• Et voilà, c'est passé.

    Avec l'alarme de lundi et cette foutue migraine, j'ai pris bien du recul face à ces festivités et c'est avec un certain étonnement que je constate mon détachement face à des chimères passées. Sans attente particulière, je me suis simplement axée sur le partage et la présence d'autres, physiques ou en pensées. Les tourments de ma mère rejoués incessamment par la nourriture, les travers comportementaux d'autres ont glissé sur moi parce que la migraine de lundi était suffisamment pénible pour me rebuter dans ma capacité à faire l'éponge psychique. A quoi me sert- il de me rendre malade parce que d'autres  refusent d'ouvrir les yeux et/ou me renvoient incessamment à des blessures profondes ?

    Complètement inutile, inefficace et improductif.

    J'ai donc mangé avec modération et plaisir, écoutant les signes du corps, mis des mots sur des enjeux de nourriture et essayé de trouver une issue non culpabilisante à certains fonctionnements anciens. J'ai fait quelques cadeaux simples à ceux dont je savais qu'ils aimeraient ce cadeau- là et non parce que c'est une tradition ou un devoir. Je me suis surtout fait des cadeaux à moi- même. J'ai été gâtée des présents et des absents, des pensées de tous, de la place qu'ils ont pris dans mon univers mental.  J'ai aussi eu le plus beau des cadeaux avec la visite surprise de mon amie Idil. De passage dans la région avec ses enfants, elle était là devant ma porte comme envoyée du ciel. Une heure ou deux, un thé de Noël, en précieux bienfait de la vie. Trop peu de temps pour se raconter nos aventures des derniers mois, un temps si riche de la présence physique de l'autre, du son de la voix, des gestes et des attitudes.  La chaleur de ces amitiés incompréhensibles. Parce que c'était lui, parce que c'était moi disait Montaigne avec tant de justesse.

    Alors, ici et maintenant, je mesure la valeur de ce Noël, l'un des plus sereins de ma vie. Rien n'a changé, j'ai changé. Je regarde le monde d'un autre point et m'étonne des errances passées sans issue qui ne mènent qu'à la frustration.  Pourquoi attendre d'autres ce qu'ils ne peuvent ou ne veulent donner ? Pourquoi espérer qu'ils changent quand il s'agit de me changer moi- même ? Pourquoi prendre sans trier ce qui se déverse de l'un à l'autre alors que je peux choisir ce qui est bon pour moi ou non ?

    J'ensorcèle la migraine de la magie de mes pensées afin de lui donner le sens d'un signe, d' 'une mise en garde préalable dans le but de me protéger de ce qui dévore de l'intérieur par des messages inconscients perçus dans la relation à l'autre. Joli conte de Noël.


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  • Pendant longtemps, j'espérais qu'un autre que moi prisse une initiative à la maison pour occuper les dimanches autrement que par les écrans et l'ennui de chacun dans son coin. Du temps de mes capacités physiques, j'arrivais à lever la masse vers des sorties culturelles et sportives avec acharnement.  Malade et handicapée, je constatais avec tristesse l'inactivité dans laquelle s'englua le fiston.  Désormais dès que j'ai assez de force, je tente avec plus ou moins de bonheur de remotiver la troupe. Parfois ça passe, parfois ça casse.

    Samedi, j'évoquai à nouveau mon envie d'aller voir le marché de Noël où Maud et Noémie avaient un stand pour la première année. J'avais vu des œuvres en cours d'élaboration, partagé des idées et des projets, il m'aurait coûté de rater l'événement. Rien n'y fit, le cavalier solitaire avait prévu sa sortie commerciale. Comme je lui renvoyai à la figure son attitude, il se renfrogna et décida de rester à la maison. Nous ne fîmes donc rien. Je dis à mon fils que si tout allait bien, nous irions à la piscine le lendemain. Il s'enthousiasma et à 8h dimanche, il était debout, lui qui traîne au lit jusqu'à midi souvent. Notre chauffeur décontenancé nous y conduisit sans trop bougonner.

    Il y avait peu de monde et nous nageâmes toute la matinée, séparément,  ensemble. Je mesurai les progrès qu'il avait fait ces derniers mois et nous jouâmes en riant avec un gros boudin évoquant Scrat, l'écureuil délirant de l'âge de glace, en faisant la course, en étirant un bonnet de bain qui ne résista pas à nos histoires de méduses et de poisson fou.  Je fus surprise de ma capacité à nager sur une vingtaine de longueurs en brasse ou sur le dos crawlé. Mon corps se plait dans l'eau et je le sentais crier sa joie de se mouvoir, de mobiliser les muscles et les articulations, mon souffle reprenait son rythme régulier.  Je fus également grandement étonnée de constater que par rapport à notre dernière venue au printemps, je pouvais lire l'heure sur la pendule depuis tous les points du bassin. A la fin de la séance, il n'y eut plus que nous deux dans l'eau et je savourai ces instants de plénitude me remémorant mes baignades dans les lacs de Carélie. La douche chaude avant la sortie ajouta à mon bonheur et contrairement à ce que j'imaginai, je ne fus nullement fatiguée. 

    De retour à la maison, petit accrochage sur le linge, sempiternelle évaluation des actions de chacun, épuisant. La tâche répétée et habituelle de l'un prend des proportions de labeur éreintant pour un autre. Et en plus, le repas n'était pas même en cours de cuisson ! Je me chargeai de vider les sacs de piscine et de préparer une belle daurade avec des brocolis, des salades et des pommes de terre. Le fiston défoulé par la natation était calme et ne tergiversait pas, les règlements de compte à table s'arrêtèrent sous mes remarques pertinentes quant à leur incapacité à sortir d'un système relationnel conflictuel.  Fiston finit par en rire et SeN lâcha prise. Ouf.  Guignols de l'info et zapping en tricot puis je commençai à activer les gaillards pour décoller. Nous partîmes à 14h50.

    Crochet par le supermarché habituel avec un bon d'achat gagné la veille et valable uniquement ce jour. Inévitablement, nous rencontrâmes  les parents de SeN, je fus exaspérée par la foule de ces dimanches d'avant Noël. La caisse prioritaire pour handicapés avait une queue aussi longue que celle des autres et je refusai d'attendre me sentant incapable de piétiner dans ces conditions. Fiston eut un lot de cartes dont il rêvait depuis longtemps uniquement avec des bons de réduction et nous repartîmes vers le marché de Noël à 16h. J'étais quelque peu courroucée craignant de ne plus rien trouver sur place ; heureusement, il n'en fut rien.

    Je sillonnai le site à la recherche de mes amies  jetant de temps à autres un œil sur les stands aux formes et couleurs attirantes.  Avec ma vue, je ne peux plus balayer l'environnement dans le but de me situer et de me représenter ce qu'il y a autour de moi en dehors des couleurs et de quelques formes indistinctes.  Autant dire que le « lèche- vitrine »  est une activité sans intérêt. (Je n'aimais pas ça avant de toute façon).  J'aperçus dans un rayon de lumière chaude le visage de Maud en pleine élaboration de crêpes.  Noémie et elle  étaient affairées et nous bavardâmes de loin pendant que les hommes de chaque côté allaient et venaient à leurs occupations. Le marché avait été une réussite, elles étaient contentes et je fus ravie pour elles surtout en voyant comment tous avaient été solidaires dans cette aventure. Je commandai deux crêpes au Nutella et une au caramel et beurre salé plus un jus de pomme froid, un autre chaud aux épices qu'ils nous offrirent chaleureusement malgré mes protestations... Slurp !  Je fondis de plaisir avec ma crêpe au caramel et y reconnus les pattes de Maud et Lorette. Un délice mes amis ! Nous prîmes deux pots de confiture magique que Maud, fin gastronome, avait élaborée dans ses expériences culinaires. Il était un peu frustrant d'être là dans la foule avec l'accaparement de chacun et nous nous promîmes de nous retrouver bientôt en des lieux plus propices à la conversation. Noémie me fit part de l'émotion provoquée par le récit de notre virée entre filles et exigea un article sur ce dimanche. Aurait-il pu en être autrement ?  Je repartis bienheureuses de les avoir tous croisés.

                       
     

    Nous divaguâmes  dans quelque magasin avec un aller urgent aux toilettes me concernant, la journée aurait- elle  malmené ma vessie ? Par chance, la catastrophe fut évitée. Nous finîmes chez ma mère  en vue d'organiser les festivités de Noël et forcément, nous fûmes invités à manger. Miam miam :  soupe de légumes toujours savoureuse, petits pâtés au poulet ou au canard, poulet farci avec petits pois, sauce à la crème et aux champignons, frites et salade de chicorée, cake au citron.  Olala, nous repartons toujours l'estomac bien plein.

    Au retour, je m'activai encore, sans fatigue à ma grande surprise et je me couchai avec l'espoir d'une bonne nuit réparatrice.  Seulement, entre la piscine, les toilettes publiques, le froid, j'avais attrapé quelque germe et ma nuit fut entrecoupée par un accident pipi fort désagréable. Pas génial le nettoyage à 3h du matin dans les escaliers!  Prise urgente d'homéopathie pour stopper l'infection et dodo plus lent à revenir qu'à partir. Ce lundi, malgré la nuit agitée, j'ai pu faire tout mon ménage portée par la joie emmagasinée la veille parce que vraiment, j'ai la chance inouïe d'être là, vivante sur mes deux jambes ; j'ai pu m'amuser avec mon fils, j'ai pu revoir mes chères amies et un marché de Noël dont j'aime l'ambiance feutrée aux lumières scintillantes dans la nuit et les odeurs épicées des préparations hivernales,  j'ai pu me régaler de saveurs fort plaisantes. Alors franchement, ce petit germe aussi contrariant fut- il, ne me prendra pas le bonheur emmagasiné au cours de cette journée, pas plus que les travers relationnels dont certains refusent de sortir.


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  • Je tenais simplement à ajouter qu' hier, dans la salle de cours, j'ai vu, avant de partir, un grand Bienvenue à mon égard sur le tableau blanc ; j'en suis restée sans voix. Il y a une telle rotation des stagiaires que les actuels ne me connaissent probablement pas, surtout en cours de math. Et pourtant, mon collègue a eu ce geste si touchant signifiant sa joie de me revoir et cette place que je n'ai jamais perdue au sein d'une équipe solidaire et soudée.



    Avez- vous remarqué que j'ai écrit Connes au lieu de Cannes ?  


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  • Après des mois de luttes administratives avec toute une équipe serrée autour de moi dans une mêlée avançant centimètre après centimètre, j'ai ENFIN pu reprendre mon travail. (J'essaierai de raconter cette aventure épique plus tard)  J'en trépignais d'impatience depuis plusieurs semaines et plus je m'approchais de la date, plus je me sentais fofolle.  Ce fut donc toute guillerette que je partis avec le taxi désormais mis à ma disposition par un financement de la Région.


    J'étais porteuse de salut des uns aux autres par les liens que je créai grâce/ à cause de ma loquacité pendant les transports avec les différents chauffeurs de vsl et autre taxi.  Ainsi, j'en vins à raconter des pans de ma vie d'avant, des conséquences de la maladie : handicaps invisibles, bouleversements du quotidien et des projets, ce sentiment étrange que je ne me suis jamais sentie aussi bien après le grand ménage que ces épreuves avaient provoqué. Je n'ai pas de difficultés à répondre aux questions et à expliquer.


    A l'arrivée avec mon chauffeur très prévenant (je prends goût à ces commodités, hi hi)  j'ai embrassé mon collègue qui m'attendait sur le pas de la porte tout ému, un large sourire sur le visage et ma supérieure  quand elle est arrivée. J'ai vidé mon sachet empli de ce qui retrouvait sa place et je suis repartie avec une grosse boite de pains d'épices au chocolat, cadeau de mon collègue qui me touche grandement. Je n'ai pas pu voir la secrétaire qui travaille ailleurs le mardi et j'espère la voir jeudi matin. Son supérieur un peu bourru habituellement s'exclama en me voyant « Tiens, une revenante ! » Je lui répondis qu'il ne pouvait pas mieux dire.  

    J'ai remis de l'ordre dans quelques papiers, j'ai essayé de prendre mes repères dans ces lieux connus et pourtant différents en raison de ma vue déficiente. Moult informations me sont désormais inaccessibles et des automatismes d'hier prennent du temps à revenir parce que je n'ai plus les mêmes moyens physiques : je ne peux plus lire les fiches des stagiaires à la première rencontre, les étiquettes des dossiers sont écrites trop fin et petit sur des fond jaunes ou orange, je ne peux plus courir d'une pièce à l'autre, j'ai oublié le code de la photocopieuse... Cette machine  avait disparu de ma vie pendant deux ans et demi et je la retrouvai avec quelques hésitations. Les touches et les écrans si petits m'obligent à coller mon nez dessus, je repérai le relief sur la touche 5 auquel je n'avais jamais prêté attention avant la maladie. Ce fut avec une réelle délectation que je fis mes recto- verso, en paquet, en individuel... Ah ! Ces petits gestes du quotidien dont nous ne mesurons pas la richesse. Evidemment, avant, je pensai toujours aux copistes du Moyen Âge qui passaient leur vie dans le froid et les courants d'air à transcrire des œuvres. Que penseraient -ils de nos facilités à dupliquer ? Bah, dans 100 ans, nos papiers se seront auto détruits de leurs propres acides et les enluminures n'auront rien perdu de leur magnificence. J'en ai vu datées de mille ans qui resplendissaient comme au premier jour de leur temps, notre civilisation a quelque chose de dérisoire face à elles.


    J'avais été prévenue que je n'aurai pas beaucoup de stagiaires, le mois de décembre n'étant pas idéal pour une reprise ; entre la fête du mouton et les préparatifs de Noël, les volontés se ramollissent.  J'eus donc une seule personne. Je tâtonnai et travaillai ardemment avec elle sur l'expression de la position, parlant et répétant inlassablement les phrases types. Mes automatismes revenaient vitesse grand v, les bâillements répétés en plus (ce sont les médicaments).  Finalement, je n'ai rien perdu de mes capacités, j'espère les avoir enrichies avec l'expérience des dernières années.

    Au détour de la conversation, je reçus des nouvelles d'une ancienne stagiaire russe qui avait vanté mes mérites professionnels et humains auprès de cette jeune femme.  Ola ! Comme il est étrange de revenir et d'entendre que tous ces mois, je n'avais pas été oubliée, que les stagiaires réclamaient mon retour sans cesse. Que l'activité reprenne son cours et j'en retrouverai avec bonheur quelques uns.  Je me sens inondée d'amour et de gratitude , je suis habitée de toutes ces rencontres merveilleuses.

    Au passage, elle me demanda mon âge, je répondis, 36. Elle resta bouche bée, elle ne m'en donnait pas plus de 25 ans. Hé hé.  Je fais 10 ans de moins depuis près de 15 ans : on me prenait pour une fille mère quand j'étais enceinte de mon fils. Et moi qui pensais que  les soucis, la rudesse de la vie et la maladie avaient marqué mon corps !  Je la remerciai chaleureusement, j'étais gonflée à bloc.


    Mes heures passèrent très vite et j'ai quasiment  oublié la fin de la séance ; cela était une de mes caractéristiques également, avant ; je suis constamment ramenée au temps par les stagiaires. Seulement, désormais, j'ai un chauffeur ponctuel, je ne peux plus déborder comme autrefois. Je me hâtai de reprendre mon sachet (j'en ai rien à faire des apparences et je ne ressens pas le besoin d'avoir un sac, un vrai au risque d'en déstabiliser certains avec mes paniers ou sacs plastiques)  et je filai avec des grands gestes d'au revoir, à jeudi.. Le retour fut des plus intéressants, mon chauffeur avait été cuisinier pendant 15 ans dans les plus grands restaurants d'Europe : Martinez de Connes, Georges V à Paris et bien d'autres. Il m'époustoufla de son cv et nous devisâmes vivement des goûts, saveurs et expériences culinaires. J'évoquai mes modestes tamagouilles, il ne les regarda pas avec mépris parce que nous étions dans les mêmes idées : multiplier les goûts pour apprivoiser les saveurs et se lancer dans l'aventure de leur alchimie, travailler et préparer des produits de base, de saison, expérimenter tous les possibles. Le trajet, tout comme l'après midi a filé sans que je ne le remarquai.Et il y eut deux heures de phonétique avec ma jeune voisine ukrainnienne, je ne suis même pas fatiguée ce soir.


    Alors oui, bien évidemment, les autres stagiaires ne sont pas venus et ce n'est pas bon pour les finances. Oui, l'avenir est très incertain avec les changements dans les procédures de financements. Oui les organismes de formation sont placés dans des positions tangentes par les politiques. Oui il y a un travail énorme à fournir seulement pour préserver nos emplois... Oui, rien n'est parfait. Néanmoins, nul ne sait de quoi demain sera fait et je suis bien placée pour le comprendre réellement. Alors, simplement, je savoure ce premier jour de retour au travail.

    Nombreux sont ceux que je remercie du fond du cœur pour leur aide, leur soutien, les combats qu'ils ont menés afin que je revienne,  pour les aménagements et la flexibilité dont ils ont fait preuve. Au regard de ce qui me revient à travers les autres, je peux enfin accepter l'idée que je suis une bonne personne, une personne de qualité sans que cela ne me gêne. C'est par respect pour eux tous que je l'accepte. .


    En juin 2006, j' arrêtai de travailler un mardi.

    En décembre 2008, je repris un mardi. 

    La boucle est fermée. Pour un temps du moins.  


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  •  

    Il y a quelques jours, j'ai reçu un courriel de Noémie qui me proposait une sortie vers un village avec des artisans  et des confitures. J'ai évidemment dit oui, trop heureuse de la revoir et de mettre un peu les voiles.  C'est avec sa générosité coutumière qu'elle me proposa le service complet, transport compris. Une aubaine !  Mes gaillards ne s'en préoccupèrent guère restant hermétiques à l'information : «  Je pars dimanche après midi » jusqu'au jour même. L'heure avançant, les questions commencèrent à fuser et j'étais quelque peu agacée de cet intérêt soudain après l'indifférence. Mon garçon sauta dans tous les sens avec une pointe d'agressivité et Stéph commençait à me rabâcher les oreilles sur ce qu'il aurait pu faire pour me conduire etc. Quand Noémie arriva, je me  hâtai  afin de filer vite. Je souris intérieurement quand je réalise que cette première arrivée de Noémie chez moi ne me marqua pas, c'était comme si elle avait ses habitudes ici. Je lui montrai rapidement quelques unes de mes œuvres qu'elle n'avait vues qu'en photo et mon atelier bazar, joyeux foutoir. Nous partîmes dans le flot de paroles du garçonnet peu accoutumé à me voir filer de la sorte. J'étais contente de prendre l'air et la perspective de bavarder avec Noémie m'enchantait. Je n'avais absolument aucun scrupule à les laisser à leur dimanche ennuyeux, vilaine que je suis.

    Nous avons passé du temps dans la voiture, ce village n'étant pas à côté et malgré ces kilomètres de route, je n'en ai rien vu ! Nous avons parlé, parlé de tout et n'importe quoi, c'était un vrai régal. Elle me montra quelques uns de ces bidouillages et je fus ravie de ces petits monstres, de ces bonnets chats. Je pris des nouvelles des personnes que nous connaissions de l'hôpital et nous espérions rencontrer Michel là-bas.

    Sur place, je réalisai que j'avais oublié le macaron pour le stationnement handicape ; finalement, il n'y avait pas de place de ce type. Nous avons donc déambulé dans les rues et j'ai pris quelques photos de maisons dont les lignes m'inspiraient quelque dessin ou aquarelle. Sur le lieu des confitures, il y avait une longue file d'attente et je ne me voyais pas supporter ce piétinement pour entrer dans l'atelier d'une confiturière de renommée internationale. Nous sommes reparties vers une exposition d'artisans à l'hôtel de ville.

    Nous avons vu des points de croix, des épices, des produits naturels, une tricoteuse de gâteaux miniatures, une découpeuse de papier, un doreur et une dentellière aux fuseaux.  Je soupirai devant ce travail que je rêve d'apprendre depuis des années ; ma vue actuelle ne me le permettrait pas. Il me fut impossible de discuter avec elle car elle était occupée avec une autre dame qui cherchait des cours. Tant pis. Nous nous sommes tournées vers un étalage de papier coupé en silhouette et j'entamai la conversation avec cet adorable monsieur au travail si délicat et fin. C'est un véritable orfèvre du papier ; je m'extasiai sur sa minutie et la poésie qui se dégageait de ces silhouettes noires sur fond blanc. Feuillages ondoyant, enfants sous les arbres, découpage en enluminures florissantes, opulence de la nature. Ces petits travaux respiraient l'amour de la vie, la fraîcheur.  Il fut enchanté de deviser avec nous et touché peut être de rencontrer quelques  unes capables de mesurer son travail. Nous nous serrâmes la main chaleureusement en guise d'au revoir et je pris sa carte en espérant un jour pouvoir m'attribuer une ces œuvre.

    Puis, nous visitâmes un atelier de tapissiers  où les vieux fauteuils nous ravirent toutes deux. Dans la boutique, je participai à une tombola pour gagner un fauteuil club (ce serait un comble que je la gagne, nous habitons si loin !)  Il y avait des fauteuils et des sièges partout, un foisonnement d'échantillons de tissus des plus classiques aux plus improbables et des ours en peluche d'une douceur extrême. Un petit texte accroché dans l'entrée nous fit ressentir la passion du maître des lieux.

    Nous n'allâmes pas chez cette confiturière, il y avait décidément trop de monde et nous repartîmes en quête d'un endroit où s'occuper. Dans la conversation et l'absence d'occasion, nous retournâmes vers notre point de départ et Noémie me déposa finalement chez ma mère où les gaillards me rejoignirent plus tard.

    Il ne nous fut pas facile de nous séparer, nous avons tant de choses à se raconter ! Nous  bavardâmes encore une heure en grignotant des mandarines dans la voiture. J'écoutai avec incompréhension et révolte la politique des administrateurs financiers qui acculait le personnel à travailler dans des conditions difficiles sous prétexte de rentabilité, les patients aux pathologies dures, les tentatives désespérées de les soigner dans la dignité, le respect quand la pression est si forte. Les évocations de ces maladies terribles, de ces accidents bêtes qui paralysent, brrr, la fragilité de la vie s'offrait à nous sous un jour pénible.  Je restai admirative devant le dévouement et le courage de toutes ces personnes qui tentent envers et contre tout de faire leur travail avec générosité. Nous passâmes inévitablement par les habituels égos de quelques uns, les querelles de personnes, les absurdités du système (Superbe machine à 200 000 euros qui prend la poussière parce qu'il n'y a pas assez de personnel pour l'utiliser quand manquent cruellement les bons fauteuils roulants, les coussins anti -escarres). Mais qu'est- ce que ces bureaucrates s'imaginent ? L'être humain est un être de parole, d'affectivité ! Pourquoi broyer aussi stupidement tant de richesse humaine ? Sans toutes ces personnes chaleureuses, comment aurais- je pu supporter ces mois affreux ? Je ne comprends décidément rien à l'économie, la finance, l'administration bureaucratique...

    Après ces péripéties fort agréables et drôles comme ce pipi improvisé sur un parking, la déception d'avoir raté Michel  et la joie d'avoir enfin pu se revoir, de se parler, de faire le lien entre des personnes insoupçonnées ou connues, nous nous quittâmes en raison des pressions impérieuses de ma vessie qui ne supporte  pas la voiture. Je chargeai Noémie de saluer tout le monde à l'hôpital et nous promîmes de nous retrouver dès que possible. Je suis impatiente !


    Merci à toi Noémie, quelle magnifique journée ce fut en ta compagnie ! C'est en ces fugaces instants que je regonfle mon espérance !


    Au fait, Noémie est une ergo qui s'est occupée de moi en rééducation, j'ai souvent parlé d'elle au détour des récits. Elle a un cœur énorme, est d'une grande sensibilité et très généreuse.   Je n'étonnerai personne en racontant qu'elle a pleuré en me voyant faire quelques pas au plateau technique entre deux barres alors que je bataillais dur pour remarcher. C'est portée par des personnes comme elle que j'ai repris pied dans ma vie et que je m'attelle à la rendre belle. Si un coup de blues me surprend, je pense à eux et je repars gonflée de toutes leurs richesses immatérielles. Étrange destin que celui qui me mène vers des êtres pareils !


    Tout ce qui n'est pas donné est perdu.  


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  • Parce que je ne peux plus conduire à cause de la faiblesse de ma vue et qu'il n'y a aucun moyen de transport autre que la voiture individuelle dans ces contrées reculées, je patiente à la maison le temps que je puisse reprendre le travail depuis des mois, des mois, des mois  Il n'y a rien à faire dans le village et tourner comme une âme en peine sur les routes ne m'intéresse guère.  Mes sorties sont réduites, le chauffeur supportant moyennement les incontrôlables difficultés physiques inhérentes à mon état.  Aussi, arriver à aller quelque part est une chance inespérée. 

    Je ne suis pas adepte de la culture « supermarché », ce comportement qui consiste à sortir pour visiter la dernière zone commerciale, le dernier supermarché ou le supermarché rénové ou y trouver un lien social parce que c'est le lieu social actuel , divaguer devant les vitrines, entre les rayons, chacun pour soi et renfermement dans ses contraintes personnelles , ah très peu pour moi ! Je n'aimais pas ça avant de n'y rien voir et désormais, c'est une aberration que de me retrouver dans un lieu inconnu où les étalages ne me renvoient que des kaléidoscopes de couleurs indéfinissables.  Pourtant, vendredi, je suis allée faire les courses et je fus presque étonnée d'avoir l'autorisation de venir. Nous ne remplissons pas les chariots pareillement, versions de rapports au monde diamétralement opposées et je suis souvent frustrée de ne trouver dans les sachets au retour que des gadgets alimentaires et le minimum de ce que j'avais réussi à écrire sur la liste. Ainsi, je pus remplir de viandes économiques, de celles qui se mitonnent et se préparent (lapin, poule, cuisse de dinde, jarret de bœuf, cuisses de canard...) rêvant de poule au riz, de confit de canard aux fèves, de pot au feu. Je chargeai de fruits et légumes frais, artichaut, carottes, navets boule d'or, champignons de Paris, mâche, endives, betteraves, bananes, ananas, ... et 3 kilos de poireau. Quand c'est la saison, j'achète en gros des cagettes et je prépare des sachets pour le congélateur ou des conserves envers et contre les protestations des mangeurs de l'instant. J ai pu également m'occuper de chercher une nappe en plastique transparent pour la cuisine. Comme ma grand- mère, je protège  ma jolie nappe en tissu de cet ornement discret ( que je ne jette jamais en fin de vie, réutilisant ce produit plastique au sens large). Le supermarché  est au même titre que les autres lieux  au service de mon inventivité et de ma réflexion permanente.  Pourquoi parler de ces rayons et de ces produits en particulier ? Parce qu'ils ont servi  à créer des situations magiques.


    Je cherchai  une information sur la coupe du plastique ; n'y voyant rien, je me tournai vers des employés occupés au rangement. La première femme était en pleine discussion avec une cliente et je n'ai pas voulu les interrompre, je m'avançai vers un homme.

    « Monsieur, s'il vous plaît, pourriez- vous me dire comment obtenir un morceau de nappe en plastique ? »  Il leva la tête et avec un sourire sincère me répondit par un salut des plus énergiques. Il se redressa et je pus le reconnaître ; c'était un camarade des classes de sixième et cinquième. Je le tutoyai spontanément et m'excusai de ne pas l'avoir reconnu évoquant des yeux déficients. Il me coupa la nappe et pendant ces quelques minutes, nous nous parlâmes de nos vies, lui, marié, trois garçons dont un tout petit d'un mois, son changement d'employeur, moi, mon fils, la maladie grave et les impasses actuelles. Sa cousine que je reconnus au nom, célibataire sans enfant nous ramena au temps qui passe et ses impératifs. Je le remerciai du service et ajoutai en le quittant que j'étais heureuse de ne pas avoir été oubliée, je le croisais souvent au fil des 21 dernières années pensant qu'il ne se souvenait plus de moi et la nappe en plastique me prouva le contraire. Je repartis toute légère et enchantée.  

    Pendant que je tâtais les navets boule d'or, j'entendis mon prénom dans mon dos et me retournant, je vis une de mes anciennes stagiaires ravie et émue de me retrouver si près d'elle quand elle avait eu vent de mes soucis sans avoir la possibilité de me retrouver par le téléphone ou une visite depuis des mois. Nous nous jetâmes dans les bras l'une de l'autre, très fort, heureuses de ces retrouvailles inattendues ; son mari me salua chaleureusement et je discutai avec elle dans un jargon entre turc et français ; nous rîmes de mes phrases hésitantes mesurant malgré elles mes progrès... Les enfants grandissent, ils habitent leur nouvelle maison et leur aîné avait retrouvé mon fiston au collège avec plaisir.  Fidèle à cette générosité que je connais des méditerranéens, elle m'invita vivement ; j'expliquai mon incapacité à conduire, l'éventualité du vélo un jour sans  pluie ni gel. Son mari insista  à ne pas prendre de risque et proposa que quelqu'un de sa famille s'occupât du retour. Il m'expliqua que sa femme me réclamait depuis longtemps et que les circonstances ne se prêtaient pas forcément aux visites. Nous nous quittâmes ravies et sur la promesse de se retrouver prochainement. En cet instant, je réalisai combien cette rencontre pouvait paraitre étrange pour ceux qui en étaient témoins : une grande brêle bien blanche, bien française  et vêtue d'un pantalon serré avec une petite dame turque ronde voilée parlant peu le français... Une de ces rencontres improbables dont je suis coutumière, ces rencontres dont je ne mesure la particularité qu'après y avoir réfléchi. A ceux qui la regardent avec étonnement, je dis qu'ils ne connaissent rien aux Turcs et de l'humanité universelle. Hihihi 

    Quand je suis rentrée, j'étais sur un petit nuage.  Dans l'après midi, je visitai ma voisine, turque également ; entre la télévision turque, son dialogue au téléphone avec sa nièce,  plusieurs minutes s'écoulèrent avant que je ne pusse parler français. Nous avons bu du thé, elle me fit manger, comme toujours en me disant que j'étais trop maigre ; après le chocolat, j'avalai une soupe au yaourt et des anchois frais accompagnés de tomates et oignons. C'était bon...

    Le soir, ce fut la visite d'une jeune ukrainienne qui continua cette belle journée. Arrivée au printemps dernier, elle veut étudier le dessin (design, c'est pareil non ?) dans un lycée où la sélection est stricte ; je lui donne des cours gratos de prononciation, de grammaire, de vocabulaire deux fois par semaine car très intelligente, elle n'a de frein que la barrière de la langue. Pendant deux heures, nous avons travaillé, discuté et surtout échangé du vocabulaire des langues respectives. Je suis forte en dictée russe, ah ah ah et  c'est extra de le réaliser malgré  l'étude stoppée brutalement par la maladie. Ce n'est pas elle qui m'arrêtera, na !  Le feu de la passion du métier grandit vivement en ces instants de pur bonheur.


    Toute la journée fut fondamentalement bonne et je posai sur le monde un regard béat me sentant heureuse au plus profond de mon être. Ne reste qu'à  s'échapper de cette maison où règne la  violence sourde de l'intolérance et de l'incompréhension.   


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  • Il est évident que je ne peux rien faire à moitié aussi, je vous montre mon dernier chef d'œuvre dans toute sa splendeur :

     


    Six points de suture, variation de couleur au fil des jours, coupure suivant l'arrondi du sourcil dans sa courbe naturelle, j'ai réalisé là du grand œuvre, non ? Bon, c'est vrai, ce n'est pas joli joli, quelque chose de dégénéré non académique. (Je pensais à Kokoschka mais ce serait ingrat envers ce peintre qui mérite mieux que ce genre de comparaison). D'autre part, comme je ne vois que très peu, je n'avais pas pu  appréhender l'œuvre dans sa réalité.. Mary Shelley * y trouverait à dire ! et je la découvre tout comme vous avec ce gros plan. .. Brr, parfois, il est bon de n'y rien voir. Bref.


    Je m'interrogeai grandement sur le sens de cette frappe de plein fouet de mon front contre ce tuyau des rapides artificiels du parc aquatique sans lui trouver une signification particulière quand Annie D (vous la connaitrez prochainement) formula cette phrase qui nous fit rire :

     « Bah, c'est parce que parfois, il y a l'impression de se cogner la tête contre des murs ! »...

     Pfuit ! Baguette magique éclairant avec ironie les circonstances générales et particulières de ma petite existence actuelle. Je n'ai pas peur de me jeter à l'eau, dans les courants, j'y mets toute ma personne sans peur ni l'obsession de tout contrôler (je me laisse entraîner par des courants cherchant celui qui me portera le mieux) et finalement, par des circonstances extérieures à ma personne, je me retrouve la tête contre un mur. Opiniâtre et légère, je ne m'y arrête guère malgré la contrariété. Je me soigne avec l'idée persistante que bientôt, j'y retournerai, que je rattraperai l'occasion ratée et remporterai la mise...


    Allez, c'est une pure construction mentale, un ensorcellement du monde façon fée des agrumes, rien de plus... Au moins, ça nous aura fait rire un bon coup.

    Lundi je me fais enlever les fils et cet épisode n'aura duré qu'une semaine, tout au plus, ce n'est vraiment pas grave, loin de là.


    Pour info , un portrait par KoKoschka                                                      * l'auteure de Frankenstein



                                                                                                                            



    Moi y'en a être culturée quand même ! hihihi, ça non plus je ne fais pas expres.



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  • Il y a une dizaine de jours, ma copine Babeth lança l'idée de retourner à un parc aquatique en Allemagne à quelques kilomètres d'ici où nous avions passé un très bon moment il y a quelques mois. Mon fils  trépigna à cette idée et monta tout une aventure me mettant une pression terrible, questionnant et insistant tous les jours. Quand son plan initial s'écroula, il pleura pendant une heure et finalement, SeN proposa ses services pour emmener les garçons de son coté.

    Le départ était prévu pour lundi vers 14h, Babeth me téléphona vers midi pour m'expliquer qu'elle était retenue au travail ; fiston fit un effort avec son camarade afin de rester tranquille, patiemment (un exploit pour lui !) et ce fut SeN, levé très tôt et fatigué qui m'interrogea régulièrement, laissant sous entendre que le temps passait, qu'il serait trop tard ... J'étais déjà fatiguée de ma journée et ce stress y contribuait fortement. Que faire quand je ne peux pas conduire ? Quand je ne trouve plus les forces nécessaires pour calmer ce monde et prendre la situation en main ? Néanmoins, je résistai au défaitisme car j'avais réellement envie de sortir, de m'amuser, de me défouler dans l'eau.  Babeth arriva vers 16h30, nous réussîmes à partir, les garçons dans une voiture, nous, les filles dans une autre. Je racontai à Babeth les derniers événements et elle me conforta.  A l'arrivée, envie forte de pipi (c'est la voiture, position et secousses) ... Je ne tins pas jusqu'aux toilettes, Babeth me gronda et je finis par me soulager derrière les buissons près de l'entrée. SeN était déjà reparti ( il n'aime pas l'eau) donnant 19h30 comme horaire de sortie aux garçons. Dans le hall, fiston vit les filles de Marina et son amie Svetla, nous nous étions ratés, elles partaient quand nous arrivions, dommage. 

    Dans les vestiaires, les enfants étaient si excités, j'avais du mal à garder mon calme et mes forces, me focalisant sur les joies à venir. Enfin, nous arrivâmes dans le parc : premier bain dans le grand bassin, remonté d'un couloir, premier toboggan et direction les gros toboggans. Les rapides fonctionnaient et comme ils sont intermittents, Babeth et moi y plongeâmes profitant de l'aubaine.  Passant à l'extérieur, je sentis le froid et pensai que je n'y retournerai pas de si tôt, je suis frileuse. Départ sur les fesses, bong bong, plongeon dans le trou d'eau et je repartis emportée par le courant la tête la première dans pouvoir y changer quoi que ce soit . Au deuxième trou d'eau, ne voyant rien, dans la nuit, l'eau tourbillonnante et ma petite vue floue, je ne vis pas arriver le bord du toboggan et BANG mon front tapa violemment. Je repartis sans y penser et en bout de course, je m'essuyai le visage, heureuse de ma descente, toute de même... et là, j'entrevis le sang. Il ne cessait de couler à grosses gouttes, j'étais ouverte. Je me dirigeai vers la cabine de secours où j'essayai maladroitement de comprendre et de parler en allemand. Je pensai à une vague éraflure, un soigneur m'expliqua qu'il fallait suturer !


    Ah, non ! J'étais là depuis 10 minutes à peine !


    Comme je ne voulus pas être emmenée en ambulance dans un hôpital allemand (je n'ai pas la carte de sécu internationale, toujours pas !), je signai une décharge àù je  donnai mon nom et celui de Babeth pour certifier que je me rendais à l'hôpital. Nous expliquâmes aux filles que nous partions aux urgences et que nous reviendrions plus tard, nous ne voulions pas gâcher le plaisir des enfants. Mic mac des explications en langues mélangées et retour à la voiture.

     La France est à côté, moins de 10 km... il faisait nuit. Babeth ne voit pas bien et moi, encore moins. Nous tournâmes une bonne demi- heure sur des routes, incapables de retrouver le chemin. Il était 18h30 ; bah, autant retourner devant l'entrée et appeler SeN, qu'il vînt plus tôt. Nous riions longtemps dans la voiture parce que vraiment, là, nous faisions fort! Entre ma vessie et ma blessure, rire fut loin d'être aisé, cependant, qu'est-ce que cela nous fit du bien ! Babeth a ce petit truc qui vous rend la vie plus légère car elle ne s'encombre pas des futilités, ni des apparences ; elle va au principal, toujours.

    SeN arriva sans mot dire (maudire) ou sermonner  et Babeth partit chercher les enfants. 19h30.  Le sang ne coulait plus et je dus faire deux pipis entre les voitures. Mon garçon revint, troublé, il s'était fait du souci et sa sortie tant attendue avait été balayée par son inquiétude à mon égard, il était tout blanc.

    Grâce au GPS emprunté, nous traversâmes les frontières (20 minutes pour parcourir 8km dans une grosse ville) et Babeth repartit vers chez elle, nous laissant à la clinique. Là, j'attendis quelques minutes et le médecin de garde me sutura l'arcade sourcilière ouverte sur 3-4 centimètres. Fils à garder 6 jours et un gros pansement sur la tronche...

    Il était tard, j'avais faim et j'étais fatiguée.  De quoi ?

     Frustrée d'avoir raté ma sortie


    Réaction de ma mère : «  Tu ne peux décidément rien faire d'intelligent ! »... Euh

    Réaction de ma sœur : «  Et la prochaine fois, c'est quoi ? Tu te casses la jambe au parc d'attraction ? Tu te fais courser par un éléphant au zoo ? »... Hihihi 

     

     

     

    Je ne retrouve pas la vaccination anti tétanos dans mon carnet... et personne ne s'en inquiète.  Ça craint.

    Mon dernier accident corporel était un traumatisme crânien suite à une descente de luge il y a 12 ans ( j ai tout oublié sous le choc, il parait que j'avais tellement ri, crotte!)

     Je fais une maladie rare.



    Décidément, je n'en rate pas une et je ne le fais même pas exprès, je vous jure !  


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  • Bonjour,

    Juste une petite question technique aujourd'hui: avez- vous des problèmes pour lire ce blog depuis internet explorer?

    Pandora me l'a signalé et je l'ai constaté par moi- même. Les explications du forum pour résoudre le problème me sont inc
    ompréhensibles...  


    Sous Firefox, aucun problème.

    Moi y'en a pas être très douée en htlm, css et autres réjouissances informatiques...

    Dites moi pour avoir une idée.

    Merci d'avance


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  • Levée vers 8h, je profite du calme matinal pour perpétuer le rituel du petit déjeuner.

    Prendre les médicaments, un chimique pour laisser dormir la maladie de Devic et une vingtaine de granules homéopathiques pour supporter le premier, réparer la globalité de l’être.

    Laisser bouillir lentement et longtemps l’eau du thé, la laisser reposer pour faire descendre le calcaire

    Vider le lave- vaisselle, mettre les tasses, bols, couverts pour chacun sur la table

    Sortir pains et croissants, les beurres, les pots de Nutella, de confiture et de gelée

    Nourrir le  cochon d’Inde qui couine et demande de l’attention, Rillette est bien difficile et exigeante, une petite bête capricieuse dont le fiston ne peut pas se passer.

     Enfin, m’asseoir et savourer l’éveil du corps, de la vie en écoutant la radio évoquant l’agitation du monde et des hommes.

     

    Je verse mon mélange de thé vert, de pétales de souci et de feuilles d’eucalyptus préparé dans la théière turque : une base pour l’eau directement posée sur le feu, une deuxième par dessus où infusent les herbes, servir l’infusion corsée et allonger avec l’eau bien bouillie et reposée , même principe chez les Russes avec le samovar ; l’eau chaude de la bouilloire versée sur un sachet sera tellement dégoutante après avoir goûté le thé préparé de la sorte, croyez- moi.

    Préparer ma mixture quotidienne aux variations infinies ; sur la base d’un demi yaourt brebis/chèvre + un demi verre de lait de soja, j’y ajoute au gré des saisons et des envies ; ce matin, ce sont du pollen de fleurs des Vosges, des graines de tournesol et de courge, des grains de raisin et des  céréales biologiques. 

    En bonne française, seul peuple à pratiquer ce geste, je trempe la petite brioche dans le thé chaud et déguste chaque bouchée molle.

     

    Dans un autre style, SeN se lève, fait couler un expresso, engloutit son petit pain au chocolat en trois bouchées, range sa vaisselle dans le lave- vaisselle et retourne à ses bricolages audio et télévisuels. Il n’aime ni parler, ni traîner à table.

     

    Je débarrasse ma vaisselle, aère la chambre, ouvre le lit et va embrasser mon fiston qui dort encore. Je commence à réfléchir à la robe de fée d’une petite fille commandée pour Noël par ses parents, en cachette. Je cherche les premières pièces du patron étalée sur le sol de mon atelier, seule table suffisamment grande pour y déployer mes tissus et accessoires de coupe, j’ai mal au dos, je mobilise mon corps dans une véritable gymnastique. Je m’en sortirai de cette maladie, elle ne m’arrête pas. Mon garçon vient me voir. Câlin du matin et franche rigolade sur le bazar omniprésent et envahissant de l’atelier où il n’y a pas une place pour poser quelque chose ou le pied. Slalom entre les œuvres en cours d’élaboration. Puis, il  me parle du dernier Blake et Mortimer qu’il lit ; je n’y comprends pas grand-chose, il est tellement passionné que ma demi-écoute passe inaperçue.  A 10h, il va déjeuner. De quoi et comment ? Je n’en sais rien. Je monte, fais le lit et ferme la fenêtre, prépare ma tenue du jour et descends à la toilette. Envie de jupe en laine, émotion en constatant que les collants pris sont ceux avec des paillettes ; depuis  quand ne les ai-je pas remis ? Ils sont un écho de ma vie d’avant. Je les porte, comme un pied de nez aux aléas des dernières années.

    Je coupe et assemble le premier jupon du costume de fée, « Mince, je n’ai pas la longueur des jambes ! », il faut attendre la mesure pour continuer l’ouvrage. Mon garçon allume l’ordinateur et remplit son lecteur mp3 avec ses morceaux préférés. SeN ferme  sans arrêt les portes pour ne pas être parasité dans ses écoutes par nos musiques qu’il n’aime pas forcément et regarder tranquillement les émissions de voiture du dimanche matin. Fiston profite de mon inattention pour circuler sur le net, bloom, je proteste et demande à voir l’agenda. Il râle, en bon gaulois qu’il est et s’installe sur le tapis à côté de moi. Géographie et math. C’est facile ; il a tellement de curiosité que la multiplicité des lectures lui permet de s’ennuyer à l’école «  parce qu’on y fait toujours la même chose ».   Bientôt midi.

    Je passe en cuisine où je retrouve avec délectation mon émission de radio favorite, La planète bleue, sur Couleur 3 (radio suisse romande). « Génial ! Yves Blanc passe des extraits de l’album qui sort dans les prochains jours ! » Depuis plusieurs jours, j’en guette la disponibilité sur la toile… Je trépigne et ne suis pas déçue par ce que j’en entends.

    Que faire à manger ? Nous n’avons pas cédé à l’instinct grégaire du supermarché samedi après midi, je m’ingénie à trouver quelque chose. J’expérimente encore ce repas là sur une base escalope de poulet et envie de risotto.

    Médicaments, granules  et zou, c’est parti : oignon, ail et riz rond lavé et rincé revenus dans l’huile à la bonne vieille sauteuse en fonte. Curcuma, bicarbonate et sel. La dernière courgette ronde du jardin ? Peau à Rillette, intérieur pour la soupe et chair en cube dans le riz. Du congélateur, je sors le reste de champignons des bois, des petits pois. Hop, dans la sauteuse. Dans une eau légèrement citronnée et salée, je cuis des cœurs d’artichaut. L’eau finie sur le cœur de courgette ronde et les cœurs d’artichaut en cube dans le riz cuit.

    «  Mais ce n’est pas nocif les graines de courgette comme ça ? » demande SeN la bouche pleine de Curly avant de repartir vite fait au salon. J’ironise en moi- même sur l’absurdité des modes alimentaires modernes repensant à l’émission écoutée au matin sur France Inter à propos du goût.

     Escalope grillées à la poêle… et je mange seule après avoir appelé en vain les deux acolytes.  Plongée dans la musique des Young Gods.  Ils arrivent quand j’ai fini. SeN questionne et  renifle le risotto, je ne réponds pas. «  Mais c’est que c’est bon ! » lâche t-il à demi moqueur. J’avais rajouté du jus de citron qui se marie très bien au curcuma, il sort sa mayonnaise achetée, en tube. Fiston se fait prier, ne réagissant qu’au mot de risotto. Il mange sans mot dire puis piqué par je ne sais quelle mouche décide de faire la cage de Rillette. « Vous voulez de la glace ? » propose –je. Pas de réponse. Une boule de chocolat, une de caramel, un peu de crème brûlée, une demi-banane, de la noix de coco. Je déguste tranquillement sans écouter le monologue sur les principes de SeN au sujet de mon garçon. Ce dernier me ramène un tournesol du jardin aux graines toutes blanches, il n’a pas suffisamment mûri celui- là et nourrira les oiseaux cet hiver. Fiston y est très attaché et a posé le cœur de la fleur en plein milieu de la table dehors. Il aime ce jardin bordélique et naturel aux mille surprises de couleur et de petites choses à manger, il aime y nourrir les oiseaux et les petites bêtes. Tout petit jardin ensorcelé. 

    L’habituelle semaine des Guignols sur Canal + « Et dire que dans certains pays, ils iraient direct en prison ! » Je retourne à l’écriture de ce texte  en écoutant Björk, Daby Touré.

    Fiston devant l’écran de l’ordi du salon circule d’un jeu à l’autre, SeN devant sa télé passe d’une chaîne à l’autre, j’écris et soupire sur mon corps qui me joue de si vilains tours. Avant la maladie, je circulais avec mon garçon à travers bois et chemins, en vélo, à pieds, en patins, nous avalions les kilomètres, nous riions dans les airs chauds et froids, par tous les temps, nous filions à la piscine, en visite, aux musées, aux expositions, au cinéma… Depuis la maladie, personne ne l’occupe autrement que par des écrans en le lui reprochant sans cesse, ça me dépasse. Quand rien ne lui est proposé, il me parait insensé et injuste de le réprimander parce qu’il tourne dans la maison.

    Il râle pour les devoirs et finalement, nous passons un bon moment à réfléchir,  à s’interroger, à discuter de choses et d’autres malgré ma vue très faible.

    Il a râlé quand je lui ai proposé de sortir et pourtant, nous avions bien ri en faisant la course avec le fauteuil roulant dans le froid, nous avions bien ri quand le petit tour du quartier a pris un temps fou parce que je devais m’arrêter tous les 50 mètres, traînant avec les béquilles. Nous avions bien ri quand sur un parcours de santé, j’ai dû m’arrêter deux fois en catastrophe pour soulager ma vessie capricieuse. Nous rions toujours quand ma démarche laisse penser que je suis saoule. Aujourd’hui, c’est encore moi qui lui propose une virée à l’extérieur.

    Gonflage des pneus des vélos avec rigolade à propos de Shadocks.. Est- ce qu’il connait seulement ? Finalement, nous partons à pied ramener un sac à sa copine et un tour en forêt. Ça fait plus de deux ans que je n’ai pas tenté.  Je n’arrive pas à atteindre le premier niveau de la colline, je m’assois trois fois et nous avons un fou rire quand je casse une branche où je voulais me poser ; les bûches roulent, je me retrouve le cul par terre. Après la grosse frayeur, nous éclatons de rire au point qu’il se voit obligé de me tirer pour me lever.  Il me guide sur les chemins, évoquant des rituels de purification, chassant le maléfique avec des bâtons, des pierres, des marques sur le sol. Nous discutons du passé, du présent. Nous sommes bien, tranquilles. Il me nettoie les habits des graines, herbes et saletés que je ne peux voir. Nous rentrons en imitant deux ivrognes parce que je titube avec mes jambes affaiblies. Goûter de pomme et tartine de Nutella qu’il a préparé, vision de la Prophétie des grenouilles, magnifique dessin animé au graphisme crayon de couleur où règnent la poésie, la tendresse, la solidarité. A nouveau, nous sommes retranchés dans l’atelier bordélique car nous sommes insupportables dans le salon.

    Médicaments et repas du soir en reste : soupe préparée à midi, restes de nouilles grillées, reste de risotto et salade de tomates, tartines et fromages.

    La soirée se continue devant la télé pour SeN, dans la chambre pour fiston avec des activités secrètes  et  tour sur la toile pour moi avec de la musique du monde. Mon garçon vient faire un câlin du soir, nous discutons avec quelques amis en instantané puis il part dans sa chambre ; je commence à dormir devant l’écran, il est temps de se coucher. Douche et dodo. SeN m’houspille  parce qu’il est tard, il monte en grognant qu’il n’a rien fait de la journée. Ah ?  Je vois de la lumière dans la chambre de mon garçon , dort-il ? Je le trouve avec un livre sur la figure, au milieu de ses piles de bandes dessinées. J’éteins, le borde et il m’effraie, il faisait semblant. Nous discutons quelques minutes, il a l’air heureux, notre promenade et nos petites activités communes lui ont chauffé le cœur, il en a oublié tous les écrans, toutes les tensions. Il met son pyjama, je le saucissonne dans sa couverture,lui en donne une autre, il a froid. Nous concluons qu’il est vraiment extraordinaire que je puisse m’occuper de lui ainsi, à nouveau.

    Je me couche, je suis fatiguée, le sommeil ne vient pas. Je pense.

     

    C’est dimanche, un dimanche comme un autre.

     

    Prise de conscience

     

    Enfermés, isolés dans cette maison, dans ce village.  L’atelier, seule pièce où nous pouvons faire ce que nous voulons, où les obsessions ne s’installent pas…

    Et pourtant, quelle chance de pouvoir revivre ces instants ! Étrange sentiment que je ne me sens pas seule, que la vie n’a jamais été aussi claire et limpide, que je n’ai jamais été aussi libre.

     

    Quand la maladie, le handicap sont là, quand  la mort rôde, ce ne sont pas les aventures extraordinaires devenues moins probables qui manquent, ce sont ces petites choses, ces petits gestes du quotidien devenus impossibles ou pénibles, ces instants de rien partagés avec les êtres aimés.

    Cette liste de banalités est en fait, une liste de victoires formidables dans la marche vers la vie pleine et entière.

    Et oui.


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