• Mes compagnons de retour furent attentionnés, se souciant de mon confort, me ramenant devant ma porte avec joie et m’invitant à passer les saluer à l'occasion après les fêtes de fin d'année. A l'arrière de la voiture, pourtant, je me sentais mal, j'avais la nausée et crus quelques minutes que j'allais perdre connaissance tant la tête me tournait. C'était interminable. Je portais mon attention sur le paysage afin de soulager mon mal et écoutais leurs échanges. Quarante ans de mariage et une belle entente mutuelle douce, cela faisait plaisir à voir et entendre. Je fus interpellée par le mari soucieux de préserver sa femme à son retour prévoyant des repas savoureux récupérés chez le boucher- traiteur pour au moins deux jours, sa préoccupation d'organiser leur vie autour de ses besoins à elle. C'était loin de ce que j'avais connu et déroutant à l'idée qu'à mon arrivée à la maison, une toute autre chanson sonnerait à mes oreilles. Je ne m'étais pas trompée.

    Bazar de casseroles et vaisselle sales traînant malgré quelques efforts sur l'un ou l'autre points mis au lave- vaisselle, fiston malade, couché et réclamant de l'attention à corps et à cri. Je ne sais par quel travers de son psychisme il me fait fréquemment le coup de cette solidarité: quand je suis malade ou hospitalisée, il se trouve mal et demande des soins. Évidemment que je le comprends au regard de nos expériences passées et de l'angoisse que représente cette foutue maladie sur nos vies et en particulier la sienne mais franchement, quand je n'aspire qu'au calme et au repos, je me retrouve à le soigner. Comme en prime, c'est un genre masculin, petit bobo prend grande tournure. Youpi! Cela ne manqua pas. Ma joie de manger tranquillement un repas savoureux passa à la trappe, je cuisinai vite fait un truc avalé rapidement, rangeai, nettoyai, appelai le médecin et le lycée pour excuser son absence puis filai avec lui en tournée médicale commune. Fort heureusement, j'avais prévu avec Colette d'appeler dès mon retour d'hôpital pour une ordonnance de sondes à renouveler et le créneau profita à tous.

    Mon garçon, faiblard avait une infection des sinus de tout le côté gauche. Quand à moi, j'évoquai vaguement au passage mon étrange état depuis la veille. « Ce sont les effets de l'anesthésie, le temps d'évacuer les produits» me répondit- elle. Zou! Ordonnance pour le fiston afin de soulager ses maux, ordonnance pour moi pour aider le corps à se purger et ma vessie pour se remettre du traumatisme des trente piqûres en plus de celle des sondes devenues indispensables ( et oui, il m'est devenu impossible d'uriner naturellement). En outre, Colette me rassura quand j'affirmai que je n'avais aucune envie de subir cette intervention deux à trois fois par an sur une durée indéterminée, « Ce n'est pas le but». Ma vessie hypersensible et hyperactive comprendra t-elle à force qu'il est important d'en terminer avec des réactions exagérées? Elle sourit largement quand je lui racontai mes échanges avec l'urologue médecin chef qu'elle connaissait. L'évocation de la voix de ma vessie la fit rire et elle ne manqua pas de souligner que s'il avait su qui était mon médecin généraliste, il ne se serait pas gêné pour faire une remarque sur ces drôles d'idées. Un homme urologue face à une femme homéopathe acupuncteur, ça fait des étincelles, deux mondes malheureusement aux antipodes.

    Au fil de l'après- midi, j'avais senti que je n'étais pas en état d'aller faire la fiesta avec mes copines aussi, renonçai- je avec tristesse à les rejoindre ce qu'elles comprirent parfaitement, elles s'étonnaient même que j'eusse pu penser les rejoindre à la sortie d'hôpital après une anesthésie générale. C'est que je ne préjuge de rien, j’observe et écoute mon corps, mes besoins, avise en conséquence sur le moment d'où des décisions imprévisibles. D'ailleurs qui donc peut être certain de ce qu'il fera ou non? La vie est pleine de surprises. Au lieu d'aller danser et s'amuser, je retrouvai salle de bains et chambre à coucher. Se laver à grande eaux des produits, odeurs d'hôpital fut une joie et me glisser dans mon lit, une grâce. J'avais grand besoin de mon énergie, les fêtes approchaient et j'étais la seule à avoir la possibilité de faire quelque chose, fiston étant malade, ma mère mal en point physiquement et financièrement, pareil pour ma sœur, je n'avais aucune envie de flancher moi aussi.

    Les jours suivants furent une sorte d'errance dans un état second. Il y avait mes volontés, mes envies et le corps tiraillé entre son besoin de bouger et celui de se reposer. Je fis des courses entre l'alimentaire et le sapin que je décorai avec un peu d'aide du garçon râlant sur son tronc tordu, préparai le séjour en déplaçant telle chose, me reposant, en rangeant une autre, me reposant et ainsi sur plusieurs heures. J'errai également en ville sans trop savoir comment j'y étais arrivée et me réjouis à la découverte, dans une boutique bondée et sur agitée, des produits d'une marque rigolote. Je trouvai quelques menus cadeaux de dernière minute, mes commandes n'étant pas arrivées à temps et à la mesure de mes possibilités financières du moment. Je m'en fis un d'ailleurs, de cadeau parce que j'avais été prévenue par avance, nul n'avait les moyens d'en faire. Les fêtes de Noël n'ont rien à voir avec les excès chez nous et c'est une période souvent pénible. Sans mes initiatives, mes réserves alimentaires, ni ma mère, ni ma sœur n'auraient bougé, je ne voulais pas de cette triste réalité ni pour elles, ni pour moi, ni pour mon fiston. Je fis donc tout mon possible pour être en ordre et paix en moi- même.


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  • Suite aux mésaventures de fin septembre et au bilan uro- dynamique désastreux, je n'avais plus le choix et des injections de toxines botuliques furent décidées. J'eus d'abord un rendez- vous avec le chef de service d'urologie, copain de Solange. Cette dernière nous croisa d'ailleurs quand j'entrai dans son cabinet et me recommanda encore à ses bons soins. L'entretien fut rapide, l'attente avait été plus longue que la consultation. Il était agréable, détendu m'expliquant que l'intervention était facile et donnait de très bons résultats. Je le taquinai sur la notion de facilité somme toute très relative. « Si vous savez faire cette opération ,je vous embauche de suite! » s’exclama t-il hilare, je lui rétorquai que je savais d'autres choses, pas la chirurgie, il se soucia de demander ce que j'exerçais comme métier. La relation passa bien, heureusement car je refuse les médecins que je ne sens pas; de toute façon, Solange est derrière. A peine sortie du cabinet, les secrétaires programmèrent l'intervention, me donnèrent consignes et paperasses, les dates de rendez- vous et je fis l'admission administrative dans la foulée.

    Plus tard, il y eut le rendez- vous avec le médecin anesthésiste; sa secrétaire se révéla être une ancienne camarade de collège. Étrange que de ses retrouver! Quand elle me rappela son nom, cela remua quelque mémoire lointaine et je la resituai vaguement. La vie avait tellement changé depuis, c'était passer à une autre dimension quelques minutes; je m'étonnai surtout de tout ce dont elle se souvenait, je ne pensais pas marquer les esprits à ce point.

    L'entretien avec le médecin fut très agréable. Probablement originaire d'Afrique noire, j'appréciai avec quel calme il s'occupa de mon cas. Il prenait son temps et je reconnus des gestes d'ailleurs, une sorte de nonchalance émanait de lui, conjuguée à un sérieux manifeste. En raison des atteintes consécutives à Devic, il décida d'une anesthésie générale et non d'une péridurale, « Une petite, rassurez- vous, nous n'allons pas prendre le risque de blesser encore votre moelle». Je ne m'en souciai guère. Il est probable que je prenais cette histoire avec légèreté et indifférence, dubitative que je suis avant tout traitement.

    Lors de la programmation d'hospitalisation, les secrétaires d'urologie m'avaient mise en garde: « Vous pouvez toujours venir avec votre propre voiture mais n'y comptez pas pour le retour ». Ce fut donc avec le vsl que j'arrivai au service à l'hôpital le jeudi, convoquée à 7h, à jeun. Je traînais au gré des instructions des soignants faisant la connaissance de ma voisine de chambre, rangeant mes affaires, fatiguée d'une courte nuit. Je n'avais pas l'autorisation de m'asseoir sur le lit puisqu'il m'accompagnait en chirurgie. Je reçus la vague visite d'un médecin dont l'accent m’intrigua ( un Argentin):

    - Oh, ce ne doit pas être facile d'être si loin de sa famille! m'exclamai- je spontanément alors que je le croyais espagnol.

    - Ça va, sauf peut- être au moment des fêtes, lâcha t-il sourire en coin, refermant la porte en quittant la chambre.

    Deux soignantes s’interpellèrent dans le couloir de loin et j'eus alors pour consigne de prendre la douche de bétadine: de la tête au pieds, toutes les parties du corps, le moindre pli, orifice est à savonner de ce désinfectant rouge cœur de bœuf contenu dans de petits tubes en plastique. Je m'étonnai de l'état de la douche minuscule, avec un vague rideau, sans poignée d'aide, un simple tabouret et un crochet pour les affaires. En prime, j'avais à utiliser ma propre serviette pour me sécher alors que j'avais eu toute une série de consignes anti- germes auparavant. Plastique aux pieds dans les chaussons, vêtue de la fameuse blouse ouverte dans le dos ( les boutons ou étaient manquants ou impossibles à ouvrir), portant mes vêtements sur les bras, je revins dans la chambre. Un verre d'eau, un cachet, un liquide dans un gobelet en plastique m'attendaient, l'infirmière s'étonna de mes questions à leur propos. Si j'acceptai le liquide pour préserver l'estomac, je refusai le calmant- anxiolytique ou autre chimie pour m'apaiser. Elle s'étonna pareillement quand je soulevai quelques contradictions entre l'exigence anti- germes et la pratique concrète. Les consignes, les protocoles, la routine. L'hôpital en gros. J'attendis ensuite de longues minutes sur mon lit, la nuit ayant été courte. Cela faisait plus de deux heures que j'étais arrivée quand le médecin accompagné de sa troupe vint m'informer que j'allai bientôt partir en opération. Mon bonjour haut et fort le fit sourire, tous nos échanges d'ailleurs se faisaient sur un ton enjoué et direct ce qui laissaient ses collègues interloqués. Ma voisine de chambre, elle, se régalait; très vite, elle avait remarqué que je ne me laissai pas mener facilement et elle fut enchantée de me voir refuser, remarquer, discuter et interpeller. « C'est normal non? Après tout, c'est mon corps» lui dis- je , elle m'avoua qu'elle n'osait pas. Une brancardière vint me chercher et me conduisit par ascenseur et couloirs en chirurgie. Je n'avais pas envie de rester couchée et m'assis sur le lit observant les alentours, Fourmilière, échanges entre collègues, patients endormis, assommés, inquiets ou en attente lointaine, murs abîmés et cabossés par le transport des lits. La couverture n'était pas de trop au milieu des courants d'air avec ces portes battantes à ouverture et fermeture permanentes. Ce fut mon tour.

    Une équipe joyeuse m'installa sur la table d'opération et nous entrâmes dans une salle que j'observai à nouveau parmi les activités des soignants. Ils me furent tous présentés et chaque geste expliqué. Une espèce de couverture gonflée me fut posée sur le torse, je demandai à ce qu'elle fût mise sur le haut du corps, le froid me prenant là. C'était doux, étrange. La perfusion fut douloureuse, mon corps en a vraiment eu son lot et en est devenu récalcitrant. L’infirmière s'excusa, « Comment pourrais- je vous en vouloir de faire votre travail? ». Je regardais les machines, les volumes, les costumes, la grosse lumière au plafond, « Ce n'est pas souvent que j'ai l'occasion d'y être en vrai ». L'infirmière me parla d'autres personnes croisées en ces lieux ayant eu la même intervention très satisfaites. J'entendis une voix me demander si je dormais, je répondis que non, elle ajouta que cela ne tarderait pas et j'eus un malaise tournant la tête violemment puis sombrai. C'était parti pour les dizaines de piqûres dans la vessie via les voies naturelles.

    J'étais au bord d'une falaise dans un immense canyon prête à me jeter dans le vide quand une voix m'appela au loin. Dérangée dans mon rêve, je bougonnai:

    - J'étais dans un canyon.

    - Vous y êtes déjà allée ?

    - Non, et là j'attendais de me transformer en aigle.

    - Comment a été l'équipe en salle d'opération?

    - Adorable.

    Dans le brouillard de ce réveil, j'aperçus le médecin anesthésiste et le saluai d'un geste de la main. Il vient me la taper et la serrer puis je sombrai à nouveau. Je me réveillai plus tard dans une salle où d'autres émergeaient comme moi plus ou moins, les soignants s'activaient et discutaient. Deux d'entre eux virent vers moi, je signalai mon besoin d'uriner, un bassin me fut proposé, « Je crois que c'est trop tard, ça y est, ça coule! ». ils posèrent des paravents et changèrent mes draps, posant au passage un carré absorbant. Je remarquai que mon entre- jambe était enduit de produit désinfectant brun- rouge, le mélange avec les résidus d'urine fut des plus repoussants. Au moins, j’étais au sec. Je fus ramenée en chambre.

    N'ayant rien avalé depuis la veille, je commençai à sentir la faim et m'interrogeai sur l'heure. Ma voisine indiqua qu'il était plus de 13h. Merdalors! Un plateau me fut porté plus tard et je restai circonspecte devant sa maigreur et son peu d'allant. Je n'avais évidemment rien ramené à manger et personne pour me fournir quoique ce fut. Ma voisine raconta comment elle maigrissait à vue d’œil, cinq kilos perdus en une semaine d’hospitalisation avec un mari attentionné qui lui portait des sandwiches tous les jours. Comme je n'avais pas le droit de me lever, je restai cantonnée au lit pendant plusieurs heures à l'écouter raconter ses péripéties, ses inquiétudes et sentir les urines s'échapper sous moi. Les produits, leurs odeurs et consistances conjugués à mes urines incessantes me dégoûtaient, je pris mon mal en patience songeant à mon amie aide- soignante révoltée du sort fait aux patients pour raison comptable à économie absolue. Après plusieurs heures, deux soignants virent avec un appareil à mesurer la tension et je fus surveillée, avant, pendant et après le lever. Tout était bon. J'évoquais mes fuites incessantes, une bande absorbante me fut proposée, je m’exclamai en souvenir de l'infirmière des urgences tout sourire:

    - La fameuse protection 1950

    - Oh, mais c'est tout ce que nous avons, répliqua la soignante piquée au vif.

    - Ce n'est rien contre vous, pensez- donc. J'ai rencontré une infirmière qui les appelle comme ça et ça m'amuse.

    Elle sortit et revint avec la dite protection en lançant: « Nous ne sommes pas certains d'en avoir encore longtemps à ce rythme.» C'est bien révélateur de la misère de l'hôpital désormais, en urologie, les soignants ne sont pas certains d'avoir encore des protections contre les fuites urinaires à l'avenir. Bravo les économies.

    Je fus accompagnée à la salle d'eau au lavabo, « Vous allez vous laver». Et pourquoi pas une douche? Au point où j'en étais, je n'attendais que de rentrer, la ridicule pièce du matin m'avaient suffi. Tout à coup, j'étais nue, la soignante ayant décidé pour moi, certainement pour aller vite. Elle s'imaginait que j'étais embêtée par cette foutue perfusion douloureuse au flacon vide et dont j'ignorais la persistance. Je ne pus m'empêcher de lui dire que j'avais l'habitude de ces gymnastiques, elle était partie avant que je ne terminasse ma phrase. Je passai de longues minutes à me défaire des résidus colorés de désinfectant et aspirai à retrouver une bonne douche complète afin de me débarrasser de ces odeurs envahissantes. Je traînai ensuite, indécise, vaseuse et impatiente de rentrer. « Si prochaine il y a, c'est sûr, je ne reste pas la nuit et c'est tant mieux»

    Je rencontrai le mari de ma voisine, me régalai de ce couple de quarante ans, en relation belle, enjouée, bienveillante. Je m'étonnai presque de constater qu'un autre prenait soin d'elle ici, à l'idée de son retour et se montrait prévenant du temps à venir. Qu'allai- je trouver moi? Le capharnaüm d'un ado laissé seul 36 heures? Les attentions ne se bousculaient pas et de toute façon, je n'en parle pas ou de façon légère pour que personne ne s'inquiète, c'est mon choix.

    J'avais emmené deux livres, de quoi noter, un ouvrage pour passer le temps et je ne fis rien, hormis quelques pages vite lues avant le sommeil car ma voisine évacua toutes ses inquiétudes en me racontant ses soucis. Elle ne se plaignait pas, ne geignait pas, les échanges furent très agréables et je la taquinai avec humour de temps en temps; comme tellement, elle avait besoin de bienveillance ce que je lui offris avec joie. Elle se régala de ma langue bien vive car j'interpellais les soignants, les médecins franchement, à égalité, poliment, clairement. C'est qu'il y avait de quoi et sans rentrer dans les détails, il y eut:

    1. - Qu'est- ce que le médecin vous a dit à propos des auto- sondages? Je les reprends de suite? Je continue comme d'habitude?

    - Je n'en sais rien du tout, répondit ahuri le soignant.

    2. - Qu'est- ce que vous avez comme soupe? De la soupe en sachet?

    - Évidemment. Pourtant, quand j'ai commencé à l'hôpital de R..., il y avait un cuisinier qui faisait sa propre soupe avec des légumes frais. De grosses casseroles montaient à chaque couloir et les patients étaient servis directement. Mais l'hôpital, ce n'est plus ça, expliqua le même soignant.

    - Enfin, du moins, l'hôpital que d'autres ont choisi parce que vous et moi aurions d'autres choix.

    Au soir, une infirmière vint enfin enlever la perfusion, j'avais insisté, ne comprenant pas pourquoi on me laissait avec un flacon vide si longtemps d'autant que le service savait très vaguement combien de temps je restai puisqu'habituellement, cette intervention entraîne une hospitalisation du matin au soir uniquement. Libérée de cette foutue tuyauterie, le bras cependant douloureux et ce pour plusieurs jours, je passai la nuit pas trop mal. Ma voisine s’était endormie tôt et me raconta ses insomnies lors de mes levers pipi nocturnes; au matin, nous rîmes ensemble de nos ronflements respectifs. Comme le repas de la veille, le petit déjeuner se révéla triste et infâme. Décidément, j'ai vraiment à organiser mes séjours à l’hôpital autrement. Restait à attendre l'autorisation de départ.

    Je préparai ma valise, renonçai à la douche d'hôpital trop heureuse de retrouver une salle de bains digne de ce nom à la maison car il me tardait de nettoyer corps et tête de toutes ces odeurs. J'avais la volonté de bouger, de retrouver mes copines en soirée disco dès le soir, d'aller marcher et sortir prendre l'air, de préparer les fêtes. Pourtant, une partie de moi était mollassonne, assommée, ralentie et je l'observai dubitative. Si la veille j'avais accepté de prendre les anti- douleurs posés par l'infirmière sur le plateau repas, j'y renonçais au matin. Ma vessie était meurtrie évidemment par cette trentaine de piqûres, la douleur ressemblait à celle d'une gastro-entérite ou de règles, supportable aussi refusai- je de la faire taire. Elle avait le droit d'être entendue et je lui laissai cette place. Quand le médecin- chef arriva avec sa troupe en fin de matinée, il m'expliqua que l'opération s'était bien passée, que mon état évoluait favorablement, que je pouvais rentrer sans souci. Ma voisine s'amusa de la suite

    - Ma vessie me dit qu'elle est meurtrie et je lui laisse la place, je la respecte.

    - Oh, mais ça c'est une opération de rien du tout.

    - Opération de rien du tout pour vous, pour ma vessie, ce n'est pas rien et elle me le dit. Les effets se feront sentirent à partir de quand? Je continue le Vesicare en attendant?

    - D'ici une semaine environ et oui, continuez le Vesicare jusque là le temps de profiter de l'intervention. Les effets durent variablement de six, huit, neuf mois, cela dépend et la première parfois peut ne faire effet qu'un mois. Dès que vous sentez que l'état se dégrade, vous me rappelez et on en refait une.

    - Si je veux, répliquai- je du tac au tac.

    - Vous allez gagner en confort, un grand confort; finies les fuites entre les sondages.

    Je n'eus pas le temps de lui dire que je ne venais pas pour le confort mais pour protéger mes reins en danger, il tournait déjà les talons en riant ( il avait compris à qui il avait affaire, peut- être que Solange lui avait préparé le terrain et nos échanges étaient vraiment enjoués et complices).

    - Je suis venue en vsl hier comment..., lâchai- je in extremis.

    - Et vous rentrerez en vsl, je signerai le bon de transport, voyez avec l'infirmière, dit- il avant de disparaître.

    Par bonheur, ma voisine obtint également sa libération et l'autorisation de rentrer. Quand la cadre vint distribuer nos différents papiers de sortie, je remarquai l'absence du bon de transport, elle n'était pas au courant. N'ayant aucune envie de passer du temps supplémentaire entre ces murs à courir après des signatures, des appels téléphoniques, la disponibilité d'un vsl, programme très chronophage, je m'arrangeai avec ma voisine de chambre et son mari qui s'avéraient être des voisins géographiques, leur maison étant à 100 mètres de chez moi. Youpi! J'attendis patiemment que ses affaires fussent en ordre, une erreur ayant été commise sur l'ordonnance et finalement, nous partîmes en fin de matinée, trop heureuses de ne pas avoir à subir un repas d'hôpital de plus. Je retrouvai avec joie l'air et la lumière à l'extérieur, il me tardait d'être à la maison, de me cuisiner un petit plat goûteux, de savourer l'environnement familier et personnel loin de la détresse, de la violence sourde, de l'hôpital devenu usine. Une sortie danse avec les copines était programmée au soir et je songeai joyeusement les rejoindre.. avec toutefois une légère hésitation, une vague incertitude, quelques doutes voire des appréhensions. Mon corps n'était pas très vaillant, ma vessie exprimait son traumatisme, une de mes chères copines m'avait dit que quand même, une anesthésie générale demandait du temps de récupération. Je sentais une espèce de flottement déconcertant en moi. Et qu'allai- je trouver à mon retour? Un ado geek seul depuis la veille qui plus est en vacances à partir de ce jour, des fêtes de fin d'année à préparer, des affaires à régler... Bref, des conditions idéales de sortie d'hôpital.


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  • La maladie de Devic est rare, ses formes pédiatriques encore plus. Elle tombe malade a 16 ans.

    Elle se bat quatre ans contre des poussées à répétition, son corps subit des traitements sans cesse, bourré de cortisone, piqué, remué. Elle refuse le fauteuil, s'interroge sur son avenir, espère des enfants. Elle soutient tous ceux qu'elle croise, s'accroche à la joie de vivre, parfois dans l'ironie au regard des circonstances cruelles. Pleinement dans la vie, elle attend beaucoup du traitement prévu en cette fin d'année, juste avant Noël.
    Et puis, le 25, son cœur lâche, tout est fini, sa vie s'arrête.
    Brutal, violent.
    Terrible écho à la gravité de cette saloperie de maladie.
    Mes pensées vont à tous ceux qui l'aiment.
    Adieu Anaïs.

     


     

    Ce Noël a été éprouvant, je suis bouleversée, c'est tout ce que j'arrive à écrire pour l’instant.


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  •  Le retour à pieds ne s'avéra pas si simple. Après un quart d'heure, je m'arrêtai, à cause du sac lourd gênant. Malin. Bornée, je continuai ainsi jusqu'à une centaine de mètres de la maison où la vessie se manifesta subitement. J'appelai mon garçon à la rescousse, accroupie au sol pour maintenir fermée les écoutilles, il vint de suite et ne me lâcha plus de la journée à faire des câlins et partager tout et n'importe quoi... sauf les tâches laborieuses. C'est qu'à la maison, le repos ne se présenta pas d'office, il y avait mes affaires et le bazar généré par l'adolescent du cru seul pendant deux jours. L'énergie suffit pour surmonter désordre et saletés insupportables. Ceci fait, j'avalai une pâtisserie en réconfort, me reposai quelques minutes puis filai à la pharmacie chercher l'antibiotique, à pieds, utiliser la voiture étant plus compliqué que de marcher. Au soir, je ne traînai pas, vite fait au lit trop heureuse de retrouver la douche, les habitudes, le lit chaleureux, les odeurs familières. Le lendemain, je m'activai à l'accoutumée déterminée notamment à préparer des repas savoureux. Mon garçon resta bouche bée quand vers 11h 30, je lâchai tout pour aller m'allonger: « Je ne me sens pas bien ». Dans son inquiétude, il me sermonna à tout va, critiquant mon obstination à travailler tout le temps sans pour autant m'aider. Heureusement, je sais de qui cela vient et dans quel contexte. Il ne fut d'ailleurs pas le seul à me bombarder de jolies remarques très constructives: mais pourquoi tu ne prends pas un arrêt de travail? Pourquoi tu ne te reposes pas? Ce retour à pieds était irresponsable, stupide. Bla bla. J'y entendis de l'inquiétude à mon égard et surtout d'autres enjeux plus ou moins clairs. Un déclencheur. Mon besoin impérieux de quitter l'hôpital au plus vite n'avait pas de place d'autant que je riais en racontant cet épisode. Rester à la maison, voir toutes les tâches à effectuer, supporter un ado en vacances monopolisant l'espace entre l'ordinateur et le téléphone, à hurler avec les copains sur Skype devant ses jeux.. Euh... non merci. Au travail, je ne pense qu'à une seule chose et me vide la tête. Tranquillement, sans que quiconque ne remarquât fatigue, douleurs et pâleur, je tins jusqu'au mercredi matin, jour prévu pour le bilan uro- dynamique renonçant de temps en temps à quelques sorties ou effort. La veille, l'infirmière vérifia si la pyélonéphrite ne posait pas de souci à l'examen puis elle m'invita à venir une heure plus tard que prévu en raison des décalages d'examens avec la vessie pleine de préférence. Je m'exécutai ravie de ne pas traîner en salle d'attente, confiante, le précédent épisode bouclé à mon avis et mes soucis urinaires bien arrangés ces derniers mois. Arrivée dans la salle d'examen, l'envie- pipi se fit pressante, j'entrevis Solange en pleine discussion avec un jeune homme autour d'une machine. Salut chaleureux, invitation à me préparer, j'attendis plusieurs minutes en serrant les écoutilles. Pendant ce temps, j'entendis les vifs échanges entre les interlocuteurs et compris qu'un nouvel appareil était en test et malgré les certitudes du jeune homme, représentant commercial de la société , Solange certifiait que la machine faisait défaut et ne donnait pas de résultats fiables. Le précédent examen avait été lamentable et en plus de la perte de temps pour tous, elle ne pouvait se fier aux données de la machine. Le jeune homme revenait constamment aux tests en laboratoires, leur véracité, leur fiabilité, etc. Pressée, j'eus enfin le droit de me soulager mais avec tout ce bardas, je sentis que la vidange ne fut pas efficace; le sondage suivant confirma mon intuition. Installation des sondes et tuyaux. l'infirmière et moi devisions joyeusement sur ces circonstances particulières pendant que les deux interlocuteurs continuaient à ne pas être d'accord. Les premiers résultats sur ma condition marquaient de fortes pressions abdominales et sur les tuyauteries internes, les estimations de la machine high-tech approuvée par les tests en labo donnaient des indications complètement fausses sur la vessie. « Je connais ma patiente, elle a une vessie neurologique hyperactive et hypersensible, vos chiffres ne sont pas corrects». Et le jeune homme de revenir aux études en labo, de mettre en doute l'installation des sondes par l'infirmière (« J'ai 30 ans d'expérience et ce jeunot voudrait m'apprendre mon métier.» me souffla cette dernière alors que j'observai les scènes hilare). J'attendis ainsi les jambes en l'air. Le jeune homme était gêné, n'osait me regarder, Solange ne lâchait rien et avec l'infirmière, nous observions ce cirque en riant. Les premiers essais après plus d'une demi- heure pattes en l'air et tuyaux en place agitèrent ma vessie, j'inondai la place. Vraiment, les circonstances ne se prêtaient pas à un examen serein. Après près d'une heure de discussions, de coups de téléphone et d'argumentation, Solange décida que cela suffisait. « Je ne prendrai pas votre machine si elle ne fonctionne pas correctement surtout au prix où elle coûte et ma patiente a assez attendu. C'est une patiente en or, on n'en fait pas beaucoup des comme ça alors vraiment, maintenant, ça suffit! Nous allons faire l'examen comme avant! ». Cocasse. Retrait des premières sondes, transformation de la machine à coup de tournevis et autre bras, nouvelles sondes et enfin, quelques résultats valables. Après seulement quelques secondes de remplissage, j'inondai à nouveau et Solange tira une impression avant de me montrer les courbes: «Cette ligne là est une limite, tout ce qui dépasse ( activité de la vessie) est le signe que les reins sont en danger.» Évidemment, chez moi, la vessie grimpait en flèche de suite, restait au- dessus tout du long et chutait ensuite. Autant dire que ce n'était pas bon. Je n'avais plus rien à discuter, Solange prit les décisions: « Je vous prescris un médicament pour calmer la vessie, il faudra vous sonder cinq fois par jour systématiquement et vous aurez des injections de toxine botulique rapidement, nous allons vous programmer une intervention ». Elle en profita pour changer l'antibiotique, rédigea une longue lettre pour son collègue ( j'appris plus tard qu'elle m'envoyait chez le chef de service d'urologie), m'expliqua que désormais, ces étapes étaient nécessaires. Nous partageâmes sur ma fatigue depuis plusieurs semaines et évoquâmes l'éventualité d'une reprise de la maladie manifestée par l'état dégradé de mon système urinaire. Nous convînmes de contacter neurologue et professeur pour signaler ces péripéties et connaître leur avis. Avant de partir, elle me proposa un arrêt de travail «Vous devez être épuisée» que je refusai en riant, expliquant que je me fatiguais plus à la maison puis nous nous quittâmes joyeusement. Au bureau d'accueil, les secrétaires me trouvèrent un rendez- vous in extremis au plus vite et je rentrai chez moi après deux heures de vaudeville. Au regard des circonstances et surtout parce que je rentrai tard, j'annulai un cours particulier dans l'après- midi me sentant fatiguée, quand même. Le soir, je changeais d'antibiotique et entamai le traitement pour bloquer la vessie. Branle- bas le combat dans les jours suivants pour obtenir une ordonnance et la livraison de sondes en nombre suffisant. Rapidement, je sentis la différence. Au fil des jours, les impériosités devinrent exceptionnelles, uniquement liées à des efforts physiques en portant lourd, grimpant des côtes ou parce que j'avais beaucoup, beaucoup bu, les nuits complètes se multiplièrent. Je ne rencontrai de contraintes que dans le calcul des intervalles entre deux sondages, en raison du manque de propreté de certains lieux ou l'absence d'un lavabo dans les toilettes ( je suis devenue championne du pipi debout dans un petit pot). L'idée de tenter ce dont je me prive depuis des lustres me traversa rapidement l'esprit: le roller et tout ce qui secoue ( zumba, danse à saccade, courir). Fiston me regarda ahuri quand je lui en parlai et d'autres à l'identique m'invitèrent à plus de mesure. Mouai. Je sais pertinemment que quand la mouche me pique, j'y vais ( j'ai en l'occurrence déjà essayé la zumba à la maison, avec des vidéos sur la toile). Comme je ne cours plus pareillement aux toilettes les mains entre les jambes, certains s'en inquiétèrent et je les rassurai sur le calme retrouvé. Certes, les premiers jours ne furent guère aisés avec une vessie très réactive peu encline à se taire mais je persistai et les résultats sont évidents. Dans ma tête trottait la phrase de mon garçon au retour de l'hospitalisation en urgence: «Peut-être que cette histoire permettra de résoudre tes problèmes de pipi, qui sait?». L'angoisse d'une nouvelle crise de Devic me poursuivit plusieurs jours jusqu'à ce que j'envoyai un message au professeur de Sèze évoquant mes aventures; après deux jours, il me rassura. La priorité était de s'occuper de mes soucis urinaires puis de laisser passer le temps. Au moindre signe visuel ou moteur, les boli de cortisone étaient à prendre mais sans eux, inutiles de s'inquiéter. Ouf. Quinze jours après le bilan uro-dynamique, je m'entretins avec le médecin urologue; Solange avait préparé le terrain en expliquant mon cas et elle insista encore en nous croisant avant mon entrée dans le bureau le jour du rendez- vous. La consultation fut rapide, en bon entente. Il m'expliqua l'intervention, en vanta ses mérites. En quelques minutes, tous les rendez- vous furent pris, j'avais un bon de transport pour l'aller, le retour et mon hospitalisation programmée. Le 19 décembre, je me ferai piquer en 30 points la vessie sous anesthésie pour la bloquer. Juste avant les vacances de Noël, chouette. L'aventure étant en cours, je ne conclurai pas sur ce sujet maintenant, la suite viendra en son temps et d'ici là, je vous en raconterai d'autres. Je termine seulement ces épisodes concours de circonstances par les observations suivantes: je suis allée en août chez Solange pour chercher confirmation de l'amélioration de mon état et lui demander son avis sur un sujet particulier, le bilan uro-dynamique a été programmé dans ce but par hasard, l'analyse d'urine en préambule est arrivée par hasard alors que j'avais une infection, les résultats du labo sont arrivés exceptionnellement en retard, j'étais chez mon généraliste pour y chercher un antibiotique et mon état s'est dégradé par hasard dans sa salle d'attente, j'ai fini à l'hôpital en catastrophe peut- être bien avant que la pyélonéphrite ne devienne trop méchante. Ensuite, le bilan uro- dynamique a suivi, programmé depuis deux mois, par hasard, avec les conséquences évoquées ci- dessus. Tout ceci n'est qu'une suite de hasards qui confirme une intuition que je sens depuis belle lurette: quand il m'arrive quelque chose de grave, voire très grave, j'ai une chance incroyable. Je ne ferai pas la liste car il y en a plus que les épisodes Devic mais ces concours de circonstances en sont un nouvel exemple. Bon, d'accord, il m'arrive des trucs pas drôles souvent mais franchement, ce qui m'importe, c'est de rester dans la VIE, c'est elle, très probablement qui s'exprime avec ces hasards, ces circonstances. J'aime mieux ensorceler le monde ainsi plutôt que de m'angoisser. Des études montrent que cette attitude fait gagner sept ans de vie, je ne vais pas me gêner et ce serait un comble que moi, malade, je vive plus longtemps que d'autres en pleine santé pétris d'angoisses et tristes.


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  • Au repas de midi, nous avions de la rosette en entrée, du poisson blanc en filet accompagné de légumes, un yaourt et des pruneaux au sirop. Je mis la charcuterie de côté pour fiston, il est amateur et j'en achète très peu, je mangeai sans entrain le plat, c'était fade, je rêvais d'épices pour le relever. Une femme entra alors que j'en étais à ces pensées et me dis: « Vous avez mangé votre poisson». Surprise, je me tournai vers elle et lus sur sa blouse que c'était la diététicienne; elle semblait rassurée.

    - Oui, je mange bien que ce soit différent de ce que je prépare à la maison; j'aurais voulu un peu de curcuma pour relever.

    - Vous avez l'habitude de manger épicé?

    - Oui. 

    - Nous ne pouvons pas véritablement le faire en collectivité. 

    - Je comprends, ce ne serait pas au goût de tous, il n'empêche que les légumes sont trop fades pour moi.  

    - Ils sont cuits à la vapeur et je tiens à ce que ce soit des légumes frais et non des tout préparés à simplement réchauffer. 

    - Vous essayez de faire de votre mieux  

    - Oui, ce n'est pourtant pas facile avec les impératifs d'économie permanents. 

    - Malheureusement, c'est encore l'argent qui fait la loi. J'avais entendu une émission sur l'alimentation à l'hôpital où quelqu'un se révoltait des choix actuels considérant que c'était honteux de si mal nourrir les malades; il préconisait la généralisation du bio et des aliments vivants.

    Les vannes s'ouvrirent et pendant plusieurs minutes, elle m'expliqua combien il lui était pénible de conjuguer au quotidien les impératifs financiers et sa volonté de proposer une alimentation de qualité. Il émanait d'elle le même sentiment que celui de l'aide- soignante du matin, une sorte d'exaspération, de lassitude et une opiniâtreté de continuer malgré tout pour faire au mieux dans un contexte délétère. Qu'avais- je à faire d'autre que de lui laisser de la place? Elle repartit plus légère et j'en fus bienheureuse.

    L'après- midi, je continuai d'écouter la musique sur le téléphone, gigotant à certaines plus entraînantes car le corps a besoin de se mouvoir; les ondulations débloquent tellement de tensions, je n'allais pas me priver. De même, m'impatientant de l'arrivée de mes visiteurs et de quelques affaires, je fis des allées-et- venues dans les couloirs, traînant la potence et ses bidons encombrants dont j'ignorais la raison. Mon bras se remettait péniblement des piqûres de la veille quand les veines étaient contractées et récalcitrantes, il me tardait de virer ce bardas. L'infirmière d'après- midi vint vérifier le débit et changer le bidon. Comme elle se présentait chaleureusement en donnant son identité et son statut, je lui répondis de même spontanément ce qui la fit sourire; ce n'était peut-être pas habituel. Je lui demandai ce qu'était cette eau en perfusion, « Le médecin tient à ce que vous soyez bien hydratée afin de protéger les reins. » Bien. Sa tâche effectuée, elle m'invita à continuer les déambulations tout sourire; elle respirait la bonté.

    Après quelques échanges téléphoniques familiaux pour savoir qui venait et quand, je préparai le sac à distance avec mon garçon ahuri par tant de demandes: « Maman, tu as besoin de tellement? Tu ne restes qu'un jour ou deux, c'est quoi quand tu pars une semaine alors?! ». Bienvenue dans l'univers débordant de ta mère au cas où tu ne t'en étais pas encore rendu compte, garçon. Affaires de toilette et en particulier la brosse à dents, quelques sous- vêtements de rechange, des chaussons, les médicaments, un livre, un tricot, la console de jeu DS ( tiens, là, il ne râla pas, il ajouta de lui- même le chargeur au cas où). Étant très impliqué dans la vie domestique, j'eus à lui expliquer souvent où se trouvaient les divers objets. Cela nous prit une bonne demi- heure dans une agitation joyeuse et tumultueuse, qu'il m'était bon d'échapper à l'ambiance des lieux!

    Peu après, je changeai de chambre et m'y retrouvai sans voisine. Quand fiston débarqua avec un sac bien plein, je me hâtai d'étaler mes affaires. Je constatai dépitée qu'il m'avait apporté une pièce de tricot terminée, tant pis. Zelda, spirit tracks sur DS et Le trône de fer en lecture avaient de quoi m'occuper pour les heures à venir. Ma mère, comme à son habitude tapa dans le surréalisme: elle avait acheté DIX pâtisseries avant de venir: mille- feuilles, religieuses, éclairs, charlottes. Fiston accepta d'aller chercher des boissons à la machine puis nous discutâmes de choses et d'autres en grignotant ou engloutissant ces sucreries selon les envies de chacun. J'eus droit évidemment à toute une série de vidéos Geek, fiston ayant vraiment besoin de partager avec sa mère insupportable. En même temps, Colette, médecin généraliste hors compétition m'appela pour prendre des nouvelles, s'excusant de ne pas l'avoir fait plus tôt. Je la rassurai sur mon état, mon hospitalisation et lui racontai en riant l'épisode avec le médecin dénigrant les pratiques homéopathiques. Elle connaissait l'énergumène et m'expliqua qu'elle ne se permettait pas de juger ses pratiques alors que lui ne se gênait pas. « Bah, il a probablement besoin de se donner de l'importance, va savoir. ». Elle me connaît bien, elle en sourit.

    A peine la familia partie, ce fut une amie adorable de la danse orientale qui partagea un bon moment avec moi, malheureusement, les gâteaux étaient partis aussi alors nous nous désolâmes de l'occasion ratée à quelques minutes près. Toute à la joie d'avoir retrouvé ma brosse à dents, je terminai la journée calmement entre Zelda et la lecture puis je tâchai de dormir, fatiguée de la courte nuit précédente. Il ne fut plus question de ronflement, bien sûr, restaient les visites discrètes des soignantes de nuit, et surtout l'eau ingérée conjuguée au bidon qui provoquait des levers fréquents aux toilettes. Déjà que ce n'est pas évident en temps normal, la potence rajoutait un élément et je sentis que le retour à la maison devenait un besoin de plus en plus prégnant.

    Au matin, l'infirmière entra tonitruant parlant fort avec sa machine. Réveil agréable, cela va sans dire. Je ne bronchai pas et traînai au lit jusqu’au petit déjeuner. Acrobatie à la toilette, avec les bidons et la potence, au moins j'avais mon savon et non plus celui de l'hôpital dont l'odeur me rappelle les événements pénibles de 2006. Le va- et- vient des agents de nettoyage se fit alors que j'étais en pleine séance de Qi Gong. Entrée sans toquer, la porte laissée grande ouverte, elles étaient dans leurs tâches, je préférai rester à mes mouvements entravés par la perfusion qui me faisait mal. A la visite de l'infirmière, je lâchai mon envie de rentrer, « J'en ai marre». Il faisait tellement beau dehors, le soleil illuminait les couleurs automnales et je n'avais pas trouvé d'endroit où sortir prendre l'air.

    Ensuite, j'écoutai religieusement Sur les épaules de Darwin de Jean- Claude Ameisen, France Inter racontant le monde des abeilles et leurs incroyables capacités puis, dans l'heure suivante, La planète bleue d'Yves Blanc, Couleur3, bulles merveilleuses et nécessaires. Au moment du repas, le médecin, tout sourire, agréable arriva. Il avait eu vent de mon ras- le bol et approuva ma sortie dans les heures suivantes. Youpi!! Il me demanda de prendre les antibiotiques encore six jours et de faire une échographie abdominale pour vérifier les reins. C'était déjà fait, lui répondis- je, tout allait bien donc, aucune raison de s'en faire. A ma grande joie, l'infirmière vint enlever la perfusion et je constatai que le bidon était presque plein. Poubelle. Comme tout le plastique omniprésent. Libérée, je rangeai mes affaires consciencieusement dans un sac somme toute lourd. Quand elle revint m'apporter l'ordonnance, l'infirmière me demanda si j'avais les moyens de rentrer. Envahie par mon besoin de partir au plus vite, je ne demandai rien et expliquai que n'habitant pas loin, je rentrais à pieds. Avant de partir, je refusai de remplir le questionnaire sur mon hospitalisation laissant le tout en plan sur le lit. Je ne veux pas juger de l'attitude des personnels, de leur amabilité, du respect de mon intimité et compagnie alors que je sais que leurs conditions de travail se dégradent, qu'il leur en est demandé toujours plus avec moins. En plus, demander à sourire, dire bonjour, toquer avant d'entrer sont des consignes répétées et exigées du personnel, chacun y met de soi ou pas. Non intériorisées, ces consignes sont des automatismes vides qui ne satisfont personne.

    A 13h, je rejoignis les soignants regroupés dans leur salle pour leur signifier mon départ et les saluer. Je sillonnai les longs couloirs et sortis enfin au soleil, à l'air. Soulagée et déterminée, je me mis en marche savourant chaque pas. Je pensai l'épisode clos, j'aspirai à retrouver la normalité du quotidien. Je pensai... le corps lui, ne pense pas, il vit. Il allait vite me le rappeler.


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  • Vêtue d'une blouse d'hôpital, jupette, collants, sous-pull et gilet dans un sachet plastique, je montai accompagnée d'une aide- soignante en fauteuil au service de médecine. Bien que des travaux aient été effectués depuis, je reconnus, indifférente, le service où j'avais été hospitalisée en 2006. Pesée, piqûre, dossier rempli à 23h, serviettes et gants de toilette me furent fournis. « Cette nuit, vous serez avec une petite mamie qui dort tout le temps. Elle n'utilise pas même la salle de bain », soit. J'avais faim, partie de la maison l'estomac vide, en laissant gonfler une pâte à pizza et égoutter des tomates dans l'évier. Un plateau avec quelques bricoles me fut porté, un antibiotique en gélule était à prendre en fin de repas. Je mangeai tranquillement, avec parcimonie, les produits n'étant pas ceux auxquels je suis accoutumée. J'envoyais quelques messages rassurants aux rares personnes averties, fiston m'ordonna de ne pas m'inquiéter pour lui et de m'occuper de moi ( par moments, qu'est- ce que je suis fière de lui! ... par moments). Je rangeai mes affaires puis me glissai dans les draps, m'amusant de mes dents sales et de l'absence du lavage habituel en proximité soudaine avec l'ado de la maison.

    Malgré les chambardements d'une longue journée, impossible de trouver le sommeil. Le paracétamol avait fait grand effet et le temps passé à dormir précédemment m'était peut- être déduit des heures de la nuit. Je ne la voyais pas, séparée que nous étions par un rideau, mais la voisine était très présente dans tout l'espace. Elle ronflait fort, respirait difficilement, produisait des bruits divers et multiples , une grande souffrance émanait d'elle et jusqu'à 3h du matin, je ne savais que faire. Tout à coup, je me souvins que des bouchons d'oreilles traînaient dans mes poches depuis les Eurockéennes et je me hâtai de les installer. Je m'endormis dans les minutes immédiates.

    A plusieurs reprises, des soignantes virent la surveiller, la soigner puis, il y eut les constantes. Autant dire que je n'étais pas très reposée et regrettai mon lit, ma chambre et le vacarme de mon garçon. Ce dernier m'envoya une volée de sms dès 6h30 paniqué parce qu'il ne retrouvait plus ses clefs, prêt à partir. Lui qui n'a rien habituellement à me dire m'en inonda sous tous les prétextes pendant toute mon hospitalisation; tant pis pour ce vendredi manqué et les évaluations d'anglais qui le préoccupaient, les circonstances expliquaient ses maladresses et il évacuait stress et inquiétudes à sa façon.

    Aux premiers soins de l'équipe du matin à ma voisine, je rapportai aux soignantes combien elle respirait mal.

    - Elle est très encombrée, oui, confirma l'une d'elle et de suite s'excusa: Ce n'est pas facile d'être à côté d'une personne dans cet état mais nous n'avions pas d'autre chambre hier soir quand vous êtes arrivée, vous en aurez une autre aujourd'hui.

    - C'est surtout difficile pour elle, elle est en grande souffrance, répondis- je.

    - Et vous avez de la chance, la personne précédemment à votre place ne pouvait fermer l’œil de la nuit tant elle hurlait de douleurs! C'est pourquoi elle a un traitement pour dormir.

    A l’heure de la toilette, je glissai d'une petite voix que je n'avais pas de savon, les aide- soignantes m'en procurèrent et je fus ravie d'aller me débarbouiller tant bien que mal avec la potence, ses tuyaux, ses bidons. Il n'était pas évident de s'habiller avec des manches étroites, une aiguille qui me tourmentait sous ses plastiques mais je tenais à ne pas traîner en chemise d'hôpital. Je m'amusais de ma tenue slip jetable et protection 1950 terriblement mode. Je fus émue par les petites affaires de ma voisine posée là, déodorant, eau de Cologne, brosse à cheveux dans une trousse quasi neuve. Ces modestes coquetteries me touchèrent alors que je la savais mal en point juste à côté.

    En pleine acrobatie avec les bidons de la perfusion, un brancardier arriva pour me conduire à l'échographie abdominale. Il me passa les vêtements restés sur le lit et je filai dès la sortie avec lui à travers les couloirs, trop heureuse de pouvoir marcher bien qu'encombrée de la potence.

    La médecin chargée de l'examen se révéla délicieuse. Nous discutâmes tout du long dans une ambiance douce et authentique. Elle m'interrogea sur la raison de mon hospitalisation, de cet examen et je racontai rapidement Devic. Elle s'étonna de mon acceptation à revenir dans le même service où l'expérience avait été si mauvaise. « Les médecins de 2006 ne sont plus là, nous savons ce que j'ai, c'est infectieux et facilement soigné, la situation n'a rien à voir, c'est simple. ». Elle m'interrogea également sur les tests concernant la maladie de Lyme et comprit rapidement que je connaissais cette problématique. A son tour, elle me raconta l'expérience de son mari touché à plusieurs reprises par cette saloperie. Nous étions d'accord sur la nécessaire modestie des médecins, la complexité du corps humain. C'était un beau moment de partage. Et en prime, mes reins allaient bien. A mon départ, elle me remercia, je fus ravie de la savoir si heureuse que moi.

    Alors que je cheminai seule vers le service, tranquille, un brancardier très loquace avec tout collègue croisé proposa de me raccompagner. Dans l'ascenseur, il me demanda si l'examen s'était bien passé.

    - Oui, très bien, merci.

    - C'est que ce sera bientôt mon tour.

    - J'ai vaguement entendu que vous alliez être en arrêt de travail longtemps

    - Un mois. Et pas le droit de bouger, de soulever. Repos total! Canapé et télé. Je vais me faire opérer d'une hernie ici même.

    - Et vous êtes inquiet ( J'avais deviné qu'il avait besoin de parler, je lui offris mon empathie avec joie)

    - C'est la première fois que je me fais opérer. Je sais que ça va bien se passer, que c'est idiot de s'en faire.

    - C'est normal, ils vont couper et vous trifouiller à l'intérieur quand même.

    Il sourit, la bienveillance et l'écoute le soulageaient un tout petit peu.

    De retour dans la chambre, je passai le temps grâce à mon téléphone capable de me fournir radios et musiques en plus des fonctions communication, somnolai, déambulai au gré des envies et observai l'environnement: agitation laborieuse, échanges entre patients, le poids des souffrances, préoccupations, inquiétudes, quêtes de légèreté, d'oubli. La télévision bourdonnait de ci de là, je n'aspirais qu'à sortir d'ici au plus vite.

    Plus tard, deux aide- soignantes vinrent s'occuper de mettre la voisine en fauteuil, je réalisai que l'une d'elles était élève en stage. Elle avait sur le visage une joie d'être en soins, une compassion indéniable. De par ma profession, je prépare aux concours d'entrées des écoles de soignants, aussi, je saisis l'occasion pour prendre un avis en situation directe: «Vous êtes en stage? Vous êtes à quelle école? Vous aimez ce que faîtes? Ce métier vous plaît vraiment alors.» C'était indéniable. Je lâchai:

    - Le plus important, je crois, c'est de ne pas être blasé.

    - Oh, vous savez, ce n'est pas la relation aux patients qui nous dérange, au contraire, répondit la soignante expérimentée, c'est plutôt la société.

    - C'est- à- dire?

    - Le comportement des familles, des proches, la solitude, la violence des relations, ce qu'on nous demande, toujours plus avec moins.

    - Vous voulez dire les conditions de travail?

    - Oui, c'est ça. Plus le reste. C'est que nous en voyons tous les jours et franchement, ce qu'il se passe actuellement, ce n'est pas joli, joli.

    J'étais triste de ces souffrances et violences, laissai alors de la place à l'empathie pour les personnes en présence. «Vous faîtes vraiment un métier difficile» dis- je simplement.

    Vers midi, le médecin de service arriva. Il était tendu, trépignait. Il m'interrogea sur mon infection urinaire et s'emballa vite fait à me sermonner sur mes choix de traitements qu'évidemment il ne connaissait pas

    - Pour les infections urinaires, vous pouvez les faire disparaître sans médicament, il suffit de boire beaucoup. Éventuellement, il y a la canneberge qui a fait ses preuves mais tout votre bardas, c'est n'importe quoi.

    - J'ai tenu 7 ans avec ça sans qu'il m'arrive quoi que ce soit. Là, c'est un concours de circonstance malheureux avec des résultats de labo arrivés tard.

    Il n'entendait rien, agacé. Je lui expliquai alors que j'étais blessée à la moelle suite à la maladie de Devic parente de la sclérose en plaques. Il se lança dans une explication sur ces pathologies, je le laissai marmonner patiente puis ajoutai que cela entraînait des soucis urinaires entre vessie hyper active, hyper sensible conjuguée à des sphincters atones d'où une exposition plus importante et une résolution plus complexe des infections urinaires. Il commença à s'énerver, dédaigneux: « Et qui vous a posé ce diagnostic de Devic? Votre homéopathe? ». Au fond de moi, je souris habituée à ce genre de réaction tout en restant calme et ferme: « Le diagnostic clair, ferme et définitif a été posé par le professeur de Sèze à Strasbourg» ce qui lui coupa la chique et le calma immédiatement. Je demandai combien de temps j'allai rester car pour prendre des comprimés, oraux je pouvais le faire chez moi. Il m'expliqua qu'il me gardait en observation jusqu'au lendemain et qu'il aviserait alors. Dommage. Il se tourna ensuite vers ma voisine dormant au fauteuil, l’appela plusieurs fois en criant puis repartit exaspéré. A sa sortie, ma première réaction fut de penser « Quel connard! ». Plus tard, je le vis au loin, courbé, comme écrasé et je me décidais à lui donner de l'empathie, seule solution constructive et efficace à mes yeux. Je mesurai combien la souffrance était omniprésente en ces lieux, le poids qu'elles représentaient, la responsabilité des soignants, leurs tâches parfois ingrates, c'était bien triste. Le petit vieux immobile, le regard lointain, les yeux mi- clos laissé pendant des heures devant la télévision dans le salon du couloir ou ma voisine endormie, souffrante et encombrée avec ses jolis chaussons, sa belle robe de chambre neufs me serraient le cœur. «La vie tient à si peu de choses» pensai- je. J'avais tellement envie de partir, de sortir. L'après- midi se consacra heureusement à la venue de mon garçon avec des affaires pour m'occuper l'esprit, voir et entendre autre chose, retrouver rapidement le quotidien.


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  • En titubant, je franchis le seuil des urgences. Le bureau d'accueil était vide, quelques personnes y discutaient assises sur les chaises à propos d'un accident de deux roues dont les protagonistes étaient là pour quelques éraflures et un bras froissé, l'ambiance était légère. Une grande affiche indiquait qu'avant de sonner, il fallait aller à l'accueil demander une fiche de circulation. N'ayant vraiment aucune envie de traverser les longs couloirs, je demandai s'ils avaient sonné- Oui, oui, c'est bon pour nous- et appuyai sur le bouton. Une femme en blouse bleue arriva, je lui tendis l'enveloppe de Colette et ma carte vitale:

    - Mon médecin m'a déposée, elle pense que je fais une colite néphrétique ( c'était sorti comme ça, sans réfléchir, parce que c'est tout ce qui me vint).

    - Vous avez votre fiche de circulation?

    - Je ne suis pas en état de la chercher.

    - Oh, mais il nous la faut absolument. Asseyez- vous dans la salle d'attente, on va voir.

    Elle était contrariée, je grelottais et vacillais, décidée à prendre la place nécessaire dans mon état présent. Je m'assis dans un coin avec l'envie folle de me coucher, il n'y avait pas de quoi le faire. Elle revint quelques minutes après en insistant sur l'obligation de chercher cette fiche de circulation; excédée, je me levai en lui répondant:

    - J'y vais alors! C'est le système qui veut ça, veuillez m'excuser, ça n'a rien à voir avec vous.

    Je me rendis donc péniblement à l'autre bout de l'hôpital, puisant dans mes réserves pour y arriver droite. Là- bas, une jeune femme était sur le départ, un homme farfouillait dans les tiroirs.

    - J'ai besoin d'une fiche de circulation pour les urgences.

    - Un instant s'il vous plaît - s'adressant à la jeune femme: où sont les papiers? ça fonctionne maintenant?

    - Non, il n'y en a plus et de toute façon, tu ne peux pas imprimer, répondit- elle

    - Désolés madame, nous ne pouvons pas vous la donner, dites- leur que nous vous la ferons plus tard.

    Mon attente avait duré plusieurs minutes et j'avais résisté pour ne pas m'affaler et pendant qu'ils s'affairaient, je ne pouvais lâcher du regard la chaise placée plus loin. A l'intérieur, je souriais de cette situation grotesque puis repartis bredouille. De retour aux urgences, j'expliquai le souci informatique apparemment plus recevable que mon état. Je retournai m'asseoir dans la salle d'attente, recroquevillée et tremblante, les yeux pleurant constamment. Après une bonne dizaine de minutes insupportables entre les conversations des autres personnes et la télévision, je fus appelée. Installée dans un box, une infirmière m'invita à me mettre en blouse.

    - Je suis frigorifiée

    - Voilà un drap et une couverture, servez- vous en cas de besoin.

    Je me changeai et m'allongeai sur la table d’auscultation pliée sous drap et couverture, somnolente. Le portable en mode silence vibrait souvent, je n'avais pas la force d'y répondre. Une soignante vint remplir un dossier, prendre température, tension, pulsation cardiaque. La fièvre montait visiblement à grande vitesse, j'avais mal partout, elle m'invita à ne pas trop me couvrir pour contenir la température. Elle sortit, j'entendis vaguement discuter au loin de mon cas. Le médecin du service vint me voir, tâtonnant et questionnant:

    - Qu'est- ce qui vous arrive?

    - C'est à vous de me le dire, répondis- je hilare.

    - Vous avez mal où? Ça brûle quand vous uriner?

    Il faisait son travail, l'enveloppe de Colette avait largement débroussaillé le terrain, j'avais plus d'impression qu'il s'agissait de formalités et c'était tant mieux parce qu'à l'arrivée, j'eus été incapable de gérer en plus de la fièvre et des douleurs les questions, les obligations.

    Une infirmière adorable posa une perfusion. J'avais tellement froid que mes veines se contractaient; la première cassa, elle recommença en s'excusant. « Ne vous excusez donc pas de faire votre travail». Les aiguilles me faisaient très mal, je ne les supporte plus depuis les événements d'entrée en Devic. Elle m'expliqua: «Une infection urinaire, c'est une chose, mais quand ça touche les reins, on ne rigole plus. C'est qu'ils sont précieux, nos reins. Vous serez hospitalisée le temps de vous soigner.» Analyse d'urine mouvementée en raison de mon état, de la potence, j'en arrivai à faire le nettoyage des toilettes; heureusement, le paracétamol faisait rapidement effet, je retrouvai mes moyens. J'eus à expliquer, ré-expliquer la maladie de Devic, mon parcours, mes allergies. L'infirmière comprit alors mieux mon détachement face à ce qui se révélait être une pyélonéphrite. J'évoquai également la phrase de Christiane Singer: « Ce qu'il y a à vivre, je vais le vivre» avant de monter en chambre en fauteuil roulant.

    Je réussis à prévenir mon fils pour qu'il ne s’inquiétât pas, découvris qu'une de mes copines de la danse était depuis une heure dans la salle d'attente. Ils ne l'avaient pas laissée me rejoindre, je lui demandai de rentrer chez elle, il était 23h et trop tard pour envisager quoique ce fut. J'allais mieux, j'avais faim et l'envie folle de dormir, je n'avais donc aucune difficulté à reporter au lendemain sauf que je songeais amusée qu'arrivée sans rien, j'allais passer une nuit les dents sales et sans quoi que ce fut pour me laver ou me changer hormis une blouse d'hôpital, de superbes slips jetables façon boxer, des protections taille 1950 ( dixit l'infirmière). Il valait mieux en rire. Après tout, j'étais calme, aucunement stressée, j'observais les événements simplement.

    A suivre.


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  • Solange, médecin de rééducation, est déterminée à trouver une solution à mes problèmes urinaires sur lesquels nous nous penchons depuis plus de six ans. Pour se faire, elle programma un troisième bilan uro- dynamique cette semaine. Le protocole habituel est de faire une analyse des urines dix jours avant afin de vérifier qu'il n'y ait pas d'infection, cette dernière étant incompatible avec l'examen. Je déposai donc mon échantillon samedi 23 septembre, rassurée de les voir claires et limpides. Les règles survinrent le lendemain. Comme d’habitude, j'en supportais les aléas, cette période étant particulièrement délicate sur le plan urinaire. Granules, teinture- mère et compagnie calmèrent le jeu. Lundi après- midi, au travail, j'étais fatiguée, je me traînais un peu, me secouai. Au soir, alors que je me réjouissais d'essayer un cours de danses bretonnes avec une copine, je ne me sentis pas bien, le corps était tendu, je m'emmêlais les pieds et ne retenais pas les pas de gavottes; deux fuites acides me contrarièrent et je me retrouvai à regarder la troupe danser pendant que je séchais mes fesses en collants mouillés sur un radiateur heureusement allumé. Le retour fut plus que bienvenu, j'étais épuisée. Nouvelles prises de granules, teinture- mère pour calmer ces contraintes, dodo.

    Mardi, je réussis à travailler malgré une fatigue persistante, à participer à une réunion de communication non violente le soir. Mes résultats de laboratoire n'arrivaient pas.

    Mercredi, je courus à gauche à droite, prenant granules et teinture- mère au moindre chatouillement suspect. Je ne me rappelle plus si les résultats arrivèrent ce jour- là ou le lendemain, toujours est- il que j'avais une infection. 

    Jeudi matin, je tentai à plusieurs reprises de contacter mon médecin généraliste, Colette, en vain. Vers midi, je sentis un énorme coup de massue sur mon corps; je résistai toutefois pour aller travailler. Deux fuites me dérangèrent sur place, je me liquéfiai également devant ma porte d'entrée. Épuisée, je pris de la teinture- mère et allai me coucher ce qui chez moi est exceptionnel. Je restai une demi heure dans un état entre veille et sommeil, trop faible pour réagir et bouger, trop éveillée pour me couper de l'extérieur. A 18h, je me levai afin de chercher les paniers d'AMAP, à pied, pas loin de chez moi. Fiston m'y rejoignit. Je lui racontai combien j'étais raplapla puis le laissai au retour avec tous les paniers à ranger, j'avais réussi à obtenir un rendez- vous chez Colette.

    J'y allai à pied, c'est à dix minutes. A peine assise dans la salle d'attente, je fus incapable de tenir les yeux ouverts et je sombrai dans cet état de mi- sommeil. Quelques minutes plus tard, les larmes coulèrent des yeux sans que j'y puisse réagir. Je finis par prendre une deuxième chaise afin de m'allonger un peu. Quelqu'un était en consultation, une famille attendait avant moi, il y en avait pour au moins une heure et demie. Quand Colette invita la famille à entrer, elle me trouva couchée et assommée. Soucieuse, elle me demanda si j'étais dans cet état depuis mon appel téléphonique, si je voulais passer en priorité. Je lui dis simplement le visage couvert de larmes que je ne me sentais pas bien, que je ne savais pas ce que j'avais, que j'attendais mon tour en dormant, le temps m'échappait. La famille partie, elle me mit immédiatement sur la table d’auscultation, je tenais à peine debout. Je m'excusai de ne pouvoir garder les yeux ouverts, je bafouillai sur les ganglions, les douleurs dans tout le corps, principalement derrière les oreilles, dans les épaules et au bas du dos. Elle regarda d'abord ma gorge, évoqua un état grippal puis piquée par l'une de mes remarques, tâta le bas du dos. Certains points me faisaient si mal qu'ils tiraient jusque dans les épaules. «Je crois que c'est ton infection urinaire qui s'est aggravée, il faudrait refaire une prise de sang et une échographie abdominale, un autre traitement me semble nécessaire.» Elle réfléchissait, m'interrogeait sur ma situation: venue à pied ( Quelle d'idée! - Ce n'aurait pas été différent en voiture, répondis- je), seule à la maison avec seulement mon ado de fiston. Elle partit au bureau et chercha à contacter un ami médecin de l'hôpital évidemment déjà parti ( il était près de 20h). A cet instant, je me mis à avoir froid et trembler comme une feuille au vent. « Si je t'envoie aux urgences de l'hôpital local, tu acceptes d'y aller?». C'est celui où j'étais en 2006 alors, il y avait de quoi me poser la question, pourtant, mon état était tel que je n'aspirais qu'à être soignée et acquiesçai. Colette posait des tas de questions sur mes possibilités à aller à l'hôpital, pourrais- je y aller seule? - Ce qui signifiait rentrer à pied chez moi, prendre ma voiture- quelqu'un pourrait- il m'emmener? J'étais incapable de réfléchir. «Bon, je te place en salle d'attente, je prends la dame suivante et je te retrouve après quand nous aurons réfléchi». Je réussis à envoyer un sms à deux amies sur qui je peux compter avec une phrase très neutre pour n'affoler personne, un autre à mon fils pour lui dire que c'était compliqué et qu'il ne m'attendît pas pour manger puis aller aux toilettes. Colette sortit de son cabinet pour vérifier si j'allai bien, « Ne ferme pas la porte à clé pour que je puisse rentrer si tu fais un malaise!». Oui, oui. Après sa consultation, elle décida de me conduire elle- même aux urgences tout en s'excusant tout le trajet que fait exprès ce soir- là, elle avait de la famille à chercher à la gare plus loin impérativement, qu'elle ne pouvait rester parce qu'ils l'assailliraient de questions et ne la lâcheraient plus.

    - Arrête donc! Ne t'en fais pas! Tu ne m'abandonnes quand même pas au bord de la route! Et puis vois- tu, le médecin de ma mère l'a renvoyée à l'hôpital alors qu'elle préparait un infarctus,- Si vous montez chez vous, vous allez mourir, lui avait- il dit et elle est rentrée avec sa voiture à son garage, a appelé elle- même l'ambulance qui l'a conduite à l'hôpital où avec l'ambulancière, elles ont tourné une heure avant de trouver quelqu'un qui sache s'occuper d'elle et zou, débouchage d'artère en urgence

    - C'est intéressant, répondit Colette dont c'est la phrase pour exprimer sa surprise.

    Nous arrivâmes enfin à l’hôpital et elle me déposa devant l'entrée avec une lettre en s'excusant encore, se préoccupant de ma capacité à marcher jusqu'à l'accueil: «Je suis une dure à cuire» lui lançai-je en souriant, elle promit de me téléphoner dès le lendemain. Je passai la porte des urgences en titubant, puisant des forces pour rester debout et communiquer, j'étais de toute façon seule.

    A suivre.


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  • Il était 5 heures du matin et je m'étonnai de ce réveil en pleine nuit alors que la vessie était calme. Étrange. La veille, j'étais tellement amorphe et j'avais éteint pour m'endormir une heure plus tôt que d'habitude, pourquoi donc ne pouvais- je faire la nuit complète? Il y eut d'abord une agitation interne, l'incapacité à rester tranquille, la tête assaillie de tourments vagues et flous, circonstances agaçantes quand je suis si fatiguée et avide de repos. Je finis par aller aux toilettes.

    Un malaise diffus me prit, comme une nausée avant étourdissement. «Vite, au lit avant que cela ne dégénère». Survint insidieusement la sensation que des mains invisibles enfonçaient leurs doigts derrière mes globes oculaires pour les sortir de leurs orbites. Aïe, aïe! Je n’aime pas du tout, cela me rappelle des douleurs de 2006 dont je ne veux plus. Ayant éternué quelque fois les jours précédents, je me mouchai songeant à un encombrement des sinus; si le nez gouttait un peu, cet effort ne provoqua rien qu'une douleur lancinante dans toute la tête. Olala, cela ne présage rien de bon. Bientôt j'eus la sensation d'avoir été battue de plusieurs coups de gourdins sur le crâne. Je me hâtai alors de prendre quelques granules contre des douleurs de sinusite vu que le tour des yeux me faisait mal. J'attendis quelques minutes le sommeil en vain. Mon état ne s'arrangea pas.

    Le chat râlait, je me souvins du vide de sa réserve à croquettes et ne trouvant pas le sommeil à 5h30, je me levai pour satisfaire le félin bruyant. Vaseuse, la tête embrouillée, le corps engourdi, je commençai à comprendre quand j'allumai la lumière. Cette dernière provoqua une douleur plus forte aux yeux, elle m'était insupportable et je me sentis vraiment très mal. Retour précipité au lit encore. Mon garçon se réveilla pour partir en classe, il était 6 heures. Aucunement étonné de mes allées et venues, il m'interrogea sur ma localisation et je lui répétai à trois reprises: « Je ne me sens vraiment pas bien, je crois que je fais une migraine».

    La lumière et le bruit me frappaient la tête, c'était de plus en plus évident et je ne tenais ni debout, ni couchée, ni assise. Vite, vite, je plongeai la main dans la réserve à granules afin d'y retrouver ceux qui m'avaient été prescrits il y a plusieurs années. Heureusement, je les gardai sous la main au cas où. Un regard dans mes notes renforça la posologie et je retournai au lit, mal en point à tourner pendant plusieurs minutes avant de trouver enfin une position biscornue qui ne me tourmentât pas trop. Doucement, la douleur s’atténua et je fus ravie de l'efficacité du traitement. Fiston partit, je dormis deux heures supplémantaires.

    Au réveil, j'étais rassurée, mes yeux ne s'arrachaient plus, ma tête ne battait plus. Je restais toutefois vaseuse, engourdie alors que le programme était chargé. Tant pis, je ferais avec.

    Cela faisait tant d'années que je n'en avais pas faite, je n'en gardais qu'un souvenir lointain. Je n'avais pourtant rien mangé de particulier la veille.. à moins que ce ne soit le beurre sur l'épi de maïs... ou une accumulation de petits trucs... je n'en sais rien. C'est un effet secondaire des traitements après tout, pourquoi irais- je chercher plus loin? De toute façon, je suis fatiguée depuis des semaines, la tristesse ne me quitte pas, je ne suis pas en bonne période. Peut- être ne pratiqué- je plus suffisamment et régulièrement de Qi gong ces temps- ci? Même ça, je le repousse ou n'y songe pas tant ma lassitude est grande.

    Cette après- midi là, j'avais rendez- vous avec le neurologue. J'y arrivai la mine marquée et m'en expliquai de mots et gestes désinvoltes. Je ne voulais pas évoquer la grande fatigue et la tristesse, d'autres nouvelles étaient bien plus positives à dire, je préférai leur donner toute la place car cette saleté de maladie est impitoyable pour de nombreux malades; mes sursis sont des dons du ciel que je savoure systématiquement.. surtout que je suis effrayée à l’idée de me dégrader et de revenir aux souffrances et douleurs de 2006. Et puis quoi? Me fourguer une cure de cortisone? Non merci. Mon corps parle, j'entrevois quelques raisons dans le flou des dernières semaines et je laisse de la place car, ce qui m'importe, c'est de vivre. Et ce qu'il y a à vivre, je vais le vivre.

     


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  • Les derniers jours sont emblématiques de ma façon de gérer l'énergie. Je m'en servirai donc comme base avec des digressions vu qu'en ces jours estivaux, tous les facteurs ne sont pas en place.

    D'emblée, il est évident que la qualité de ma nuit détermine la quantité d'énergie disponible pour la journée qui s'annonce. Les nuits complètes sont rares et précieuses, je m'en réveille enchantée, pleine de gratitude. Avec un seul lever, c'est en général bon sauf quand il est forcé par une fuite et qu'il y a à allumer les lumières, changer les draps, me laver et me changer. Je suis alors bien réveillée et il est moins évident de se rendormir ensuite. J'avoue qu'habituellement, j'émerge à peine, effectuant les gestes dans l'obscurité, voire les yeux fermés et il m'arrive de dormir à moitié. A partir de deux levers, cela se complique. Dans le brouillard, je ne réfléchis pas toujours et de toute façon, un sondage ne vient pas sauver mon sommeil systématiquement. Il y a aussi que je suis têtue et parfois, je ne résiste pas à des boissons chaudes ou froides en soirée; les soupes sont radicales si j'oublie ma vessie sensible notamment, surtout les bouillons ( qui se souvient de l'épisode pot- au feu?). Avec trois, quatre et plus levers, c'est rude de sortir du lit et de trouver des réserves pour la journée. Ainsi, il y a quelques jours, j'ai somnolé dans le salon après avoir préparé le repas de midi, j'étais épuisée d'une mauvaise nuit et non pas de mes menues activités du matin.

    Avant la maladie, j'aimais me lever tôt, je regorgeais d'énergie et m'activais en surfant sur cette vague, le réveil du monde me plaisait énormément. Avec la maladie et ses traitements, je mis des années à pouvoir me réveiller avant 10 heures d'abord puis ensuite avant 9h. Désormais, c'est totalement aléatoire et je tâche au maximum de prendre le temps de dérouiller le corps et de démarrer au mieux chaque jour. En outre, la vessie se vide au maximum le matin, je n'aime guère avoir à m'agiter à l'extérieur en ces heures. De plus, bien qu'ayant réduit les médicaments, il arrive fréquemment qu'ils m'assomment encore; avec une prise le soir, cela passe dans la nuit, au matin, c'est plus délicat. Autant dire que dans ces circonstances, j'ai besoin de tranquillité au long réveil.

    Les premières minutes du jour sont souvent une phase méditative, j'écoute et accueille les sensations, les pensées à moins qu'un besoin naturel urgent ne me presse aux toilettes. Les temps d'attente de prise de médicament, de granules ou de produits naturels rythment les heures et je profite de ces instants pour m'occuper de la vaisselle, du nettoyage, du rangement côté cuisine en écoutant la radio ou pas. Là, je sais que selon mes envies, je ne suis pas au mêmes vibrations: France Inter et l'agitation du monde, France Musique et le détachement, un disque choisi au gré de l'humeur ou le silence bénéfique sont révélateurs. Suit le petit- déjeuner tranquille puis j'écoute le corps pour décider de la suite. La turbine à mental fonctionne comme chez tout humain bien sûr avec les projets, les plans, les films sur ce qui arrive ailleurs, ce qui arrivera ici ou là- bas, le passé, l'avenir, d'autres silencieux dont j'ai le besoin d'avoir des nouvelles ou ceux qui m'ont parlé de leurs aventures sur lesquelles je m'interroge ou m'émeus. La différence avec autrefois est que désormais, je m'observe penser et ne m'identifie plus à ces tourments illusoires, ne m’importe que le présent. Quand vraiment, je n'arrive pas à me sortir de ce foutoir, et ce tout au long des heures de veille, je récite des « Je vous salue Marie» en mantra, hommage à ma chère sœur Thérèse ou celui lu chez Deepak Chopra, « Je laisse passer les griefs, je choisis les miracles». Il n'y a que lorsque j'y arrive en conscience, entièrement que je m’attelle à prendre une décision sur la tournure des événements.

    Ces derniers mois, mon garçon et moi avions un gros projet. Son armoire cassée avait été réparée à plusieurs reprises, elle en restait néanmoins un souci quotidien en raison de ses portes branlantes et de ses tiroirs difficiles à ouvrir et fermer. Je l'avais invité à réfléchir à une solution de replacement, de faire des propositions, je n'en eus pas d'échos; j'en proposais régulièrement sans suite et comme il ne se passait rien, je décidai arbitrairement qu'il prendrait l'armoire du salon où je range tout mon matériel à travaux, la récupération des planches en bon état sur l'armoire cassée permettant d'autres fabrication plus tard. Nous avions alors à vider et démonter l'armoire du salon, vider et démonter l'armoire de sa chambre, à déplacer des éléments plus ou moins lourds et encombrants, à couper, assembler et envisager la menuiserie de suite pour les aménagements intérieurs dans sa chambre et le bazar dans le salon.

    Plusieurs jours passèrent malgré mes demandes répétées. N'ayant pas une grande énergie après des vacances laborieuses chez mon amie Sandrine des Vosges, je remplis quelques parcelles d'une immense tapisserie d'Aubusson et visionnai des films; il s'avéra que chacun attendait sur l'autre. Désireuse de le faire avant la rentrée et ses courses folles, j'ouvris la danse en vidant l'armoire du salon organisant à minima son contenu déversé sur le sol pour une durée indéterminée. Je vidai la première moitié au soir, la seconde le lendemain. Au troisième jour, nous démontâmes l'armoire du salon ( j'avais commencé seule mais la chute des portes à grand fracas fit accourir le fiston soucieux de ma sécurité), au quatrième, celle de sa chambre. Dans la foulée, nous y remontâmes celle du salon. La pièce est toute petite, il était nécessaire de faire de la place au milieu du remue- ménage adolescent qui y régnait et de déplacer quelques éléments forcément lourds pour faire de la place. J'avais espéré le faire la veille, le salon étant vraiment très encombré:

    Repos et labeur.

     

    Seulement, mon garçon s'était endormi très tôt en fin d'après midi pour plus de douze heures et je n'étais pas en grande forme avec un malaise et des douleurs dans la jambe gauche qui m'inquiétèrent plusieurs heures. Reposée, j'en souffrais moins, je trouvai également une bosse, un hématome et constatai que j'avais mal en touchant et bougeant « J'espère que je me suis pris un coup.» dis- je spontanément ce qui fit rire mon garçon. J'aime mieux cette éventualité qu'une reprise de la maladie,excusez du peu. Au quatrième jour, j'installai dans la foulée la tringle pour lui servir de penderie, rangeai le linge déposé dans ma chambre. Au cinquième, je profitai d'un rendez- vous médical plus loin pour chercher des planches afin de réorganiser mes rangements. Au sixième, je pris plusieurs heures pour dévisser, démonter, déménager, percer ces aménagements intérieurs laissant régulièrement tout en plan parce que tout à coup, je sentais la fatigue. Ce qui prendrait deux heures sans m'écouter s'étale donc sur toute la journée voire deux avec à chaque pause l'étalage des outils et matériaux lâchés en pleine exécution. Et oui. Fiston s'était collé à son ordi dès le gros œuvre terminé, je n'insistai pas, nous avons chacun nos choix et responsabilités. Les cartons pour la cave attendirent leur tour, les planches destinées au garage en attente de réutilisation et le bazar de l’armoire vidée au salon de même encombrant le couloir, chaque tâche se fait en son temps, quand c'est le temps pour moi, pour lui, pour nous.

    Au milieu de ces efforts physiques cumulés aux tâches domestiques, je posai du repos, c'est- à- dire, chez moi, des activités assises avec priorité sur le remue- méninges ou l'agitation des doigts. Je calculai ainsi plusieurs devis d'armoires dressing pour ma chambre ( suite du coup de l'armoire en cours), passai des heures à corriger les liens sur feedesagrumes.ek.la, copier les commentaires et leurs réponses d'Over- blog sur Eklablog ( Quel labeur!), surfer sur la toile, répondre aux courriels, en envoyer, surveiller le budget, prendre des heures pour discuter au téléphone ou en vrai avec mes amies, voisins et rencontres inopinées, noter des idées de créations à venir car remuer mon matériel active la caboche, écrire ce texte.

    La position assise prolongée m'est pénible, le bas du dos et les jambes réclament du mouvement, alors, régulièrement, à l'impulsion engendrée par la musique écoutée, je me levai et dansai en ondulations, saccades, dans les bras, les cuisses, les hanches ou le ventre selon les cris du corps. Je pris le temps d'aller traîner dans la friche derrière chez nous afin de profiter de la verdure prochainement arrachée pour de futures constructions, avec notre chat, au soleil et à l'air. De temps en temps, je pratiquai du qi gong. Quoi qu'il en soit, au soir, je ne regarde pas ce qu'il reste à faire, je remercie la vie de tout ce que j'ai pu faire et vivre au cours du jour écoulé.

    Maintenant, tout est en chantier et je ne sais pas quand l'ordre reviendra, il y a tant à faire. Tant pis pour l'apparence, nous nous y retrouvons tous les deux, le chat également. Les activités essentielles sont facilement réalisables, fiston a de la place pour ses heures d'ordinateur, je peux danser dans le séjour alors franchement, nous sommes en situation largement gérable. En prenant le temps, en le sentant, je sais que je nous offre la possibilité de vivre le présent harmonieusement et justement. Lors des démontages et remontages par exemple, ce fut une belle expérience que de coopérer. Mon garçon est si fier de montrer combien il est fort et me charrie fréquemment sur mes petits bras pas musclés... tout en me qualifiant de monstre parce que je suis capable de ce que ne laisse pas paraître mon apparence et mes étiquettes ( mère célibataire, sans soutien familial, handicapée, malade, à faible revenu, et j'en passe). Quoi qu'il en dise, je crois qu'il est fier de moi. Mon amie Jacynthe connue d'avant la maladie me dit il y a peu: « Tu sais fée, j'oublie que tu es malade et handicapée parce que tu as tellement de cordes à ton arc que je ne peux fondamentalement pas de limiter à eux.». Elle m'a beaucoup émue cette petite phrase mine de rien. Pendant notre séjour chez elle, mon amie Sandrine s'étonnait de mon activité: je la fis danser, marcher au crépuscule dans le village, je l'aidai au linge, au ménage, à la cuisine, à l'ordinateur, lui donnai une leçon de couture par jour, « Une semaine à ce rythme, je vais mourir! » s'exclama t-elle hilare. Régulièrement, je m'allongeai les yeux fermés pour simplement me ressourcer quelques minutes puis je repartais. « Tu ne veux pas te reposer?» répétait- elle. J'y étais déjà, expliquant que d'habitude, j'en faisais bien plus. Après cinq jours, le dos me lancinait, j'avais été trop souvent et trop longtemps assise.

    Avec la rentrée, reviendront les activités professionnelle et sportives. Tout comme le déménagement des armoires, je gérerai mon énergie afin de répondre aux impératifs du quotidien, du corps et mes péripéties continueront à leur rythme, entre repos et labeur. Cependant, je suis lucide, dans les valeurs actuelles, je suis hors circuit. De nombreux postes de travail me sont inaccessibles par les cadences et obligations qu'ils imposent. Il y a déjà tant de maux au travail pour les valides en bonne santé. Où court donc cette société inhumaine? N'avons- nous pour horizon que le phagocytage?

    Écouter son corps, ses besoins de repos et de mouvement, c'est prendre le temps de vivre. Avec le choc de Devic, j'ai décidé de ne plus rien gâcher, la leçon a porté ses fruits. Quel dommage de passer par des épreuves pour accepter.


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