• Semaine en petits riens grands.

    Après la séance d’acupuncture, j’ai eu un répit d’une semaine. Du coup, il a été plus facile de libérer les pensées par- delà la basique gestion. J’ai savouré les journées s’écoulant tranquillement tout en continuant mon quotidien singulier et inattendu. Cette semaine a été rocambolesque et je ne sais par où commencer alors que je n’ai pas fini de raconter mes péripéties des dernières années ??!! Certains événements n’ont de sens que dans un récit ultérieur, je tiens à garder un fil conducteur malgré l’effet blog ; d’autres parachèvent des découvertes.

     Je n’ai pas abordé la problématique administrative depuis la maladie et les handicaps parce que je ne comprends pas moi- même les tenants et aboutissants des démarches engagées, la multitude des interlocuteurs et dossiers mille fois garnis de documents en pagaille. J’y viendrai parce que c’est un long parcours où la persévérance et la conviction sont nécessaires. Néanmoins, les dossiers de la Caf semblent enfin cheminer vers la régularisation malgré les aberrations du système. Ainsi, la semaine dernière, je découvris avec stupéfaction un versement conséquent en règlement des aides au logement des six derniers mois ! Le simple paiement des obligations de logement amputait intégralement mes maigres revenus au point de me conduire aux Restos du cœur cet hiver en dépannage ponctuel. Ce n’est pas la panacée en termes de choix, au moins, nous avons pu avoir quelques extras en dehors des haricots secs, pommes de terre et autres combinaisons frugales. Mon fiston avait été emballé au départ par l’arrivée de ces boites de produits tout faits, ces gadgets alimentaires comme je les nomme. Il engloutissait raviolis, lasagnes et autres plats cuisinés enthousiaste… et finalement, il s’en détacha avec le constat que ce n’était pas bon ; il revint donc naturellement vers des préparations  maison. Nous nous sommes nourris joyeusement avec des fondamentaux de base. Cependant, les légumes frais manquaient, la viande aussi non dans l’équilibre alimentaire mais pour le plaisir. Je faisais des petites courses sporadiquement pour ajouter quelques fantaisies au quotidien, cela n’allait pourtant pas très loin. Et là, avec cette régularisation, je me retrouvais avec des possibilités nouvelles. 

    Parler de frénésie est outrancier, j’ai la tête sur les épaules, je fus toutefois enchantée à l’idée de pouvoir acheter quelques vêtements à mon garçon, de me payer un wok et une poêle, d’aller chercher des légumes à salade et de la viande  sans compter le bonheur de pouvoir à nouveau retourner au cinéma ou en balade culturelle, acheter livres, disques trop précieux pour être seulement empruntés à la Médiathèque.

    Dans le supermarché local, je m’étonnai de la simplicité de mon chargement; hormis un tee-shirt de marque pour mon garçon, je restai d’une sobriété évidente; devant les rayons surchargés et débordants de produits de consommation, je ne piochais que dans le basique, je me détournai naturellement des gadgets : comment peut-on avoir besoin de tant de trucs ?

    A l’arrivée, ce fut la fête ; fiston resta cloué sur sa chaise quand je lui montrai son cadeau d’anniversaire en retard. Il me raconta combien son cœur battait la chamade, il n’en revenait pas… Au moins, sur ce point, il n’est pas blasé.  Nous rangeâmes ensemble les différents aliments et il fut heureux de retrouver du chocolat dans les placards de la cuisine (Je le planque parce que sinon, il dévore tout dans la journée ; il ne s’en plaint pas, la règle est intégrée). Je me réjouis devant les réjouissances à venir : navarin d’agneau, pot au feu, raclette, blanquette de veau, salades en pagaille, etc. Slurpss ! Nos sens allaient s’amuser de ces saveurs lointaines.

    Lorsque je retournai à la distribution des Restos suivante, j’hésitai à prendre mon lot, une voix intérieure souffla que je pouvais le donner à quelqu’un dans le besoin. Au retour, je voulus chercher du pain avant de rentrer et comme je me garai, je vis un pauvre hère assis sur le sol à faire la manche devant la porte d’un des magasins. Ni une, ni deux, je vidai mon panier des Restos pour lui proposer du lait, des pâtes, du riz, du fromage, des boites de raviolis et de cannellonis, du savon. D’abord surpris, il me remercia maintes fois pour ses enfants en levant les yeux au ciel en prière. Mes attentions l’incitèrent à me demander des produits de soin pour sa jambe blessée ; dans l’indifférence générale, je comprends qu’il se raccroche à celui qui lui vient en petite aide mais je gardai à l’esprit que je ne pouvais prendre en charge la responsabilité de sa situation. Je l’aidais de bon cœur dans un geste qui me remplit de joie et de félicité profondes avec le sentiment d’être en harmonie avec mon interne, je n’étais pas là pour le sauver.

     Par mon emploi, je côtoie des personnes de tout horizon et les rencontres y sont multiples. Mes séances sont souvent le théâtre d’échanges incroyables autour de notre humanité commune et variable. Conversation sur la langue française si difficile à apprendre, les tracasseries administratives et les lois aberrantes d’attribution des titres de séjour surtout pour les non- européens entre bosniaques, russes, suédois, roumains, dégustation de biscuits, gâteaux ou autres délicatesses venues de traditions lointaines, récits des aventures familiales ou individuelles porteuses d’identités variées, ponts de culture et de représentations du monde dont je sors grandie. En outre, je suis pareillement une voyageuse sociale de haut vol, passant de l’illettré à très bas niveau de qualification au diplômé d’université parlant plusieurs langues avec la grande diversité des chemins sur les terres de France.

    Je vis mon travail dans l’authenticité avec dévouement, c’est évident, cependant, je me surpris la semaine dernière à poser fermement la responsabilité de chacun dans l’apprentissage : « Je ne suis pas là pour m’amuser, je suis là pour fournir un travail et si vous ne vous y mettez pas, nous n’y arriverons pas. C’est à vous de choisir, ce n’est pas mon problème, c’est le vôtre »  Je n’ai pas souvenir d’avoir été aussi claire et ferme. Devant des échecs, je me remettais en question, cherchais d’autres voies pédagogiques. Désormais, j’en ai réellement terminé avec la culpabilité. Les limites de la responsabilité respective sont devenues une réalité dans tous les domaines de ma vie. Il était temps.

     Mercredi, j’avais rendez- vous avec Solange en raison des difficultés de ce début d’année. D’habitude, je me rendais à l’hôpital en taxi- ambulance à cause de ma vue, de la fatigue qu’occasionne les trajets. Je ne le commandai pas pour ce jour-ci, portée par l’idée de nous promener fiston et moi. Ce fut très spécial parce que je planais : je me trompai d’heure et nous partîmes une heure trop tôt, je pris des routes inconnues et nous roulâmes de ci de là en tours et détours. Dans l’hôpital, je pus rendre visite à Michel en ADELO, ravi de me revoir, je croisai d’anciens camarades de rééducation. J’errai, divaguai sans toutefois rater les objectifs du jour. Au retour, je me réjouis d’avoir pu, sans aucun souci, déambuler dans les couloirs, conduire en plein centre-ville de jour, de nuit. Mon champ de liberté s’ouvre effectivement.

    Solange fut ravie de me revoir, me taquinant sur mes longs silences. « C’est que vous êtes tellement occupée ! » m’exclamai-je en souriant, elle insista. Nous fîmes le tour des questions quant à mon état actuel, mes récurrents problèmes urinaires, le papier à fournir en justificatif de handicap pour une candidature dont je parlerai plus tard. Je reçus en termes médicaux un retour détaillé de mes réalités en maladie de Devic. Si je ne compris qu’en gros ce qu’elle disait techniquement, je n’en mesurai pas moins l’ampleur de la gravité de la maladie. Une espèce de décalage m’éclata à la figure entre ce qu’il en était médicalement et mon ressenti dans ces circonstances. Atteinte sévère de la moelle engendrant ces dysfonctionnements du système urinaire auxquels seule une prise en charge médicamenteuse importante pouvait remédier, tâtonnements et essais de traitements voire d’intervention chirurgicale devant les anarchies systémiques.  Quand elle dicta son compte-rendu médical pour le justificatif, je revis l’histoire dans la maladie avec les symptômes évolutifs de 2006, rapides, terribles. Je savais que j’avais été hospitalisée parce que je nécessitais une prise en charge complète au regard de ma dépendance lourde au quotidien, je savais que j’avais beaucoup souffert… J’appris surtout en cerise sur le gâteau que j’avais été en insuffisance respiratoire ! Je n’avais pas envisagé la mort en ces périodes si sombres sans raison et ce malgré mes ignorances sur les explications physiologiques. Sans traitement, vraiment, je le crois, ma vie se serait terminée dans un emmurement auto programmé.

    En fin de consultation, nous partageâmes des paroles de cœur à cœur car décidément Solange est un médecin peu commun dans son humilité, son engagement, sa sensibilité ; nous avions très rapidement accroché de l’une à l’autre logiquement. Elle évoqua un travail dans le cadre de l’école d’élèves infirmiers auquel elle souhaitait que je participe en juin sur le thème de la sensibilisation au vécu du patient dans la maladie, le handicap, comment il continue d’être, malgré les épreuves, en vivant le présent, en se projetant dans l’avenir.  Je l’avertis: « Attention, je suis prof ! » ; elle sourit et m’avoua qu’elle avait très tôt pensé à moi parce que justement, je savais m’exprimer clairement devant une (petite) assemblée. Nous convînmes de quelques cadres en préambule et je lui dis mon enthousiasme. N’avais- je pas déjà accepté de participer à des cours en ergo si l’école voyait le jour ? N’avais- je pas créé ce blog pour partager mes ressentis, mon parcours dans cette adversité, pour démontrer la force de vie qui bouillonne en chacun de nous, les potentiels que nous ignorons trop négligemment ?

    Les jours suivants, je parcourus les pharmacies locales en quête des nouvelles sondes prescrites, nouveau modèle qu’aucune ne possédait. Après quatre établissements, plusieurs appels téléphoniques, j’appris qu’elles n’étaient pas prises en charge par la Sécurité sociale... hum, à près de 100 euros la boite (pour 6 jours), je refusai de les prendre ; à ce tarif, impossible de suivre. Je songe retourner chez un médecin très prochainement… d’autant que mes soucis reviennent depuis samedi.

     Cela ne m’a pas empêchée d’aller faire une belle promenade avec mon amie Magali et ses enfants. Certes, avec les efforts, ma vessie lâcha devant la voiture au retour, mais je l’oublierai vite pour ne me souvenir que de la forêt, des petiots gambadant partout et s’étalant sur le sol tout à leur enthousiasme, de la compagnie de mon amie. Dimanche, je l’ai retrouvée avec Valérie pour un truc très très spécial dont je parlerai plus tard. Ce fut chaleureux, généreux,  revigorant et très instructif. Puis, je mangeais avec Pandora au resto indien tranquillement pendant que Valérie gardait les garçons avec elle.

    C’était un dimanche magnifique ! Merci à vous tous !

    Je constatai à nouveau que dans le calme et la tranquillité, ma vessie ne se manifeste guère. Confrontée à des contrariétés, une fatigue, elle se rappelle à moi allègrement. Quel cadeau que ce baromètre !

     Il y eut un autre événement incroyable ces jours- ci ; comme la sortie de dimanche matin, je lui réserve un article particulier car il est lié à toute une aventure étonnante que je ne réalise toujours pas tant elle me parait irrationnelle et invraisemblable. Parce que véritablement, quand l’interne change, l’externe en son entier suit la danse. A lâcher prise, ce que je n’osais pas même imaginer vient à moi de lui- même, sans que je le demande.

     Pour en finir avec cette seule semaine, miroir de ma petite vie insignifiante et folle, je conclus sur une émouvante surprise de la blogosphère.

    Les statistiques du blog ne m’intéressent pas, sauf la provenance des visiteurs. Dans les liens venus d’autres blogs, j’en découvris un que je ne connaissais pas et je cliquai dessus, curieuse. Le deuxième article sur la page était celui-ci. Il me fallut quelques secondes pour réaliser ce que je voyais ! L’auteure avait écrit un article à partir d’un commentaire que j’avais laissé chez une camarade blogueuse commune. Après l’étonnement, je fus heureuse d’avoir pu apporter un p’tit quelque chose à quelqu’un quelque part.

    Je m’interroge régulièrement sur le parti pris dans mon blog, craignant de ne répondre aux attentes de ceux qui y viennent au sujet de la maladie en particulier.  S’il est clair que ces tartines en cheminement intérieur contribuent grandement à réparer mes failles narcissiques, je ne peux m’empêcher de douter. Toutefois, comment pourrais- je parler de ce parcours sans entrer dans mes ressentis ? Ce que je vis et le sens que je lui donne sont intimement liés, mon ami Boris n’étant jamais éloigné de mes perceptions ; je ne peux donner de sens à ce que vivent les autres. Lorsque je découvre qu’une de mes quelconques paroles a portée des fruits sur le terreau d’un autre, la plénitude s’installe en  mon cœur. Parce que lâchées sur la toile, mes paroles vivent leur vie, m’échappent, qu’un autre l’attrape, lui donne sens positivement dans son propre parcours, n’est- ce pas un merveilleux cadeau ?

     L’humain n’existe pas sans lien, il ne serait pas sans la transmission reçue, transformée, enrichie au fil des existences, depuis la nuit des temps. Puissé-je transmettre la joie de vivre, d’exister, d’être, en écho à Élodie qui elle- même me l’a transmis.

     

    « Réentrainement à l’effort. 3e.Histoire de sondes. »

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  • Commentaires

    1
    Mercredi 3 Mars 2010 à 07:38
    Philippe
    Comme tu dis : "L’humain n’existe pas sans lien,".
    C'est quand même navrant de constater qu'aujourd'hui ce soit cet univers virtuel appelé internet qui palie l'abscence de relations humaines.

    Pour le reste de ton article... tant de choses à dire : la CAF, les paperasses, la consommation folle, etc, etc, etc... qu'il vaut mieux se taire.
    2
    Jeudi 4 Mars 2010 à 10:53
    la Femme des Steppes
    Ben moi, à lire ton billet, un seul truc me vient à l'esprit (enfin non, plein, mais un surtout) : BON APPETIT !

    Un bisous virtuel à ton fiston, qui, même si la vie n'est pas facile tous les jours, arrive à enchanter sa maman et à faire briller le soleil...
    3
    Mercredi 24 Novembre 2010 à 23:13
    le petit cinématogra

    J'ai attrapé par hasard " l'agrumite ". Ton blog ne parle pas que de la maladie Fée des agrumes , mais de la vie, du verbe être et c'est pour cela que j'aime tant le lire. continue ne te poses pas de questions du moins sur ce sujet : le blog.

    4
    fée des agrumes Profil de fée des agrumes
    Jeudi 15 Août 2013 à 17:28

    A Philippe:

    Comme tu l'as déjà dit, autant pisser dans un violon!
    Réponse de fée des agrumes le 03/03/2010 à 15h10
     
    A la femme des steppes:
    Le fiston me fait toutes les météos pssibles au quotidien et même si je voulais me lézarder au soleil, je ne pourrais y compter. Pas le temps de s'ennuyer avec lui... mais bon, les chiens ne font pas des chats...
    Après une méga soupe aux légumes dans du bouillon, je pense préparer bientôt l'agneau... Slurps, miam miam. j'en salive d'avance!
    C'est tellement agréable d'avoir le choix.
    Réponse de fée des agrumes le 04/03/2010 à 20h52
     
    Au petit cinématographe:

    Réponse de fée des agrumes le 25/11/2010 à 11h45
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