• Purgatoire , janvier 2007, troisième

     

     

    Les cinq grammes de cortisone passées, je fus transférée dans le service de rééducation de Solange ; il aurait été trop dur d’avoir à retourner à la maison, seule toute la journée, à attendre encore quelques jours pour revenir prendre la première perfusion de chimio...

     Les locaux me parurent peu accueillants, vieux, ringards. Je crois que j’en étais à un tel point que je n’arrivai plus à espérer quoi que ce soit.

    Jesse et Muriel m’accueillirent, l’après- midi était calme, froide. Dans cette chambre qui devint la mienne, je fus transférée d’un lit à l’autre tant bien que mal ; rien, absolument rien de mon corps ne me permettait d’aider, je subissais tout sans dire le moindre mot, sans exprimer le moindre souhait, je m’abandonnai entre leurs mains au milieu des bavardages de collègues.  Très rapidement, le lit classique d’hôpital fut remplacé par un «  nimbus » selon mes souvenirs, matelas gonflé à l’air. Un transfert supplémentaire ne me réjouissait guère et pourtant, je n’oublierai jamais le bonheur suprême que fut l’arrivée sur ce matelas. C’était comme passer d’une pierre à un nuage flottant dans les airs. Si mon corps avait pu parler, son cri de soulagement aurait couvert tous les bruits de la ville.

     Le premier médecin qui vint fut Delphine, le soir de mon arrivée; elle m’expliqua le fonctionnement du service. Blandine, une infirmière m’avait déjà prévenue ; « Ici, on ne se repose pas, c’est un service pour vous faire  travailler ». Cette fille de militaire y mit toute sa rigueur mais je sentais quel cœur d’or se cachait derrière ses airs faussement sévères.

    Quand Delphine parla des visites autorisées à tout moment, sans restriction, je fondis en larmes. Qui viendrait me voir ici ? Nous habitions si loin, tous travaillaient, s’occupaient de leur vie.  Elle eut le geste de me rassurer, de me réconforter, je n’avais pas à m’inquiéter, ce service s’occupera de moi, je n’aurai pas le temps de m’ennuyer ou de me sentir seule.  Elle me proposa des séances de relaxation que j’acceptai dans la seconde.

     Puis, ce fut Solange. Toujours débordée et très occupée, sur tous les fronts, elle me fit une visite impromptue au soir malgré son programme chargé. Elle y tenait. Elle me parla de Gilles, de ce qu’il essayait pour faire au plus vte, de Jérôme qui croyait fermement en mon rétablissement. «  Accrochez- vous ! C’est possible ! Nous y mettons tous bon espoir ! » .Ces trois gaillards se connaissaient, avaient l’air de bien s’entendre. J’y vis une force, une volonté commune au service des patients, je me dis que c’était une chance de bon augure.

     

    Ce fut dans ces premiers jours que je refusai de bouger lors d’un soin avec Blandine et Cathie si généreuses  et attentionnées. Rien ne me répondait, mon corps n’était que souffrance et j’ai dit pour la première fois  «  Mais j’ai mal ! » quand elles essayèrent de me tourner. Blandine sortit sa réglette pour l’évaluer entre vert et rouge. Ce fut dans le rouge que je plaçais le curseur, dépassant tout ce que j’avais pu ressentir jusque là.

     Pendant deux jours, je ne fis rien ou pas grand-chose. Vie au rythme des repas et des toilettes, rencontre des infirmières et des aides soignantes, cinq sondages par jour, également au milieu de la nuit, toutes les cinq heures, des médicaments que je ne connaissais pas, installation la plus confortable possible, mon programme en préparation.

    Pendant les quelques heures où je me trouvais seule, j’écoutais de la musique sur un petit lecteur MP3 gagné par ma mère à un tirage au sort. Tout ce que j’avais demandé n’y était pas; SeN y avait mis tant de peine, pour une première fois, je n’allais pas le réprimander.  J’écoutais donc l’essentiel, recherchant étrangement les mêmes chansons, le regard perdu sur le brouillard environnant, les lumières de la nuit à travers la grande fenêtre, l’agitation du monde si lointaine…, I’m waiting for the night to fall/ I know that it will save us all, (que j’entendais, I Know that it will save a soul ! éloquent avec le recul) Enjoy the silence

      Ne me préparai-je pas à mourir?

      La petite étincelle au creux de moi se réduisait, je savais que tant que je n’aurais pas un signe, mon espoir s’amenuiserait et ma résistance avec. Je n’avais que l’univers en moi comme échappatoire.

     

    Waiting for a night

     

    I'm waiting for the night to fall
    I know that it will save us all When everything's dark
    Keeps us from the stark reality

    I'm waiting for the night to fall
    When everything is bearable
    And there in the still
    All that you feel is tranquillity

    There is a star in the sky
    Guiding my way with its light
    And in the glow of the moon
    Know my deliverance will come soon

    I'm waiting for the night to fall
    I know that it will save us all
    When everything's dark
    Keeps us from the stark reality

    I'm waiting for the night to fall
    When everything is bearable
    And there in the still
    All that you feel is tranquillity

    There is a sound in the calm
    Someone is coming to harm
    I press my hands to my ears
    It's easier here just to forget fear

    And when I squinted
    The world seemed rose-tinted
    And angels appeared to descend
    To my surprise
    With half-closed eyes
    Things looked even better
    Than when they were open

    Been waiting for the night to fall
    I knew that it would save us all
    Now everything's dark
    Keeps us from the stark reality

    Been waiting for the night to fall
    Now everything is bearable
    And here in the still
    All that you feel is tranquility

     

     

    Enjoy the silence

     

    Words like violence
    Break the silence
    Come crashing in
    Into my little world
    Painful to me
    Pierce right through me
    Can't you understand
    Oh my little girl

    All I ever wanted
    All I ever needed
    Is here in my arms
    Words are very unnecessary
    They can only do harm

    Vows are spoken
    To be broken
    Feelings are intense
    Words are trivial
    Pleasures remain
    So does the pain
    Words are meaningless
    And forgettable

    All I ever wanted
    All I ever needed
    Is here in my arms
    Words are very unnecessary
    They can only do harm

    Enjoy the silence

     

     

     

     

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  • Commentaires

    1
    Samedi 20 Septembre 2008 à 19:12
    mariev
    est-ce là le pire moment que tu nous racontes? je l'espère, c'est si désespéré, si douloureux...


    dans la musique on retrouve ces notes ... que j'appellerai des notes-bulles (elles me font penser à des bulles...) que l'on entendait déjà chez Emilie Simon dans un récent article; l'impression est la même, un son léger mais assourdi que je ressens comme possiblement existants à l'approche de la mort, c'est curieux que je parvienne à mettre une musique sur le sentiment de mourir...
    ces notes-bulles me rappellent certaines que l'on entend parfois dans des films de science-fiction, je pense notamment à "Solaris" (la version récente) où là, la musique, finalement annonce le basculement mental du héros ...
    il va vraiment falloir que je parle de la musique dans un article...

    bien à toi, Fée  ;)

    2
    Samedi 20 Septembre 2008 à 23:00
    chris spé
    ambiance... émotion... dépêche mode le groupe de mon adolescence... ouais émouvant ;-) Chris.
    3
    Lundi 22 Septembre 2008 à 11:48
    Fabien

    Bonjour ! Je suis là avec toi. Simplement.  

    4
    Hélène
    Mercredi 18 Juillet 2012 à 12:10
    Hélène
    Even in the worst suffering, words steel use to share...
    5
    Magali
    Mercredi 18 Juillet 2012 à 12:10
    Magali
    Je te connais dans la vraie vie, mais j'ai toujours du mal à laisser un commentaire quand tu parles de ta maladie, car la souffrance que tu décris est si grande que commenter celà me semble superflu, voire indécent. C'est au delà des mots. Et pourtant mon émotion est bien réelle.
    6
    Magali
    Mercredi 18 Juillet 2012 à 12:10
    Magali
    J'avais oublié, il y a une belle version d'Enjoy the Silence chantée par Tori Amos.
    Je me passe  Waiting for the Night et Enjoy the Silence en boucle.
    7
    fée des agrumes Profil de fée des agrumes
    Dimanche 11 Août 2013 à 13:44

    A Mariev:

    Bonsoir Mariev,
    La question de la mort est omniprésente. Dès que j'ai su que la maladie était grave, elle a été là, constament.
    Je pense désormais qu'une part de moi est morte, réellement. Je suis morte symboliquement. La chute a été effroyable et j'étais si impuissante. Tout m'est revenu à la figure telle une majestueuse claque.
    J'ai la chance de pouvoir me réapproprier l'évenement, de créer ma vie maintenant. De nombreuses petites choses à venir auront une valeur inestimable pour moi, pour celui qui sait d'où elles ressortent, d'où je reviens. Le grand nettoyage par le vide et  ouvrir la porte vers tous les possibles... Nous approchons du revirement, patience. IL n'en aura que plus de grandeur.
    Le chemin est ardu pour mes lecteurs, courageux qu'ils sont ! Je constate également que jamais aucun des amis qui me connaissent physiquement  ne me laisse de commentaire sur les récits de la maladie. je sais que certains en pleurent, comment pouvaient- ils imaginer que ce fût si dur? C'est un chemin initiatique, un rite de passage, une expérience  touchant le plus profond de l'âme. Ma re- naissance a au minimum le sens du partage des splendides trésors qui m'ont été donnés. Et je suis heureuse de les partager avec des personnes telles que toi.

    A Chris spé:

    Dépêche Mode est toujours là, il évolue, comme nous tous. J'ai bien fait le mur pour aller les voir il y a deux ans et vraiment, je ne regrette pas.
    Bon dimanche à toi.

    A Hélène:

    Une évidence

    A Fabien:

    Des quêtes et des chemins de chacun. Voilà la blogosphère.

    A Magali:

    1. Je le sais bien, ma chérie. Celui qui a vu mon état concrètement n'a pas le tampon du texte... C'est normal, je pense, de ne pas laisser de commentaire. Je sais aussi que pour mes proches, ces récits sont bouleversants, les touchent en plein coeur. Je l'entends de vive voix, le lis sur leur visage au détour des conversations. .

    2. Je ne connais Tori Amos que de nom; je vais essayer de trouver cette version.  :)
    Ces deux chansons ont une réelle puissance d'évocation que chacun s'approprie avec la résonnance qui est la sienne.
    En dehors de la question du goût.

    A Coq:

    Et c'est très joliment dit. Merci à toi d'avoir tout lu, je sais que ce n'est pas facile.

     

     

     



     

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