• Retour en activités, début 2007.

    Après des mois de chutes et d'incertitudes quant à mes pertes physiques, ma survie, il était temps pour moi de repartir sur les chapeaux de roue parce que le temps est trop précieux pour être gâché et perdu. J'avais du retard à rattraper et une folle envie de me consacrer à la création.

     Ce n'était pas une nouveauté, j'y baigne depuis mes premières années d'éveil et apprentissage : j'ai habillé mes poupées très tôt, amélioré et/ou fabriqué mes jouets dans mon enfance, j'ai cousu mon premier ours au Cp, fais des mètres de collier avec tout ce qui me tombait sous la main ( Ah le séchage des graines de melon et autres fruits ! ) j'ai appris à tricoter à 7 ou 8 ans (premier pull à 11 ans), à crocheter vers 12 ans, fait des mètres de tricotin, réinventé des coloriages, j'ai cousu à la machine mon premier pantalon à 13 ans, j'ai tenté la sculpture (très frustrant) sur marbre, pierre, bois, j'ai scié, assemblé, poncé, j'ai rénové des meubles,  je rêvais de monter des murs et de faire des peintures à l'ancienne, du carrelage, j'ai appris les bricolages élémentaires, j'ai écrit, j'ai dessiné... ; bref, une vie pleine d'activités sans limite.  Le copiage, décalquage des modèles tout faits ne me plait pas, je cherche à comprendre la technique et après, je me lance dans des œuvres inventées de toutes pièces. Si quelqu'un a à m'apprendre, je suis avide et curieuse, tout est bon pour nourrir mes possibilités... parce que ma tête déborde d'idées et de créations. Si cela m'était possible, j'aurai passé tous les diplômes d'artisan : de maçon à menuisier, de peintre à soudeur, de couturière à brodeuse, de céramiste à potier, de verrier à bijoutier, de chocolatier à œnologue... et j'en oublie tant ma curiosité est grande.  Dès que je vois quelque chose, il faut que j'aille y coller mon nez afin de voir comment c'est fait, je pose des questions et je touche. Avec ma vue défaillante, ce n'en est que plus vrai et nécessaire. Je suis également très exigeante, je ne peux me contenter du basique, de stéréotypé, du travail à la chaîne formaté, je n'en suis que plus exigeante envers moi- même et pendant des années, j'ai négligé ce que je faisais. Je donnais ou tournais la page trop rapidement, jetant dans l'oubli et l'indifférence des heures de travail et d'attention.

    Depuis quelques années, je commençais à revenir sur ma médiocrité au regard de la satisfaction que d'autres avaient d'eux-mêmes ; j'ai  ainsi commencé par faire des  photos de ce que je donnais. Avec la maladie, je réalisai qu'il était temps d'en finir avec cette dureté  que je m'auto infligeai, il était temps que je pensasse enfin à moi. A l'hôpital, ma chambre devint le théâtre d'une explosion de création au point que Solange s'exclama en me voyant chaque semaine avec un autre ouvrage que je ne m'arrêtais jamais. 


    Le programme de la journée se chargea vite fait de ces activités ; après avoir rempli mes obligations en kiné, en ergo et psycho motricité, je roulais d'un atelier à l'autre puis à ma chambre afin d'avancer dans mes ouvrages.

    Pendant l'ouverture d'ergothérapie, j'alignai les heures supplémentaires passées à trier et coller de minuscules tesselles. D'abord, je cherchai dans le tas de rebus les petits bouts susceptibles de me convenir ; parfois, je devisai avec l'équipe, de choses et d'autres, parfois, je travaillai en silence, écoutant les conversations. Mathilde passa des heures avec moi et en partant, elle affirma qu'elle n'était pas près de m'oublier tant nous avions partagé. Avec toute l'équipe, nous échangions nos idées et activités, Noémie me prêta des livres et des livres de choses à faire, je pensai déjà à ce que j'allai faire après la mosaïque et à mon retour à la maison. Je me souviens de cet après midi où j'ai passé des heures à trier les petits bouts de couleurs. Quand je crus en avoir assez pour remplir ma partie, j'appelai quelqu'un afin de vérifier s'ils étaient de la même couleur ; Myriam arriva et d'un geste de quelques secondes, les trois quarts de mes petits bouts furent écartés... je ne voyais pas la différence entre bleu ciel, blanc, gris... Arg... c' était rude ! Avant l'atteinte des yeux,  j'avais tellement de goût et de finesse dans les nuances de couleurs, il y avait là une bonne raison d'être en colère contre cette foutue maladie. Je craignais tellement de ne plus pouvoir apprécier les peintures et les couleurs subtiles du monde... Finalement, je repris des boites au coloris unique et cassait chaque tesselle en 9, un morceau faisant donc maximum 2 millimètres de côté... Et oui, quand je dis que je suis folle ! Les ergo n'avaient jamais vu ça et personne depuis n'a réitéré la micro mosaïque.  Je reste dans les chroniques du service.

    Mon travail a duré six mois.


    Dans la chambre, je pus enfin terminer mon premier sampler en patchwork, entièrement cousu à la main, à petits points et uniquement avec des bouts de tissus de récupération. Pour chacun d'eux, je peux vous dire d'où ils viennent et ce que j'ai fait avec le gros du coupon.  J'ai également  brodé le canevas que mon fiston avait réclamé à corps et à cri quelques années auparavant persuadé qu'il arriverait à le faire ; je ne doute pas de sa sincérité, seulement, c'est un garçon et les travaux d'aiguille ne font pas le poids face à des Légos Technics ou des  Mécano. Toutefois, il fut ravi de me voir le lui faire et encore plus ravi que je le lui accrochai dans sa chambre plusieurs mois après. Par ailleurs, la nuit tombée, je lisais l'autobiographie de Casanova parce que c'est un homme de son siècle, celui des Lumières (tiens donc ?), entre culture, raffinement, voyages à travers le monde et rencontres improbables. L'autobiographie ou comment se réapproprier sa propre vie pour en écrire le récit.


    Enfin, je retournai en Adelo où je retrouvai avec le plus grands des plaisirs mon bon ami Michel. Il me raconta comment il avait appris mon hospitalisation à la cantine. Solange y parlait d'une jeune femme très mal en point hospitalisée en ce début d'année. Michel me reconnut et se scandalisa de ne pas avoir été averti ; dans la journée, il avait essayé de me rendre visite mais j'étais descendue au plateau technique et nous nous sommes loupés. Nos retrouvailles n'en furent que plus précieuses.

    Mon paysage imaginaire était terminé depuis Noël et je m'interrogeai sur mon activité à venir. En discutant au milieu des allers et venues du lieu, j'énonçai ma curiosité pour l'aquarelle. Michel me tendit un livre sur le sujet que je feuilletai lentement, malgré mon brouillard omniprésent. Dans les dernières leçons, je trouvai un coq que j'assimilai immédiatement à mon amie Sandrine car elle aime les poules et coqs. Je me mis à l'ouvrage.

    Il avait tellement de succès auprès des visiteurs que je lui accordai ma faveur et je décidai de m'en peindre  un afin de ne pas me retrouver à nouveau sans rien. Le deuxième rencontra le même succès et pour ne pas déposséder Michel et lui rendre un peu de sa générosité, j'en peignis un troisième pour lui.  Ils sont tous identiques et incroyablement différents. L'animation l'un derrière l'autre leur donne une vie étonnante ; ils ont pris une grande signification tant aux yeux de  Michel qu'aux miens. Ces coqs ont marqués les esprits puisqu'il y a quelques jours, lors d'un passage rapide au service de rééducation, nous en avons parlé avec Cathie et Floriane ; il est exposé désormais dans le service.


    C'est en Adelo que je peignis un delphinium à la suite des coqs, toujours d'après ce livre d'aquarelle. D'habitude, je n'arrive pas à peindre des fleurs, il n'y a rien à faire, je finis systématiquement pas me retourner vers les fruits, les feuillages ou les personnages, les paysages. Cette fois-ci, il a été peint à l'attention de toute l'équipe de rééducation. J'en fis une carte où je leur dis mes remerciements et les prénoms de tous y ont été écrits, ceux qui étaient partis comme ceux qui étaient restés, ceux de nuit, ceux de jour, les médecins, l'interne, les infirmiers, les aides- soignants. TOUS.


    Vraiment, mes journées étaient très remplies et certains des visiteurs inopinés trouvèrent ma chambre vide. Quand ils posaient des questions, l'équipe répondait gaiement que j'étais en vadrouille quelque part dans l'hôpital et qu'il était plus judicieux de me chercher aux points stratégiques que d'espérer me trouver tranquillement dans la chambre. Ce furent deux mois d'intense activité au sein d'un petit groupe des plus chaleureux.

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  • Commentaires

    1
    Je transfère
    Mardi 13 Août 2013 à 18:09

    Commentaires

     
    Le travail manuel pour s'aérer l'esprit ;-)
    Rééduquer ses sens petit à petit, pour retrouver du sens
    Moi qui ai deux mains gauches (sauf pour les travaux d'aiguille), je suis assez impressionnée ;-) Bon WE fée
    Commentaire n°1 posté par pandora le 01/11/2008 à 17h17
    Bonjour Pandora,
    Tes mains gauches font des travaux d'aiguille, c'est déjà la preuve d'une sacrée dextérité!
    En plus, elles te permettent d'écrire de si belles jistoires. :)
     Le bout de nos doigts est en liaison directe avec le cerveau. Dans ces maladies, retrouver certaines fonctions est un cadeau merveilleux car enfin, je réalise concrètement combien notre corps est une merveille ouvrant des portes sur des champs infinis.
    :)
    Réponse de fée des agrumes le 02/11/2008 à 10h53
    Finalement, créer quelque chose de ses mains, n'est-ce pas la part la plus importante de notre humanité, et même devant la parole ? Homo faber ?
    Merci de tout coeur, fée, de m'avoir soutenu pour le passage en privilège. J'espère vous montrer ma reconnaissance un de ces jours...
    Commentaire n°2 posté par Abellion le 02/11/2008 à 10h55
    Ne serions- nous pas la seule espèce à créer des choses inutiles? Notre capacité à l'abstraction.
    Créer de ses mains est une expression de soi, profonde et sincère.

    Ce fut un plaisir de vous soutenir dans votre passage.
    :)
    Réponse de fée des agrumes le 02/11/2008 à 11h24
    tout le premier paragraphe me parle énormément, même si je n'en ai pas fait autant ni si tôt, et particulièrement ce passage Si cela m'était possible, j'aurai passé tous les diplômes d'artisan : de maçon à menuisier, de peintre à soudeur, de couturière à brodeuse, de céramiste à potier, de verrier à bijoutier, de chocolatier à œnologue...    rha la la, oui ! combien de vies ???
    c'est fou, quel que soit le sujet que tu abordes, tu me regonfles à chaque fois !
    maintenant ... j'aimerais bien voir des photos de tout cela, hein, notamment la mosaïque !   ;)
    Commentaire n°3 posté par mariev le 05/11/2008 à 10h52
    des milliers de vies...
     et pourtant il n'y en a qu'une seule, unique que combien gâchent en s'enfermant dans la négativité alors qu'ils ont tout pour eux?
    Je ne veux pas mourir rongée par les remords et les regrets.
    Et si je te regonfle , je n'en suis que plus heureuse
    :)
    Réponse de fée des agrumes le 05/11/2008 à 12h05
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