être, ont pensé les médecins. Il est très désagréable de se réveiller ainsi, de se changer dans le noir et de retourner dans un lit mouillé, le froid de l'humide traversant la peau violement. J'ai essayé des astuces souvent contrecarrées par le caractère aléatoire de la manifestation, cela ne change rien. Je me rendormis donc après les changements en pensant au programme de la journée du lundi imaginée chargée des tâches ménagères hebdomadaires nécessaires. 

    Réveil vers 7h des plus désagréables : je descendis prendre mes médicaments. Noyée par une fatigue lourde, je décidai de retourner me coucher avec l'idée de me lever lentement une heure plus tard. A presque 10 heures, ce fut mon garçon qui s'étonna de me trouver encore au lit, je tentai un lever plus énergique.  Les odeurs de la cuisine me soulevèrent le cœur ; pressentant la migraine, je pris immédiatement le traitement prescrit lors de la première par Colette (médecin homéopathe très efficace). Arrivèrent les disputes habituelles à propos de broutilles encore et toujours. J'avais beau  dire stop, rien n'y fit ce qui n'arrangea nullement mon état. Je quittai la cuisine dans une rage à peine contenue afin de m'isoler et de retrouver un peu de sérénité. Quelques minutes plus tard, après un câlin de mon fiston gêné,  je retournai en cuisine où je  ne pus  avaler qu'un thé de Noël aux épices et un demi -yaourt + lait de soja. Seule et tranquille dans la cuisine, je me nourris très peu et restai assise là, sans bouger, dans un abattement qui ne me ressemble guère. Je trainai en peignoir, ne sachant pas vraiment où me mettre. Je regardai Basil détective privé avec mon garçon ce qui me fit rire un peu. Je remarquai également la qualité des dialogues au vocabulaire des plus châtiés, rien à voir avec la pauvreté de trop nombreux produits pour enfants. Ensuite, je réussis à avaler un bol de bouillon et deux cuillères à soupe de riz complet. Comme j'étais invitée à me secouer et à m'habiller, je tournai les talons et  à la surprise de tous, remontai me coucher sans me préoccuper des questions et réflexions qui fusaient.  

    Tout l'après midi se passa dans un état de sommeil vaseux, je me surpris régulièrement  de mon endormissement au réveil brutal consécutif à un bruit, une parole. Les heures s'écoulaient, je dormais et ne répondais plus aux appels. SeN cherchait de la fièvre et voulait me fourguer son sempiternel paracétamol, un léger agacement dans la voix ; fiston venait me faire des petits bisous inquiets. La nuit tomba.

    Je sentais que les granules me soulageaient légèrement après la prise, mon état se trainait malgré eux à mon grand désarroi. Rien de mon programme n'avait pu être concrétisé et je n'arrêtai pas de dormir et dormir ; je ne me levais que bousculée par des pipis impérieux m'extirpant de ma torpeur. La nuit tombée, je restai sur le canapé dans l'attente d'un mieux qui ne vint pas constatant à nouveau qu'en cas de faiblesse générale, ma vue s'amoindrissait systématiquement. SeN était démuni et me demandait que faire. Mon ventre commença à grogner, j'avais faim et j'y vis un bon signe, une envie de tisane et de biscottes m'étreignit. L'odeur des œufs me donna envie de vomir et je décidai de prendre ma douche. SeN me guetta par crainte d'une chute. Avec ce traitement immunosuppresseur, le moindre microbe, la moindre infection prend des proportions démesurées chez moi et il m'est souvent arrivé de perdre connaissance, subitement pour un rhume, une gastro ou un refroidissement ; SeN le craint à chaque alerte. J'étais glacée sous l'eau chaude et je ne pus attendre d'avoir un repas prêt, je devais me coucher de suite. Il préféra m'accompagner, mes jambes chancelaient et volaient dans tous les sens, les escaliers en devenaient dangereux à ses yeux. Je me couchais en peignoir et m'endormis très vite, assommée.

    Vers 22h 30, un pipi urgent me précipita au rez- de- chaussée ; je tenais à me brosser les dents et le temps de mettre le dentifrice sur la brosse, je me sentis défaillir ; SeN, arrivé à cet instant s'exclama que j'étais toute blanche et je me couchai dans l'urgence sur le tapis de la salle de bains, incapable de me relever. Après quelques interrogations, je décidai de manger un ou deux abricots secs qui me firent du bien, j'avais tout simplement faim. Je me repris et allai manger quelques biscottes dans la cuisine, des forces me revinrent. Nouvelle pression de pipi et je constatai avec dépit qu'une infection urinaire s'ajoutait au tableau. Prise de tous les médicaments et retour au dodo après un brossage des dents sans peine.  Dans la nuit, je me réveillai à nouveau trempée, dégoulinante et pleine d'urine. Toilette nocturne dans un semi éveil et retour au lit où le sommeil me gagnait si vite, depuis plus de 24 heures. Je comptai sur un matin revivifiant et ce fut encore au ralenti que je passai ma journée de mardi.

     Maintenant, apparemment, je vais mieux, les maux se sont apaisés sur tous les fronts; j'ai pu me promener avec mon garçon dans quelque chemin escarpé, j'ai pu faire mon ménage avec l'aide de tous et je retrouve lentement mes capacités à formuler des pensées plus élargies. La leçon a servi, je l'espère et les repas des fêtes seront placés sous le signe de la modération afin de ne pas repasser par ces instants détestables où tout le corps fiche le camp.

    Oui, je suis vivante.  

    Oui, je marche et je me débrouille au quotidien.

    Et oui aussi, la maladie et ses conséquences sont des réalités que je ne peux ignorer, ni mes proches. Les moments de ce type me le rappellent durement.Il est des mythes auxquels j'ai désormais du mal à adhérer parce que le corps toujours me ramène à sa réalité.

    A moins que cette migraine digestive conséquence d'un traitement fort ne soit elle aussi le signal d'une situation que mon psychisme n'a pas digéré ? L'interconnexion entre l'inconscient et le corps est décidément un mystère.


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  • Je suis dans le cirage et j'ai quelques difficultés à aligner des idées claires sous les doigts au clavier. Ma tête tape encore de ci de là et quelques hauts me soulèvent le cœur pendant que mon estomac crie sa famine régulièrement :

                        j'ai fait ma deuxième migraine digestive six mois après la première qui m'avait fauchée subitement en quelques minutes.

    C'est un effet secondaire du traitement de suite que je prends chaque jour dans l'espoir de laisser dormir la maladie.

     

    Tout a commencé dimanche soir après la bûche pâtissière aux trois chocolats. J'ai senti presque de suite que j'aurais dû écouter l'intuition qui m'avait soufflé « Attention » ; j'ai voulu être polie envers la personne qui avait amené le gâteau. Un vague sentiment d'écœurement généralisé me prit l'âme. J'eus du mal à m'endormir et dans la nuit, je me réveillai trempée, suant à grosses gouttes. Ces manifestations existaient avant la maladie quand je mangeais quelque plat trop sucré ; avec la chimio et/ ou la maladie, il m'arrive souvent de me réveiller inondée sous ma propre sueur sans raison apparente, réaction corporelle devenue anarchique. Une atteinte du système neuro végétatif, peut être, ont pensé les médecins. Il est très désagréable de se réveiller ainsi, de se changer dans le noir et de retourner dans un lit mouillé, le froid de l'humide traversant la peau violement. J'ai essayé des astuces souvent contrecarrées par le caractère aléatoire de la manifestation, cela ne change rien. Je me rendormis donc après les changements en pensant au programme de la journée du lundi imaginée chargée des tâches ménagères hebdomadaires nécessaires. 

    Réveil vers 7h des plus désagréables : je descendis prendre mes médicaments. Noyée par une fatigue lourde, je décidai de retourner me coucher avec l'idée de me lever lentement une heure plus tard. A presque 10 heures, ce fut mon garçon qui s'étonna de me trouver encore au lit, je tentai un lever plus énergique.  Les odeurs de la cuisine me soulevèrent le cœur ; pressentant la migraine, je pris immédiatement le traitement prescrit lors de la première par Colette (médecin homéopathe très efficace). Arrivèrent les disputes habituelles à propos de broutilles encore et toujours. J'avais beau  dire stop, rien n'y fit ce qui n'arrangea nullement mon état. Je quittai la cuisine dans une rage à peine contenue afin de m'isoler et de retrouver un peu de sérénité. Quelques minutes plus tard, après un câlin de mon fiston gêné,  je retournai en cuisine où je  ne pus  avaler qu'un thé de Noël aux épices et un demi -yaourt + lait de soja. Seule et tranquille dans la cuisine, je me nourris très peu et restai assise là, sans bouger, dans un abattement qui ne me ressemble guère. Je trainai en peignoir, ne sachant pas vraiment où me mettre. Je regardai Basil détective privé avec mon garçon ce qui me fit rire un peu. Je remarquai également la qualité des dialogues au vocabulaire des plus châtiés, rien à voir avec la pauvreté de trop nombreux produits pour enfants. Ensuite, je réussis à avaler un bol de bouillon et deux cuillères à soupe de riz complet. Comme j'étais invitée à me secouer et à m'habiller, je tournai les talons et  à la surprise de tous, remontai me coucher sans me préoccuper des questions et réflexions qui fusaient.  

    Tout l'après midi se passa dans un état de sommeil vaseux, je me surpris régulièrement  de mon endormissement au réveil brutal consécutif à un bruit, une parole. Les heures s'écoulaient, je dormais et ne répondais plus aux appels. SeN cherchait de la fièvre et voulait me fourguer son sempiternel paracétamol, un léger agacement dans la voix ; fiston venait me faire des petits bisous inquiets. La nuit tomba.

    Je sentais que les granules me soulageaient légèrement après la prise, mon état se trainait malgré eux à mon grand désarroi. Rien de mon programme n'avait pu être concrétisé et je n'arrêtai pas de dormir et dormir ; je ne me levais que bousculée par des pipis impérieux m'extirpant de ma torpeur. La nuit tombée, je restai sur le canapé dans l'attente d'un mieux qui ne vint pas constatant à nouveau qu'en cas de faiblesse générale, ma vue s'amoindrissait systématiquement. SeN était démuni et me demandait que faire. Mon ventre commença à grogner, j'avais faim et j'y vis un bon signe, une envie de tisane et de biscottes m'étreignit. L'odeur des œufs me donna envie de vomir et je décidai de prendre ma douche. SeN me guetta par crainte d'une chute. Avec ce traitement immunosuppresseur, le moindre microbe, la moindre infection prend des proportions démesurées chez moi et il m'est souvent arrivé de perdre connaissance, subitement pour un rhume, une gastro ou un refroidissement ; SeN le craint à chaque alerte. J'étais glacée sous l'eau chaude et je ne pus attendre d'avoir un repas prêt, je devais me coucher de suite. Il préféra m'accompagner, mes jambes chancelaient et volaient dans tous les sens, les escaliers en devenaient dangereux à ses yeux. Je me couchais en peignoir et m'endormis très vite, assommée.

    Vers 22h 30, un pipi urgent me précipita au rez- de- chaussée ; je tenais à me brosser les dents et le temps de mettre le dentifrice sur la brosse, je me sentis défaillir ; SeN, arrivé à cet instant s'exclama que j'étais toute blanche et je me couchai dans l'urgence sur le tapis de la salle de bains, incapable de me relever. Après quelques interrogations, je décidai de manger un ou deux abricots secs qui me firent du bien, j'avais tout simplement faim. Je me repris et allai manger quelques biscottes dans la cuisine, des forces me revinrent. Nouvelle pression de pipi et je constatai avec dépit qu'une infection urinaire s'ajoutait au tableau. Prise de tous les médicaments et retour au dodo après un brossage des dents sans peine.  Dans la nuit, je me réveillai à nouveau trempée, dégoulinante et pleine d'urine. Toilette nocturne dans un semi éveil et retour au lit où le sommeil me gagnait si vite, depuis plus de 24 heures. Je comptai sur un matin revivifiant et ce fut encore au ralenti que je passai ma journée de mardi.

     Maintenant, apparemment, je vais mieux, les maux se sont apaisés sur tous les fronts; j'ai pu me promener avec mon garçon dans quelque chemin escarpé, j'ai pu faire mon ménage avec l'aide de tous et je retrouve lentement mes capacités à formuler des pensées plus élargies. La leçon a servi, je l'espère et les repas des fêtes seront placés sous le signe de la modération afin de ne pas repasser par ces instants détestables où tout le corps fiche le camp.

    Oui, je suis vivante.  

    Oui, je marche et je me débrouille au quotidien.

    Et oui aussi, la maladie et ses conséquences sont des réalités que je ne peux ignorer, ni mes proches. Les moments de ce type me le rappellent durement.Il est des mythes auxquels j'ai désormais du mal à adhérer parce que le corps toujours me ramène à sa réalité.

    A moins que cette migraine digestive conséquence d'un traitement fort ne soit elle aussi le signal d'une situation que mon psychisme n'a pas digéré ? L'interconnexion entre l'inconscient et le corps est décidément un mystère.


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  • Par une fin de matinée solitaire et d'attente, arriva une jeune femme brune à l'accent chantant du sud. Elle se présenta : Elodie, psychomotricienne. Envoyée par les médecins, elle s'assit à côté de mon lit et m'expliqua qu'elle venait en éclaireuse afin de trouver ce qui pouvait me convenir. N'ayant aucune idée de ce qu'était  la psychomotricité, je restai interdite. Psycho, bon d'accord, je vois. Motricité, aussi. Et les deux ensemble, ça donne quoi ? Elle m'expliqua simplement que c'était l'étude de l'interaction de l'un à l'autre. J'eus la sensation qu'une nouvelle fois, cette évidence s'affirmait : pas de corps sans psychisme, pas de psychisme sans corps. A nouveau, les circonstances me ramenaient à un recentrage total de mon être « Vas-y reprend- toi encore une bonne claque pour te remettre les idées en place. »  De toute façon, la souffrance physique  m'avait déjà bien fait réaliser  la vanité de l'esprit à se croire détaché des réalités matérielles. Comme je l'interrogeai sur le parcours des études, des écoles, des diplômes, des moyens concrets de cette discipline, elle me parla d'expériences qui m'emballèrent immédiatement : relaxation, méditation, massages, écoute de musique, yoga, taï chi... Autant de réjouissances auxquelles je m'intéressais depuis fort fort longtemps. Etant très limitée physiquement, elle m'interrogea sur mon rapport au corps en ces instants. Je lui dis que je souffrais constamment, qu'il me laissait du répit  uniquement dans le sommeil, m'endormant dans la souffrance, m'éveillant dans la souffrance. Omniprésente.

    «  Vous ne vous souvenez plus alors de ce qu'est un corps qui ne souffre pas ? ».

    Non.

    Nous convînmes de séances de massage des mains avec de la musique de relaxation.  Elodie remarqua  rayonnante que j'étais très ouverte, que cela se lisait sur mon visage. Elle était accoutumée aux personnes noyées par la souffrance, repliées, refusant de sortir des sentiers habituels de leur vie et là, elle trouvait une personne les bras grand ouverts à tous les possibles, sans apriori et confiante, impatiente d'apprendre et de découvrir. 

    Je garde un souvenir radieux de notre premier échange.


    Elle revint le lendemain avec son petit poste et mis cette musique relaxante que je ne connaissais pas. Elle m'expliqua qu'elle n'avait plus d'huile essentielle et travaillait avec de la Biafine. J'étais un peu déçue mais bon, ce n'était pas si important. Elle me massa les doigts, la main, le poignet, l'avant-bras, remontant au fur et à mesure. Elle m'avait expliqué qu'elle avait une façon toute personnelle de travailler, refusant de s'enfermer dans des carcans trop stricts, restreints afin de s'offrir tous les moyens d'avancer avec le patient. Comment pouvais- je avoir une idée de ce que c'était puisque je n'y connaissais rien ? Nous devisions de choses et d'autres avec un objectif pour elle certainement ; je me contentai de me laisser porter. Elle était si enjouée, brillante de toute sa générosité et de sa bonté, j'avais eu confiance en elle immédiatement.  Entre questions et réponses, nous naviguions de l'une à l'autre. La maladie, les études, Toulouse, l'Alsace, la famille, les amis, le corps et les pensées. Je lui parlai de mon incompréhension face à la maladie, des sentiments qui me traversaient, de la mort que je sentais toute proche... Nous n'avions aucun tabou. Nous parlions de nous, d'elle, de moi, de nos vies. Nous aimions les mêmes musiques, nous avions un regard commun sur le monde; nomades, nous nous somme trouvées sur des sentiers similaires. Elodie a été l'un des artisans essentiels de ma renaissance.


    Grâce à elle, j'ai compris que je n'aimais pas la maison où je vis depuis quatre ans parce qu'elle me renvoie sans cesse à l'abandon dont je souffre depuis ma conception, j'ai compris que j'étais prisonnière de répétitions familiales sur au moins trois générations, j'ai compris en m'exclamant que je voulais VIVRE qu'il est nécessaire de vivre dans un premier temps pour ensuite exister et finalement être. J'ai compris surtout qu'il était temps pour moi de ne plus me contenter de survivre.

    J'ai compris que j'avais passé ma vie à me fuir et à colmater des fuites dans le bâtiment fragile et branlant de mon existence, que je souffrais des autres, que je souffrais de mon histoire et de mes ancêtres, que je souffrais de moi- même. La maladie est arrivée en cataclysme,  cri suprême d'un corps et d'un psychisme qui n'en pouvaient plus.


    Elle m'a prêtée  Michel Odoul, Dis moi où tu as mal et je te dirai pourquoi. Je ne sais pas trop quoi en penser, quelle est la part de fantasme et la part de réalité ? Certaines idées m'ont été très bénéfiques, résonnantes et productives, fertiles. Peu importe l'intellect.

    Elle m'a prêté Aïe mes aïeux, d'Annette Ancelin Schützenberg pour trouver une voie dans la psycho généalogie, si lourde chez moi.

    Elle s'est extasiée sur mon patchwork lumineux révélateur de la vie qui bouillonne  en moi. Les mille soleils de ma petite personne (ce qui explique les images choisies pour le blog, je le réalise désormais).

    Grâce à Elodie, j'ai pu ouvrir les yeux sur moi, sur le reflet que m'en renvoyaient les autres. J'ai compris que j'étais quelqu'un, j'avais une valeur, j'étais vivante et humaine. Non cette forme infâme et insignifiante, non cette sous merde ballotée par la vie et les prisonniers de leurs chimères crachant leur propre détestation sur ma personne si mal aimée. Non cet être désespéré luttant contre des moulins à vent, incapable de voir que l'essentiel de la bataille était en lui. 


    Elodie s'occupa de moi pendant les mois d'hospitalisation complète. Ce temps fut trop court à mon goût car elle a ouvert des champs immenses de réflexion et m'a permis de regarder là où un petit rien pouvait être désastreux insidieusement ; le voir enfin permettait de le déloger de ce rouage coincé ou détraqué. Le déplacer de quelque distance pour retrouver un roulement apaisé.

     Grâce à Elodie, j'ai compris que recevoir est aussi important que donner. « A force de donner à tous, il n'y a plus rien pour vous. Savoir recevoir, c'est aussi savoir donner» La maladie ne serait- elle pas le signal d'alarme de ce vide devenu béant? Ainsi, j'ai pu débuter l'acceptation des bienfaits qui m'étaient offerts par tous ceux qui m'ont aimée alors que j'étais dans le dénuement le plus complet. J'ai appris le respect de moi-même. 

     

    Elodie est celle qui m'a permis de voir dans la nuit ceux qui étaient là, vivants et morts, ceux qui me détruisaient parce qu'ils se détruisent eux-mêmes et ceux qui me nourrissaient depuis le passé, ceux qui me nourrissaient au présent.   

    Grâce à elle, la terre était fertile pour porter les fruits de la psychanalyse. 

    Grâce à elle, j'étais prête à recevoir tous les bienfaits que je n'avais pu voir avant la maladie.

    Maladie sursaut de vie,  maladie déclencheuse de vie. De Devic à de vie, il n'y a qu'une lettre et un espace...


    Elodie vit désormais en moi, ad vitam aeternam, génératrice de vie, génitrice de ma nouvelle vie. Explosion de la renaissance.

    « Et vous verrez que vous ferez votre crise d'adolescence ! » affirma t- elle en m'expliquant que quand un humain descend très bas et en revient, il repasse toutes les étapes du développement.


    Nouvelle vie, Elodie.


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  •  

    Lors de mon séjour en rééducation, dès que je fus transportable, j'eus quelques permissions à la maison pendant les weekends.

    Je me réjouis de cette perspective imaginant que je manquais à mes gaillards, qu'il nous serait bénéfique d'être ensemble, libérés des contraintes liées à la lourdeur de ma prise en charge.


    La première permission se fit un dimanche après midi, j'étais si heureuse de me rendre à la maison, de passer quelques heures avec la petite famille et de retrouver mes affaires bien qu'il me fut impossible d'en jouir. Je me souviens de peu finalement, quelques impressions tout au plus. Avec les deux heures de trajet, le temps était vraiment très court.

    J'ai été émue de revoir l'intérieur et les couleurs du rez-de-chaussée. La luminosité des fenêtres plein sud m'éblouit et faisaient ressortir les couleurs chaudes de la salle à manger. O mes livres ! Qu'ils me manquaient ! J'avais du temps et pas les yeux, c'était très frustrant. Je fus étonnée du bazar qui régnait. SeN m'avait tant reproché mon bazar omniprésent et préjugé de mon incapacité à avoir un intérieur impeccablement rangé, j'avais naïvement pensé qu'en mon absente et mon garçon plus souvent chez El. , la maison serait enfin nette et ordonnée ; il n'en était rien, tiens ? Bah, il n'avait sûrement pas le temps.Les repas me firent remarquer qu'il y avait des progrès dans les préparations, les plateaux repas de l'hôpital me lassaient et j'étais contente de goûter d'autres saveurs.

    Nous attendions la visite des parents de SeN trop contents de me revoir en ces murs,. Le pauvre n'arrivait pas à gérer et les soins de l'après midi se révélèrent catastrophiques à l'instant même où ils arrivèrent. Je réalisai combien la vie à la maison avait été un calvaire, comment avais-je pu tenir et supporter tout cela si longtemps ? Le séjour à l'hôpital me faisait comprendre que nous avions subi une situation  intolérable et inextricable.  J'en arrivai à penser que je ne reviendrai que lorsque je serai autonome, SeN ne pouvait ni le gérer, ni le supporter.

    Quand l'ambulance revint me chercher, c'était presque la panique, nous avions été dépassés par les événements. Au bout du compte, nous n'avions rien fait.  Laisser mes hommes fut un véritable crève-cœur, je pleurai et pleurai de longues minutes de les quitter. Et puis, je retrouvai le confort d'un lieu adapté et toutes les personnes qui prenaient si bien soin de moi.


    A partir de la deuxième, je partis du samedi au dimanche. Le traitement améliorait mon état et nous trouvions des traces d'organisation alors que je récupérais quelques petites capacités physiques. Nous ne faisions pas grand-chose puisque je ne me souviens de rien sauf de la dureté du lit. Pas étonnant que j'ai eu des escarres à la fin de l'année 2006 !


    Il y eut ce weekend end de février où nous pûmes préparer un petit goûter d'anniversaire pour le fiston qui fêtait ses dix ans.

    Avant de venir dans cette maison, je ne les fêtais pas en raison de l'absence de place dans nos petits appartements. Arrivés en ces lieux, cette organisation était plus facile et il avait eu quelques beaux  goûters avec une ribambelle de camarades, des thèmes différents dont un gâteau hérisson par exemple. Evidemment, je m'occupais de tout, les gaillards n'y pensant pas.

    Quand je fus malade et hospitalisée, rien ne se fit à leur initiative. Comme j'allais mieux avec deux perfusions, je lançai l'idée d'organiser une petite fête malgré tout et mon fiston paniqua. SeN était décontenancé et ne savait pas comment s'y prendre, cela lui sembla inopportun. J'insistai et nous pûmes inviter deux camarades, les autres ne pouvant se libérer la veille ou simplement le jour même, avertis au dernier moment. Je réussis à faire un gâteau au chocolat (Ne me demandez pas comment !) avec un Playmobil sous un ramequin en lieu de pilote de soucoupe volante et  à ordonner quelques décorations sur le thème de l'espace et de l'air. Quelques adultes se joignirent à nous et bien que la fête fût des plus simples, je fus heureuse de lire la joie sur le visage de mon garçon entre ses deux camarades. SeN avait pu amener quelques boissons et autres sucreries, ces trois enfants furent ravis surtout de jouer ensemble toute la journée. Mon fauteuil ne me gêna pas et je suis fière d'avoir réussi à offrir ce petit jour à mon garçon. Peut être était-il heureux simplement de me savoir près de lui et capable de participer à nouveau à la vie de famille.


    En y réfléchissant, je me souviens en riant de ce dimanche où je demandai de l'aide à SeN pour m'épiler. Depuis des mois, ce n'était vraiment pas une priorité et je m'excusais souvent auprès des soignants de ma pilosité. Comment aurais-je pu y remédier, paralysée et aveugle ? Une infirmière d'urologie m'avait répondu en riant qu'en hiver, elle aussi se tenait au chaud avec sa fourrure naturelle.  Comme de toute façon, je ne voyais rien, je ne me rendais pas compte de l'ampleur des dégâts.

    Ayant retrouvé des sensations et de la mobilité, je découvris du bout des doigts qu'il était plus que temps de réagir ! Entreprise de grand travaux que SeN hésita à prendre en charge. Je dirigeai les opérations et la panique s'amena avec les ambulanciers qui me recherchaient déjà en début de soirée. Il me fit le minimum syndical malgré mes protestations et je repartis mi amusée mi frustrée avec seulement le dessus des mollets épilés.

    Le lendemain, je racontai ma sortie à Anne et Jess. La première remarqua l'inachevé et la seconde m'expliqua qu'elle pouvait me le faire parce qu'il n'y avait pas de raison à ce que les patientes subissent ces inconvénients. Je fus touchée de cette attention et me promis de ne plus garder des poils intempestifs. De toute façon, avec les épreuves traversées et la sempiternelle suite de soins, mon rapport au corps était définitivement bouleversé et je ne fais désormais que ce dont j'ai envie quand j'en ai envie et sûrement plus pour répondre à de soit- disant obligations esthétiques et/ ou sociales. 


    Un autre dimanche, il y eut également une sortie dans le froid ; SeN et son père me portèrent dans les escaliers de l'entrée et notre petite troupe partit en promenade vers un chemin coutumier et goudronné. En fauteuil, les voies se réduisent forcément, exit les chemins de terre ou trop accidentés ; exit les rues aux trottoirs trop étroits, exit les pentes abruptes ou longues.

    SeN s'inquiéta et m'imagina dans les fossés, les quatre fers en l'air, pestant de ne pouvoir me porter quand fiston eut l'idée de faire la course. De son petit gabarit de garçon de 10 ans, il s'enquit de me pousser à toute vitesse et de me mener dans une course folle. Je rassurai SeN , il n'y avait pas lieu de s'inquiéter et j'en avais tellement envie ! Ainsi donc, exacerbant les angoisses du gaillard, mon garçon et moi partîmes aussi vite que possible.  Le fauteuil allait et venait dangereusement, je criai quand il fallait redresser,  fiston y mettait tout son cœur et son énergie pendant que SeN hurlait et s'exacerbait de notre inconscience, présageant des catastrophes ingérables.

    Qu'est- ce que j'ai ri ce jour-là ! L'air glacé qui claque au visage, le vent qui souffle... je me sentais revivre. Fiston était si fier d'être maître de ce jeu, si fier de contrôler le fauteuil de sa mère.  Non pour dominer les adultes, simplement pour se prouver qu'il était capable de contrôler une petite partie de notre expérience des derniers mois. Enfin, je pense qu'il y a de ça là-dessous. 


    Ces séjours à la maison ne m'ont pas laissé de souvenirs impérissables en dehors de ces quelques uns, je vivais l'instant présent sans penser à autre chose que de profiter des petits gestes du quotidien ou de reprendre mes repères dans cet environnement autrefois familier.  Il y avait les soins, les impératifs liés à mes handicaps, il y avait la tension omniprésente sur les épaules de SeN qui devait tout gérer, les inévitables chamailleries usantes et fatigantes.

     Présentes avant la maladie, elles n'en devenaient que plus stupides et exaspérantes au regard de notre parcours. Je ne venais que quelques heures par semaine et je n'échappai pas à la spirale sourde de la violence des échanges qui gâchait ma joie d'être à la maison. Grâce au travail entamé avec Elodie, je commençais à prendre conscience de ce qu'il se passait entre ces murs, je ressentais le besoin vital de ne plus les  subir mais malgré la maladie, malgré mes demandes et mes injonctions explicites et répétées, je ne voyais pas l'issue de nos travers relationnels. Repartir me déchirait le cœur, m'arrachait des larmes, je constatai cependant qu'il me prenait l'envie de retourner dans un environnement plus sain et chaleureux. Aussi aveugle que je fus, mes yeux commençaient à s'ouvrir sur ce que nous ne voyons jamais quand nous sommes pris dans la gestion du quotidien, l'évidence que l'on nie de son regard fuyant. Je prenais conscience du  changement profond  et irréversible qui s'était opéré lentement en moi, sans que je pusse en dater le début.

    Rien n'avait changé, j'avais changé.

    Mon regard se posait sur le même monde depuis un point de vue autre. Je réalisai l'illusion dans laquelle je m'étais fourvoyée depuis trop longtemps. Il était temps  de sortir de cette vie en prison où je m'étais enfermée moi- même avec la complicité inconsciente de tout mon entourage.

     Le corps ne crie pas inutilement. Les mains se tendaient et cette fois-ci, je m'y accrochai.

    Que cesse désormais l'opération auto destructrice.


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  • Au milieu des agitations quotidiennes, SeN entra dans notre vie sous un nouveau jour. J'eus la naïveté de lui demander après un an de fréquentations sporadiques et incertaines, s'il ne voulait pas m'accompagner dans une demande de logement plus confortable, plus grand, mieux situé afin d'essayer une vie en famille. Il refusa immédiatement, catégoriquement, refus que j'essuyai tel une gifle inattendue : il ne pouvait pas vivre en appartement. Et ben, mon vieux, ce n'est pas dans mes moyens de me payer une maison ! Tant pis, je cherchai toute seule et obtins un autre logement ailleurs. Il resta chez ses parents et m'aida grandement au déménagement avec mes amies Sandrine.


    Un trois pièces, au troisième, sans ascenseur toujours mais après les 5 années passées au cinquième et ces escaliers interminables, j'étais ravie. Il était tout neuf, dans un bâtiment agréable, au dessus de l'école. Les kilomètres école/maison du bourg précédent passaient aux oubliettes. Nous nous sommes sentis très bien en ces lieux, mon fils et moi. L'absence du balcon et des espaces verts gênait un peu mais j'envisageais d'y vivre quelques années le temps de passer le primaire du fiston au moins. Nous avions un garage, des placards, notre vie était très agréable dans cet appartement où il ne faisait pas froid, où nous pouvions nous déplacer, cohabiter sans s'entrechoquer. Des petits riens dans le volume des pièces peuvent changer énormément l'ergonomie des lieux et rendre la cohabitation plus aisée. Nous étions bien, il y avait là un sentiment de libération après les saletés du quartier précédent. J'ai cauchemardé pendant une semaine de poubelles débordantes et immenses, d'agressions physiques et verbales à notre arrivée dans ce nouveau logement, j'évacuais les travers emmagasinés pendant les 5 précédentes années. Ouf, nous soufflions et j'avais tellement de plaisir à accueillir mes amis dans des locaux propres et calmes.  Mon fils se fit un grand camarade dans le village qui n'habitait pas très loin et nombreux de nos anciens voisins s'étonnèrent de le découvrir si épanoui et souriant. Dans ce village, je rencontrai également de nombreux stagiaires, les enfants vous disent bonjour spontanément dans la rue. Il tenait une place centrale au milieu de mes lieux professionnels.

    Cet appartement laisse en nous un souvenir positif, une bulle de bonheur et de plénitude, un havre de paix... Nous n'y avons habité que trop peu de temps et les quelques mois passés entre ses murs  nous reviennent souvent tels une aspiration vers un mieux- être. Etrangeté de la vie et de ce que nous en faisons.


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  • Cette fête est très populaire dans l'est de la France. Saint Nicolas, patron des écoliers a été longtemps le seul personnage important des fêtes de fin d'année, supplanté tardivement par le père Noël coca cola largement inspiré de lui. Il visite les enfants dans les classes en leur offrant des mandarines, des chocolats,  des pains d'épices et des petits bonhommes en pâte briochée.

    Dans le village, il est l'occasion de fêter la fin de l'année civile avec les enfants de l'école. Tous les ans, se soulève la question : qui va endosser le costume pour visiter et saluer les enfants ?


    Il y a trois ou quatre ans, c'est une mère de famille qui s'y est collée et de nombreux enfants ont remarqué la fausseté de ce saint Nicolas ; certains ont même reconnu la maman d'un camarade. L'effort est louable, la situation n'en reste pas moins dérisoire. Il n'y a donc aucun homme dans le village qui puisse prendre une demi-journée de son temps pour cette bonne cause ? Où sont les pères ? Où sont les grands- pères ?  J'étais affligée de cette situation.  N'y a-t-il donc que la course au fric qui prime en ces régions frontalières de la Suisse où prospèrent ces nouveaux riches du fait du change ? (J'en aurai à dire là-dessus mais ce n'est pas le sujet, c'est ma colère qui sourd) ;

    L'année dernière, le même problème se posa à nouveau et par ma voisine turque, musulmane pratiquante j'appris que c'était son fils qui faisait et saint Nicolas et le Père Noël pour les visites du 6 décembre et pour la fête de l'école. Je n'en crus pas mes oreilles ! Un français d'origine turque, musulman en saint Nicolas !  Effectivement, je le reconnus sous son costume. Il prenait de son temps pour être là et s'occuper du bonheur des enfants, les basquets aux pieds ; ses propres filles n'y virent que du feu. Il leur parla, leur distribua les petits paquets alors qu'il aurait pu rester avec ses filles qui n'ont plus leur mère suite à un accident de voiture mortel il y a deux ans.  Quand il eut fini, je le félicitai de son dévouement et il haussa les épaules en me soufflant qu'il le faisait pour les enfants. Il avait même loué de sa poche un costume plus beau que celui pitoyable fourni par l'école.  Chapeau bas mon ami !


    Cette année, je n'y prêtai pas attention, mon fils ayant quitté une école communale qui lui avait été un enfer pendant quatre ans en raison des intolérances locales. Je vis passer la calèche avec Saint Nicolas me demandant vaguement qui était sous le costume cette année.  C'est à nouveau ma voisine qui me raconta que c'était son fils. Il avait pris une après midi de congé et  reloué le costume plus beau.


    C'est de tout cœur que je salue la bonté de cet homme qui se met ainsi dans le costume d'un saint catholique quand il est musulman, je salue le dévouement de cet homme qui prend une après midi de congé afin de lire la joie sur les visages des petits écoliers alors que dans sa vie personnelle, il est confronté à tant de difficultés.  Son geste ne prend que plus de grandeur au regard de l'attitude de nombreux villageois : sa famille est installée depuis près de trente ans dans le village, ils ont rénové une ancienne ferme de leurs mains, durement, ils ont toujours la porte ouverte à qui veut entrer et il y en a toujours pour refuser de saluer ces étrangers, ces sales turcs et leur chercher des noises.

     Devant tant de bêtise, mon sang ne fait qu'un tour !


    Et puis merde ! ll n'y a que cette famille qui me reçoit chez elle, qui me salue et m'accueille chaleureusement. Ils sont humains avec leurs qualités, leurs défauts, leur histoire et puis quoi ?  Nous entendons nous  parce que moi aussi je suis vue comme une étrangère ?


    Avant d'exiger l'intégration des étrangers, il serait grand temps de leur en offrir la possibilité.





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  •    (1 est ici)

    Les premières séances se firent dans un cabinet en ville. Difficulté à se garer pas trop loin, grosse porte d'entrée lourde, escalier et petit local, je m'y rendis sans trop y penser, méfiante de la personnalité du thérapeute. Je me souviens du canapé où je ne m'installai pas bien qu'il fût beau, des grandes fenêtres, de la forme de la pièce, la décoration me plaisait. Je me trouvai face à une petite dame aux cheveux très clairs vêtue de noir.

     

    J'étais perdue dans mes pensées, dans ma vie, démunie face aux derniers événements avec ce sentiment que le cheminement était loin d'être terminé voulant malgré tout espérer que le pire était passé, que tout ce que j'entreprenais stopperait la déchéance physique. En ces temps, la sclérose en plaques était le diagnostic officiel mais je n'y croyais pas, je gardais l'intuition que c'était autre chose...

    Intuition ou déni ? ...

     

    Toujours est-il que je revois ces quelques séances comme une suite de sanglots interminables et incontrôlables, parsemés d'incompréhension et de colère. Je passai les étapes du deuil, certainement. Je payais et je sortais dépitée ou en rage : qu'est- ce que je foutais là ? A quoi cela pouvait-il servir ?   Je n'entrevoyais rien au bout de ce tunnel, tout était si désordonné et bouleversé. Je préservais mes dernières ressources  afin d'alimenter mes espérances en une issue heureuse. Finalement, mon état physique m'empêcha de revenir en ces lieux devenus inaccessibles.

     

    A partir de là, ma mémoire me joue des tours, je dois réfléchir pour tenter de retrouver le fil, il y a un flou indescriptible. Dans cette incertitude, je dirais que nous avons convenu d'un transfert d'un hôpital à l'autre dans le but de continuer la psychothérapie : journée en hôpital de jour de rééducation  puis séance hebdomadaire.  Je perds le fil de ces séances, entre vacances et impossibilités physiques. Cette période reste celle d'une chute inexorable où ne comptait que la survie au quotidien, une descente en enfer terrifiante ; je n'étais pas dans le ménage psychique. Quand je fus intransportable, il y eut un arrêt de plusieurs mois.

    Dépouillement total jusqu'à une limite insoupçonnée.


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  • Avant les premiers signes de la maladie, j'en avais ressenti le besoin, ne supportant plus le poids du passé et du présent. Il  était temps de poser les valises, de regarder une bonne fois pour toute ce qu'il y avait dedans. Pourquoi, inévitablement, me conduisaient-elles vers ces routes chaotiques, dangereuses et pénibles qui mobilisaient toutes mes forces et me laissaient exsangue, épuisée au bout d'une impasse sans issue ?  J'en fis la demande à Colette qui me promit de trouver un thérapeute.

    Quand mon pied droit commença à me lâcher, je n'y vis rien d'alarmant. Au fil des rendez- vous médicaux, l'angoisse d'une mauvaise nouvelle m'étreignit et je pressentis l'imminence d'un cataclysme. A l'énoncé des premières hypothèses diagnostiques, en ces jours de juin 2006, ce fut un choc terrible. J'eus l'impression que je  laissai tomber à mes pieds tout ce que j'avais porté  ma vie durant, une espèce de tas informe de milliers de choses indéfinies et floues dont je ne savais que faire. J'ai pensé qu'il ne me restait plus que quelques mois à vivre et je ne pouvais comprendre pourquoi mon corps, sur qui j'avais toujours pu compter me trahissait quand je n'avais pas mis de l'ordre dans cette existence. La survie s'offrit  en pointillé sous les noms de maladie rare, auto immune, le corps s'autodétruit. Quel sens donner à ces mots incompréhensibles ?

    A la sortie des premières hospitalisations dévastatrices, je retournai chez Colette ; elle me donna deux noms expliquant que dans ces circonstances, il m'était nécessaire de trouver une personne capable d'appréhender cette évidence et non celle à laquelle elle avait pensé dans un premier temps. Il y avait un homme et une femme, je me jurai d'appeler au plus vite me sentant incapable de surmonter cette nouvelle épreuve seule avec le fatras d'une existence déjà chargée et lourde avant la maladie. C'était le point de non retour, l'épreuve de trop, celle qui m'achèverait si je continuais d'imaginer que je pouvais la ravaler, la porter, la gérer par moi- même.  Le numéro de l'homme était faux, annoncé non attribué, je me tournai vers la femme et j'eus mon premier rendez- vous avec elle.

     

    ps: Colette est le prénom de mon médecin traitant si vous avez pris le train en marche


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