• Avant de marcher.

     Je revins de deux mois d’hospitalisation complète début mars 2007 après deux perfusions de mitoxantrone. Je pouvais effectuer les transferts et les sondages seule, la vie à la maison était possible sans prendre de risque inconsidéré. Je n’en restais pas moins enfermée, tributaire de bras porteurs puisqu’aucun accès n’était possible en fauteuil roulant.  J’étais néanmoins tellement heureuse de rentrer, de retrouver mes hommes, mes affaires, des habitudes familiales que je me détournai des ombres planant sur le quotidien. Rapidement, je me lançai à corps perdu dans les projets créatifs dont les premiers montrés ici ne sont qu’une mince entrevue de la production des mois passés dans cette maison, ce village, coincée d’abord entre les murs puis par l’incapacité de conduire.

    La vue très basse, j’investis avec voracité toutes les possibilités audio et en particulier la musique. Je n’en avais pas manqué à l’hôpital entre mes appareils et Adelo mais le choix était limité à ce que j’avais à portée de main. Au retour, je retrouvais avec joie ce qui m’avait manqué : mes albums et les chaînes dont je trouvais les boutons principaux automatiquement. La télévision était sans grand intérêt en raison de ma vue très basse, je ne voyais pas les touches des télécommandes, les versions audio- vision sur les DVD sont  rares. Après tout, je n’en suis pas adepte à la base, le manque n’existe ni avant, ni après la maladie. Je trouvai aisément mon bonheur dans la radio et la musique.

     En cette période également, nous travaillions ardemment et vaillamment avec les kinés à la rééducation, l’objectif étant le retour à la marche. Intuitivement, je n’envisageais nulle autre alternative, ma visualisation en fauteuil à vie n’avait aucune réalité en moi : mon avenir était sur mes deux jambes. J’eus besoin de plusieurs semaines pour supporter la station assise puis debout. Grâce à la mitoxantrone, dès la première perfusion, je sentis revenir mes forces et mes premières capacités. J’évoluai en fauteuil électrique pendant quinze jours dans les couloirs de l’hôpital puis en fauteuil roulant standard,  heureuse d’aller et venir à ma guise. J’en étais là quand je rentrai à la maison, pimpante de passer du lit au fauteuil, du fauteuil aux sièges, sans aide ou peur de me retrouver abandonnée sur le sol.

    Et ce jour de mars reste gravé dans ma mémoire.

     Je bricolais quelque objet sur un coin de table quand l’envie subite d’écouter Idir me prit. Je mis l’un de ses albums et me laissai porter par ces airs kabyles tant aimés, entre joie et tristesse, révolte et espoirs. Finalement, je laissai mon bricolage et m’installai en face des enceintes pour m’inonder de ces vibrations vivifiantes. Mon corps me cria son envie et dans un éclair, je cherchai le déambulateur dans l’autre pièce. De retour entre les enceintes, je le plaçai devant moi, serrai les freins sur les roues du fauteuil et dans un effort venu des tréfonds de mon ventre, je me soulevai en ondulant. Les mains agrippées sur la barre du déambulateur, je me mis à bouger du popotin, de la taille, des hanches et je DANSAI.

    Heureuse, j’étais heureuse !  Portée par cette chanson notamment dont le refrain dit : « LEVE- TOI ! ».

      

     
     

    Et je chantai, je chantai à tue- tête quand mes pieds  ne pouvaient être mobilisés en aucune façon ( et oui, je chante en kabyle hausse-les-sourcils.gif ).  Je lâchais la barre quelques instants, sporadiquement, tentant l’expérience à plusieurs reprises afin de danser des bras et des épaules. La vie bouillonnait en moi dans un cri de joie physique.

    Je ne sais combien de temps je m’agitai de la sorte. Je ressentis les défaillances de l’équilibre, la quête perpétuelle qu’elles engendrent, les muscles affaiblis par des mois d’immobilisation, les ruptures sensitives d’avec le sol, la fatigue qui abat subitement. Rien n’y fit et je savourai ces minutes de bonheur. Un jour de don, comme dans cette chanson.

     

     

    Et oui, dans ma renaissance, j’ai dansé AVANT de marcher. Merci Idir.

     

    « Bourgeons et vents.Parce que le fric n'est pas LA vie! »

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  • Commentaires

    1
    Coq
    Mercredi 18 Juillet 2012 à 12:03
    Coq

    C'est beau, ça, de danser avant de marcher Moi ça m'a mis des années avant de savoir danser (car pour danser j'avais d'abord besoin d'accepter ma féminité!)

    2
    Coq
    Mercredi 18 Juillet 2012 à 12:03
    Coq

    Non mais c'est bon, ça y est, je suis reconnectée à ma féminité déjà !

    3
    Je transfère
    Jeudi 15 Août 2013 à 20:36

    je te conseille la danse orientale!! y'a pas mieux pour se reconnecter avec sa féminité!!! Et c'est Panda qui sera ravi

    Réponse de fée des agrumes le 10/06/2010 à 10h57
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