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Par fée des agrumes le 28 Octobre 2008 à 12:58
Dans le flot de mes pensées et souvenirs de ces événements, je reviens toujours vers ces personnes qui ont pris soin de moi en ces instants si difficiles. J'ai déjà parlé de quelques uns au détour des récits, le temps effaçant quelques noms inévitablement. Ils peuplent chacun à leur manière ma pensée, leur don parfois fugace ayant germé et fleuri en mon for intérieur.
Aujourd'hui, j'ai donc envie de vous parler de l'équipe du service de rééducation, me restreignant au service strict et non à tous les autres qui y participent de plus loin ( kiné, ergo, psycho motricité , atelier etc). Je ne m'en sortirai pas sinon.
Quand je suis arrivée, j'ai été installée par Jess et Muriel. A vrai dire, j'étais dans un tel état que je ne pouvais pas regarder plus loin que mon corps et mes pensées. Elles étaient dans leur travail, très consciencieuses, j'étais absente.
Le service n'avait pas encore été refait comme la neuro ; c'était un décor morose et mal vieilli. Où étais- je donc tombée ?
Le passage sur le lit adapté avait été une bénédiction, je réalisai en cet instant combien la vie des dernières semaines avait été placée sous le signe de la souffrance et de l'inadaptation des lieux à mon état. Quelques minutes plus tard, une jeune femme arriva dans la chambre, c'était l'interne du service chargée de m'accueillir. Elle avait un magnifique prénom que j'ai oublié (zut !) et un accent, elle est roumaine. Elle m'interrogea sur l'historique de la maladie, prenant des notes. J'avais le sentiment de me retrouver dans la situation connue en juin 2006, pas très agréable de raconter encore et encore l'histoire d'une chute physique insidieuse et inexorable, des médecins hautains, froids, dépassés, en conflit d'égo puis d'autres désireux de faire au mieux sans résultat malgré leur bonne volonté, enfin le professeur en qui mettre sa confiance. Elle était toute sérieuse, plongée dans ses notes. Comme je concluais que c'était une maladie rare, que je serai peut être l'un des seuls cas qu'elle aurait dans sa carrière, elle me fixa et me dit sincèrement " Je ne vous oublierai jamais " ;Ah , ça !? Elle m'étonna, j'eus l'intuition qu'elle était loin des pédants de juin et des curieux froids rencontrés en d'autres circonstances. A aucun moment, elle ne m'a donné de raisons de penser autrement. Elle a toujours eu cette générosité et cette sincérité, que la médecine froide ne la gagne pas ! Bien des patients y gagneront. Comment pouvait- elle être différente ? Dans le service, elle travaillait avec Delphine et Solange.
Delphine est toute jeune, dynamique ; elle ne m'a pas donné l impression d'être imbue de sa personne et de son savoir/ pouvoir. Je l'ai vue comme une petite fofolle, fantaisiste et apparemment, je ne suis pas la seule à le penser. Un jour, elle est entrée tonitruant, comme à son habitude et elle est restée troublée par la chanson de Raphael, les bateaux passant à l'instant « J'adore cette chanson ! » lança t- elle entre ses considérations médicales. Je n'aime pas Raphael, ses bluettes et sa voix nasillarde, par contre, quand j'entends les bateaux, je revois Delphine en pensée avec plaisir.
Solange, ô Solange ! Vous l'avez croisée souvent, c'est vraiment une femme extraordinaire. Pleine de vie, d'énergie, elle se bat pour ses patients, se souciant sans cesse de leur bien- être, de leur être. Elle est ce médecin qui va se coucher près de vous quand vous êtes effondré pour vous parler au plus près, elle est ce médecin qui s'assoit au sol pour faire réciter les tables de multiplications à un garçon hospitalisé, elle est ce médecin qui enlève vos chaussures pour ausculter en s'accroupissant à vos pieds. Elle est ce médecin qui va s'excuser d'être en retard, qui va soulever toute la baraque pour trouver une solution. Elle est ce médecin sur tous les fronts, incessamment en études pour apprendre et encore mieux servir. Jamais, à aucun moment, elle ne vous regardera de haut, jamais elle ne vous snobera, jamais elle ne vous regardera comme un cas ordinaire ou très intéressant, jamais vous ne serez déconsidéré. Ah, pour sûr elle enquiquine les soignants et les autres pour arriver à ses fins mais personne ne lui en voudra (à moins de n'avoir rien compris) parce que Solange se bat pour ses patients avec tous ses moyens.
Solange est aussi ce médecin qui n'emménagea pas dans un coin parce que ce sont tous des rupins snobinards. Et oui.
Quand en janvier 2008, à notre dernier rendez-vous, je lui ai offert Un merveilleux malheur de mon ami Boris, elle était touchée. Une amie lui avait conseillé ce livre en d'autres circonstances et c'est moi qui le lui offrais. « Je penserai à vous en le lisant » me dit-elle ; En dédicace, à côté du titre, je lui ai écrit : Un merveilleux malheur qui m'a permis de rencontrer la femme épatante que vous êtes. Sacrée Solange, Solange sacrée. Vous auriez bien des leçons à donner à ces petits peigne-c... prétentieux qui se croient au dessus du commun des mortels parce qu'ils sont médecins.
Dans l'équipe soignante, j'ai peur d'oublier quelqu'un.
Jess, originale au possible avec son chat Poubelle, ses aventures rocambolesques et improbables, ses virées et ses sorties, ses tenues de ville très typées, ses piercing, ses cheveux longs, courts, décolorés, ... Et d'une sensibilité à fleur de peau.
Muriel et ses airs sérieux, très professionnelle, toujours partante pour rigoler un coup et vous remettre les pendules à l'heure quand vous dites une absurdité de vous-même.
Cathie, rigolote, avec qui nous avions souvent des éclats de rire. Il eut ce bain mémorable d'un samedi où elle mit trop de produit, la mousse débordait de la baignoire quand nous arrivâmes avec le brancard. Je m'y plongeai avec délectation, dans une franche rigolade car je disparaissais littéralement dans ce nuage blanc rosé. Ce fut épique de s'y retrouver autant pour elle et Floriane que pour moi.
Mes jambes vivaient leur vie toutes seules, sous des influx nerveux incontrôlés, nous plaisantions souvent des risques qu'elle prenait à essayer de les maintenir quand il fallait me soigner. Des boutades incessantes sur les productions naturelles de mon corps, en petit poucet ou les bidons de sondage explosant sous les litres venus d'on-ne-sait-où. Je me qualifiais de pisseuse, chieuse et nous en riions souvent. Auto dérision et rire de ce qui peut être en d'autres circonstances la pire des humiliations. Et là, non, jamais. Boutades sur le monde, la vie, les autres. Les paroles fusaient et nous partagions nos vies.
Valéry, seul homme du service avait quelques jours de différence avec moi, il est également un ami de ma cousine, nous nous sommes tutoyés très vite. C'est un homme et pourtant, jamais, je ne me suis sentie gênée ; de par mon état, mon intimité la plus grande était offerte aux bons soins de tous les soignants. Il était d'une telle simplicité, d'une grande humilité, je n'ai pas eu à rougir de m'en remettre à lui.
Parce que ce n'est pas le corps qu'il regarde, le soignant voit la personne par delà la nudité. ... un vrai en tout cas. (c'est ce qu'a dit Jess aussi)
Floriane est arrivée pour remplacer Valery sur le départ Elle était stressée, fraîchement sortie de l'école ( ?), l'envie de bien faire, tant de responsabilités. Ses marques trouvées, elle n'était pas en reste pour rire un bon coup ; d'une extrême gentillesse, d'une extrême douceur, Floriane.
Marie- Jo, infirmière de garde venait pour le sondage de la nuit. Parfois, je dormais à demi et nous nous sommes rencontrées alors qu'elle me nettoyait. Dans mon demi- sommeil, j'ai lâché un «J'aimerais tellement vous évitez ça ! » elle m'a répondu vivement «Mais nous en sommes parfaitement conscientes, nous le savons ! ». Et puis, nous conversions au soir, au petit matin, de sa passion du point de croix, de sa famille, de sa vie. Elle eut l'air déçue quand je lui annonçais que je ne serais plus là à son retour de vacances. J'étais contente de rentrer mais ô combien attristée de tous les quitter. Plus tard, je revins lui porter des catalogues de point de croix que ses collègues furent chargées de lui transmettre. Aujourd'hui, je n'ai pas oublié.
Sara, adorable aide- soignante, toujours souriante et lumineuse. Elle me confia ses petits soucis, certaines de ses interrogations face à son avenir, ses déceptions également ; nous en avons échangé des préoccupations. J'espère lui avoir apporté quelque chose ; elle rêvait tant à une belle histoire, je l'ai invitée ardemment à penser à elle en priorité.
Anne, très posée et les pieds sur terre. Généreuse, bonne, douce, elle s'occupe des patients avec tout son cœur comme elle aimerait qu'on s'occupe d'elle (c'est elle qui l'a dit) Férue de peinture, d'arts créatifs, elle s'est exclamée en voyant mon patchwork accroché par une de ses consœurs dans la chambre « J''ai toujours rêvé d'apprendre à en faire ! » Ni une, ni deux, je lui ai montré les rudiments un dimanche quand le service était calme. Avec Bénédicte, elle m'avait baignée et soignée le premier dimanche passé dans le service, loin de la maison (voir l'article Bain rituel ?). Je n'oublierai pas.
Bénédicte, loquace et ouverte. Elle a pris soin de moi en me coiffant, me faisant belle avec les moyens du bord. Toutes d'ailleurs se targuaient de me donner la meilleur des apparences, prêtes à tout ce qu'elles pouvaient afin que je ne me sente pas diminuée dans mon image, entre coiffure et parfum. Il n'était pas question que je perde mes petits restes de féminité. Bénédicte s'est essayée à me rendre belle et par ces attentions, elle m'a rendue un petit goût de mes coquetteries passées. C'est elle qui affirma qu'elle n'oubliera jamais cette image : elle m'avait surprise en train d'éponger mon lit et de défaire les draps, à quatre pattes dans un coin. Quelle drôle d'idée, je vous le dis ! N'importe qui d'autre aurait sonné... et ben, pas moi. Même Solange en rit en l'apprenant.
Blandine. Quel personnage ! Fille de militaire, elle est très exigeante et rigoureuse. Elle essaie de prendre des airs autoritaires... en vain car j'ai très vite vu qu'elle a un cœur d'or. Bien sûr, les visions différentes dans le travail amènent quelques malentendus et quiproquos et Blandine ne transige pas avec les règles, ah non, pas question ! Blandine est celle qui m'a prévenue que j'étais ici pour travailler, c'est elle qui a eu peur quand je m'étais endormie avant le repas de midi et qu'elle n'arrivait pas à me réveiller. C'est elle aussi qui notait mes records de sondage avec des quantités si impressionnantes que les médecins me demandèrent de moins boire. « Et ce n'est pas dans nos habitudes ! » s'exclama Solange. C'est elle qui entra tout excitée par la neige tombée quelques jours sur la ville, elle, passionnée de ski. C'est elle qui me portait malgré ses problèmes de dos et son corset. C'est elle qui a tourné les talons pour cacher les larmes d'émotion qui lui virent aux yeux ce jour de printemps où je vins leur rendre visite depuis l'hôpital de jour. J'étais en fauteuil, j'ai mis les freins, me suis levée et ai fait quelques pas maladroits et hésitants.
Je pense également à cette élève infirmière dont j'ai oublié le nom . Après des années dans la vente qui ne la satisfaisait pas, elle avait tout recommencé en se lançant dans une école de soins infirmiers : elle voulait se mettre au service des autres après avoir côtoyé l'univers comptable et égoïste du commerce. Elle finissait sa dernière année et faisait un stage dans ce service. Elle était discrète, sérieuse, dévouée, très prévenante. Un matin, elle fut chargée de ma toilette alors que j'étais incapable de me tourner, que le corps n'était que souffrance, que je ne sentais plus rien sous la poitrine. Nous discutions de choses et d'autres, toilette normale ; bravant le temps et des consignes de travail, elle prit le temps de masser mes pauvres pieds. Quoi de plus agréable que d'être choyée avec tant de bonté ? Son visage et sa voix sont gravés dans ma mémoire. Comme ceux de tous ceux dont je viens de vous parler.
Nous avons tant échangé, tant partagé, elles entraient toutes avec joie dans ma chambre. Je n'étais pas seulement une malade, j'étais également une confidente auprès de qui elles se confiaient. Il n'y avait pas de hiérarchie, nous étions tous sur le même plan, HUMAIN.
Quand j'ai préparé ma charlotte au chocolat avec Noémie pour les ergo et le service de rééducation, Floriane et Cathie sont venues. Nous riions à nouveau de mes frasques et de mon tempérament « peu conventionnel », toutes ne pouvaient que confirmer, je ne fais décidément rien comme tout le monde. Cathie expliqua alors que la veille, elle avait dit à Blandine que j'allais leur manquer, sincèrement.
Il me coûta de les quitter, j'essaie de retourner les voir dès que je peux, de faire passer un bonjour dès que je peux et je dois une bouteille à Blandine pour mes premiers pipis sans sonde depuis des mois !!!!
Je sais par la psychanalyse que j'ai vécu à nouveau une forme de maternage tel que le vit le nourrisson à la merci de sa mère. Comment pourrais- je me détester quand j'ai reçu tant d'amour ? Et oui, j'ose le dire ce qui en soi est la marque d'une grande avancée de ma petite personne. J'étais amaigrie, amoindrie, invalide, incontinente, mal fringuée, pas maquillée, et pourtant, ils ont tous été là, pour moi non en simples exécutants froids et mécaniques mais bien avec toute leur richesse personnelle. Ils vivent en moi, je suis habitée d'eux.
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Par fée des agrumes le 23 Octobre 2008 à 18:00
Tout au long de ces mois difficiles, il y eut des chutes ponctuelles particulièrement marquantes à mes yeux. Elles évoquent l'impuissance qui m'étreignait, la sensation du corps qui échappe à tout contrôle et balance à la figure la réalité de sa présence à un mental qui l'a trop souvent ignoré, et méprisé, l'affreuse sensation que malgré la vanité quotidienne à se croire maître à bord, la bascule dans le néant de la mort peut arriver n'importe quand.
Etre là sans l'être, absente à soi, retranchée dans un minuscule petit rien au plus profond de soi.
Notre capacité à percevoir l'espace qui nous entoure et la place que nous y prenons est régie par notre système nerveux. Des milliards de petits capteurs nerveux envoient les informations en une fraction de seconde au cerveau, par la peau, par les yeux, par les oreilles, par la sensation d'un souffle insoupçonné, par les muscles, les tendons, les articulations.... (Je suis particulièrement ignorante en médecine, excusez- moi) Ainsi, j'ai appris la notion de proprioception qui m'était totalement inconnue. Les plus courageux pourront aller voir par ici ( et pas Wikipédia, non)
Le plus déstabilisant, au propre comme au figuré a été la découverte que les yeux fermés, je n'avais plus la capacité de me tenir debout. Les défaillances du système nerveux ont été compensées temporairement par la vue. Les kinés me faisaient baisser les paupières et j'étais perdue. Je tanguais malgré moi, incapable de m'en rendre compte. L'espace n'avait plus la consistance passée ; Ils me poussaient légèrement pour faire leurs tests et très souvent, ils me rattrapaient parce que je tombais sans en avoir conscience. S'il peut être agréable de tomber dans les bras de ces hommes, il n'est guère agréable de mesurer la perte de cette capacité naturelle à se tenir debout dans le noir.
Aux premiers mois de la maladie, j'ai connu la chute dans la baignoire. Il n'y a pas de douche dans cette maison et les installations pour la toilette assise n'étaient pas là, un peu de savon me piquant les yeux pouvaient avoir des conséquences dangereuses. Ce soir- là, notamment, je fus incommodée par du savon et sans m'en rendre compte, mon corps bascula dans l'espace que je ne comprenais plus. Je le réalisai quand mes jambes cognèrent dans le bord de la baignoire mais il était trop tard. Je n'eus que le temps de m'éviter de taper la tête sur la machine à laver et je me retrouvai dans le panier à linge sale en appelant à l'aide. SeN ne put que me relever alors que j'étais sous le choc de la peur. J'aurai pu me blesser à la tête. Le lendemain, la planche pour s'asseoir était installée.
En neuro, j'avais été autonome aux premiers temps de mes hospitalisations répétées, l'équipe s'en était accommodée avec la surcharge de travail habituelle. Quand mon état de dégrada, je voulus croire que je pouvais l'être encore. Je demandai à aller à la douche et l'aide- soignante m'amena un siège spécial pour se faire. J'étais décontenancée, habituée à ce vieux fauteuil inadapté. Elle me laissa avec une légère hésitation et comme je lui promis d'appeler en cas de problème, elle retourna à sa tâche. Ces fauteuils sont sensés nous conduire directement sous l'eau ; cela se révéla catastrophique parce que je devais gérer les vêtements, la serviette, le sec et le mouillé. Je préférai passer du fauteuil au siège de douche comme à mes habitudes, mes transferts devinrent périlleux. En quittant la douche, je tombai avant d'atteindre le fauteuil qui s'était échappé de quelques centimètres. Je me cognai au sol, aux roues et la douleur fut profonde ; je me battis plusieurs minutes pour y remonter craignant de ne point y arriver. Je pus finalement m'habiller et sonner. La même aide- soignante revint et me demanda si j'avais pu me débrouiller. Je lui dis vaguement, honteuse que j'avais mal et son visage se décomposa : « Vous n'êtes pas tombée ?? » Je la rassurai, taisant mes douleurs. Après tout, je n'étais pas à un hématome près, mes jambes en étaient couvertes par la violence du fauteuil inadapté. Et oui, j'ai pris sur moi alors qu'il y avait là matière à chercher les ennuis.
J'ai déjà évoqué ces chutes à la maison, entre le fauteuil et le lit, le canapé et le fauteuil. Surtout quand j'étais seule, il y avait dans ces situations l'impression que le monde s'écroulait avec moi. Se rouler, se traîner sur le sol, avancer tel un ver sans en avoir les capacités puis ne plus pouvoir plier les genoux, ni se hisser à l'aide de petits bras pas musclés... j'enrageai entre désespoir et colère, en pleurant et criant mon incompréhension. Et ma mère qui me soulève et fiston qui n'y arrive pas. Quelles situations horribles !
Je suis tombée dans le panier de linge sale, dans le lave- vaisselle neuf, dans la baignoire, sur les toilettes, au pied des toilettes, sur le tapis, sur le carrelage, sur le plancher, au pied du lit, au pied du canapé, au bas du fauteuil violent, empêtrée dans les béquilles inutiles, dans les bras d'autres. Je suis tombée et tombée. Les hématomes n'avaient aucune signification, je ne les sentais pas, ils étaient les feux rouges, bleus et verts de la dégringolade générale.
En juillet 2006, lors de ma virée aux Eurock -j'ai menti et parjuré à l'hôpital ! - j'ai eu besoin d'aller aux toilettes. Il y a toujours des toilettes adaptées pour les handicapés... et un nombre incalculable de valides qui les utilisent. Elles étaient donc occupées et j'attendis tant bien que mal. Un tout jeune homme en sortit et fut très embarrassé en me découvrant à l'entrée en fauteuil. Il s'excusa et je ne pus qu' hausser les épaules La rampe d'accès n'était pas aisée et je préférai y aller à pied soutenue par SeN. Je me soulageai enfin, assise sur cette cuvette malodorante et à l'hygiène douteuse. Je me rhabillai seule et ouvris la porte. Tout à coup, mes jambes lâchèrent et je basculai au bas de la raide rampe perdant tout contrôle. Heureusement, SeN fut là pour me rattraper et me remettre au fauteuil. Nous étions saufs, ouf !
Au service de rééducation, il y avait un porte- malade capricieux qui fonctionnait à son envi et dans des dispositions particulières. Alors que j'étais avec Blandine et Cathie, il se révéla inopérant, Blandine portait son corset pour protéger son dos meurtri et malgré ces difficultés, il me fallait rejoindre le fauteuil pour repartir au plateau technique. Bon, nous allions tenter un transfert toutes les trois. Un, deux, trois... et bloom malgré toutes les précautions, mon corps glissa des mains expertes de Blandine et Cathie. Dans un réflexe immédiat, nous stoppâmes la tentative et nous retournâmes instinctivement vers le lit. Dans un lourd mouvement, nous nous écroulâmes toutes les trois dans ... un éclat de rire entre excuses et compréhensions réciproques, communauté d'impuissance et d'insatisfaction. Ce fut ma dernière chute véritable mais celle- ci avait pris une tout autre tournure. Nous pouvions en rire toutes ensemble parce que nous savions que ce n'était qu'un incident et non plus le signe d'une chute inexorable
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Par fée des agrumes le 21 Octobre 2008 à 21:10
Quand je me retrouvai en rééducation, je fus surprise du calme qui m'entoura après les sept jours d'agitation d'avant la première cure. Je dormais tout mon saoul, les autres se greffant à mon rythme. Solange passa me voir et elle pesta contre la sonde permanente : il était hors de question que je gardasse cette cochonnerie ! Elle pensait à la suite, il fallait préserver ma vessie à tout prix et continuer les sondages intermittents cinq fois par tranche de 24 heures. Petit tour rapide de la question : comment me sentais-je ? fatiguée, nauséeuse ? ... Euh, non. Bien, le traitement était supporté par l'organisme.
Je ris des précautions prises autour de moi, incrédule, « puisque je vous dis que ça va ! »
Car oui, j'allais bien.
Pour la première fois depuis plus de six mois.
Je sentais en moi un changement incroyable comme si tout à coup, une troupe d'élite était entrée jusqu'au plus profond de mon corps avec mission de bloquer l'ennemi destructeur. Mon propre ennemi, mes propres cellules.
Un calme, un soulagement.
Je soupirai d'aise et remerciai à tout vent en silence pour ce répit, cette accalmie, cette sensation formidable de ne plus choir dans l'abîme de l'auto destruction fatale.
Etait- ce un matin réel ? Je ne m'en souviens plus. Je garde le souvenir d'un éveil après une longue nuit froide, terrorisante et affreuse, une nuit de cauchemars abominables dont je n'arrivais pas à m'extirper.
Une quiétude profonde.
J'attendais le jour de la visite de mon garçon et de SeN avec impatience ; je me sentais trépigner d'aise à l'idée de leur parler de cette accalmie, de ces effets merveilleux. Du sentiment que la maladie avait été arrêtée net dans les quelques jours suivant la première perfusion.
Sentant que je pouvais envisager une perspective, je me mis à élaborer des projets, concrètement : me donner à fond dans mes créations et mes travaux en retard, trop longtemps repoussés par les tâches quotidiennes avant, par la maladie après. Je commençais à faire des listes de ce que je voulais avoir près de moi : des livres, un radio réveil, mon patchwork, et tout et tout selon les avancées. Au téléphone, SeN prenait note de mes demandes chaque jour plus longues.
La position debout sur le verticalisateur devint un jeu d'enfant. Marie me faisait travailler avec des ballons, des bâtons que je repoussais, retenais de mes mains. Après quelques séances, elle me déclara tout sourire que nous allions passer à autre chose, c'était trop facile pour moi. Youpi !!!!!!! Bien qu'ayant toujours essayé d'avoir un bon mot pour chacun, je parlais de plus en plus, de bon cœur et le sourire aux lèvres, non plus de ce sourire las et triste, celui d'un cœur qui reprend pied dans la vie.
Dans la même lignée, grâce à Noémie si généreuse et dévouée, je reçus un fauteuil électrique, le précédent trop lourd n'avait plus lieu d'être, je pouvais retrouver un peu d'autonomie. Quand les brancardiers venaient me chercher, ils ne me poussaient plus, je filai droit devant, toute seule comme une grande. Cela ne m'empêcha pas d'avoir une conversation très intéressante avec l'un d'eux, un monsieur antillais qui fredonnait de sa voix grave . Je lui ai dis qu'il me ramenait au gospel, au jazz, à Louis Armstrong ; il fut touché car il était musicien, saxophoniste et féru de musique noire justement. Il me demanda si j'étais musicienne ( non, fatalement, je vous raconterai à l'occasion) puis si je connaissais un peu, je lui parlai des voix de femmes que j'aimais : Billie Holliday, Nina Simone, Etha James, Aretha Franklin, du gospel qui me remue les tripes, porteur des espoirs de ces populations profondément humiliées, outragées, blessées... Désormais, chaque fois qu'il me chercha ; il chanta pour moi. Veinarde !
Je faisais des pointes de vitesse dans les couloirs, je tentais des dérapages, je freinais, tournais et dansais avec le fauteuil. Quand j'allais quelque part, j'aimais raconter que je me croyais dans la guerre des étoiles ! Dark Vador, R2D2, Leila, Luke Skywalker, Obi Wan Kenoby, Yoda, et surtout Z-6Po dont nous avons recherché le nom tous ensemble.
En ergothérapie, nous pensions, Noémie et moi, commencer le travail en chambre. Vu l'évolution, il fut évident que je descendrais au service directement. Je retrouvai toute l'équipe avec grand plaisir ; entre Maud, Lorette, Noémie et Myriam, je ne pouvais qu'être bien. J'y fis la connaissance de Mathilde, jeune stagiaire poitevine passionnée par ce métier dont elle terminait la formation. Il était temps de commencer la mosaïque ! Elle me coupa la planchette consciencieusement car c'était une tâche impossible en ces instants. Je tenais assise pas encore debout, je pouvais me déplacer en fauteuil, pas encore faire les transferts. Elle se dévoua avec la scie et les serre-joints. Je reportai le motif choisi au carbone et la technique me fut expliquée : coller d'abord les pièces sur la planche puis au final, passer le joint, simple dans le principe. Ce fut parti... et je plongeai mes mains et mes yeux défaillants dans la caisse à rebus où se mêlaient des milliers de petits bouts aux couleurs multiples. Ola, dans quoi m'étais- je engagée ? Et pourquoi n'y arriverais- ja ? Non mais !
Oui, il se passait quelque chose.
Dans la chute, j'avais trouvé un marche- pied où m'accrocher pour remonter cette paroi raide et accidentée. La tâche est rude et ardue, le jeu en vaut la chandelle ... et je n'étais pas seule, bien au contraire.
C'est tout ce dont j'avais besoin. .
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Par fée des agrumes le 17 Octobre 2008 à 12:14
N'étant plus très certaine du déroulement des événements, je me suis tournée vers SeN et ses souvenirs. A conjuguer les siens au miens, j'arrive à me remémorer chronologiquement des aventures de ces jours si particuliers où je suis passée par des émotions intenses, reliant des faits et des personnes.
Ainsi, je me souviens que ma mère était venue me voir une après- midi lors de mon séjour en neuro pendant que coulait le produit dans mes veines. Comme à son habitude, elle courut aux toilettes où je lui enviais cette banalité de le faire librement, sans y penser. Comme à son habitude, elle était submergée par les petits tracas de sa vie qu'elle laisse facilement prendre plus d'importance qu'ils n'en ont. Comme à son habitude, elle me ressassa ses habituelles rengaines. Au détour des mots, elle évoqua l'air de rien son attente vis- à- vis de ce traitement, elle voulait savoir si là, c'était bon ou si j'allais encore basculer dans pire. J'étais souvent prétexte à ce qu'elle lâchât ses propres expériences dans la maladie ; de l'autre en effet de miroir, indéfiniment.
Je lui parlai alors de ma voisine de chambre, une femme victime d'une attaque cérébrale avec qui j'avais un peu discuté. Agée d'une soixantaine d'année, elle était originaire du même coin que ma mère, du même village. Elle commença à me questionner sur cette femme, comment pouvais-je lui répondre ? Je n'en savais rien. C'est ma mère ça ! Elle a le chic de poser de questions sur des sujets dont nous ne savons rien, surtout en ce qui concerne les autres et leurs vies. Quand cette femme revint dans la chambre, en fauteuil, le visage de ma mère s'éclaira et elle s'exclama : » Ah ! Mais oui que je la connais ! Salut !... » (J'ai oublié le nom, il n'y a pas eu d'accroche entre nous, des relations polies de voisines de chambre, sans plus) Elle la tutoyait, lui parlait comme si elle l'avait vue la veille ; cette femme bousculée par l'attaque et pas très maline (désolée... ) semblait quelque peu effrayée. Ma mère se présenta, elle chercha et la situa vaguement dans ses souvenirs. Elles étaient camarades de classe et ne s'étaient pas vues depuis au moins 40 ans, si ce n'est plus.
Ah Maman, vraiment, tu n'arrives pas à sortir de tes souvenirs, de ton passé. Pas étonnant que tu ressasses sans cesse les mêmes vieilles histoires.
Finalement, elles se racontèrent des pans de leurs vies respectives, évoquèrent quelques souvenirs et ma mère, après avoir mis son bazar dans la chambre repartit joyeuse de ce bond dans le passé.
Ce jour-là, SeN était venu seul. Nous avons discuté des petites choses du quotidien, il me faisait part de ses difficultés à tout gérer, du débordement qui caractérisait sa vie en ces jours sombres. Lui, qui ne rêve que d'une vie pépère et coulant sans heurts était dans ce qu'il déteste le plus : le sentiment de ne pas contrôler. J'admirais ce qu'il réalisait, je me sentais aimée comme jamais, je voyais un acte d'amour dans tout ce qu'il faisait, pour fiston et pour moi. J'avais une foi aveugle en lui.
J'avais... Oui, j'avais.
Ces souvenirs m'échappent quand je n'ai rien ou personne pour les remonter à la surface. Tout simplement parce que j'étais entièrement dans le flot de ma souffrance, de mes émotions, de mes peurs et de mes espoirs. C'était parfois si dérisoire de sentir l'agitation du monde au loin, si loin de moi quand je me demandais seulement combien de temps allait durer ce calvaire atroce. Calvaire au sens réel. De celui qui déchire les chairs et mène l'être au bord du gouffre et de l'anéantissement, solution ultime à la souffrance.
Une mort symbolique.
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Par fée des agrumes le 15 Octobre 2008 à 18:13
Entre les 5g de cortisone et la première perfusion de mitoxantrone, 7 jours s'étaient écoulés. Oui, seulement 7 jours.
Le 17, je retournai en neuro après avoir passé ces quelques jours dans une agitation perpétuelle de soins et de projets pour les semaines à venir. J'essayai de garder espoir, de ne pas flancher, portée par des petits riens. Désabusée également. J'avais entendu si souvent que tout irait bien, que j'irais mieux quand mon corps s'effondrait inexorablement, envers toute attente. J'y allai, simplement, ballotée dans mon lit, écoutant à peine les conversations de couloir et ne voyant quasiment rien. Je fus installée dans une chambre que j'ai oubliée. Il fallait attendre les dernières autorisations, ce traitement étant de la grosse artillerie, une chimiohérapie. Les doses sont moins fortes que pour un cancer, elle n'en reste pas moins dévastatrice : encadrement sévère de son administration, suivi tout le long du traitement et cinq années après. Il était donné uniquement après grande réflexion sur le ratio gain thérapeutique / risques des effets secondaires. ( maladie du sang, leucémie, malformation cardiaque, etc)
Le protocole incluait en préambule avant toute injection, un bilan sanguin complet, une échographie cardiaque. Je me laissai faire, sans mot dire, détachée ; j'en ai presque tout oublié. Les résultats des examens préalables connus, le feu vert fut donné. Je demandai à avoir une sonde permanente afin de ne pas m'inonder systématiquement avec le produit de rinçage, pas de problème. Je ne me souviens plus qui est venu me mettre la première perfusion en place. Etait- ce le seul infirmier du service ? Ou Christelle ? Il y a un blanc dans ma mémoire, j'étais noyée. Au risque de mélanger les événements, j'ai le souvenir d'une visite de Gilles. Il m'expliqua les procédures d'autorisation, la lourdeur du traitement, la supervision permanente du professeur de Strasbourg,. Gilles ne voulani plus rien promettre au regard des aléas passés, il fallait attendre avant de juger. J'étais si lasse, je n'attendais rien hormis un effectif changement, simplement sentir la fin. De la souffrance, de la chute. Quelle qu'elle soit.
Je ne restais pas plus de deux jours en neuro, l'équipe de rééducation avait eu des consignes de calme, le traitement étant très fort ; ça ne rigolait pas. Je savais les attentes de quelques uns, nous espérions, avec plus ou moins de conviction parce que finalement, il n'y pas d'autre choix.
Comme il devint coutumier par la suite, mes veines ne se laissaient plus prendre, se cachant, roulant à l'aiguille. Comme à l'accoutumée, il fallut me piquer plusieurs fois avant que la perfusion ne fût en place.
Enfin, la potence près du lit. D'abord, un gramme de cortisone et l'infâme régime sans sel ni sucre, maigre au possible. Enfin le petit flacon rempli de liquide bleu.
Je trouvai la force de remarquer que j'aurais le sang bleu en suivant du regard le liquide coulant vers le corps, entrant dans la veine, l'imaginant se diffusant dans l'organisme au rythme des battemenst du coeur; l'infirmier qui veillait me parla de la schroumpfette que j'allais être. Non, je voulais dire aristocrate, de sang bleu, une vraie. Il en rit, j'en souris puis il ajouta plus sérieux : « On rigole mais .....c'est un médicament sacrément puissant ! »
Le produit passa en quelques heures, je ne sentis rien, ni mieux, ni pire ce qui pour moi était déjà un soulagement, le précédent ayant été catastrophique d'emblée. . Vint le liquide de rinçage et ses trois ou quatre bidons. Le corps se vide et se vide, bleue jusque dans les urines.
Evidemment, j'eus plaisir à revoir quelques soignants, ne manquant pas de prendre de leurs nouvelles, évidemment, j'appréciais les appels de mon amie Sandrine des Vosges, de SeN venant aux nouvelles, anxieux sans oser l'énoncer...
Evidemment, j'étais loin.
Je retournai en rééducation quand le protocole de soins fut terminé.
Attendre.
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Par fée des agrumes le 13 Octobre 2008 à 22:18
Avant de partir à l'hôpital et ne sachant quand j'en reviendrais, je demandai à SeN d'envoyer quelques courriels afin d'avertir que je ne serais pas à la maison pour une durée indéterminée.
Le premier ou le deuxième soir dans le service de ré éducation, j'eus la visite surprise d'Alain.
C'est un ami de presque vingt ans qui peut aisément ne pas donner de nouvelles pendant des mois, qui est difficile à déplacer, trouvant toujours un prétexte pour vous faire venir chez lui, avec des rendez- vous à prendre des semaines à l'avance... Qu'est- ce qu'il peut m'agacer parfois ! (c'est sûrement réciproque d'ailleurs :p) Et pourtant, c'est un ami fidèle, sincère, loyal, chaleureux, généreux. Etonnant aussi car il est capable de sortir des sentiers battus qu'il croyait être siens à la grande surprise de tous ses vieux amis. Bref, je l'aime comme il est, comme un frère. Et il fut le premier à venir me voir.
Il avait lu mon courrier la veille ou le jour même et avait pris le temps de faire un crochet en rentrant du travail. C'était très étrange, il faisait nuit, nous étions sous les lumières douces de l'extérieur et du chevet. Il s'était assis à côté de mon lit, assez près et nous entrâmes dans une conversation mémorable très riche et profonde. Il ne parla pas des banalités du quotidien ou je ne m'en souviens pas, il me fit part de sa foi en moi, il croyait sincèrement que j'avais en moi les moyens de dépasser cette épreuve, j'en avais la force ; il me parlait en serrant les poings, d'une voix ferme. Je lui évoquai mes craintes de ne pas m'en sortir, de garder des séquelles sévères, de me perdre. Je lui fis part de ma non croyance en Dieu, de mon désabusement face à la vie où la justice n'était qu'une idée humaine, un fantasme, du néant que j'entrevoyais en dehors de la vie, du sentiment de n'avoir jamais été épargnée. Il m'écouta, ne me contredit en rien. Lui, il avait l'espoir de la justice divine et la foi en en monde meilleur après la mort.
Je ne sais pas ce que signifiait cette entrevue, j'en garde le souvenir d'une véritable communion d'âme, d'une main tendue que j'ai serré fort malgré l'ombre. J'en suis encore remuée aujourd'hui en écrivant ces mots, la gorge se serre et les larmes coulent.
Alain, tu m'as fait un merveilleux cadeau, un souffle sur les braises de ma petite flamme intérieure.
Autre visite, celle de Corine.
C'est une jeune femme que je ne vois que trop peu, trop souvent dans des sortes de mondanités familiales avec qui, malgré ces circonstances restreintes, passe un courant spécial. Généreuse et ouverte, elle fait place à l'autre sans systématiquement y mettre toute sa personne. Elle aussi vint près de moi, dans cette pénombre hivernale et me raconta sa petite vie entre son travail, son mari son petit garçon. Je n'avais pas le sentiment qu'elle me parlait d'elle pour elle ou pour éviter le sujet délicat de ma situation car nous arrivâmes à la question de la mort, de la fin en toute chose. Elle n'avait de réponse certaine pour elle-même, le scepticisme planait. Aussi, me parla t- elle de la joie d'avoir donné naissance à un enfant, de son mari qui, philosophe, n'a de cesse de parler d'idées éternelles et de sa quête d'immortalité à travers l'écriture. Je sentis l'angoisse que ce discours cachait et ne rentrai pas dans la dialectique de la futilité de ce genre de démarche. Je pense qu'elle comprit que je n'y croyais guère.
Nous conversions depuis quelques instants quand un infirmier, l'adorable Valéry arriva pour voir si je n'avais besoin de rien. Je lui dis simplement que j'avais mal, il réajusta les draps sur le pont mis au dessus de mes jambes qui n'en supportaient plus le poids, rien n'y fit. Corinne se leva voulant partir et je la vis se prendre en pleine figure mes douleurs insupportables que Valéry ne savait comment soulager en me déplaçant le corps, les jambes afin de trouver une position moins inconfortable pour la nuit. Comment le vit- elle ? Qu'en retient- elle ? Je l'ignore, elle m'a vue dans mon plus grand dénuement, n'en a jamais fait mention d'aucune manière et nous avons cet instant en commun. Une intimité lourde, pénible et puissante.
Le premier samedi passé dans le service de rééducation ne me réjouissait pas, il n'y avait pas les activités habituelles et je craignais qu'il ne me renvoyât sans cesse au vide des absences. J'attendais toute la journée mon garçon que je n'avais plus vu depuis près d'une semaine, il me manquait. Comme l'hôpital est loin de la maison, qu'il faut près d'une heure pour faire le trajet sur des petites routes sinueuses, les déplacements dans la ville sont toujours mis à profit. Ce jour-là, SeNfut débordé et ils arrivèrent tard dans la soirée. Que cette personne me le pardonne, je sais que j'étais avec quelqu'un, je ne sais plus qui quand l'on taqua à la porte et que mon garçon entra, hésitant. Je reconnus sa silhouette dans le rai de lumière. IL me parut tellement grand, comme si en quelques jours, il avait poussé d'une traite... SeN était occupé des quelques affaires que j'avais demandées et fiston avait du mal à venir vers moi. Il s'approchait lentement. Il ne me fuyait pas, il n'avait pas peur, il lui était nécessaire de s'habituer au lieu, aux circonstances et surtout, pudique, il ne voulait pas étaler ses sentiments au regard d'autres. Quand enfin il fut à portée de bras, nous nous embrassâmes, nous échangeâmes quelques mots au sujet de l'école, de la vie quotidienne. Il n'était pas très loquace, ce n'était pas intéressant en cet instant. SeN nous surprit en photo, instants volés de grande intimité, de retrouvailles muettes. Prendre pour ne pas perdre.
IL eut du mal à me quitter, la vie et la maison sans moi étant affreusement vides. Je le rassurai en le ramenant vers El. qui prenait si bien soin de lui en mon absence, de la chance qui pouvait s'offrir à nous en me soignant correctement. Il se raisonna à contre cœur, espérant revenir le lendemain, s'accrochant à cet espoir, lâchant à demi mot son envie de rester dormir là avec moi. Cela nous parut difficile et ils repartirent tardivement, SeN inquiet de l'état des routes glissantes. Pendant les deux mois d'hospitalisation, chacune de nos séparations me déchira le cœur et m'arracha des larmes.
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Par fée des agrumes le 6 Octobre 2008 à 06:10
Mon programme de rééducation s'élabora en deux ou trois jours.
Je fis d'abord la connaissance de Marie, la kiné qui vint dans la chambre me bouger les membres pendant que je discutais avec mon amie Sandrine des Vosges toujours fidèle et présente. Nous avions même quelques conversations à trois par téléphone interposé.
Je rencontrai également Elodie, une psychomotricienne à qui je réserve un article tant elle est importante.
Et Noémie.
Je l'avais croisée en ergo puisqu'elle y travaille avec Myriam et Maud. Elle vint toute adorable qu'elle est avec les salutations de ses collègues ; nous nous manquions presque les unes les autres. Nous discutâmes de ce que j'allais faire et je me décidai pour une mosaïque. Elle m'apporta des modèles, je choisis un mandala.
Pour les couleurs, j'eus un lot de crayons reliés par un petit ruban, une de ces petites touches qui vont droit au cœur. Je fis des coloriages multiples pour trouver ce qui me semblait le plus approprié. Pas facile quand je n'y vois rien. Heureusement, c'était l'hiver et voyant mieux la nuit avec des lumières artificielles, je préparai la veille les couleurs du lendemain.
Je lui montrai également le tricot que je faisais obstinément : un bonnet pour ma mère à aiguille circulaire puis sur quatre au pif, encore et toujours, rattrapant la nuit ce que j'avais loupé la journée, incapable de voir la laine sur l'aiguille en plein jour. Il y avait aussi la consigne de me faire retrouver la position assise et d'adapter le fauteuil en conséquence.
Au matin, Blandine armée de son énergie habituelle débarqua en m'annonçant que ce jour- là, je serai habillée et mise en position assise. Oups... Acrobatie pour toutes avec le porte- malade. Blandine souffrait du dos, nous pensions que cet engin serait utile. Bon, ça a marché cette fois-ci et passé le voyage dans le hamac du lit au fauteuil, je fus assise confortablement, avec le bouton pour appeler en cas de besoin.
Sensation étrange d'être absente de ses membres que l'on lave, que l'on habille. Sensation étrange d'être roulée d'une place à l'autre pour glisser ou éloigner le hamac..
Sensation étrange d'être soulevée de la sorte, incapable de se placer soi- même.
Elles me laissèrent tout à portée de main promettant de revenir au plus vite, j'acquiesçai, sans mot dire. Je n'avais pas compté depuis quand je ne m'étais plus assise et en quelques minutes, je sentis le malaise me gagner. J'étais si faible que je n'eus pas la force de sonner, résistant, bataillant pour me prouver que je pouvais tenir. Quand elles revinrent, elles me grondèrent de n'avoir pas appelé, j'étais toute blanche et je retournai au lit dans la foulée avec un nouveau voyage en hamac.
Super...
Quand la cortisone eut des effets suffisants pour que je fusse transportable, un brancardier vint me chercher : je descendais au plateau technique pour travailler la position debout avec un verticalisateur. Oulala.
Avec l'aide d'un autre kiné, Marie me portait sur une sorte de planche où j'étais attachée avec des sangles. Mes jambes étaient récalcitrantes, tombant ou se tordant sous des influx nerveux incontrôlables, il fallait souvent s'y prendre à deux, recommencer. Solidement attachée, un moteur levait la partie supérieure de la planche lentement jusqu'à ce que je me retrouvasse debout... A la première séance, cela prit un long moment car mon corps avait perdu la perception de la position debout.
Comme il est étrange de sentir le corps tomber doucement vers le sol, en apesanteur retenu uniquement par les sangles, les jambes inertes, insensibles Mon buste s'enfonçait dans une espèce de masse indicible, étrangère, inconnue. Mon corps n'était présent à mon cerveau que de la poitrine à la tête, aucune terminaison nerveuse plus bas ne me renvoyait d'autre information que la douleur, l'écrasement, l'emprisonnement. Je n'ai pu résister que cinq minutes, virant rapidement au livide. Marie me redescendit en catastrophe de peur que je ne sombrasse. Heureusement, l'exercice fut profitable et chaque jour, je gagnais quelques minutes sollicitant constamment quelqu'un pour me lire l'heure que je ne pouvais voir.
Souvenirs mémorables :
Ce jour où ce fut Raphi qui aida Marie à me transférer. Je ne l'avais plus vu depuis des semaines et nous ne pûmes trouver des mots à échanger. Je lui caressai simplement la joue en évoquant sa bonté, doucement, les yeux en fenêtres ouvertes sur nos âmes.
Ce jour où il fut question de me peser pour calculer la dose de chimio à administrer. Le soulève- malade du service était inopérant, bien sûr, l''affichage complètement anarchique ; il me fallait donc descendre au plateau technique où j'imaginais un système très sophistiqué. Je fus attachée comme la veille à ma grande surprise. J'interrogeai Marie qui me dit très sérieusement qu'ils cherchaient un pèse- personne. J'ai cru mal comprendre et pourtant, ce fut ainsi que je fus pesée. Un pèse- personne très ordinaire fut placé à l'endroit où arrivaient mes pieds, la planche monta et mon corps retenu par les sangles s'y glissa. Système D. C'était d'un comique ! Surtout avec le sérieux des kiné qui y mettaient tant de conviction. Quand ils arrivèrent à un résultat, je crus mal entendre, je fis répéter deux fois, je n'y croyais pas... Du haut de mon mètre soixante-huit, je ne pesais plus que .. 49 kilos !! Incroyable.
J'ai pu me réapproprier ces événements à postériori, aussi, je peux en sourire. Cependant, croyez- moi, c'était loin d'être drôle. Tous étaient très gentils, nous étions dans une complicité des plus bénéfiques, mes peurs et mes douleurs n'en étaient pas moins omniprésentes. Je souffrais physiquement et psychologiquement, n'ayant plus de force, m'abandonnant entre leurs mains d'experts. Les soins et les attentions que je recevais n'avaient pas de sens parce que je sentais mon corps m'échapper toujours plus. A l'hôpital, je gagnais certes en confort, mais j'étais loin de ceux que j'aime pour une durée indéterminée, je ne voyais rien autour de moi. Assise ou couchée, je reconnaissais les gens par leur voix, leur vague silhouette, leur démarche, reconstituant les images avec ce que je pouvais apercevoir de nuit ou de près. Debout devant moi, je ne vous voyais pas. Seuls les visages penchés près de mon visage avaient des traits. Si ce n'était pas le néant, j'en étais toute proche. Seule une émission sur la transcendance de l'âme de France Culture avec d'éminents penseurs résonnait en moi par delà la souffrance et le désarroi que je ne montrai pas.
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Par fée des agrumes le 2 Octobre 2008 à 16:05
Tant de choses en si peu de temps. Moments forts de l’existence qui ne quittent pas l’être tant que son cerveau le lui permet…
J’étais arrivée en fin de semaine dans le service de rééducation et en discutant avec Anne et Bénédicte, infirmière et aide-soignante, j’évoquai ce plaisir impossible de prendre un bain. Sans y réfléchir plus, elles me prirent au mot : elles étaient là toute les deux ce dimanche et comme le service se vidait le weekend elles pouvaient s’occuper de moi. Oh, était-ce donc possible ?
Ce jour-là, je profitai de la liberté accordée aux personnes hospitalisées dans le service: dodo libre tous les dimanches matins. Dans ce nouveau lit, avec des soins adaptés à ma condition jour et nuit, je pus enfin retrouver le goût, le plaisir de dormir, de me réveiller un dimanche, jour particulier dans l’agitation du quotidien, de prendre un petit-déjeuner agréable, détendue sans avoir à subir les tensions et les cris de la maison. Dans ce service, tous les matins, la porte s’ouvrait au loin sur des sourires que je ne voyais pas mais qui faisaient chanter la voix et mon cœur quand à la maison, il n’y avait que douleur, contrariété et inquiétudes. Je commençais à retrouver un peu d’humanité.
Quand j’eus fini de déjeuner et que leur petit tour matinal fut terminé, Anne et Bénédicte vinrent me chercher avec l’appareil adapté : une sorte de brancard à bras et axe décalé sur lequel la personne est transférée depuis le lit, conduite au bain et plongée directement dans la baignoire adaptée sans être encore transférée. Elles m’apprêtèrent, me transférèrent et prirent soin de moi avec une grande douceur. Je parcourus les couloirs en n’en voyant toujours que les vagues plafonds couchée sans mot dire. Quand la porte de la salle de bains s’ouvrit, je vis cette fameuse baignoire et je n’en revins pas. Il fallut me tenir pour que je ne glissasse pas sur le brancard en plastique quand mon corps entra dans l’eau. Sensation incroyable entre incompréhension et bonheur ; je ne sentais pas la chaleur de l’eau, je ne pouvais pas empêcher mon corps de flotter, de glisser, de se laisser emporter par l’eau et quel plaisir de retrouver cet enveloppement particulier, ces membres et ce tronc plus légers… Je rayonnais tant qu’elles en furent touchées : ça fait vraiment plaisir votre reconnaissance pour notre travail, je les remerciai plus d’une fois.
Elles me laissèrent quelques minutes pour profiter de l’instant dans l’intimité et je fus transportée dans une autre dimension du rapport au corps. Après le matelas gonflé à l’air, la flottaison dans les eaux. Plaisir anodin et ô combien bienfaisant dans les méandres de la souffrance physique. Je fus savonnée, lavée de la tête aux pieds, bichonnée avec des produits parfumés et aucune de mes demandes ne fut refusée. Dans la chambre, je fus habillée de propre et parfumée. Bénédicte me fit même un brushing pendant que nous discutions toutes les trois.
Jamais je n’oublierai ces instants d’humanité profonde.
Merci à vous mes toutes belles.
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Par fée des agrumes le 20 Septembre 2008 à 17:50
Les cinq grammes de cortisone passées, je fus transférée dans le service de rééducation de Solange ; il aurait été trop dur d’avoir à retourner à la maison, seule toute la journée, à attendre encore quelques jours pour revenir prendre la première perfusion de chimio...
Les locaux me parurent peu accueillants, vieux, ringards. Je crois que j’en étais à un tel point que je n’arrivai plus à espérer quoi que ce soit.
Jesse et Muriel m’accueillirent, l’après- midi était calme, froide. Dans cette chambre qui devint la mienne, je fus transférée d’un lit à l’autre tant bien que mal ; rien, absolument rien de mon corps ne me permettait d’aider, je subissais tout sans dire le moindre mot, sans exprimer le moindre souhait, je m’abandonnai entre leurs mains au milieu des bavardages de collègues. Très rapidement, le lit classique d’hôpital fut remplacé par un « nimbus » selon mes souvenirs, matelas gonflé à l’air. Un transfert supplémentaire ne me réjouissait guère et pourtant, je n’oublierai jamais le bonheur suprême que fut l’arrivée sur ce matelas. C’était comme passer d’une pierre à un nuage flottant dans les airs. Si mon corps avait pu parler, son cri de soulagement aurait couvert tous les bruits de la ville.
Le premier médecin qui vint fut Delphine, le soir de mon arrivée; elle m’expliqua le fonctionnement du service. Blandine, une infirmière m’avait déjà prévenue ; « Ici, on ne se repose pas, c’est un service pour vous faire travailler ». Cette fille de militaire y mit toute sa rigueur mais je sentais quel cœur d’or se cachait derrière ses airs faussement sévères.
Quand Delphine parla des visites autorisées à tout moment, sans restriction, je fondis en larmes. Qui viendrait me voir ici ? Nous habitions si loin, tous travaillaient, s’occupaient de leur vie. Elle eut le geste de me rassurer, de me réconforter, je n’avais pas à m’inquiéter, ce service s’occupera de moi, je n’aurai pas le temps de m’ennuyer ou de me sentir seule. Elle me proposa des séances de relaxation que j’acceptai dans la seconde.
Puis, ce fut Solange. Toujours débordée et très occupée, sur tous les fronts, elle me fit une visite impromptue au soir malgré son programme chargé. Elle y tenait. Elle me parla de Gilles, de ce qu’il essayait pour faire au plus vte, de Jérôme qui croyait fermement en mon rétablissement. « Accrochez- vous ! C’est possible ! Nous y mettons tous bon espoir ! » .Ces trois gaillards se connaissaient, avaient l’air de bien s’entendre. J’y vis une force, une volonté commune au service des patients, je me dis que c’était une chance de bon augure.
Ce fut dans ces premiers jours que je refusai de bouger lors d’un soin avec Blandine et Cathie si généreuses et attentionnées. Rien ne me répondait, mon corps n’était que souffrance et j’ai dit pour la première fois « Mais j’ai mal ! » quand elles essayèrent de me tourner. Blandine sortit sa réglette pour l’évaluer entre vert et rouge. Ce fut dans le rouge que je plaçais le curseur, dépassant tout ce que j’avais pu ressentir jusque là.
Pendant deux jours, je ne fis rien ou pas grand-chose. Vie au rythme des repas et des toilettes, rencontre des infirmières et des aides soignantes, cinq sondages par jour, également au milieu de la nuit, toutes les cinq heures, des médicaments que je ne connaissais pas, installation la plus confortable possible, mon programme en préparation.
Pendant les quelques heures où je me trouvais seule, j’écoutais de la musique sur un petit lecteur MP3 gagné par ma mère à un tirage au sort. Tout ce que j’avais demandé n’y était pas; SeN y avait mis tant de peine, pour une première fois, je n’allais pas le réprimander. J’écoutais donc l’essentiel, recherchant étrangement les mêmes chansons, le regard perdu sur le brouillard environnant, les lumières de la nuit à travers la grande fenêtre, l’agitation du monde si lointaine…, I’m waiting for the night to fall/ I know that it will save us all, (que j’entendais, I Know that it will save a soul ! éloquent avec le recul) Enjoy the silence
Ne me préparai-je pas à mourir?
La petite étincelle au creux de moi se réduisait, je savais que tant que je n’aurais pas un signe, mon espoir s’amenuiserait et ma résistance avec. Je n’avais que l’univers en moi comme échappatoire.
Waiting for a night
I'm waiting for the night to fall
I know that it will save us all When everything's dark
Keeps us from the stark reality
I'm waiting for the night to fall
When everything is bearable
And there in the still
All that you feel is tranquillity
There is a star in the sky
Guiding my way with its light
And in the glow of the moon
Know my deliverance will come soon
I'm waiting for the night to fall
I know that it will save us all
When everything's dark
Keeps us from the stark reality
I'm waiting for the night to fall
When everything is bearable
And there in the still
All that you feel is tranquillity
There is a sound in the calm
Someone is coming to harm
I press my hands to my ears
It's easier here just to forget fear
And when I squinted
The world seemed rose-tinted
And angels appeared to descend
To my surprise
With half-closed eyes
Things looked even better
Than when they were open
Been waiting for the night to fall
I knew that it would save us all
Now everything's dark
Keeps us from the stark reality
Been waiting for the night to fall
Now everything is bearable
And here in the still
All that you feel is tranquilityEnjoy the silence
Words like violence
Break the silence
Come crashing in
Into my little world
Painful to me
Pierce right through me
Can't you understand
Oh my little girl
All I ever wanted
All I ever needed
Is here in my arms
Words are very unnecessary
They can only do harm
Vows are spoken
To be broken
Feelings are intense
Words are trivial
Pleasures remain
So does the pain
Words are meaningless
And forgettable
All I ever wanted
All I ever needed
Is here in my arms
Words are very unnecessary
They can only do harm
Enjoy the silence
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Par fée des agrumes le 19 Septembre 2008 à 12:32
Je n’ai aucun souvenir précis des trois derniers jours passés à la maison, mon esprit étant absolument accroché à cette hospitalisation prochaine. Toutes ces heures n’avaient pour seul but que d’être celle qui me rapprochait d’un soulagement à venir. Une heure, encore une et encore une…
Je rentrai en neurologie le 5 janvier, jour anniversaire de ma mère. Je pensai à son inquiétude à mon sujet, sa solitude dans son petit appartement le jour de ses 60 ans, son désespoir et son incompréhension face à l’acharnement du destin sur nos vies. Mon cœur se déchirait de ne pouvoir lui parler, de ne pouvoir lui offrir un joli bouquet, de ne pouvoir lever mon verre pour elle, lui dire que malgré tout, je l’aime. Et personne hormis ma sœur ne s’en occupa. Ma pauvre maman, j’en ai les larmes aux yeux encore aujourd’hui.
Un gramme de cortisone par jour pendant cinq. Repas sans sel ni sucre, fade au possible et me laissant souvent avec la faim au ventre, bien moindre mal face à ce que je ressentais dans tout le corps. Il fallut me mettre des arceaux sur les jambes pour que les draps ne me fissent plus souffrir. J’étais écrasée, anéantie, à la merci absolue du bon vouloir des autres. Heureusement, la majorité du personnel a été extrêmement gentil, certaines trouvant mille et un prétextes pour me rejoindre et taper une bavette ou s’occuper de mes soins ; j’étais appréciée… humaine ? Simplement.
D’abord seule, je ne fus pas enchantée quand le lit d’à côté se prépara à recevoir une victime d’attaque cérébrale avec tout l’arsenal de machines et de va-et- vient que cela occasionne. . Une femme arriva rapidement des urgences, très alitée. Portée par mon incorrigible humanité, je ne refusai pas la conversation, prenant le temps de me soucier de la personne. Elle avait 75 ans, elle était bouleversée par cet événement rapide et fulgurant...je rencontrai Grazia .
Impossible de nommer ce qu’il se passe en si peu de temps. Nos différences n’eurent aucune prise sur nous et nous nous soutînmes dans nos adversités respectives. Les premières heures, je ne comprenais pas ce qu’elle me disait, je sentais simplement le besoin de verser ses angoisses, d’échanger avec un autre, de garder le lien avec la vie. Elle me raconta son enfance, l’histoire de ses parents immigrés italiens, son divorce et son deuxième mari si adorable, ses enfants, ses petits- enfants, ses fleurs, son jardin. Nous plaisantions, vidions nos rancœurs contre une aide soignante brutale quand les autres étaient dévoués. Celle-là, elle l’appelait le garde- chiourme : elle se targuait de parler alsacien, que cela plaisait aux personnes âgées mais elle était mécanique, tourmentée uniquement par le tour des actes, de cette rigueur stérile de machine ; elle est la seule avec qui je me suis sentie humiliée, laissée dans ma saleté parce que c’était dimanche, que le personnel était réduit et qu’il n’y avait pas de temps pour fignoler. Tant pis pour elle.
Je rencontrai le mari de Grazia, l’un des fils et l’accompagnai dans ses progrès en lui répétant qu’elle marcherait avant moi. Je fis semblant de dormir quand elle craqua auprès d’une infirmière, elle s’en voulait pensant qu’elle n’avait pas à se plaindre connaissant mon histoire.
Grazia, la souffrance n’a pas d’échelle universelle car elle n’est toujours vécue que dans la solitude de l’être ; il n’y a pas de comparaison à faire.
En partant, je lui fis la promesse de venir la voir le jour où je remarcherai. A ce jour, je n’ai pas trouvé le moyen de l’honorer, je n’oublie pourtant pas. Nous nous revîmes plus tard en Adelo où elle peignit des aquarelles avec sa délicatesse et sa joie de vivre ; elle me rendit visite dans le servie de rééducation avec des biscuits et un bouquet. Elle restera un excellent souvenir au cœur de l’ombre.
Mise à part cette aide- soignante brutale sur tout le service, je suis encore reconnaissante envers toute l’équipe du service de neurologie pour leur gentillesse et leur dévouement. Céline, Christelle, Marie-Jeanne et tous les autres ! Compréhensifs, dévoués, ils sont aussi drôles et loquaces à leurs heures, ouverts pour ne point oublier que derrière le malade, il y a avant tout une personne, une vie.
De retour au travail, les préparations aux oraux pour les écoles seront pour moi, je suis devenue une spécialiste du milieu hospitalier et des qualités nécessaires à ceux qui désirent devenir soignants. Enfin, je crois.
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