•  Je revins de deux mois d’hospitalisation complète début mars 2007 après deux perfusions de mitoxantrone. Je pouvais effectuer les transferts et les sondages seule, la vie à la maison était possible sans prendre de risque inconsidéré. Je n’en restais pas moins enfermée, tributaire de bras porteurs puisqu’aucun accès n’était possible en fauteuil roulant.  J’étais néanmoins tellement heureuse de rentrer, de retrouver mes hommes, mes affaires, des habitudes familiales que je me détournai des ombres planant sur le quotidien. Rapidement, je me lançai à corps perdu dans les projets créatifs dont les premiers montrés ici ne sont qu’une mince entrevue de la production des mois passés dans cette maison, ce village, coincée d’abord entre les murs puis par l’incapacité de conduire.

    La vue très basse, j’investis avec voracité toutes les possibilités audio et en particulier la musique. Je n’en avais pas manqué à l’hôpital entre mes appareils et Adelo mais le choix était limité à ce que j’avais à portée de main. Au retour, je retrouvais avec joie ce qui m’avait manqué : mes albums et les chaînes dont je trouvais les boutons principaux automatiquement. La télévision était sans grand intérêt en raison de ma vue très basse, je ne voyais pas les touches des télécommandes, les versions audio- vision sur les DVD sont  rares. Après tout, je n’en suis pas adepte à la base, le manque n’existe ni avant, ni après la maladie. Je trouvai aisément mon bonheur dans la radio et la musique.

     En cette période également, nous travaillions ardemment et vaillamment avec les kinés à la rééducation, l’objectif étant le retour à la marche. Intuitivement, je n’envisageais nulle autre alternative, ma visualisation en fauteuil à vie n’avait aucune réalité en moi : mon avenir était sur mes deux jambes. J’eus besoin de plusieurs semaines pour supporter la station assise puis debout. Grâce à la mitoxantrone, dès la première perfusion, je sentis revenir mes forces et mes premières capacités. J’évoluai en fauteuil électrique pendant quinze jours dans les couloirs de l’hôpital puis en fauteuil roulant standard,  heureuse d’aller et venir à ma guise. J’en étais là quand je rentrai à la maison, pimpante de passer du lit au fauteuil, du fauteuil aux sièges, sans aide ou peur de me retrouver abandonnée sur le sol.

    Et ce jour de mars reste gravé dans ma mémoire.

     Je bricolais quelque objet sur un coin de table quand l’envie subite d’écouter Idir me prit. Je mis l’un de ses albums et me laissai porter par ces airs kabyles tant aimés, entre joie et tristesse, révolte et espoirs. Finalement, je laissai mon bricolage et m’installai en face des enceintes pour m’inonder de ces vibrations vivifiantes. Mon corps me cria son envie et dans un éclair, je cherchai le déambulateur dans l’autre pièce. De retour entre les enceintes, je le plaçai devant moi, serrai les freins sur les roues du fauteuil et dans un effort venu des tréfonds de mon ventre, je me soulevai en ondulant. Les mains agrippées sur la barre du déambulateur, je me mis à bouger du popotin, de la taille, des hanches et je DANSAI.

    Heureuse, j’étais heureuse !  Portée par cette chanson notamment dont le refrain dit : « LEVE- TOI ! ».

      

     
     

    Et je chantai, je chantai à tue- tête quand mes pieds  ne pouvaient être mobilisés en aucune façon ( et oui, je chante en kabyle hausse-les-sourcils.gif ).  Je lâchais la barre quelques instants, sporadiquement, tentant l’expérience à plusieurs reprises afin de danser des bras et des épaules. La vie bouillonnait en moi dans un cri de joie physique.

    Je ne sais combien de temps je m’agitai de la sorte. Je ressentis les défaillances de l’équilibre, la quête perpétuelle qu’elles engendrent, les muscles affaiblis par des mois d’immobilisation, les ruptures sensitives d’avec le sol, la fatigue qui abat subitement. Rien n’y fit et je savourai ces minutes de bonheur. Un jour de don, comme dans cette chanson.

     

     

    Et oui, dans ma renaissance, j’ai dansé AVANT de marcher. Merci Idir.

     


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    De nombreuses études ont montré l’efficacité du Cellcept dans le traitement de la maladie de Devic. Immunosuppresseur, chimiothérapie en comprimé, anti- rejet sont quelques unes des dénominations que je lui ai trouvées. Ce médicament ne peut être prescrit que par un spécialiste, il s’accompagne d’un suivi sérieux entre visites régulières et prises de sang pour surveiller la vie des globules (NFS). D’emblée, c’est du costaud.

    Evidement, la liste des effets secondaires est particulièrement longue. Ont déjà été évoqués ici, en filigramme, la fatigue, les migraines, les risques accrus d’infection (urinaires en ce qui me concerne), aujourd’hui, en ces heures printanières viennent les bourgeons et vents.

     

    Ma peau est fine, blanche, quasi- transparente. Fragile, j’ai souffert longtemps d’ampoules monumentales au point qu’il fallut, par exemple, couper mes bottes lors d’une promenade pour que je pusse continuer la marche, me dispenser de sport le temps que l’ampoule DANS l’ampoule cicatrisât, souffrir en canoë pour continuer de ramer seule au milieu d’un lac en Russie. Blanche à rares taches de rousseur, j’ai été brûlée au deuxième degré par le soleil dans l’indifférence des adultes présents. Jusqu’à ce que je prisse la situation en main, j’ai ainsi pâti de leur minimisation de ma fragilité.

    Cet hiver, la peau de mon visage a commencé à rougir, se gondoler, se squamer. J’y vis l’effet conjugué du calcaire et du froid auquel j’ai été confrontée précédemment. Je choisis un savon plus doux, me tartinai le visage de crèmes nourrissantes, d’huile de germe de blé. En vain. Les jours s’écoulèrent, les rougeurs s’étalaient, se multipliaient. Aux premières heures du printemps, ce fut l’explosion de bourgeons ou fleurs, à votre guise. Le zinc n’y changea rien, l’aloès calma vaguement. 

    Au hasard de mes déambulations virtuelles, un article de Pandora titilla ma curiosité ; elle évoquait les effets secondaires des immunosuppresseurs, les risques de cancer multipliés par l’anarchie possible des cellules malmenées par ce type de traitement. Dans la foulée, je jetai un œil sur la notice du Cellcept. A demi- surprise, j’y découvris un nouvel avertissement ajouté depuis ma précédente lecture : risque élevé de cancer de la peau, interdiction de se mettre au soleil ou exclusivement avec une forte protection. Génial ! Avec mes coups de soleil répétés dans l’enfance, me voilà bien lotie. Du coup, j’en profitai pour parcourir toute la liste et lis des sous- parties qui m’avaient échappées précédemment : « Troubles de la peau : acné, herpès labial, zona, augmentation de la croissance des cellules de la peau, chute des cheveux, rash, prurit (démangeaisons) ». Bingo ! Il est important de prendre encore plus soin de moi. Suivent les troubles urinaires allégrement expérimentés dans mon cas… et les troubles digestifs qui me ramènent aux vents.

     

    Huit mois de chimiothérapie en intra- veineuse, quasi trois ans de Cellcept à raison de 1500 mg par jour n’ont guère épargné mon système digestif. Colette, généraliste homéopathe travaille en oncologie, elle connait les traitements et leurs effets, aussi, très vite, j’eus des traitements d’accompagnement afin d’éviter des désagréments invasifs. Régulièrement, je fais des cures de Desmodium, herbe protectrice du foie ô combien malmené en pareilles circonstances, je prends des granules en fonction de l’état variable de ma tuyauterie, je fais des lavements, des irrigations coloniques, je tâtonne dans l’alimentation au gré des circonstances et… je pète.

    Véritable baromètre de mes états intérieurs, ce phénomène bruyant, incontrôlable, heureusement inodore est complètement aléatoire. Avec mon fiston, nous en avons d’abord ri, évaluant les sonorités, fréquences, durées. Il en profitait joyeusement pour entrer en compétition à la moindre occasion. Nous nous interpellions des noms des personnages de La soupe au choux (Louis de Funès, le Glaude et Jean Carmet, le Bombé pétant sous les étoiles un soir d’orage attirent un extra terrestre, la Denrée, Jacques Villeret). Chez nous, tranquillement, cela ne prête pas à conséquence. Jusqu’à notre premier séjour chez Mariev. Au retour, nous nous étonnâmes de l’absence des vents bruyants durant plusieurs jours. A peine retournai- je dans cette foutue maison que la fanfare repartit de plus belle. « Tiens donc ». En septembre 2009, je quittai l’ambiance délétère de ce lieu pour me retrouver avec mon fiston dans l’appartement camping en travaux. Incroyable ! Plus d’une semaine passa sans un bruit ! Y aurait- il un sens à ce phénomène ? Effectivement, depuis le déménagement, les vents se sont calmés. Sporadiquement, ils reviennent inopinément. Quand je suis contrariée ? Quand je n’ai pas digéré quelque chose ?

    Il m’arrive de sentir travailler le maître des vents (médecine chinoise) ; en public, j’essaie de me mettre à l’écart, de m’éloigner non par gêne- parce que je n’y peux rien- mais parce que je n’ai pas envie d’expliquer. Pourtant, certains m’échappent comme celui au travail alors que je donnais des copies à un stagiaire. Forcément, il s’immisça  dans l’échange à grand bruit subitement. Je m’excusai évoquant les médicaments, il ne s’en offusqua pas  mais franchement, j’étais fâchée de cette intrusion malvenue. Il y a peu, le maître des vents était si occupé à me tourmenter que je pris les devants. Je faisais passer des oraux, en tête à tête dans un tout petit bureau. Impossible de me planquer ou de couvrir le bruit donc, j’annonçai en préambule les vents incontrôlables et imprévisibles qui pouvaient survenir. Avec humour, simplicité, cela passa tranquillement ; bien que déroutés par ma franchise directe, supérieure, collègue, stagiaires furent tous très compréhensifs. Et puis, après tout, nous pétons tous (15 fois par jour en moyenne pour les femmes, plus pour les hommes), pourquoi rentrerai- je dans des complications ?

     Maintenant, j’en reviens à Elodie : après une dégringolade physique, nous revivons les étapes du développement humain disait- elle; j’ai été maternée à l’hôpital, j’ai réappris à m’asseoir, me mettre debout, marcher, mon champ visuel grandit au fil des récupérations, j’ai repris possession de ma vie et de ma liberté. Ne serai- je pas dans la phase adolescente ? Au regard du bazar de la maison, j’y baigne joyeusement…

    Boutade en pied de nez, ironiquement parce que finalement, que je bourgeonne et pète est le signe que je suis VIVANTE !  M’apitoyer ou me mettre en colère ne servira à rien. Que cela passe son temps, ma tête est ailleurs et je préfère en rire. Je mérite mieux que du dénigrement ou de la culpabilité parce qu’avant toute chose, il y a la vie et tous les cadeaux qu’elle offre.

     


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  • Dans l’article précédent, je racontai le parcours chaotique de recherche de nouvelles sondes.  Au risque de me répéter, je réexplique que la maladie a commencé chez moi très bas, au niveau du sacrum d’où des conséquences sur mon système urinaire. Avec Solange, nous tentons de comprendre ce qu’il se passe pour remédier à mes incessantes infections. Ces vérifications passent par une reprise des auto-sondages quotidiens pendant quelques semaines.

     

    Un nouveau modèle de sonde est sorti récemment, plus stérile, mieux adapté à la morphologie féminine. J’ai fait trois pharmacies en vain, dans chacune, il fallait les commander ; je me rendis donc dans mon officine habituelle et chargeai le pharmacien de se renseigner. Au retour, il m’annonça qu’il fallait les commander spécialement et qu’une partie resterait à ma charge ; je n’ai pu en savoir plus mais ces circonstances me déplaisaient grandement, j’annulai donc le processus. Je me voyais déjà courir chez le médecin, repartir en quête d’autres ordonnances. Néanmoins, je ne pouvais me satisfaire  de cette conclusion et pendant la nuit d’avant-hier, je me décidai à consulter le site de la marque de ces nouvelles sondes ce que je fis dès le matin. Je leur laissai un message expliquant mon parcours quand sur leur site, ils disaient les sondes remboursées à 100%. Une réponse me parvint ce matin : les sondes sont disponibles depuis 15 jours avec confirmation du remboursement. Un numéro de téléphone m’était donné pour les contacter ce que je fis immédiatement. Mon interlocutrice fut surprise de mon parcours et me proposa de passer directement par eux, sans l’intermédiaire de la pharmacie ; trop heureuse de résoudre enfin cet épisode, j’acceptai. L’affaire est en route, je n’ai que quelques échanges à confirmer verbalement ou par papiers, tout se règle étonnamment facilement.

     

    Je suis opiniâtre, j’ai la tête sur les épaules et je peux me débrouiller malgré les entraves apparentes. Que ce fut dans les heures noires de la maladie ou désormais dans les petits détails du quotidien, j’arrive à prendre des initiatives, à trouver des pistes de traverse, à m’adapter.  Systématiquement, dans ces circonstances, je pense à ceux qui n’ont pas ces ressources. Entourés, ils peuvent compter sur d’autres, les isolés sont confrontés à des situations très lourdes et incohérentes. Malades ou non, handicapés ou non, les humains vivent ces multitudes d’expériences.  Je ne peux rien pour ceux qui sont désemparés ou désarmés, il ne sert à rien de m’en miner,  je me sens simplement pleine de compassion et tellement reconnaissante d’avoir tout ce qui m’est donné.  


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  • Après la séance d’acupuncture, j’ai eu un répit d’une semaine. Du coup, il a été plus facile de libérer les pensées par- delà la basique gestion. J’ai savouré les journées s’écoulant tranquillement tout en continuant mon quotidien singulier et inattendu. Cette semaine a été rocambolesque et je ne sais par où commencer alors que je n’ai pas fini de raconter mes péripéties des dernières années ??!! Certains événements n’ont de sens que dans un récit ultérieur, je tiens à garder un fil conducteur malgré l’effet blog ; d’autres parachèvent des découvertes.

     Je n’ai pas abordé la problématique administrative depuis la maladie et les handicaps parce que je ne comprends pas moi- même les tenants et aboutissants des démarches engagées, la multitude des interlocuteurs et dossiers mille fois garnis de documents en pagaille. J’y viendrai parce que c’est un long parcours où la persévérance et la conviction sont nécessaires. Néanmoins, les dossiers de la Caf semblent enfin cheminer vers la régularisation malgré les aberrations du système. Ainsi, la semaine dernière, je découvris avec stupéfaction un versement conséquent en règlement des aides au logement des six derniers mois ! Le simple paiement des obligations de logement amputait intégralement mes maigres revenus au point de me conduire aux Restos du cœur cet hiver en dépannage ponctuel. Ce n’est pas la panacée en termes de choix, au moins, nous avons pu avoir quelques extras en dehors des haricots secs, pommes de terre et autres combinaisons frugales. Mon fiston avait été emballé au départ par l’arrivée de ces boites de produits tout faits, ces gadgets alimentaires comme je les nomme. Il engloutissait raviolis, lasagnes et autres plats cuisinés enthousiaste… et finalement, il s’en détacha avec le constat que ce n’était pas bon ; il revint donc naturellement vers des préparations  maison. Nous nous sommes nourris joyeusement avec des fondamentaux de base. Cependant, les légumes frais manquaient, la viande aussi non dans l’équilibre alimentaire mais pour le plaisir. Je faisais des petites courses sporadiquement pour ajouter quelques fantaisies au quotidien, cela n’allait pourtant pas très loin. Et là, avec cette régularisation, je me retrouvais avec des possibilités nouvelles. 

    Parler de frénésie est outrancier, j’ai la tête sur les épaules, je fus toutefois enchantée à l’idée de pouvoir acheter quelques vêtements à mon garçon, de me payer un wok et une poêle, d’aller chercher des légumes à salade et de la viande  sans compter le bonheur de pouvoir à nouveau retourner au cinéma ou en balade culturelle, acheter livres, disques trop précieux pour être seulement empruntés à la Médiathèque.

    Dans le supermarché local, je m’étonnai de la simplicité de mon chargement; hormis un tee-shirt de marque pour mon garçon, je restai d’une sobriété évidente; devant les rayons surchargés et débordants de produits de consommation, je ne piochais que dans le basique, je me détournai naturellement des gadgets : comment peut-on avoir besoin de tant de trucs ?

    A l’arrivée, ce fut la fête ; fiston resta cloué sur sa chaise quand je lui montrai son cadeau d’anniversaire en retard. Il me raconta combien son cœur battait la chamade, il n’en revenait pas… Au moins, sur ce point, il n’est pas blasé.  Nous rangeâmes ensemble les différents aliments et il fut heureux de retrouver du chocolat dans les placards de la cuisine (Je le planque parce que sinon, il dévore tout dans la journée ; il ne s’en plaint pas, la règle est intégrée). Je me réjouis devant les réjouissances à venir : navarin d’agneau, pot au feu, raclette, blanquette de veau, salades en pagaille, etc. Slurpss ! Nos sens allaient s’amuser de ces saveurs lointaines.

    Lorsque je retournai à la distribution des Restos suivante, j’hésitai à prendre mon lot, une voix intérieure souffla que je pouvais le donner à quelqu’un dans le besoin. Au retour, je voulus chercher du pain avant de rentrer et comme je me garai, je vis un pauvre hère assis sur le sol à faire la manche devant la porte d’un des magasins. Ni une, ni deux, je vidai mon panier des Restos pour lui proposer du lait, des pâtes, du riz, du fromage, des boites de raviolis et de cannellonis, du savon. D’abord surpris, il me remercia maintes fois pour ses enfants en levant les yeux au ciel en prière. Mes attentions l’incitèrent à me demander des produits de soin pour sa jambe blessée ; dans l’indifférence générale, je comprends qu’il se raccroche à celui qui lui vient en petite aide mais je gardai à l’esprit que je ne pouvais prendre en charge la responsabilité de sa situation. Je l’aidais de bon cœur dans un geste qui me remplit de joie et de félicité profondes avec le sentiment d’être en harmonie avec mon interne, je n’étais pas là pour le sauver.

     Par mon emploi, je côtoie des personnes de tout horizon et les rencontres y sont multiples. Mes séances sont souvent le théâtre d’échanges incroyables autour de notre humanité commune et variable. Conversation sur la langue française si difficile à apprendre, les tracasseries administratives et les lois aberrantes d’attribution des titres de séjour surtout pour les non- européens entre bosniaques, russes, suédois, roumains, dégustation de biscuits, gâteaux ou autres délicatesses venues de traditions lointaines, récits des aventures familiales ou individuelles porteuses d’identités variées, ponts de culture et de représentations du monde dont je sors grandie. En outre, je suis pareillement une voyageuse sociale de haut vol, passant de l’illettré à très bas niveau de qualification au diplômé d’université parlant plusieurs langues avec la grande diversité des chemins sur les terres de France.

    Je vis mon travail dans l’authenticité avec dévouement, c’est évident, cependant, je me surpris la semaine dernière à poser fermement la responsabilité de chacun dans l’apprentissage : « Je ne suis pas là pour m’amuser, je suis là pour fournir un travail et si vous ne vous y mettez pas, nous n’y arriverons pas. C’est à vous de choisir, ce n’est pas mon problème, c’est le vôtre »  Je n’ai pas souvenir d’avoir été aussi claire et ferme. Devant des échecs, je me remettais en question, cherchais d’autres voies pédagogiques. Désormais, j’en ai réellement terminé avec la culpabilité. Les limites de la responsabilité respective sont devenues une réalité dans tous les domaines de ma vie. Il était temps.

     Mercredi, j’avais rendez- vous avec Solange en raison des difficultés de ce début d’année. D’habitude, je me rendais à l’hôpital en taxi- ambulance à cause de ma vue, de la fatigue qu’occasionne les trajets. Je ne le commandai pas pour ce jour-ci, portée par l’idée de nous promener fiston et moi. Ce fut très spécial parce que je planais : je me trompai d’heure et nous partîmes une heure trop tôt, je pris des routes inconnues et nous roulâmes de ci de là en tours et détours. Dans l’hôpital, je pus rendre visite à Michel en ADELO, ravi de me revoir, je croisai d’anciens camarades de rééducation. J’errai, divaguai sans toutefois rater les objectifs du jour. Au retour, je me réjouis d’avoir pu, sans aucun souci, déambuler dans les couloirs, conduire en plein centre-ville de jour, de nuit. Mon champ de liberté s’ouvre effectivement.

    Solange fut ravie de me revoir, me taquinant sur mes longs silences. « C’est que vous êtes tellement occupée ! » m’exclamai-je en souriant, elle insista. Nous fîmes le tour des questions quant à mon état actuel, mes récurrents problèmes urinaires, le papier à fournir en justificatif de handicap pour une candidature dont je parlerai plus tard. Je reçus en termes médicaux un retour détaillé de mes réalités en maladie de Devic. Si je ne compris qu’en gros ce qu’elle disait techniquement, je n’en mesurai pas moins l’ampleur de la gravité de la maladie. Une espèce de décalage m’éclata à la figure entre ce qu’il en était médicalement et mon ressenti dans ces circonstances. Atteinte sévère de la moelle engendrant ces dysfonctionnements du système urinaire auxquels seule une prise en charge médicamenteuse importante pouvait remédier, tâtonnements et essais de traitements voire d’intervention chirurgicale devant les anarchies systémiques.  Quand elle dicta son compte-rendu médical pour le justificatif, je revis l’histoire dans la maladie avec les symptômes évolutifs de 2006, rapides, terribles. Je savais que j’avais été hospitalisée parce que je nécessitais une prise en charge complète au regard de ma dépendance lourde au quotidien, je savais que j’avais beaucoup souffert… J’appris surtout en cerise sur le gâteau que j’avais été en insuffisance respiratoire ! Je n’avais pas envisagé la mort en ces périodes si sombres sans raison et ce malgré mes ignorances sur les explications physiologiques. Sans traitement, vraiment, je le crois, ma vie se serait terminée dans un emmurement auto programmé.

    En fin de consultation, nous partageâmes des paroles de cœur à cœur car décidément Solange est un médecin peu commun dans son humilité, son engagement, sa sensibilité ; nous avions très rapidement accroché de l’une à l’autre logiquement. Elle évoqua un travail dans le cadre de l’école d’élèves infirmiers auquel elle souhaitait que je participe en juin sur le thème de la sensibilisation au vécu du patient dans la maladie, le handicap, comment il continue d’être, malgré les épreuves, en vivant le présent, en se projetant dans l’avenir.  Je l’avertis: « Attention, je suis prof ! » ; elle sourit et m’avoua qu’elle avait très tôt pensé à moi parce que justement, je savais m’exprimer clairement devant une (petite) assemblée. Nous convînmes de quelques cadres en préambule et je lui dis mon enthousiasme. N’avais- je pas déjà accepté de participer à des cours en ergo si l’école voyait le jour ? N’avais- je pas créé ce blog pour partager mes ressentis, mon parcours dans cette adversité, pour démontrer la force de vie qui bouillonne en chacun de nous, les potentiels que nous ignorons trop négligemment ?

    Les jours suivants, je parcourus les pharmacies locales en quête des nouvelles sondes prescrites, nouveau modèle qu’aucune ne possédait. Après quatre établissements, plusieurs appels téléphoniques, j’appris qu’elles n’étaient pas prises en charge par la Sécurité sociale... hum, à près de 100 euros la boite (pour 6 jours), je refusai de les prendre ; à ce tarif, impossible de suivre. Je songe retourner chez un médecin très prochainement… d’autant que mes soucis reviennent depuis samedi.

     Cela ne m’a pas empêchée d’aller faire une belle promenade avec mon amie Magali et ses enfants. Certes, avec les efforts, ma vessie lâcha devant la voiture au retour, mais je l’oublierai vite pour ne me souvenir que de la forêt, des petiots gambadant partout et s’étalant sur le sol tout à leur enthousiasme, de la compagnie de mon amie. Dimanche, je l’ai retrouvée avec Valérie pour un truc très très spécial dont je parlerai plus tard. Ce fut chaleureux, généreux,  revigorant et très instructif. Puis, je mangeais avec Pandora au resto indien tranquillement pendant que Valérie gardait les garçons avec elle.

    C’était un dimanche magnifique ! Merci à vous tous !

    Je constatai à nouveau que dans le calme et la tranquillité, ma vessie ne se manifeste guère. Confrontée à des contrariétés, une fatigue, elle se rappelle à moi allègrement. Quel cadeau que ce baromètre !

     Il y eut un autre événement incroyable ces jours- ci ; comme la sortie de dimanche matin, je lui réserve un article particulier car il est lié à toute une aventure étonnante que je ne réalise toujours pas tant elle me parait irrationnelle et invraisemblable. Parce que véritablement, quand l’interne change, l’externe en son entier suit la danse. A lâcher prise, ce que je n’osais pas même imaginer vient à moi de lui- même, sans que je le demande.

     Pour en finir avec cette seule semaine, miroir de ma petite vie insignifiante et folle, je conclus sur une émouvante surprise de la blogosphère.

    Les statistiques du blog ne m’intéressent pas, sauf la provenance des visiteurs. Dans les liens venus d’autres blogs, j’en découvris un que je ne connaissais pas et je cliquai dessus, curieuse. Le deuxième article sur la page était celui-ci. Il me fallut quelques secondes pour réaliser ce que je voyais ! L’auteure avait écrit un article à partir d’un commentaire que j’avais laissé chez une camarade blogueuse commune. Après l’étonnement, je fus heureuse d’avoir pu apporter un p’tit quelque chose à quelqu’un quelque part.

    Je m’interroge régulièrement sur le parti pris dans mon blog, craignant de ne répondre aux attentes de ceux qui y viennent au sujet de la maladie en particulier.  S’il est clair que ces tartines en cheminement intérieur contribuent grandement à réparer mes failles narcissiques, je ne peux m’empêcher de douter. Toutefois, comment pourrais- je parler de ce parcours sans entrer dans mes ressentis ? Ce que je vis et le sens que je lui donne sont intimement liés, mon ami Boris n’étant jamais éloigné de mes perceptions ; je ne peux donner de sens à ce que vivent les autres. Lorsque je découvre qu’une de mes quelconques paroles a portée des fruits sur le terreau d’un autre, la plénitude s’installe en  mon cœur. Parce que lâchées sur la toile, mes paroles vivent leur vie, m’échappent, qu’un autre l’attrape, lui donne sens positivement dans son propre parcours, n’est- ce pas un merveilleux cadeau ?

     L’humain n’existe pas sans lien, il ne serait pas sans la transmission reçue, transformée, enrichie au fil des existences, depuis la nuit des temps. Puissé-je transmettre la joie de vivre, d’exister, d’être, en écho à Élodie qui elle- même me l’a transmis.

     


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  • Je pensais raconter mes facéties lors du réentrainement à l’effort, tranquillement, joyeusement, malheureusement, ma tête n’y est pas, pas du tout !

    Parce que le fiston est en vacances, parce que nous traversons une période très agitée et pénible où les querelles autour des ordinateur et console de jeux se multiplient en prétexte de remontées plus profondes, parce que je suis constamment contrariée par des paperasses et des justificatifs mille fois demandés pour obtenir des clopinettes, parce que mon corps me joue des tours désagréables, je suis fatiguée, lessivée, fâchée et exaspérée. Bien que n’étant guère découragée avec cet espoir chevillé au corps en permanence –sauf face à la mort-, je n’aperçois que laborieusement l’issue de ces conflits empoisonnés ; j’ai usé toutes mes ressources, ce n’est plus de mon ressort. Je délègue, je cherche de l’aide pour soulager nos peines et  je m’occupe de mon interne en méditant constamment par le Qi Gong ou la présence à l’instant, j’écoute mes douleurs et mes travers physiques... Rien n’y fait, je me vide, je m’infecte depuis des semaines à en déborder ; et devinez qui donc hurle le débordement concrètement ? C’est ma vessie, fidèle au poste des signes d’alerte.

    J’avais pareillement le chic pour perdre connaissance en cas de surcharge et je ne saurais dire le nombre de ces chutes en malaise ou non puisqu’il m’est arrivé de ne pas m'en rendre compte. Je m’éveillai dans les bras ou sur le sol sans me souvenir de ce qui s’était passé ; les fuites spectaculaires s’y conjuguaient de temps à autre. Les malaises se dispersent désormais, ma vue s’affaiblit en aveugle des autres quand je suis très fatiguée, ma vessie, elle,  s’exprime, toujours. Ainsi, depuis janvier, je vis entre deux infections aux manifestations multiples et variées.

     J’ai parlé ici de la première de l’année, survenant brutalement en pleine crise avec le fiston. D’autres ont suivi depuis. Résultat : quatre consultations chez le médecin, trois traitements homéopathiques, un traitement antibiotique, deux ECBU (analyse des urines), une séance d’acupuncture, l'achat d'une ceinture lombaire pour protéger mes reins, une lessive par jour, le port en permanence des jupes ou robes plus pratiques en ces circonstances de fuite, les serviettes éponges, les essuie- mains de la salle de bains ou de la cuisine, les microfibres entre les jambes, je me promène cahin- caha avec la crainte constante de ne plus pouvoir gérer les flaques, les odeurs. Une galère journalière.

     La nuit, j’ai commencé par me lever en précipitation, à deux, trois, quatre, cinq, six, sept reprises puis je me suis réveillée dans des mares amères et chaudes ne pouvant décidément plus rien contrôler. Changement des draps deux fois dans la même nuit ; le lendemain, à 2h, je coupais une alèse dans un vieux drap imperméable pour ne plus avoir à changer le drap complet. Fuites au travail, fuites au Qi Gong, devant la cuvette ou la porte des toilettes… Entre brûlures déchirant le ventre, odeurs et gestion du linge, je n’ai de force que pour continuer un quotidien très simple. Je travaille doucement, je nous nourris spontanément, je raccommode chaque jour avec les moyens du bord. En fond sonore, les discussions vives entre révolte, colère et exaspération. Puis, une bulle en sourdine de quelques échanges posés où je ne comprends plus le décalage entre les discours et les comportements de mon garçon éperdu dans ses errances, ses colères, ses comportements. Foutue culpabilité en impasse contre laquelle je lutte. Il n’est question que de peurs et de besoins fondamentaux insatisfaits. Si je ne l’abandonne pas,  je m’attèle à poser la limite, je ne peux résoudre TOUS ses tourments.

     Insidieusement, peu à peu, un doute s’installe. Et ces sensations dans les bras ? ces tiraillements dans la hanche ? cette douleur sourde qui ne me quitte pas au creux des reins à droite ? ma vue défaillante en flou criard à la lumière blanche ?

    Inexorablement, vient la question : ne ferais- je pas une poussée ?

    « Tu as eu un choc ? »  me demandait tout à l’heure ma mère. Je n’eus guère à lui répondre, elle haussa les épaules connaissant la réponse. C’est que je suis épuisée Maman.

    Il est temps que le bout du tunnel de mon garçon s’illumine.

     Consécutivement à mes retours incessants chez elle, Colette, généraliste, prit contact avec Solange, spécialiste et mon rendez- vous a été précipité. Le neurologue est prévu pour mi- mars. Pourvu que je n’aie qu’à lui dire que nous avons repris l’écoute de mes voies urinaires. Brrr. Saleté de maladie, je n’en finis pas avec toi !

    Heureusement, la lumière trouvée dans l’obscurité des terribles mois ne diminue pas, je la sens en moi, sereinement, elle m’accompagne, m’entoure de sa chaleur douce. C’est en elle que je trouve le réconfort. 

    Je suis trop têtue pour baisser les bras , je n’en ai pas fini avec moi !


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  •  Pour ce qui est de mes exploits sportifs, je n’ai pas grand-chose à en dire. Je me suis simplement régalée à essayer ces machines bien que ce fut fatigant (je n’étais pas là pour regarder les autres se fatiguer tout de même). Je ne peux toutefois empêcher les interrogations incessantes sur mes capacités : dans quelles mesures relèvent-elles de capacités normales ? Quel est l’impact du handicap ? Est-il possible de le dépasser ? Jusqu’à quel niveau mon corps peut- il supporter ces sollicitations physiques ?

    Questions sans réponse.

    Au départ, ils nous ont montré des exercices avec un bâton à lever, soulever, transvaser. Comme je passais mon temps à papoter avec Valérie, j’ai rapidement été évincée de cet atelier. Ma réputation était établie : une pipelette. C’est que messieurs, les femmes sont capables de faire plusieurs choses en même temps.

    Ayant cerné les énergumènes, nous eûmes nos exercices chacune adaptés à nos capacités respectives, rarement ensemble. Je commençais en général par 20 minutes de vèlo puis enchaînais avec les machines diverses et variées. Nous finissions avec des étirements avant de repartir. 

    J’étais curieuse, posais des tas de questions, devisais avec plaisir en leur compagnie et fus admirative de leur passion du sport englobant tant leur vie professionnelle que privée. Les gabarits étaient différents, les activités multiples, ils n’étaient que du muscle ces entraineurs ! Ayant pratiqué dans de tout autres registres, je pus partager ma nostalgie du temps où je courais, nageais, patinais, où tout me paraissait possible physiquement avec de l’entrainement et un effort constant. Sniff. chagrin.gif Je relatais en particulier combien j’étais affligée de ne pouvoir danser plus sérieusement. Par manque de moyen d’abord, par manque de partenaire ensuite puis par crainte de ne pouvoir y arriver avec ce corps fragilisé. L’un des entraineurs me réchauffa le cœur et j’eus envie de l’embrasser quand il me fit remarquer que j’avais du potentiel, il se voyait que j’étais sportive avant et il n’y avait pas de raison de tirer un trait définitif sur mes envies de bouger. (Bon, ma grande, il ne reste plus qu’à trouver les moyens matériels de s’y mettre ! A défaut, en attendant, je danse en Qi Gong et à la maison.).

     Dans l’action,  j’ai testé les machines qui m’avaient tant attirée du temps où j’étais clouée dans le fauteuil à tenter de simplement retrouver des fonctions motrices élémentaires.

    Le tapis de marche m’attirait, je m’y voyais courant comme ces gens qu’on montre à la télévision tenue par l’espoir d’aller courir un jour dans la forêt, à travers champs.  Il était pourtant rarement disponible et il se passa plusieurs séances avant que nous pûmes en bénéficier à tour de rôle. Pas en reste, je demandais à utiliser l’autre appareil à côté dès la première séance d’entrainement, un truc de marche elliptique (je crois que ce mot est quelque part dans la dénomination). « Ah, ça, ce n’est pas évident, vous voulez vraiment essayer ? » Ben oui ! Je le connais pour l’avoir utilisé en  cabinet libéral du temps de ma rééducation de sortie d’hôpital. Les bras activent des manches et les jambes montent et descendent dans une espèce de marche magique hors sol. J’adore même si c’est très crevant ! Parce que j’y bouge de tout le corps, j’aime y danser, suspendue sur des coussins d’air, j’ai l’impression de sauter dans le ciel, d’un nuage à l’autre. Un mouvement généralisé me ramenant aux mouvements de la nage, aux mouvements du roller, aux mouvements de la danse. Un régal.

     Avec le tapis de marche, c’est une autre affaire.  Marcher devant un mur blanc à projeté gris/ bleu n’a vraiment rien de transcendant d’autant que toutes les conversations et actions se passent dans le dos. Est-ce pour nous ramener aux sensations physiques ? Cela en deviendrait presque un exercice de méditation. Avec la modulation de la machine, chacun est contraint à un rythme programmé par les chefs d’entrainement. Entre les barrières latérales et celle de devant, comment se tenir ? Devant, cela oblige à rattraper constamment la course, sur les côté, ce me fut  rébarbatif. Comme le balancement naturel des bras manque ! Avec des troubles de l’équilibre, il ne m’était guère évident de lâcher ; quand je m’y essayais, je craignais de me laisser emporter par le tapis, le fil passé autour des épaules pour bloquer l’appareil en cas de chute ne m’inspirait pas confiance.  Quel travail que de se maintenir sur ce truc en mouvement alors que le paysage est statique ! En bout de course, méfiance, le tournis guette, il s’agit de s’asseoir quelques minutes pour se repositionnement dans l’espace. Je préfère de loin les balades en forêt, c’est une évidence.

     Impossible de nommer les autres machines. Il y avait celle où il s’agit de s’asseoir en rameur pour tirer une ficelle lestée d’avant en arrière ou de bas en haut, celle où on se couche pour soulever des poids, une autre pour ouvrir et fermer les jambes, celle où on ouvre et ferme les bras, celle où on soulève vers la poitrine une barre tenue par le dessous. Je les ai toutes testées ne fussent qu’un seul essai. De la sorte, je voulus tenter celle où l’on se couche sur le dos afin de soulever des poids, je fus mise en garde contre cet exercice plutôt masculin. Avec ma tête de mule, j’insistai et je tentai l’expérience. Coriace, j’ai résisté tant bien que mal et compté les levers de poids douloureusement. Pauvres petits bras malingres ! Dire qu’avant les sollicitations répétées dans l’inertie des jambes, ils étaient plus menus, en véritable guimauve de foire.

     J’ai pris plaisir à cavaler d’un repère à l’autre au pas le plus rapide possible, à me contorsionner en geste de Qi Gong ou d’étirement devant les grands miroirs de la salle de sport (mes désirs frustrés de danse y sont certainement pour beaucoup).

     Les séances touchant à leur fin, je demandai comment mettre à profit les poids achetés auparavant. J’eus des essais avec ceux du service et quelques expansions possibles à la maison : je suis ravie de m’y exercer plusieurs fois par semaine, du bout des jambes ou du bout des bras depuis. Quand j’en ai assez de n’avoir pu marcher dehors pour cause de fatigue, de pipi impérieux, de contrainte météorologique ou spacio- temporelle, je m’y mets. Particulièrement, je les apprécie quand le froid me traverse. Rien de tel que ces exercices de musculation au salon pour stimuler le recentrage sur soi et solliciter les calories réchauffant mon corps à la maigre couche de graisse protectrice.  

     Le réentrainement à l’effort est fortement recommandé parce qu’il permet des récupérations notables dans de nombreuses pathologies neurologiques (sep, avc et autres réjouissances). Il est primordial de préserver les muscles, de ne pas les laisser fondre, de penser au-delà de l’instant de crise. Ma prise en charge pendant les mois noirs de la maladie a eu certainement des bénéfices essentiels. Alitée et complètement paralysée, j’avais des séances de mobilisations des membres dans mon lit à coussin d’air. Contacts humains, entre deux, avec soi, représentation du corps et de son intégrité, positionnement dans l’espace malgré l’absence totale de sensation… Complètement renfermée en moi- même par l’aveuglement et les paralysies, la rééducation permit la réappropriation du corps en convalescence lente ; avec le retour de la marche, la natation et la pratique du Qi Gong, dans leurs mouvements, je me réappropriais l’espace; dans ces séances sportives, je concrétise l’étendue de ma place dans le monde physique. Car depuis des mois, cette première perfusion de mitoxantrone en janvier 2007, j’investis l’espace en l’ouvrant comme un enfant grandit. Elodie ne m’a-t-elle pas dit qu’après une épreuve terrible de cet ordre, nous repassions toutes les étapes du développement humain ?

     (Mes facéties seront l’objet de l’article suivant, je ne rate jamais l’occasion de partager des expériences singulières, c’est plus fort que moi ou, je préfère ce terme, tellement naturel. )

    Après la musculation de ce matin, je vous quitte pour danser, dans la foulée  sur cette chanson que j'aime parce qu'elle déborde de VIE ( si quelqu'un peut me dire de quoi elle parle, je serai ravie!!)... Une rareté musicale connue par Yves Blanc et son émission La planète Bleue dont je suis une inconditionnelle depuis des années!!!

     


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  • Dans mes jeunes années scolaires, je détestais courir. Je me suis planquée pendant les cours d’endurance, les cross souffrant quand je tentais d’en faire plus qu’à l’accoutumée. Autant je rêvais de danser, bouger en souplesse, autant j’ai été une vraie tire-au-flanc dans la course, de vitesse ou d’ endurance. Ces échecs répétés m’avaient poursuivie pendant des années après le bac et je restais avec cette insatisfaction, cette frustration non pour prouver quelque chose à quelqu’un mais pour me prouver que j’en étais capable.

    Je n’étais pas pour autant inactive, je marchais beaucoup, en toute occasion, je me déplaçais à vélo, c’était naturel. Pendant 5 ans, j’ai habité au 5e étage sans ascenseur avec tout le barda et le garçon petit à porter, séance de step au moins biquotidienne. J’ai bataillé contre vents et marées seule dans des transports en tout genre souvent complètement irrationnels. Puis, je me mis à faire du roller. Le mouvement, la glisse m’intéressaient, les sensations internes me régalaient, pendant des heures et des kilomètres, doucement, à mon rythme. Vint ensuite la natation où j’alignais les longueurs doucement intensément. L’énergie folle de mon fiston me poussait quand la paresse me prenait sporadiquement et je l’ai entrainé dans des aventures physiques de tout poil. En grandissant, ses capacités grandissaient également et nous allions toujours plus loin. Je me mis donc naturellement à courir.

    Avec l’aide de mon amie Sandrine, marathonienne de naissance, je commençai mon entrainement. En 2006, je battais tous mes records et me sentais bienheureuse d’avoir pu aller au-delà de mes rejets passés, je prenais plaisir à me dépenser physiquement, à évacuer le stress par ce biais. Au printemps, c’est par le sport que la maladie donna ses premiers signes. Perte de la course, perte de la marche, perte de la vue… Huit mois de fauteuil roulant, d’autres en béquilles, le réapprentissage de tous les mouvements du corps après l’alitement de plusieurs semaines, le rude combat pour s’asseoir, pour se lever, pour remarcher… Il me restait chevillé au corps le désir de pouvoir à nouveau courir… un rêve ?

    J’en parlai à Solange lors de notre entrevue à l’été 2009, elle m’inscrit dans la foulée à des séances de réentrainement à l’effort avec ma copine Valérie. Super !

    Démarrage fin août pour cinq semaines. A raison de deux séances hebdomadaires, nous nous retrouvions pour notre plus grand bonheur toutes les deux à se laisser diriger par l’équipe sans compter que je pouvais en profiter pour saluer mes anciens compagnons en ergo, kiné, au service, en adelo. Petit groupe de quatre, il y avait une bonne ambiance, chacun vaquant à ses tâches selon ses capacités. Première séance de test : je fus heureuse d’apprendre que j’étais presque dans les normes de valides. Waouh ! Au rythme de ma marche, l’encadrant me dit que je n’étais pas loin de la course. Je m’enthousiasmai, je me pris à espérer pouvoir courir au bout des six semaines.

    Question souplesse, rien à redire ! J’étais Elastigirl du temps de ma rééducation, je constatai néanmoins que je pouvais l’améliorer, le corps étant en demande d’étirements. (Le grand écart n’est pas un problème pour moi. Avec un peu d’échauffement, je descends sans souci jusqu’au sol. Oui). Question endurance et muscles, c’est une autre paire de manches. Pas vraiment musclée avant la maladie, les mois d’immobilisme n’avaient rien arrangé... Encore qu’avec la mobilisation des bras en raison de mes incapacités motrices, j’avais remarqué qu’ils avaient pris du volume. La natation avait préparé le travail précédemment, dans mon dos également et ces efforts avaient été porteurs lors de mes paralysies. A approfondir. Mes jambes, mes fesses, elles, avaient fondues. Je garde en mémoire cette phrase d’Élodie: « Le corps a une mémoire. Si vous l’avez bien traité, il s’en souviendra. » C’était suffisant pour ne pas se laisser aller au fatalisme.

    Les séances étaient partagées entre 20 minutes de vèlo (avec l’accent d’un des encadrants) et des exercices de renforcement musculaire.

     Je remarquai qu’avec la fatigue, ma vue se brouillait alors que le corps, lui, ne semblait pas l’exprimer; musculairement sur le coup, mon équilibre n’était pas très stable en bout de séance et il m’arrivait de tituber légèrement vers le taxi ambulance. Je compris pareillement qu’il n’était pas raisonnable d’arriver avec deux ou trois heures de travaux de bricolage dans les pattes ; cela dépassait mes capacités.

    Par contre, j’étais fofolle à essayer toutes ces machineries de salle de sport repérées quand je passais en fauteuil devant la salle, rêvant de pouvoir les utiliser un jour. Sans compter qu’à la moindre occasion, nous papotions et pouffions Valérie et moi. J’ai donc pédalé, marché sur le tapis, soulevé des poids avec les bras, les jambes, tiré sur les muscles assise, à la barre… C’était réconfortant d’autant qu’au bout des séances, les résultats étaient notoires… sauf que je ne me sens pas capable de courir. Ma vessie ne supporte pas le choc des foulées et mes jambes me semblent désorganisées par le mouvement. Sniff.

     Rapidement, Kévin, un camarade du groupe me surnomma Titi à cause de mon tee-shirt avec le petit oiseau narquois ; il aimait me retrouver et plaisanter avec moi qui ne suis pas en reste dans ce genre de débat. D’ailleurs, les encadrants apprirent rapidement à me connaître, mes péripéties originales, après les avoir déroutés, devinrent coutumières. Raphi qui passait me saluer à chaque séance souriait en coin, il me connaissait, lui. Nous en avons profité pour échanger ces petits mots, ces gestes, ces silences complices incroyablement riches. Solange est passée nous encourager tous avec son punch habituel.

    Un plaisir.

    J’ai véritablement passé des moments bénéfiques pendant que je déménageais et travaillais laborieusement dans l’appartement à rénover.

    (Panel de mes aventures sportives pour le prochain article, il y a de quoi sourire.)


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  • Les déménagements sont l’occasion de grands rangements et il arrive que des objets oubliés ressurgissent des bas côtés où ils ont été relégués par le quotidien. Ainsi, il y a quelques jours, d’entre des livres, est tombée une enveloppe blanc cassé au grammage épais.

     Sur sa face, écrit au crayon léger, mes mots : En cas de non retour,

    Je me suis souvenue.

     Juin 2006. J’étais rentrée de ces hospitalisations terrifiantes. Je trainais la patte, ne pouvais plus monter à l’étage, mes soucis de vessie commençaient, je dormais seule au rez- de chaussée, dans mon atelier en bazar, le lit coincé en vitesse sur le passage libre. Ma vue était normale. Je ne savais pas ce que j’avais ou du moins le diagnostic n’était pas clair. Nous étions sous le choc, tous et l’idée de la mort planait sur moi avec les diagnostics terribles qui avaient été annoncés, les médecins étant incapables de nous parler.

     Il était impossible d’aborder la question de la mort avec mes proches, ils ne voulaient rien entendre, inacceptable, insupportable, certainement.  Son éventualité prenait cependant pour moi une signification réelle et concrète. Comment pouvaient- ils imaginer que d’en parler, de dire ce qui me conviendrait dans la suite de la vie sans moi me soulagerait, me réconforterait, me rassurerait ? Pouvaient-ils imaginer l’angoisse supplémentaire que représentait à mes yeux le non règlement de cette suite sans moi ? Que deviendrait mon garçon âgé alors de 9 ans ? Être enterrée ? Incinérée ? Où ? Comment ? … et mes affaires financières, mobilières, mes legs éventuels ? …

    Finalement, j’écris cette lettre sans la faire lire à quiconque, je ne voulais pas les meurtrir davantage. J’indiquais simplement à ma sœur qu’entre ces livres, là, dans la bibliothèque, il y avait une lettre avec mes dernières volontés. Au cas où.                                                                                             

    24.06.06

     

    En cas de maladie incurable, je souhaiterais qu’il n’y ait pas d’acharnement thérapeutique et que des soins palliatifs soient mis en place afin d’éviter des souffrances inutiles tant à moi qu’à mes proches.

    Si la question des dons d’organes est posée, j’autorise les prélèvements.

     Pour ce qui est des rites de funérailles, je laisse aux vivants le soin de décider ce qui leur semble le plus approprié. C’est à eux de faire leur deuil ; pour moi, cela n’a pas d’importance.

    Il y a une garantie à la banque en cas de décès assurant une somme pour parer aux frais, il faudra bien tout vérifier et ne pas passer à côté de ce droit, éventuellement.

    Mes seuls désirs sont les suivants :

    -      Que le cercueil soit le plus simple possible, sans traitement non écologique ( je veux du biodégradable !)

    -      Quelques fleurs simples, quelques mots, pas de couronnes, de plastique. Que les sommes soient versées plutôt à des associations (Unicef, Amnesty international, Greenpeace…), une robe en coton ou lin très simple.

    -      Une simple plaque avec mes prénoms et date de naissance. Juste un x et non tout le nom. Pierre tombale inutile, je préfère un sol de terre semé de fleurs, d’arbustes ou d’arbre (pourquoi pas un arbre fruitier ?)

    -      La cérémonie religieuse ne me semble pas judicieuse. Si elle est utile pour aider à passer le cap, qu’elle soit baignée de All is full of love de Björk.

     Prenez soin de fiston. Qu’il reste parmi ceux qui l’ont vu grandir : SeN, ma mère, ma sœur, JeP et El., mes amis.

     Ceux qui le désirent pourront prendre une mèche de cheveux, un livre.

    Que ma tapisserie soit faite et mes bricoles utilisées, non jetées.

     Je suis désolée de la peine que je peux causer et regrette de ne pas avoir pu vous aimer tous plus que cela.

     En la lisant, je revois parfaitement la scène : la nuit, ma petite lampe de chevet posée à côté du lit, il était très tard. Je n’ai rien dit, ils dormaient à l’étage. J’ai réfléchi à chacun des mots, j’ai pleuré et au dernier point, j’étais soulagée. Je l’ai cachée entre les livres de mon ami Boris.

    Je l’ai retrouvée il y a quelques jours.

    Evidemment, les circonstances ont changé, de nombreux points sont désormais obsolètes. Il n’y a plus SeN et sa famille, j’ai arrêté la garantie qui ne couvrait que la banque et non mes proches, je ne peux plus donner mes organes en raison des traitements que j’ai eus et ceux que je prends, en raison simplement de la maladie elle- même; l’idée générale reste intacte néanmoins. Et surtout, avant toute chose,  aujourd’hui, il n’est plus question de mort, il est question de vie.

    Jusqu’à la maladie, je la voyais loin devant moi, fuyant les tourments du passé dans des échappatoires chimériques et malsains imprégnés de schémas inconscients stériles. Dorénavant, chaque jour est un cadeau, un trésor que je tiens à faire fructifier, en présence et confiance.

    Quand la maladie est un déclencheur de vie…


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  • Les handicaps, dans mon cas, sont actuellement invisibles, ils n’en restent pas moins réels. Certaines circonstances m’y ramènent telles ces deux dernières semaines.

     

    Avec les travaux du nouvel appartement, j’ai dépensé une grande énergie, j’ai pris le temps qu’il m’était nécessaire pour en venir à bout malgré les aléas des aides et de mes capacités. Un plafond, des murs, un grattage par ci par là. Quand la fatigue pointait son nez, je posais mes outils et me reposais tant qu’il était nécessaire pour recouvrer mes forces. Facile à gérer finalement car aucun outil ne vient protester, pleurer, hurler, claquer les portes, m’exploser ses ressentis tortueux à la figure. Depuis la rentrée, mon fiston accumule les bêtises au collège et je suis constamment confrontée à des réjouissances en tout genre, c’est une toute autre tâche.

    Si mon esprit et ma sérénité intérieurs ne sont pas démontés, hormis quelques passages à vide où je vis colère et frustration en connaissance de cause, je ressens une grande lassitude physique. Certes, je délègue, je lie des contacts constructifs avec les interlocuteurs du collège, une association d’aide aux ados en souffrance, je ne l’abandonne pas, je ne démissionne pas… mais alors, qu’est- ce que je me fatigue ! C’est du travail de long court, des années de refoulement explosent et je refuse de passer cette occasion de régler des vieux contes. N’a-t-il pas demandé de l’aide un soir où je pratiquai la CNV avec lui ?

    Il y a là une tâche ingrate car les bénéfices sont lents à venir, lents à se montrer. A peine entrevois-je un signe encourageant qu’une nouvelle réjouissance m’arrive aux oreilles ou aux yeux, c’est vraiment dur.

    Je continue avec opiniâtreté à mettre en pratique la CNV malgré mes maladresses de débutante, je continue de poser des limites entre nous, je continue de verbaliser mes ressentis et de le pousser à exprimer les siens, je continue de garder un regard sur son travail scolaire,  je continue à me battre pour lui. Et je continue à essayer de rester chez moi, de ne pas le juger outrancièrement, de ne pas entrer dans les spirales infernales de la culpabilité, de prendre du recul quand je n’en peux plus pour aller méditer, pratiquer du Qi Gong ou tout simplement dormir. Malgré ces tentatives bénéfiques, je lâche physiquement… à moins que mon corps n’exprime une sensation que je ne saurais nommer.

    Il y a dix jours, je  recevais une décision stricte du collège, une sanction comme je ne pouvais en imaginer. Tiraillée entre colère, incompréhension vis-à-vis du fiston et découragement, je sentis vaguement que ma vessie commençait à faire des siennes. « Bah, c’est la période » pensai-je sans y prêter attention et je pris quelques remèdes habituels. Un jour, deux, trois… Arriva le week-end ; les confrontations avec le fiston se multipliaient, j’avais cette envie de lui arracher la tête comme le capitaine Haddock ivre hallucinant dans le désert sous l’effet conjugué de l’alcool et de  la chaleur (Le crabe aux pinces d’or : il y prend Tintin pour une bouteille de champagne et tente de lui faire sauter le bouchon avant de revenir à la réalité et de voir son camarade au bord de l’étouffement).

    Un esclandre éclata finalement à grand cri ; dès les premiers haussements de voix, ma vessie ne fit qu’un tour et je sentis l’imminence du débordement. Précipitation vers les toilettes, une grande brûlure me traversa le corps. « Aïe, Aïe ! Voilà que les choses se compliquent » Malheureusement habituée à ces infections urinaires, je pris des remèdes plus costauds. Soulagement pendant quelques heures, nouvelle crise avec le fiston, nouvelle brûlure. Les nuits furent mouvementées, levers trois, quatre, cinq fois. Aucun des remèdes pris ne semblaient avoir d’effet durable. La première journée de travail se passa assez tranquillement, les fuites se firent à la maison ; le lendemain, par contre, ce fut catastrophique.

    J’étais seule, mon collègue étant en réunion. Il y avait huit personnes et je courais partout, lot de l’individualisation et de la photocopieuse dans un autre bureau. Dans le doute, j’avais mis une jupe et des protections pour ne pas être gênée dans mon travail. Rien n’y fit. Je m’inondais les vêtements sous la jupe, je me précipitais sans cesse aux toilettes pour éponger, changer, nettoyer au mieux. Devant la photocopieuse, je ne pus retenir les flots et me retrouvai au milieu d’une mare. Heureusement, les collègues présentes m’aidèrent à nettoyer…

     Le temps ne passait pas, j’étais mal, mon corps entier tiraillait ; sous l’effet conjugué du corps et des conditions de travail, ma vue déclinait, les contours s’effaçaient, les lumières m’incommodaient. Je résistai pour tenir, en colère toutefois contre les odeurs qui me poursuivaient. « Pourvu que personne ne les sente !! » J’ai fait de mon mieux et enfin, je rentrai chez moi avec ma copine Rachel. Dès mon retour, j’appelai Colette (mon médecin), elle m’invita à déposer un échantillon au laboratoire quand je lui expliquai avoir essayé tous les remèdes en vain. Précipitamment, je remplis un petit flacon et réussis à le faire passer dix minutes avant la fermeture du labo, sans ordonnance sous promesse de la ramener le lendemain. Chez Colette, il y avait tellement de monde en salle d’attente que j’y retournai le lendemain, la neige bloquait les routes et plusieurs rendez- vous furent, heureusement pour moi, annulés. Grand tour de la question. Elle m’expliqua par exemple que les milieux froids et humides avaient certainement une influence sur mon organisme. Je pensai à cette foutue maison où j’avais tant souffert et expliquai que dans le nouvel appartement, nous avions plus de confort sur ce plan. « Il est possible également que le froid du sol monte à vous ». Ben oui, nous sommes au rez-de-chaussée au-dessus de caves non chauffées… Elle me conseilla de prendre de l’eau avec du bicarbonate de sodium en cure de temps en temps, afin de diminuer l’acidité organique qui favorise les infections urinaires. Re- ben oui, j’accumule... sans compter la charge de la tâche avec le garçon. Je repartis avec une ordonnance complète pour soulager les douleurs et l’infection. Ouf.

    Samedi, je voulus faire un tour pas trop loin de chez nous afin de trouver des vêtements en solde pour le fiston. Grand magasin à multiples rayons variés. Pff. En dépit de son aide, je fus très rapidement fatiguée, mes jambes pestaient contre ces piétinements. Je m’assis dans un rayon pendant qu’il essayait une paire de baskets espérant me soulager, il n’y avait rien à faire. Le tour des rayons fut impossible et j’hâtai le retour à la maison alors que ma vue, entre la fatigue et l’infection ne m’inspirait pas confiance, il était plus que temps de retrouver le calme.

     

    Voilà quatre jours que je prends mon traitement, les effets sont aléatoires. J’ai eu mes résultats de labo trois jours après le dépôt, il y a effectivement des vilaines bêbêtes et Colette est absente jusqu’à lundi après midi. En attendant, je me débrouille comme je peux, laborieusement selon les caprices urinaires. Refusant les protections jetables, je me promène avec mes serviettes lavables que je trempe, frotte, lave, essore pour passer d’une journée, d’une nuit à l’autre.

    « Maman, c’est comme la dernière, dit tranquillement mon garçon, tu as du mal à la quitter ». Roooh, fiston, c’est une belle façon de changer d’angle : qu’est- ce que je veux exprimer avec ces infections incessantes ? Surtout que les brûlures me viennent systématiquement quand je suis en plein conflit avec quelqu’un !

    Il est vrai que bébé, je faisais des infections incompréhensibles, le médecin avait eu un mal fou à les soigner, aucun examen ne permettant d’en trouver les raisons. Ma vessie était sensible, je courais aux toilettes avant la maladie.

    Désormais, s’y ajoutaient une atteinte de la moelle épinière, des années sous immunosuppresseurs (une chimiothérapie, ce n’est pas rien au quotidien)… ce genre de maladie finalement révèle aussi nos fragilités, mes fragilités.

     

    Car oui, je suis opiniâtre, persévérante, débrouillarde, intelligente, combative, plus encore… je suis aussi FRAGILE ! Pendant des années, j’ai tiré la corde, moi, la femme forte et bloom, je suis tombée malade violemment, très violemment. La maladie expose mes fragilités devenues des handicaps. Si je peux trouver les ressources pour surmonter les difficultés de mon existence avec une énergie étonnante, je vis avec ma vue fragile, ma vessie fragile, ma moelle épinière fragile, mon corps fatigable plus qu’un autre, mes douleurs devenues habituelles, un système immunitaire fragilisé par les traitements et ce fardeau n’empêche pas la venue d’autres aléas de vie.

     

    Je me demande souvent quelle attitude tenir dans ce cas d’handicaps invisibles. Quand je m’assois, peu m’importe que certains s’étonnent de voir une jeune femme si vite fatiguée ; quand je cours aux toilettes ou m’inonde, je ne me soucie que de mon bien-être ; quand je ne voyais pas, je ne me gênais pas pour tourner les objets en ma faveur ou pour demander de l’aide ; quand dans les immenses parkings pleins  ou en ville, il y a une place réservée aux handicapés, je m’y gare. Quand je me fais conduire par les taxis aux rendez- vous ou au travail, je ne pense pas à ce que d’autres en pensent ; quand je perds l’équilibre dans la marche ou la danse comme un ivrogne, je me garde simplement de ne pas tomber et de me rétablir solidement. Selon les circonstances, j’agis à l’écoute de mon corps et il ne m’intéresse guère de me justifier.

    Parfois, je me gare à côté de la place réservée aux handicapés quand elle est libre, une personne en fauteuil a besoin de plus de place que moi pour entrer et sortir de son véhicule. J’évite d’utiliser les toilettes pour handicapés quand je le peux. Je ne proteste pas quand la caisse prioritaire est largement occupée et qu’une autre a moins de monde plus loin. Je laisse la place à d’autres plus âgés, plus handicapés si je sens que je peux le faire.

     Mes handicaps ne sont pas des revendications, ils ne sont pas un étendard. Certes, ils me donnent accès à certains privilèges dont les virées aux Eurockéennes sont un exemple notoire, cependant, est-il judicieux d’en parler simplement parce que j’ai été contrariée par un obstacle surmonté sans aide ou aménagement ?  Dans quelle mesure informer l’autre ou non de mon état ?

     

    En y réfléchissant, une idée me traverse l’esprit : finalement, je ne demande qu’à être moi-même, dans sa complexité, sa réalité mouvante et humaine, je n’ai pas à être cataloguée handicapée ou non. Je ne veux pas d’étiquette. J’ai des droits, je fais le choix ou non de les utiliser selon les circonstances. C’est cela la société, à mon avis, que chacun y ait sa place quelque soit son originalité, une place avec toute la dignité due à un être humain.

       


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  • Samedi soir, je m’assoupis rapidement, trop heureuse d’espérer dormir une nuit complète. Vers quatre et demie du matin, une envie pipi me sortit du lit dans un demi sommeil, machinalement, comme d’habitude. Depuis les mois d’aveuglement, je n’ai plus ce besoin perpétuel de lumière, de nombreuses activités me sont désormais possibles dans l’obscurité, j’étais donc dans le noir constamment. Avais- je seulement les yeux ouverts ? J’avoue ne plus trop savoir parce que d’autres sens étaient en activité, mes souvenirs n’en sont pas moins limpides.

     

    En m’asseyant sur la cuvette des toilettes, je ressentis un vague malaise malheureusement trop connu, une sensation de flou général, une grosse fatigue, la tête dans le brouillard épais, comme si tout était décalé, perçu étrangement. Pour l’avoir souvent vécu ces dernières années, je savais qu’il me fallait absolument me recoucher rapidement. L’idée de retourner au lit sans me laver les mains traversa vaguement mon esprit sans que j’y prêtasse plus d’attention dans mes mécanismes habituels de lever nocturne. Je dépassai la porte de la chambre pour aller dans la salle de bains.  Ce qui arriva ensuite passe dans une autre dimension car moi- même, je n’étais plus dans la rationalité concrète de nos quotidiens.

    Je me suis certainement lavé les mains puisque je garde uniquement le souvenir de les avoir essuyées avec cette pensée quasi animale de filer au plus vite au lit. Et là, un grand noir, un vide dans l’espace et le temps, une parenthèse de rien.

    Rien hormis la sensation que tout s’échappe, que l’esprit sort du corps, que tout est déconnecté.

    Une grande douleur traversa mon dos et une grimace intérieure mon esprit. Je pensai que je tombai sans en percevoir le moindre signe et que dans la chute, je me cognai quelque part. Aucune notion quelconque d’ailleurs de l’endroit où je me trouvai. Je plongeai dans le néant lentement.

     La sensation du froid du carrelage, l’air frais qui rentrait dans le nez et les poumons me soulagèrent quand je sentais les perles de sueur sur mon corps en nage au sens le plus propre qui soit, bouillant d’un feu intérieur trop violent à supporter.


    Je ne sais combien de temps je restai sur le sol. Je revins à moi sans savoir où j’étais, ni dans quelle situation je me trouvais. Un instinct venu du plus profond de mon être me souleva. Je cherchai des repères quant à ma position, étais- je debout ou couchée ? Autant dire que j’étais incapable de me situer dans l’espace. Je cherchai à pousser une porte pour sortir de je-ne-sais-où et je compris en quelques secondes que je touchais les portes coulissantes du petit couloir menant à la salle de bains. A partir de cet infime repère, je reconstruis mon cheminement jusqu’au lit parce que toujours poussée par cet instinct, j’avais pour unique objectif d’aller me coucher.

    Complètement déstabilisée dans mon équilibre, je titubai obstinément en m’accrochant aux murs vers la chambre et mon lit. Quelques pas effectués sans trop comprendre comment mes jambes purent me porter m’amenèrent sur le pas de la porte et là, à nouveau, je sombrai dans ce néant si particulier de la perte de conscience. Je me laissai glisser lentement, sachant pertinemment que j’étais incapable de contrôler quoi que ce fût en pareille circonstances, trop heureuse d’avoir parcouru ces quelques centimètres.  

    Rien.

    Combien de temps ?

    Je revins à moi, incapable à nouveau de savoir où j’étais et dans quelle situation. L’idée d’aller dans mon lit en fixation permanente, je tâtonnai autour de moi du bout des doigts et reconnu le tapis, le bois du meuble le plus proche… J’étais dans ma chambre ! Portée par cette même force animale, je réussis à me lever et à retrouver le lit. Au contact des draps, je plongeai sous la couette, heureuse et soulagée sombrant dans un sommeil salvateur.


    Au matin, en bougeant, je compris que j’avais mal dans le dos suite à la chute dans la salle de bains «  Certainement contre la poignée de la porte » pensai-je. Ma tête était comme prise dans un étau, brouillonne et vaseuse. Mon fils me trouva au lit à 9h du matin hors de toutes mes habitudes, je lui dis vaguement que je n’étais pas en bonne forme suite à une nuit mouvementée ; il ne posa pas de question trop habitué aux aventures de sa mère. Je le rejoignis lentement pour le petit déjeuner, hésitant à lui parler de mes syncopes ; il est vrai que pendant ces événements, j’avais gardé à l’esprit qu’il dormait dans la chambre en face de la mienne. J’avais cru entendre un bruit de mouvement et craint qu’il ne s’éveillât. Comment gérer une telle situation avec en plus un garçon de 12 ans à demi endormi ?

     Quand il était âgé de 2 ans, j’avais fait un choc anaphylactique en pleine nuit ; j’avais été  tenaillée et torturée par l’angoisse de le laisser seul si petit et ces peurs m’avaient portées dans cet épisode douloureux finalement sans autre conséquence qu’une perte de connaissance et un gonflement du visage traité à la cortisone.  En grandissant, je le savais moins vulnérable, il n’en restait pas moins un enfant. Avec la maladie et l’expérience des dernières années, il encaissait des épreuves difficiles s’ajoutant à d’autres souffrances anciennes.

    Chacun des événements mouvementés que je traverse me ramène à la petitesse de notre famille et à la peur de l' abandon que cela génère chez lui. Lui parler de cet épisode ou non ? Comment ? … J’étais à ces questions quand je lis la notice du Josir. Effets secondaires : malaise, nausées, vertiges, somnolence, surtout en début de traitement … entre autres. Avertissement sur les conducteurs d’engins. Consigne d’aller s’allonger au moindre symptôme… Pas la peine de chercher plus loin.

    Je crois avoir ri en les lisant et m’être exclamée devant mon garçon, le besoin d’en parler certainement.


    J’entamai un parcours particulièrement enrichissant. 

     


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