• Dopages, janvier 2007, deuxième.

    Je n’ai aucun souvenir précis des trois derniers jours passés à la maison, mon esprit étant absolument accroché à cette hospitalisation prochaine. Toutes ces heures n’avaient pour seul but que d’être celle qui me rapprochait d’un soulagement à venir. Une heure, encore une et encore une…

    Je rentrai en neurologie le 5 janvier, jour anniversaire de ma mère. Je pensai à son inquiétude à mon sujet, sa solitude dans son petit appartement le jour de ses 60 ans, son désespoir et son incompréhension face à l’acharnement du destin sur nos vies. Mon cœur se déchirait de ne pouvoir lui parler, de ne pouvoir lui offrir un joli bouquet, de ne pouvoir lever mon verre pour elle, lui dire que malgré tout, je l’aime. Et personne hormis ma sœur ne s’en occupa. Ma pauvre maman, j’en ai les larmes aux yeux encore aujourd’hui. 

    Un gramme de cortisone par jour pendant cinq. Repas sans sel ni sucre, fade au possible et me laissant souvent avec la faim au ventre, bien moindre mal face à ce que je ressentais dans tout le corps. Il fallut me mettre des arceaux sur les jambes pour que les draps ne me fissent plus souffrir. J’étais écrasée, anéantie, à la merci absolue du bon vouloir des autres. Heureusement, la majorité du personnel a été extrêmement gentil, certaines trouvant mille et un prétextes pour me rejoindre et taper une bavette ou s’occuper de mes soins ; j’étais appréciée… humaine ? Simplement.

    D’abord seule, je ne fus pas enchantée quand le lit d’à côté se prépara à recevoir une victime d’attaque cérébrale avec tout l’arsenal de machines et de va-et- vient que cela occasionne. . Une femme arriva rapidement des urgences, très alitée. Portée par mon incorrigible humanité, je ne refusai pas la conversation, prenant le temps de me soucier de la personne. Elle avait 75 ans, elle était bouleversée par cet événement  rapide et fulgurant...je rencontrai Grazia .

    Impossible  de nommer ce qu’il se passe en si peu de temps. Nos différences n’eurent aucune prise sur nous et nous nous soutînmes dans nos adversités respectives. Les premières heures, je ne comprenais pas ce qu’elle me disait, je sentais simplement le besoin de verser ses angoisses, d’échanger avec un autre, de garder le lien avec la vie. Elle me raconta son enfance, l’histoire de ses parents immigrés italiens, son divorce et son deuxième mari si adorable, ses enfants, ses petits- enfants, ses fleurs, son jardin. Nous plaisantions, vidions nos rancœurs contre une aide soignante brutale quand les autres étaient dévoués. Celle-là, elle l’appelait le garde- chiourme : elle se targuait de parler alsacien, que cela plaisait aux personnes âgées mais elle était mécanique, tourmentée uniquement par le tour des actes, de cette rigueur stérile de machine ; elle est la seule avec qui je me suis sentie humiliée, laissée dans ma saleté parce que c’était dimanche, que le personnel était réduit et qu’il n’y avait pas de temps pour fignoler. Tant pis pour elle.

    Je rencontrai le mari de Grazia, l’un des fils et l’accompagnai dans ses progrès en lui répétant qu’elle marcherait avant moi. Je fis semblant de dormir quand elle craqua auprès d’une infirmière, elle s’en voulait pensant qu’elle n’avait pas à se plaindre connaissant mon histoire.

    Grazia, la souffrance n’a pas d’échelle universelle car elle n’est toujours vécue que dans la solitude de l’être ; il n’y a pas de comparaison à faire.

     En partant, je lui fis la promesse de venir la voir le jour où je remarcherai. A ce jour, je n’ai pas trouvé le moyen de l’honorer, je n’oublie pourtant pas. Nous nous revîmes plus tard en Adelo où elle peignit des aquarelles avec sa délicatesse et sa joie de vivre ; elle me rendit visite dans le servie de rééducation avec des biscuits et un bouquet. Elle restera un excellent souvenir au cœur de l’ombre. 

     

    Mise à part cette aide- soignante brutale sur tout le service, je suis encore reconnaissante envers toute l’équipe du service de neurologie pour leur gentillesse et leur dévouement. Céline, Christelle, Marie-Jeanne et tous les autres ! Compréhensifs, dévoués, ils sont aussi drôles et loquaces à leurs heures, ouverts pour ne point oublier que derrière le malade, il y a avant tout une personne, une vie.

     De retour au travail, les préparations aux oraux pour les écoles seront pour moi, je suis devenue une spécialiste du milieu hospitalier et des qualités nécessaires à ceux qui désirent devenir soignants.  Enfin, je crois.

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  • Commentaires

    1
    Vendredi 19 Septembre 2008 à 22:21
    Fabien

    Bonsoir fée des agrumes. J'ai lu ton article. La maladie. Je  crois qu'un jour un homme-enfant saura soigner ce que nous appelons les maladies. Je pense également qu'il les soignera en posant simplement un regard sur nous. J'y crois. Chacun ses croyances. Bonne nuit.

    2
    Samedi 20 Septembre 2008 à 07:29
    abellion,
    Magnifique texte, plein d'humanité, qui me parle en me montrant ce que peut être la vie en hôpital, vue de l'intérieur. Et belle rencontre que celle qui n'était nullement préméditée.
    3
    Samedi 20 Septembre 2008 à 10:00
    mariev
    pourquoi tous ces gens si précieux sont-ils tant négligés par nos gouvernants!!?? par certains malades aussi ... par leurs "supérieurs"?
    j'ai le coeur en virevolte en te lisant, en pensant à eux, et à Grazia...
    ;)
    4
    fée des agrumes Profil de fée des agrumes
    Dimanche 11 Août 2013 à 13:36

    A Fabien:

    Pourquoi? Tu ne les lis pas d'habitude? 

    Peut être qu'un jour, cette maladie sera guérie, comme bien des autres auparavant, maintenant. Il en revient et en apparait de nouvelles. C'est la vie, aussi.  Qomme tout événement, ce qui importe est ce que nous en faisons, le sens que nous lui donnons... si nous pouvons nous l'approprier.
    Et la foi en l'homme enfant libérant les êtres de leur souffrance est un sens possible, le tien. Beau et magique.
    A Abellion:
    Je ne peux qu'aprouver.

    D'un humain à l'autre, la rencontre est le plus beau cadeau qui puisse être. Par la parole, elle tisse les liens qui nous sont nécessaires. Merci à Boris de le si joliment dire.Rencontre improbable en tout lieu, toute heure
     
    A Mariev:
    Belle Mariev,
    Moult gouvernants sont bien vaniteux et en l'écrivant, je pense au petit prince et à sa révolte.C'est dans l'humilité que les plus grands se trouvent.Tant pis pour ceux qui ne la savent pas, ils ont encore un long chemin à parcourir.Au fait, mon ami Boris publie un nouveau livre, Autobiographie d'un épouvantail.Il me tarde de le lire et d'en écrire quelques mots par ici.
    Au plaisir,
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