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Au hasard, une retrouvaille.
Les déménagements sont l’occasion de grands rangements et il arrive que des objets oubliés ressurgissent des bas côtés où ils ont été relégués par le quotidien. Ainsi, il y a quelques jours, d’entre des livres, est tombée une enveloppe blanc cassé au grammage épais.
Sur sa face, écrit au crayon léger, mes mots : En cas de non retour,
Je me suis souvenue.
Juin 2006. J’étais rentrée de ces hospitalisations terrifiantes. Je trainais la patte, ne pouvais plus monter à l’étage, mes soucis de vessie commençaient, je dormais seule au rez- de chaussée, dans mon atelier en bazar, le lit coincé en vitesse sur le passage libre. Ma vue était normale. Je ne savais pas ce que j’avais ou du moins le diagnostic n’était pas clair. Nous étions sous le choc, tous et l’idée de la mort planait sur moi avec les diagnostics terribles qui avaient été annoncés, les médecins étant incapables de nous parler.
Il était impossible d’aborder la question de la mort avec mes proches, ils ne voulaient rien entendre, inacceptable, insupportable, certainement. Son éventualité prenait cependant pour moi une signification réelle et concrète. Comment pouvaient- ils imaginer que d’en parler, de dire ce qui me conviendrait dans la suite de la vie sans moi me soulagerait, me réconforterait, me rassurerait ? Pouvaient-ils imaginer l’angoisse supplémentaire que représentait à mes yeux le non règlement de cette suite sans moi ? Que deviendrait mon garçon âgé alors de 9 ans ? Être enterrée ? Incinérée ? Où ? Comment ? … et mes affaires financières, mobilières, mes legs éventuels ? …
Finalement, j’écris cette lettre sans la faire lire à quiconque, je ne voulais pas les meurtrir davantage. J’indiquais simplement à ma sœur qu’entre ces livres, là, dans la bibliothèque, il y avait une lettre avec mes dernières volontés. Au cas où.
24.06.06
En cas de maladie incurable, je souhaiterais qu’il n’y ait pas d’acharnement thérapeutique et que des soins palliatifs soient mis en place afin d’éviter des souffrances inutiles tant à moi qu’à mes proches.
Si la question des dons d’organes est posée, j’autorise les prélèvements.
Pour ce qui est des rites de funérailles, je laisse aux vivants le soin de décider ce qui leur semble le plus approprié. C’est à eux de faire leur deuil ; pour moi, cela n’a pas d’importance.
Il y a une garantie à la banque en cas de décès assurant une somme pour parer aux frais, il faudra bien tout vérifier et ne pas passer à côté de ce droit, éventuellement.
Mes seuls désirs sont les suivants :
- Que le cercueil soit le plus simple possible, sans traitement non écologique ( je veux du biodégradable !)
- Quelques fleurs simples, quelques mots, pas de couronnes, de plastique. Que les sommes soient versées plutôt à des associations (Unicef, Amnesty international, Greenpeace…), une robe en coton ou lin très simple.
- Une simple plaque avec mes prénoms et date de naissance. Juste un x et non tout le nom. Pierre tombale inutile, je préfère un sol de terre semé de fleurs, d’arbustes ou d’arbre (pourquoi pas un arbre fruitier ?)
- La cérémonie religieuse ne me semble pas judicieuse. Si elle est utile pour aider à passer le cap, qu’elle soit baignée de All is full of love de Björk.
Prenez soin de fiston. Qu’il reste parmi ceux qui l’ont vu grandir : SeN, ma mère, ma sœur, JeP et El., mes amis.
Ceux qui le désirent pourront prendre une mèche de cheveux, un livre.
Que ma tapisserie soit faite et mes bricoles utilisées, non jetées.
Je suis désolée de la peine que je peux causer et regrette de ne pas avoir pu vous aimer tous plus que cela.
En la lisant, je revois parfaitement la scène : la nuit, ma petite lampe de chevet posée à côté du lit, il était très tard. Je n’ai rien dit, ils dormaient à l’étage. J’ai réfléchi à chacun des mots, j’ai pleuré et au dernier point, j’étais soulagée. Je l’ai cachée entre les livres de mon ami Boris.
Je l’ai retrouvée il y a quelques jours.
Evidemment, les circonstances ont changé, de nombreux points sont désormais obsolètes. Il n’y a plus SeN et sa famille, j’ai arrêté la garantie qui ne couvrait que la banque et non mes proches, je ne peux plus donner mes organes en raison des traitements que j’ai eus et ceux que je prends, en raison simplement de la maladie elle- même; l’idée générale reste intacte néanmoins. Et surtout, avant toute chose, aujourd’hui, il n’est plus question de mort, il est question de vie.
Jusqu’à la maladie, je la voyais loin devant moi, fuyant les tourments du passé dans des échappatoires chimériques et malsains imprégnés de schémas inconscients stériles. Dorénavant, chaque jour est un cadeau, un trésor que je tiens à faire fructifier, en présence et confiance.
Quand la maladie est un déclencheur de vie…
Tags : moi, cas, , livre, j’ai
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Commentaires
Commentaires
Je pense parfois à écrire une telle lettre, que je mettrais dans mon porte-feuille. Au cas où je mourrais brutalement. Juste une lettre pour dire à mes proches merci de m'avoir donné une si belle vie. Pour leur dire combien je les aime et combien j'aurais voulu rester près d'eux encore longtemps.
Mais l'Homme des Steppes, il ne veut pas Alors du coup, c'est un peu difficile de lui imposer mon choix, mais d'un autre côté.... c'est tellement important !
On n'a toujours pas réussi à en parler sérieusement (il s'y refuse).
Accepter, laisser passer; la cnv serait très utile pour aborder le sujet... je crois.
Je n'ai pas pensé à tout ça, et je n'ai pas d'enfant que je laisserai donc ça n'a pas vraiment d'importance...
Pour ce qu'il resterait de moi, la tombe et le reste, ça m'est totalement indifférent et une crémation simplifierait probablement les choses
Mais j'avais réfléchi à la mort le jour où j'avais rempli la carte de donneur d'organe que j'ai depuis quelque temps dans mon portefeuille, même si je doute qu'avec la maladie ils intéressent encore quelqu'un ^^
Nous en reparlions encore cette semaine, à la suite du décès de mon père et des formalités d'usage.
Par contre, je viens de donner la semaine dernière à ma fille un petit carnet, journal écrit quotidiennement ou presque depuis l'annonce de ma grossesse jusqu'à ses 4 ans.
Il était revenu entre mes mains, dépassant comem par magie d'un carton remisé.
Pourtant, que je l'avais cherché, mais le temps n'était pas venu de le donner, certainement, tant pour elle que pour moi.
Les circonstances sont différentes, mais là aussi, il est question de penser à l'autre,aux autres et de transmettre ce qui nous tient à coeur.
Parler, échanger, partager, c'est le fondement des relations.