• Juin 2006

    Les premiers jours s’installèrent tranquillement et après le week-end de la Pentecôte, je repris le travail. Le trajet en voiture ce mardi matin me posa un réel problème au point que je me dis qu’il était trop dangereux désormais de prendre le volant. Or, sans pouvoir conduire, je me retrouvais très isolée et incapable de travailler au regard de la situation géographique. L’idée d’arrêter mon emploi quelques temps faisait son petit bout de chemin

    Ce mardi matin, depuis le travail, préoccupée, je m’arrangeai pour prendre le temps de téléphoner au neurologue le plus proche, dr. K. Il n’y avait pas de rendez-vous avant quinze jours. J’insistai sur l’urgence en donnant le nom du médecin qui m’envoyait, la secrétaire ne pouvait pas faire plus. Je raccrochai dépitée et les larmes me montèrent aux yeux, j’étais inquiète et perdue dans cette méconnaissance de ce qui se passait en moi. Je contactai Orlando qui se chargea de faire le nécessaire, ce n’était pas à prendre à la légère. Quelques minutes plus tard, il m’ordonna d’aller le lendemain matin chez ce neurologue. J’étais très embêtée, j’avais prévu une épreuve de CAP pour l’un de mes groupes avec convocation à examen et note comptant pour le diplôme. Je m’organisai avec ma mère pour être conduite sur mon lieu de travail ( à 40km de mon domicile) après le rendez-vous du mercredi.  Je rentrai tant bien que mal non sans avoir rassuré les personnes présentes.

    Le mercredi, je pris toutes mes photocopies pour faire passer l’épreuve et nous partîmes chez le neurologue en expédition familiale, grand- mère, mère et enfant. (J'appris par la suite qu’il avait pris sur son jour de repos devant l’insistance de son confrère). J’expliquai encore ce qui s’était passé les dernières semaines ; il me piqua des aiguilles sur les nerfs dans les jambes et les fesses avec sa machine pour faire ses calculs. Il constata une effective difficulté sur les nerfs dont l’origine était située sur L5, S1, les racines sacrées des nerfs. Je le vis bien soucieux, se frottant le menton et réfléchissant en marmonnant pour lui-même : «  Ce peut être une hernie discale, il faudrait une intervention en urgence, est- ce que je dois vous envoyer en urgence en neurochirurgie pour agir de suite ? Et si ce n’était pas ça ? Ils sont tellement surchargés. Il faut faire un scanner, est-ce que vous avez porté du lourd ces derniers temps ? »   Evidemment, je ne pouvais rien lui dire, je n’avais rien fait de particulier dans les derniers mois de cet ordre. Finalement, il se décida à m’envoyer faire un scanner en urgence. Je lui expliquai que j’avais des obligations professionnelles, il m’a répondu qu’il fallait oublier cela pour l’instant. J’entraînai donc toute la troupe à 40km non pour m’y déposer au travail mais pour ce scanner.

    A mon grand soulagement, le radiologue m’indiqua qu’il n’y avait rien sur l’image, ce n’était pas une hernie «  Ouf ! je n’aurai pas à être opérée ». Je retournai presque heureuse chez le neurologue, en avertissant ma direction, par téléphone portable, sur le chemin, que je pouvais être retardée. Finalement, nous décidâmes d’annuler l’épreuve, c’était trop compliqué. Brandissant les images radio au neurologue , je clamai qu’il n’y avait rien de visible ; sa mine se fit encore plus soucieuse : « C’est plus inquiétant alors ». Je sentis les bras m’en tomber, je n’en voyais pas le bout, décidément. Il me dit que je devais aller à l’hôpital le plus proche pour y faire des examens plus approfondis, j’y étais attendue. Quelle déveine !

     Je me retrouvai vite dans une chambre à côté de la salle de travail des infirmières, les mains complètement vides. Un médecin, le dr. D. vint m’expliquer qu’une irm et une ponction lombaire étaient programmées pour le lendemain ainsi qu’une batterie d’examens ; je devais m’attendre à rester quelques jours dans le service. Après lui, ce fut le chef de service, le dr. K. qui partait en vacances le soir même et n’avait pas grand chose à dire, il fallait faire les examens. Je lui dis qu’il connaissait ma mère ; étonné, il changea de couleur quand je lui dis son nom. Il souffla simplement : «  Oh ! Elle a eu beaucoup de chance, il y avait des métastases partout. » J’ai ajouté que nous aussi avions eu de la chance parce qu’elle était encore là. Il m’a laissé avec un peu moins de froideur et je ne l’ai plus revu.  Quelques affaires me furent portées et je cherchai à me rassurer, à rassurer mes proches.

     Au réveil, une infirmière me posa un patch anesthésiant et quelques heures plus tard, le dr. D. vint me faire la ponction. A t-il mal piqué ? Je sentis une décharge puissante très désagréable tout le long du nerf. Il me conseilla ensuite de beaucoup boire, je demandai à quoi ressemblait ce liquide céphalo-rachidien : «  De l’eau de roche ». Avant midi, un ambulancier vint me chercher et nous partîmes encore à 30km pour faire cette irm. Dans la cabine, pendant la séance, je ne pouvais cesser de pleurer. Dans ma tête, cette phrase me poursuivait malgré moi : «  Je vais mourir, je vais mourir ». Je sentais venir la catastrophe, ma vie semblait partir en lambeaux.

    Après le repas pris tard, le dr. D me retrouva dans la chambre. Il s’installa sur la chaise à la gauche du lit et commença son discours que je ne suis pas prête d’oublier :

    " Bien, je suis venu vous voir pour vous faire part des possibilités diagnostics vous concernant: soit vous avez une infection de la moelle, soit une sclérose en plaques, soit une tumeur. Il va falloir avoir une confiance inconsidérée dans la médecine. Des questions ?" 

    J’étais abasourdie, aucun mot ne pouvait sortir de ma bouche, c’était comme si la terre s’écroulait sous moi, comme si tout ce que je portais tombait brutalement. Je n’ai pu que faire non de la tête. Il ajouta que d’autres examens viendraient s’ajouter pour confirmer l’un ou l’autre mais que ces trois hypothèses étaient les seules vraisemblables  Il vit mon livre sur le lit, Le monde de Sophie de Jostein Gaarder, dont je lui avais expliqué le contenu la veille et lâcha un stupide « Et arrêtez la psychologie ! ». Il sortit, me laissant absolument seule ; le chagrin se déversa sans fin. A cet instant, ma mère et ma sœur arrivèrent, elles furent étonnées de me voir ainsi et chacune se plaça à mes côtés, ma mère à droite, ma sœur à gauche. Ma mère me demanda ce qui se passait et entre deux sanglots, je réussis à lui dire les trois possibilités. Elle ne put que me frotter la tête, son expérience de la maladie lui permettait de savoir ce que cela représentait. Ma sœur fut étonnante, elle toujours si négative me remonta en affirmant qu’avec tout ce que j’avais déjà traversé, cette nouvelle épreuve n’avait pas lieu de m’abattre. Mes seules pensées étaient pour mon fils : à 9 ans, il avait encore besoin de moi.  SeN arriva dans l’instant avec quelques affaires, mon patchwork notamment que j’avais demandé pour occuper mes journées. Quand je pus lui dire les trois possibilités, il se rapprocha de moi et souffla «  Je serai là, quoi qu’il arrive ! ». La sincérité se lisait sur son visage, je sus que je pouvais compter sur lui. Nous passâmes quelques heures ensemble, je montrai à mon fiston les images radio en précisant ce qui se passait, que ce pouvait être quelque chose de très grave, que je pouvais mourir aussi. Au téléphone, j’annonçai la nouvelle à El., belle-maman ; c’était un choc pour tous.

    Quand je fus seule, je questionnai un autre jeune médecin, dr. M. pour essayer de comprendre ce qui pouvait être à ma portée. Tous les résultats d’examen étaient là et je cherchai des réponses. Il prit la mouche, montant sur ses grands chevaux, se lançant dans un discours sur la médecine. Comment moi, totalement ignare je pouvais poser des questions ? Quand il me dit qu’il fallait au moins dix ans pour comprendre quelque chose, surtout avec un cas tel que le mien en dodelinant de la tête d’un air méprisant, je levai l’index et d’un ton ferme malgré les larmes qui pointaient, la gorge qui se serrait, je lui rétorquai : « Ah non ! Je vous arrête de suite, cela n’a rien à voir avec la médecine, c’est de la communication ! » Il se rétracta, contrarié et me dit d’une voix morne qu’il demanderait au dr. D. de venir me voir. Hypocrite.

    Les nuits étaient difficiles avec l’agitation des infirmières dans la pièce à côté, je ne pouvais m’empêcher de penser et je sentais mon état glisser doucement vers quelque chose de peu réjouissant : un pied toujours moins mobile, des besoins impérieux, des difficultés à me retenir quand les toilettes se trouvaient à l’autre bout du couloir. J’étais affreusement seule. La lecture ne m’apportait rien, c’était trop passif, n’occupait pas assez mon esprit. J’assemblais mes pièces de patch en écoutant Emilie Simon et son Végétal ; mes mains étaient occupées à quelque chose de concret, la musique m’emmenait dans des sphères intemporelles et immatérielles, loin de la lourdeur du corps et des douleurs de l’esprit.

    Le lendemain, j’eus un prélèvement d’os sur la hanche droite, un autre de moelle osseuse sur le torse. Le dr. D dut appuyer fortement, plusieurs fois sur ma poitrine pour la décoller. J’essayais de ne pas voir, me voilant derrière le drap posé sur mon corps pour la chirurgie, je n’avais pas le choix mais que ces examens me coûtaient. Je retenais mes larmes. En plus, ce ne fut pas très concluant, il n’y avait pas assez de moelle  ce qui est souvent le cas avec des personnes jeunes.

    Que pouvais-je faire d’autre que de prendre patience ?

      Il lui arriva de répondre à quelques questions tout en prévenant que mon cas était très complexe, qu’il était difficile d’être certain à ce stade.

    Les prises de sang se succédaient, sans cesse, les résultats arrivaient, se contredisant les uns, les autres, un indice allait dans le sens d’un diagnostic et le suivant effaçait tout. Je sentais que les médecins étaient embarrassés; poussés dans leurs retranchements, ils ne pouvaient communiquer avec nous. Seul Orlando passait me voir rapidement, de temps en temps, pour évoquer la complexité des recherches, pour parler de ma vie qui basculait, de ce que je faisais et cela avec beaucoup d’humanité et de gentillesse.  Il s’intéressa à mon patchwork, dit son admiration pour cette activité que sa femme pratiquait également… Les deux autres jeunes m’insupportaient avec leur attitude méprisante, hautaine, incapables d’être humains, obnubilés uniquement par la performance de trouver le diagnostic dans un cas très particulier et complexe comme le mien. « C’est très intéressant pour un médecin. » Bla bla bla. Qu’est-ce que j’en avais à faire? Je ne savais pas ce que j’avais, mon état se dégradait lentement et insidieusement, aucun traitement ne m’était proposé. Il eut été préférable qu’ils fassent de la mécanique plutôt que de la médecine, ces deux jeunes p…-c….


    Pensée pour Brel et ses bourgeois 

     

    La semaine suivante, je fus conduite auprès d’une grande neurochirurgienne, à 80km, qui me reçut en consultation de façon toute à fait exceptionnelle. Elle n’avait pas cette morgue et me parla sérieusement, clairement. Elle me fit répéter mon histoire, je rajoutai que les douleurs commençaient à se faire sentir dans la jambe gauche depuis quelques jours, que la marche devenait problématique, avec des troubles de l’équilibre. Elle m’ausculta et regarda les irm, eles étaient trop floues pour être  parlantes.

     - Que vous a t-on dit au juste quant au diagnostic ?

    - Soit une infection de la moelle, soit une tumeur, soit une sclérose en plaques atypique

    - Quoi que ce soit, c’est atypique parce que je n’ai jamais vu ça, j’ai même demandé à mes collègues radiologues de me donner leurs avis. Ils n’ont jamais vu ça non plus. Peut-être faudra t-il ouvrir dans un premier temps pour voir si c’est tumoral… Mais juste pour voir et non pour vous soigner.

    J’ai pleuré et elle a parfaitement compris que j’étais inquiète, elle savait garder ses distances tout en me respectant ; cette femme m’a considérée et je lui en suis reconnaissante. Ce ne sont pas les meilleurs médecins les plus prétentieux, je le découvris à partir de ce jour.

    Retour sans réponse.


    Pendant ce premier temps d’hospitalisation, j’ai eu quelques échanges avec des infirmières dont deux qui étaient élèves au lycée où j’avais été surveillante des années auparavant leur laissant un souvenir positif. Pendant la journée, elles étaient prises par leur travail et le soir, à la nuit nous pouvions discuter. Elles étaient attentionnées et semblaient elles aussi embarrassées. Je me souviens surtout de cette anecdote : revenant d’un examen au loin, je voulais demander quelque chose (un repas je crois), je m’avançais, une des infirmières m’interrogea spontanément « Alors, ça y est ? Ils ont trouvé ce que vous aviez ? Parce que vraiment, ils ne savent pas où ils en sont ! » Evidemment, aucun des jeunes médecins n’avaient été capables d’avouer leurs limites. Merci à elle, elle a verbalisé ce qui était non-dit et pourtant si omniprésent.

     

    En dehors des membres de la famille, je n’ai pas vu grand monde. Ma supérieur hiérarchique ne me lâcha pas, gardant toujours le contact par téléphone, transmettant les messages des uns aux autres. Delphine et Vincent, Babeth ainsi que les deux Sandrine étaient là, à me soutenir de leur présence. L’une d’elle, pas religieuse du tout,  me toucha grandement quand elle évoqua une prière faite à Marie, pour moi, sur un site dans la forêt, près d’une source où elle s’était trouvée par hasard.

    Je sais également que j’ai évoqué ma mort avec certaines parce que je savais qu’avec un cancer des os, je ne vivrais pas très longtemps et je tenais absolument  à ce qu’elles sachent ce que je voulais pour ma fin et la suite de la vie des miens. Je mesure la lourdeur de ces mots, je sais également qu’elles ne m’en voudront pas. Quand l’éventualité d’une mort rapide est présente à l’esprit, bien des préoccupations de la vie tombent et ce qui est éludé par le train- train devient prépondérant, il n’y a plus lieu de prendre des chemins de traverse pour dire ce qui tient à cœur.

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  • Commentaires

    1
    Lundi 21 Juillet 2008 à 12:51
    mariev
    bon, c'est con, je pense au bon Docteur House en te lisant...

    mais, sans avoir été si loin dans l'inquiétude, je comprends, j'ai vécu un dixième de ça il y a trois ans, et en effet, ce ne sont pas les meilleurs médecins les plus prétentieux...
    mon propre diagnostic aura pris plus de dix ans, notamment face à l'incompétence, ou pire, le je-m'en-foutisme de certains.

    mais j'en parlerai peut-être un jour sur mon blog

    je poursuis cette difficile lecture
    :)
    2
    fée des agrumes Profil de fée des agrumes
    Vendredi 12 Juillet 2013 à 11:27

    A Mariev:

    J'entends souvent parler de ce dr House; je vais bien finir par me décider à le regarder.

    La prétention est peut être l'apanage des ignorants ! ( cf Platon)

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