• Après quelques jours passés à jouer à Zelda, amorphe sur ma chaise, exténuée par la fin de l’année scolaire sur une formation passionnante et un fiston en opération rat mort-ordi intensif, je me suis réveillée un matin les idées claires : « Maintenant, ça suffit, j’en ai assez du désordre de la maison, je range ! » Le déclencheur fut ce meuble à couture fabriqué en son temps par SeN.

    en-sept-2008-meuble-a-couture.jpg

    Ce n’était pas ce que je voulais, il avait décidé pour moi et qui plus est, n’était pas adapté à cet appartement, trop grand, trop volumineux, à peu de rangement. Il était temps de faire de la place.

     

    Il est coutumier de trouver chez moi des œuvres, réflexions ou autres fabrications en cours au quatre coins de la maison comme ici, une table en étude de patchwork, broderie, perles, peinture et autres montages- démontage :

     

    patch, broderie, perles et autres idées en cours

     

    Ou ces instantanés d’un intérieur en mouvement perpétuel dont les composants varient selon mes envies et possibilités, ayant tellement d’autres activités plus ou moins envahissantes dont je parlerai.

    Cependant, là, j’ai fait fort, regardez bien :

    dans la salle de bains, un petit meuble de théâtre récupéré chez ma collège en cours de nettoyage :

    DSC00621

    Et surtout,  ma chambre et son lit établi :

    DSC00612       DSC00611DSC00610 DSC00622 - Copie

     

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    DSC00629 DSC00675

     

    Bé oui, j’expérimente, teste, perce,  assemble autour et sur mon lit ce qui n’empêche pas mes autres travaux d’attendre leur tour.

    Il y a aussi la cave désormais envahie de matière première en tout genre affiliée plus ou moins à tel ou tel objectif :

    DSC00625   DSC00626

     

    Joli, joli…

     Il n’empêche que j’ai eu une pêche d’enfer, une force et une énergie incroyables, mon pôvre garçon, lui ne suivait pas : «  Maman, ça va trop vite pour moi ! ». Merveilleux pied de nez à ces années d’enfermement, de cloisonnement, d’inertie, de sclérose ! J’ai savouré avec joie la capacité physique d’agir sur mon environnement selon ma volonté, liberté, liberté chérie. Je range, je trie et j’ai réussi à jeter ma vieille chaîne hi- fi traînée depuis des lustres avec une culpabilité latente. Je l’ai prise en photo avant la déchèterie et maintenant, quand je la croise par hasard, je suis heureuse d’en avoir terminé avec elle. Mine de rien, quand je m’attèle au rangement, c’est à fond et cette armoire précédemment évoquée ici fut un joli préambule aux grands travaux de cet été.

     

    A suivre, les explications et péripéties sur la finalité de ce bazar.

     

     


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  • Formation professionnelle, lectures, pistes d’études m’interrogent grandement sur l’intelligence, les fonctionnements mentaux, leurs modes d’expressions et nos adaptations dans le monde en général. Etre au clair avec soi étant le préambule à toute approche de l’autre, je me penche sur mes propres fonctionnements.

    Parmi les multiples problématiques soulevées, j’observe les modes opératoires internes et extérieurs de ma créativité débordante (et envahissante).  D’où vient cette pulsion aventureuse qui m’anime quotidiennement ? 

    Quelque chose dans mon cerveau s’opère inévitablement au regard de mes activités et productions. Je n’ai rien compris aux forces en physiques et j’élabore des amoncellements  incroyables en équilibre improbable avec les objets du quotidien, je fabrique  des structures et des meubles ; j’étais mauvaise en langue à l’école et aujourd’hui, j’en apprends quatre en même temps (et pas des plus simples) sans compter l’aisance à me repérer dans des langues inconnues ; mes productions en arts plastiques n’étaient pas remarquables, je produis depuis des années des créations uniques en testant constamment de nouvelles techniques avec au bout du compte une foule de travaux ; j’ai été classée littéraire alors que je mesure, pèse, m’oriente à l’œil , construit des volumes complexes en plusieurs dimensions dans ma caboche et suis arrivée en tête des tests de raisonnement logique de mon collègue de math; j’ai cinquante mille idées à l’heure plus saugrenues les unes que les autres , celle-là entrainant celle-ci avec son lot de questions pratiques (construction, adaptation, mise en œuvre technique), éthique ( quels enjeu porte-t-elle ? Quelle conséquence à petite et grande échelle ?) dans un foisonnement dynamique, vivant, vivifiant d’autant que je crée des liens et des parallèles inédits, originaux, inattendus constamment. Une inadéquation entre l’école et moi est une hypothèse de plus en plus prégnante, ses fonctionnements et représentations ne me correspondent pas (Je le mets au présent car encore aujourd’hui, cette inadéquation se révèle dans ma non- titularisation persistante et je vous raconterai un épisode particulièrement révélateur à ce propos en son temps). Toujours est- il que mes expériences quotidiennes ont une réalité pratique et matérielle ainsi qu’une vision métalinguistique, exolinguistique. En cuisine, notamment, il ne s’agit pas de simplement préparer à manger, de se nourrir, au –delà du goût, des sens et du plaisir, se vit une expérience chimique, artistique, culturelle,  politique, métaphysique. Rien que ça.

    Récurrence, redondance à mes articles Miam miam inhérentes au support du blog ? Je radote alors ?  A moins que ce ne soit le leitmotiv de la conscience et la présence aux actes quotidiens en démarche méditative, la joie, la grâce, l’illumination au spirituel de la vie, ici et maintenant.

     

    Zou, assez de dialectique, je vous prépare le récit des faits. (Pourvu que fiston me laisse l’accès à l’ordi !!)


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  • A la sixième perfusion de mitoxantrone, l’été 2007 s’annonçait. J’allais beaucoup mieux, j’étais guillerette, enthousiaste, il faisait beau, il y avait une lumière radieuse. Je vivais mes derniers séjours en hôpital. L’idée d’en finir ENFIN avec ces piqûres et autres aiguilles m’enchantait, j’étais ravie et prête à aller de l’avant. Cependant, l’idée de ne plus voir certains soignants me pesait et nos derniers échanges ne furent guère aisés d’autant que je ne pouvais les saluer tous avec les changements d’équipes. Sylvie, l’infirmière de nuit l’avait si bien exprimé : «  Nous partageons parfois des grands moments avec certaines personnes et quand les soins s’arrêtent tout à coup, nous ne les voyons plus et ne savons plus rien d’eux.» Elle pensait précisément à une jeune femme dont la sclérose en plaques avait fait des siennes juste avant son mariage, les préparatifs s’étaient faits souvent depuis sa chambre sous perf avec les soignants.  

    La vie est ainsi, il est des rencontres fugaces qui comptent énormément alors que bien des relations quotidiennes restent creuses, vides sur de longues durées. Question d’authenticité.  (D’ailleurs, j’étais d’un naturel à faire le tri avant la maladie, c’est devenu encore plus évident et rapide depuis ; je m’emmerde d’autant moins des superficialités sociales trop souvent hypocrites.)

    J’étais alors autonome et ne croisais plus les soignants que lors de leur passage de vérification, de soin ou de repas que je ne pouvais opérer moi- même. De toute manière, je n’aime pas les au revoir aux accents d’adieu et usais de mes stratagèmes de compensation à la peine de les quitter. Je passais ainsi ces dernières heures joyeusement, plaisantant et taquinant à l’envi. En outre, j’avais emporté avec moi du matériel de peinture : tubes d’acryliques, pot et pinceaux afin de terminer un cadre en médium. Une aide- soignante s’étonna de ma capacité avec de tout petits pinceaux alors que ma vue était réduite à presque rien (1 à gauche et 3 à droite pour rappel), je m’en étonne aussi avec le recul.

    Il est en couleurs printanières, vivant, vif et brillant ; lorsque mon regard se pose sur lui, je me souviens parfaitement de cette chambre d’hôpital, de la tablette où je m’étais installée, du désordre que j’y mis ; j’entends à nouveau l’exclamation de l’aide- soignante rameutant ses collègues afin de leur montrer mon travail, je revois les mouvements de leurs corps et surtout, cette lumière éclatante qui brillait, du dehors, du dedans. Une espèce de flash de mémoire. Suivent naturellement quelques souvenirs d’impressions, d’émotions en cette dernière séance, la mesure également diffuse des bouleversements opérés en moi en un an, l’ivresse d’une nouvelle page de mon existence à écrire.

    A l’instant de sa création, ce cadre représentait à mes yeux la possibilité de construire une vie fondée sur d’autres schémas, un fol espoir m’étreignait, obstinément. Fiston avait brodé le motif avec mon aide, SeN avait fabriqué le cadre dans les chutes de ses constructions, je le peignais. C’était une œuvre commune, ma métaphore de famille.  Les travers qui m’avaient éclaté à la figure avec les prises de conscience via la maison, les réactions, les réponses, les silences, les adaptations et non-adaptations à ces abominables douleurs et souffrances me paraissaient encore un terreau fertile en vue d’une reconstruction de notre vie. Malgré les questions, les doutes, les voiles qui tombaient, une part de moi continuait d’espérer.

    Cette famille tant désirée ne se réalisa pas. J’ai compris depuis que la maladie a ouvert mes yeux sur l’abominable réalité d’une relation malsaine, stérile, et sans issue. Une impasse, un gâchis de vie intolérable pour qui s’est cru mourir.  De fait, cette peinture changea complètement de symbolique. Elle est devenue métaphore d’un achèvement, d’un seuil,  une fenêtre sur une page d’existence à écrire en conscience par- delà les ruines de mon parcours chaotique et initiatique, la métaphore d’une renaissance. J’avais lutté pour survivre, je voulais dorénavant passer aux étapes suivantes qu’Elodie avait soulignées : exister et être. En balayant le jeu radicalement, la maladie et ce qu’en j’en tirais changeaient complètement la donne, il en était fini des acceptations tacites à l’auto- destruction.

    canevas-Etienne--cadre-Stephane-et-peinture-Christelle-fin.JPG

     

    Qui peut se douter que ce petit rien porte tant de récit?


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  •  

    L’expérience de cette promenade en petite montagne est belle, vivifiante en soi, d’emblée. Pourtant,  en plus de ma victoire et de la saveur extrêmement douce qu’elle me donne, elle me permit de vivre une aventure enchanteresse en totale harmonie avec l’univers onirique qui m’habite. J’avais l’esprit éveillé, les yeux grands ouverts et mon petit détour fortuit se révéla magique ; je m’en vais vous le conter.

     

    Avançant sur le chemin pentu qui m’éloignait de la route, je fus déroutée au premier  croisement. Bizarrement, la seule indication était celle menant vers les villages et aucune ne portait vers ce sommet énergétique. Je fus alors attirée par un sentier que je crus reconnaître, quelque étrange branchage couché en bas de pente, sur ses multiples pattes et son long cou maigre de gardien du passage m’invita à avancer. 


     Monter et descendre 

    Vaillamment, je gravis la pente ; arrivée en haut, je savourais l’ambiance des lieux, la vue sur les chemins du bas, le cœur battant la chamade dans la poitrine puis, portée par mon sens de l’orientation, je me dirigeai vers ces bois particuliers. 

     

    Les troncs étaient fins, longs, la lumière éclatait à travers les feuillages de cette clarté désormais mienne, le sol était mouvementé, jonché de cailloux blancs et de mousse, l’air doux, la musique du lieu joyeuse et calme entre bruissement des feuilles, balancement des branches et chants d’oiseaux. Je m’enchantais de cet univers fantastique où je visionnais sans  peine des rassemblements de lutins, elfes, fées, esprits des bois étonnée toutefois de cet endroit jusqu’alors inconnu. Tout à coup, je vis ces deux causeurs :


    causeur Ecouteur


    Evidemment, à mon approche, ils se turent et se figèrent, surpris dans leur conversation apparemment vive. Je sus que j’entrais dans quelque événement de la forêt.

    La confirmation se fit plus loin avec la rencontre de ce volatile coincé au bord d’un sentier léger. Poulette de course

     

    L’ovation qui lui était réservée se fit subitement inerte dans l’attente de mon départ d’intruse.

    ovation à la poulette

     

    Désireuse de profiter également du spectacle, curieuse de connaître les raisons de telle festivité, je m’engageais à continuer ma route sur ce sentier secret ; là, je réalisai que j’étais sur une fausse route : je débouchais non loin de la falaise de la carrière et l’accès au sommet énergétique m’était impossible à moins d’avoir des ailes. Dépitée, je repartis vers la gauche en saluant les figés. Quelle surprise ce fut de découvrir d’autres êtres en fuite à mon approche ! :

    Ce lapin eut par exemple beau arrêter sa course et se couvrir de vert moussu, il n’échappa guère à mon regard,

    lapin déguisé

    tout comme ce grand dadais dont je sais qu’il n’a rien d’humain malgré ses formes.

     

    fuite de petit homme

     La descente par un côté fut rocambolesque et nécessita grande attention et conscience en chacun de mes gestes ; bienveillante, la forêt m’offrit des prises tant pour mes pieds que pour mes mains et ce fut tranquillement que je retrouvai le chemin auparavant délaissé. Le dieu cerf ne m’oublia nullement et je lui fus reconnaissante de m’offrir un grand bâton en appui de mes hésitations sur la montée puis sur la descente. Ma main portée à l’embranchement était haute et l’écartement central pointait au dessus de ma tête les deux bois en hommage à celui qui me l’avait offert. En au revoir, cet elfe me sourit depuis la souche où il fusionnait, mon cadrage ne le servant guère malheureusement.

    Elfe caché en souche

    A partir de là, les énergies du sommet eurent une belle place afin de ré-énergiser mon corps car chacun de mes pas était éclairé par la magie enchanteresse de ma rencontre avec ce peuple des bois.  Le dieu cerf m’accompagna tant que le chemin était abrupt, je lui rendis son bâton avec moult remerciements envers sa présence bienveillante.


    Bâton Dieu cerf

     

    Il va s’en dire que l’expérience me plut grandement d’autant que depuis l’altération de mon nerf optique, lumière et couleurs ont pris des tonalités nouvelles, étranges, éclatantes et resplendissantes. Mes perceptions intuitives et ludiques d’autrefois se vivent concrètement, j’aime me baigner joyeusement légèrement dans cette dimension transformée… au point qu’effectivement, les changements internes ont complètement transformé mon environnement, j’attire désormais d’autres personnes, d’autres circonstances.

     

    Le monde est ce que nous en faisons.

     


    (Non, non, je n’ai rien fumé et  les médicaments n’ont pas d’effets hallucinogènes contrairement à d’autres pris il y a qq années, je vous raconterai à l’occasion)


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  • Avril- mai 2007

     Après les chandeliers, je voulus expérimenter une nouvelle technique : le shabby chic. Il s’agit de frotter avec une bougie ou du savon de Marseille un support en bois brut peint ou non, de repeindre par-dessus puis de frotter avec de la laine d’acier ou un papier de verre. Par ce procédé, l’objet prend un aspect vieilli et usé qui me paraissait intéressant.

    Premier essai sur une petite commode à suspendre.

    Déjà vernie, j’eus la paresse de la décaper et la ponçai mollement espérant obtenir un résultat correct à moindre effort. Ce fut une catastrophe. L’incompatibilité évidente avec le vernis acrylique acheva l’expérience et je reléguai le tout dans un coin du bazar.

    Nouvel essai sur un pot à crayon.

    Il était en bois brut, ouf. Par un grand mystère de l’inspiration, je le fis en vieux rose. J’y peignis en expérience également des motifs vénitiens XVIIIe siècle, fleurs et oiseaux, me fiant  à des modèles photocopiés des années auparavant. Mouai… Le résultat ne me satisfit guère, il manquait de personnalité. J’étais prête à tout recommencer d’une main rageuse quand un autre y trouva son compte et je lui donnai.

     

    pot-a-crayon-venitien.JPG  pot-a-crayon-venitien--2-.JPG

    pot-a-crayon-venitien--3-.JPG pot-a-crayon-venitien--4-.JPG

     

      Frustrée par ces tentatives peu probantes à mes exigences, je farfouillais la maison en quête d’une autre aventure quand subitement, dans l’aveuglement physique de ces mois cruels, j’eus une étincelle.

     

    Au fond d’un tiroir plein à craquer (renforcé par mes soins depuis belle lurette, évidemment), je cherchai une grande toile de jute achetée presque vingt ans auparavant. A l’origine, elle était prévue pour être agrémentée de laines et fils passant au travers et habiller ainsi le verso de boucles. J’avais commencé après l’achat et abandonné rapidement devant l’immensité de la tâche principalement de la recherche des laines aux couleurs adaptées. En outre, la technique ne me semblait pas solide, le risque de voir les laines se détacher rapidement après un long travail ne m’enchantait pas. Je l’avais négligée des années au cours desquelles je fus tiraillée entre agacement et défi en la redécouvrant au hasard des farfouillages dans les tiroirs : « Un jour, je trouverai une solution ! ».  Bloom, j’y étais ENFIN : j’allais la peindre à l’acrylique !

    La barrière limitative du choix des couleurs était vaincue ; entre les bases et les mélanges s’offraient des possibilités infinies. Ni une ni deux, je commençai par étaler la toile sur le sol de mon atelier afin d’en avoir une idée générale.

    Le motif de base était une vague représentation égyptienne antique, un homme et une femme échangeant des plantes sur un fond quasi vide. Dans un souci d’authenticité, je me plongeai derechef  dans un de mes livres d’histoire de l’art consacré à ce thème. Triomphante, je trouvai entre ses pages l’origine de ce grossier dessin : Toutânkhamon offrant des fleurs à sa jeune épouse. Super! J’avais glissé là cette photocopie lors de mes années d’université avec certainement l’idée de m’en inspirer plus tard et je l’avais oubliée. Aussitôt, je remplis, affinais les tracés de la toile de jute à partir de cette inespérée trouvaille et étudiai les couleurs sur les pages imprimées du livre. Verts, orange, jaunes et bleus se structurèrent spontanément d’autant que la couleur de la toile nécessitait des choix en harmonie avec elle également. Je jonglais au fur et à mesure des coups de pinceaux entre les couleurs de base vives et des mélanges pris au hasard. Je me suis notamment régalée à nuancer la couleur des peaux, le blanc rosé des fleurs, les dégradés de vert sur les feuillages, les subtilités des tissus, en particulier celui de la femme que j’avais transformé, la robe d’origine étant trop maladroite à mon goût. J’investis le décor en opulence pareille à celle de la boite à chocolat ; je les entourais, les habillais, les maquillais, leur donnais des teintes vives. Mon garçon s’y pencha également, curieux de la gymnastique et de la concentration que me demandait cette tâche ; ce fut lui qui me fournit le tube de peinture dorée en relief  dont j’ignore complètement l’origine.

    Dernièrement, il me surprit, trois ans après, en évoquant les deux femmes au bas du tableau : celle de droite est maquillée, parce que de meilleure naissance que celle de gauche, simple paysanne.  L’épisode l’a marqué, véritablement.

     

     En ces mois du printemps 2007, j’étais en fauteuil roulant. Les perfusions de mitoxantrone portaient leurs fruits et il m’était aisé d’effectuer les transferts seule. Je ne tombais  ni ne glissais plus, il m’arrivait régulièrement de me laisser aller sur le sol et d’y évoluer à quatre pattes, maladroitement tel un quadrupède nouveau- né, ne craignant surtout plus de ne pouvoir remonter. Certes, ce n’était pas facile, j’y mettais concentration, volonté et force, repoussant mes limites à leur extrémité, perpétuellement en test de mes capacités reconquises ou à conquérir. En l’occurrence, cette toile fut peinte de la sorte, sur trois pattes ma main étant occupée à  poser les couleurs entre traits, remplissages et mélange. Ma mémoire garde le souvenir des douleurs dans le dos, les bras, les jambes, les fourmis grouillant sur les appuis et les articulations ; elles ne m’arrêtaient pas, je pensais uniquement à mon objectif. Je faisais des pauses, étirais mes membres, remontais dans le fauteuil pour renouveler l’eau du pot, nettoyer ma palette, mes pinceaux, prendre du recul, écouter le corps et lâcher bénéfiquement l’attention.

    Je garde également en mémoire l’agacement qui fut mien devant les remarques régulières sur les débordements éventuels de mes peintures à travers la toile malgré mes journaux au sol. Pestant parfois, ignorant souvent, je fis obstinément la sourde oreille.

     

    Etrangement, alors que je ne voyais que très mal, les souvenirs visuels sont précis, lumineux. La grandeur de la toile (110x146) était à l’échelle de mes capacités ; habituellement occupée aux minutieuses précisions des pinceaux fermes et souples, je découvrais par la force des événements le plaisir du travail en grande surface avec des brosses larges et épaisses, drues pour pénétrer suffisamment les fibres de jute.

    SeN fit un cadre où je tendis la toile au mieux  et dorénavant, je lui cherche une place d’honneur où que je vive parce que je suis fière de ce barbouillage à grande échelle. J’ai beaucoup appris grâce à cet ouvrage, il parle de moi en cet instant, de ce que j’ai fait de mes faibles moyens, de mon tempérament, de ma lutte permanente à profiter pleinement de ce que la vie offre furtivement. Envers et contre tout.

     

    acrylique sur jute printemps 2007


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  • Mars- avril 2007

    Parcourant le rez- de- chaussée de la maison en fauteuil roulant, plus autonome chaque semaine, je cherchais du bout des doigts la multitude des  objets accumulés avant la maladie en vue de projets créatifs. Je farfouillais au fond des tiroirs, de l’armoire de l’atelier du moins les espaces à ma portée, réclamant ceux qui se trouvaient inaccessibles à cet instant. Je me souviens parfaitement de l’énergie   qui me portait, j’avais une boulimie de création.

    Avant, l’envie était là, les idées grouillaient dans ma tête, le temps me manquait, grignoté qu’il était par les activités quotidiennes et le retard s’accumulait. Là, malgré les handicaps moteurs et la vue très basse (pour rappel, de 12 à chaque œil, j’étais passée à 1 et 3 en moins d’une semaine- cf. ici), je pressentais que j’avais l’opportunité de me consacrer entièrement à ces activités pendant mon traitement, ma rééducation, ma convalescence ; je pressentais que ce temps ne durerait pas. Aussi, je m’y lançai frénétiquement testant continuellement mes capacités, mesurant au fil des ouvrages l’évolution de mon état.

    J’ai peint cette belle boite à chocolat déjà présentée () ; au départ, le dessin originel était désertique, gris et vide. Mue par la force de vie qui rejaillissait en moi, portée par l’amour reçu aux heures noires de la maladie, je passai de ce triste modèle à l’explosion multicolore et riche de la peinture finale.

    Pendant qu’une couche séchait là, je ponçais et peignais sur d’autres supports. Je fis ces fruits déjà montrés.

     

                      PICT1024.jpg

     

    Suivirent les chandeliers.

    Achetés en bois bruts, leur forme  m’évoqua une tulipe ; je décidai de sortir des simples colorations et décorations habituelles. Je peignis les fonds unis afin de simuler quelque vase à la base, la corolle à l’autre extrémité. Quand ils furent secs, j’intensifiai le noir, ombrais la fleur pour jouer des lumières. A l’évocation d’un feuillage, je trempai mon pinceau dans des mélanges de verts, foncés, clairs, du blanc successivement puis le laissai glisser dans des mouvements arrondis, comptant sur le hasard pour le mélange des nuances.

     

    A la lumière du printemps.

     

     Ce ne fut guère aisé, le nez collé sur le support, à la lumière artificielle de préférence tamisée. Pourtant, j’avoue en être satisfaite sachant évidemment que ce n’est pas du grand art. Les limites d’une couleur à l’autre sont nettes, il n’y a pas de débordement ou de gribouillis. J’avais joué sur les numéros des pinceaux privilégiant les poils de martre plus fermes et souples ; ce fut payant. Le souci vient de ce que certaines bougies coulent. J’en fus contrariée à leur première utilisation ; grattant la cire, je craignais d’abimer le décor. Il me reste à trouver un système ingénieux pour les protéger.  


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  • Portée par un instinct, une force de vie venue de mon creux, je me suis lancée, au retour de l’hôpital, en 2007, dans une frénésie créative dont les résultats aujourd’hui me laissent pantoise. Je supportais la chimiothérapie, les transports incessants, l’enfermement et l’isolement dans cette maison, percluse dans les conflits incessants, je luttais âprement pour retrouver la marche, j’étais très mal voyante, comment ai-je pu produire toutes ces choses ?

    J’avais commencé à l’évoquer ici et puis bousculée dans mes projets de publication, le fil s’est perdu ; j’y reviens en balance des derniers textes mortifères.

    La galerie des productions improbables repart. Heureusement que je tiens un cahier de mes créations pour m’y retrouver! En avant ! En avant !

    Mars 2007, j’ai tricoté un béret pour mon amie Sandrine des Vosges, en aveugle ; malheureusement, je ne peux vous montrer de photo car je n’en ai pas ; je le lui ai envoyé avant d’avoir l’appareil, tant pis. Un jour peut-être. Il est gris avec un colimaçon lie- de- vin, elle en fut ravie.

    Dans la même période, j’ai encadré des idéogrammes chinois peints avant d’être malade. Cette tâche en son temps m’avait demandé une grande concentration, des essais répétés. La calligraphie chinoise est un art difficile d’autant qu’il s’agit d’utiliser des pinceaux spécifiques tenus d’une façon particulière peu coutumière dans notre culture. Entre traits vifs et appuis différents, j’ai usé plusieurs feuilles de papier de riz avant de trouver un équilibre suffisant à mes yeux de néophyte. Estimant que mes trois plus belles réussites méritaient mieux que de traîner au fond d’un tiroir, je m’attelai à les encadrer au mieux. Du bout de mes doigts, je choisis les papiers, reportant certains choix de couleurs à la nuit quand mes yeux m’empêchaient d’en juger véritablement à la lumière du jour.  Rouge, argent, noir. Découpage minutieux au cutter ; c’est plus compliqué que cela n’en a l’air surtout que je n’y voyais rien. Finalement, le plus difficile a été de trouver des cadres adaptés à mon idée.

    Je les ai laissés dans la maison, ils me manquent affreusement…

    Beaucoup ne mesurent guère l’effort fourni pour arriver à un résultat ; il y a tellement de babioles à bas coût dans tous les magasins fabriqués en série, à la machine, à la chaîne...

    calligraphie-chinoise-encadree.JPG


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  • L’ordinateur était arrivé rapidement dans le nouvel appartement, je voulais le garder près de moi en cas de besoin pour le travail. Fiston l’avait branché vaillamment dès notre arrivée, avide de sa dose d’écran comme tous les jeunes. Il se l’appropria avec des jeux en tout genre envers et contre toutes mes demandes ou injonctions. Impossible de comprendre pourquoi il y consacrait tant de temps ! Une fuite ? Un refuge ? Une habitude ? Honnêtement, je n’avais pas la tête à y réfléchir, d’autres travaux m’accaparaient.

    A la première utilisation, il bidouilla sans mot dire et finit par pousser un cri de joie : «Maman, maman, on a Internet !! ».

    Je me précipitai pour y regarder de plus près et je lis les informations sur l’écran : connexion WIFi possible, vous n’êtes pas chez vous, donnez votre identifiant et votre mot de passe client machin.

    Dans sa quête folle d’image, il avait tenté en douce une connexion internet sans rien dire et trouvé un réseau sans fil, le filou !

    Je lui expliquai le risque de prendre sur la wifi d’un particulier du coin, comme un vol mais il remarqua pertinemment que si les identifiant et mot de passe du compte étaient demandés, c’était pour se connecter à notre propre compte. Ben oui.

    J’étais quelque peu dérangée par l’idée de ces ondes omniprésentes partout et leurs répercussions « inconnues » néanmoins, je me risquai à taper les références demandées… et miracle ! Nous étions sur le net !!

    Ainsi donc, j’ai pu poursuivre mes activités habituelles et écrire pour annoncer le chambardement ! 

    Le luxe me vint en fulgurance quand quelques minutes plus tard, je m’exaspérai à voir mon garçon se contorsionner sur le sol, couché dans la saleté des travaux uniquement pour boire tout son saoul d’ordinateur.

    - L’idéal, ce serait d’avoir un bureau, tu ne trouves pas ?

    - Mais Maman, nous n’avons rien là, comment tu veux faire ? (Mon garçon est un colérique chronique à fleur de peau qui prend tout ou presque pour des reproches… un gros boulot avec la CNV est nécessaire tant pour lui que pour moi)

    - Regarde bien mon gaillard et tu verras qu’il y a TOUJOURS une solution ! Ta mère est la reine de la débrouille en toutes circonstances ! »

    Il acquiesça dubitatif et m’observa parmi les cartons rangés dans un coin.

    Pleins de livres, ils étaient certes lourds et suffisamment solides pour supporter du poids … et en quelques minutes, je « fabriquai » ce bureau provisoire qui nous rendit service pendant de longues semaines de camping ! Mon fiston était ravi, vous pensez. Il a même daigné m’aider.

     



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    La peinture nécessite des temps de séchage entre couches pour garder certaines distinctions de trait et couleur. Certains utilisent le sèche- cheveux pour en accélérer le processus, je préfère faire une pause, porter mon attention ailleurs, revenir avec ce recul et réaliser la pertinence ou le déséquilibre de tel ou tel détail. Dans ma frénésie en instinct de vie, les séchages de la boite à chocolat me permirent de peindre d’autres supports.

     

    Parmi eux, il y avait ces fruits en bois brut achetés près de 10 ans auparavant et pour lesquels je n’avais pas pris de temps. Ils s’étaient retrouvés refoulés au fin fond d’un profond tiroir sans toutefois  être oubliés. A mon retour à la maison, je ressentis le besoin urgent de les peindre. Je remuai le bazar accumulé par-dessus reconnaissant du bout des doigts les différents objets et les ressortis avide et impatiente. Le 29 mars 2007, je les peignis tous dans la journée.  Mon fiston n’en croyait pas ses yeux, ils ressemblaient tant à des fruits véritables qu’il avait envie de croquer dans la pomme en particulier.

     

    Des fruits aux couleurs chatoyantes, des fruits mûrs… Tout comme le paysage africain désertique transformé en jardin foisonnant et vivant sous mes pinceaux, les fruits de bois ternes s’étaient métamorphosés, gorgés de couleurs, de lumière, de vie. La médecine me permettait de survivre aux affres des derniers mois, l’espoir me chevillait le corps et l’âme. Après la traversée des ténèbres, j’étais vivante, certes dans un fauteuil, la vue très réduite au point de ne pouvoir distinguer les visages et pourtant, je peignais et je peignais la vie. Une vie opulente, riche, généreuse, lumineuse.

     

     

     

    ( la photo est floue, j'en mettrai une autre dès que l'occasion se présentera)


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  • Lors de mes séjours prolongés en hôpital, j’ai profité pleinement des séances d’ergo et des phases Adelo entourée de personnes épatantes : Lorette, Maud, Michel, Myriam, Noémie. Avec elles, pas la peine de s’étendre sur mes difficultés, elles proposaient, je faisais et si je coinçais, elles étaient là pour m’accompagner… et non faire à ma place.  De nombreuses conversations dans les services portaient sur mes activités diverses et variées avant la maladie ou encore sur mon obstination à continuer celles à ma portée malgré la chute incessante et la perte de la vue. Parce que oui, je le dis sans peine, le plus douloureux pour moi a été de perdre la vue. Avec celle de perdre l’usage de mes mains, c’était ma plus grande peur et inévitablement, je suis tombée dedans allègrement. La psychanalyse a désormais donné du sens à ces peurs et c’est avec ironie que je les regarde à postériori. Reste que je suis folle  et pour mes vieilles connaissances, ce n’est pas une découverte liée à la maladie.

     Jusqu’à 14- 15 ans, j’étais enfermée en moi- même, figée par des souffrances non dites  puis, j’ai explosé contre l’écrasement que je ressentais. Alors, pendant des années, j’ai survécu en m’agrippant au moindre crochet trouvé avec plus ou moins de bonheur et de réussite. Il y eut des choix malheureux et des expériences très malsaines. Pourtant, malgré les aléas terribles de la vie et de mes choix inconscients, je n’ai jamais cessé instinctivement de trouver des solutions à mes comportements morbides récurrents. L’une des voies choisies a été la création de bric et de broc.

    La problématique permanente de la précarité matérielle a empêché des expressions telles que la musique, la danse ou quelques autres techniques spécifiques, j’ai fait selon les moyens du bord et je compensais le manque d’argent par l’ingéniosité et la débrouillardise. C’est devenu un choix de vie en sobriété heureuse.  Comme je le disais déjà ici, je passe des heures à apprendre des techniques, je suis affreusement curieuse et quand enfin je comprends comment quelque chose fonctionne, je fonce à l’aventure, incapable de me contenter de copiage.

     Au retour de l’hôpital en mars 2007, l’entreprise de démolition précédente avait permis de laisser la place à le reconstruction grâce notamment aux progrès médicaux. Dans mon auto destruction programmée de long cours, inconsciemment, la dernière phase était contredite par cette chance inespérés et je saisis par instinct cette pulsion  vers la vie. Etrangement, ce fut dans les pires situations que j’avais une chance incroyable. J’ai joué avec le feu trop longtemps dorénavant, je ne me malmène  plus mais avant de brûler les étapes, je reviens à cette explosion de création au retour à la maison.

    L’oxygène des rencontres et des travaux à l’hôpital m’avait droguée, je me fermai aux tumultes de la maison et des relations toxiques en m’engouffrant dans l’interne de mon âme consolidée par les rencontres des derniers mois.

     Dans un premier temps, j’ai farfouillé tous les recoins de la maison en quête des activités possibles avec mes handicaps- ma capacité d’adaptation m’étonne moi- même- tout en testant régulièrement mes capacités d’après l’évolution de mon état. Dans mon joyeux foutoir, il y a forcément toujours à faire. N’avais- je pas réussi à terminer tous ces ouvrages aux pires heures de la maladie ?

    J’ai remué toute la maison en roulant partout avec mon fauteuil, j’ai envahi les tables, les coins, les moindres espaces à ma portée de mes travaux  en pensée, en cours ou en finition. Je réclamais les objets relégués pendant mon absence dans des recoins inaccessibles à ma vue ou mon fauteuil avec une obstination forcenée. C’était ma façon personnelle de dire que j’existais ! Et oui, déjà en deuxième phase. Je vivais et je m’attelais à exister. 

     Mon premier ouvrage fut une boite en boite à peindre.


     

    SeN me l’avait offerte à un Noël plusieurs années auparavant avec un lot de pinceaux et de peinture. Je n’avais jamais pris le temps de mettre en couleur sur pièce le dessin africain auquel j’avais pensé. La première esquisse du projet était prête depuis longtemps, elle était désertique, morte et vide : un village de huttes abandonnées  sur une terre sèche et aride, des armes posées contre la façade (Je mettrai le dessin plus tard dans l'article, l'est emballé quelque part, mince). J’ai poncé le bois et  commencé par les fonds. Une couche, deux couches. Puis j’ai reproduis le dessin initial en gros… Les pinceaux furent à peine dans mes mains que je me suis lancée dans une aventure toute à fait différente de l’initiale, portée par ma vue intérieure quand mes yeux ne voyaient quasiment rien ( 1 et 3 dixièmes respectifs). 

     

    Sous les poils de martre, les couleurs ont explosé, un fleuve s’est dessiné, le village oublia ses armes, trouva un grenier à grains et s’entoura de potager, de culture, de puits. Des personnages en silhouettes vivifièrent le paysage, un homme et deux enfants, deux femmes porteuses d’enfant et de jarres. La lumière et des couleurs chaudes. L’opulence, une explosion de vie. Après le vernis, j’ai habillé l’intérieur de serviettes en papier au vernis colle.

     

     

    Cette boite florissante est devenue la réserve à chocolat.


     

    Je ne pouvais pas faire plus explicite,  ce n’était néanmoins qu’un début

     Je me demande systématiquement en regardant les œuvres de cette époque comment j’ai fait.  Je ne trouve que la voie de mon intuition pour l’expliquer, une voie intérieure, profonde, chaude et puissante. Indicible. 

     


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