• Grand remue-ménage

     

    « Maman, nous allons ranger TOUTE la maison ! Tu es d’accord ? Là, j’en ai assez de ce bazar! ».

    Tout a commencé avec ces quelques mots du fiston.                                                                          

    Je suis méfiante vis- à- vis de ces déclarations hâtives parce que souvent, elles restent lettre morte. Je sais cependant que quand garçon s’y met, il est excellent homme de ménage. « Tu sais maman, ce n’est pas parce que je ne fais pas que je ne sais pas. J’observe comment tu fais et ce n’est pas compliqué à retenir ». J’avais eu effectivement quelques preuves notamment ce jour où il récura toute la maison en effectuant les huit professionnels du balai consciencieusement et avec une efficacité incroyable. Mon souci est que ces envies ménagères ne sont pas aussi fréquentes que je le souhaiterais et je fais ce que je peux chaque jour, seule, malgré mes fatigues et handicaps. Ce n’est d’ailleurs souvent que du surfaçage puisque j’attends encore et encore cette bibliothèque Napoléon III. Ainsi, l’appartement est encombré de cartons, d’entassements de bric- et de broc destinés à être rangés dans cette bibliothèque et/ ou occupant une place en attente de libérer la place du truc qui irait là et donc plus ici… et bla- bla.

    Et puis, il y a cette évidence : avec ma curiosité insatiable et mes tortillons du ciboulot, j’ai des livres, documents, revues en pagaille, des notes, des classeurs, des boites de bricoles et matériaux d’une multitude de travaux manuels et intellectuels. Et des Cd en nombres insensés (alors que je me retiens). Bref, je n’ai guère un lieu de vie socialement conventionnel, j’ai un immense atelier où à chaque coin, des travaux sont en cours d’élaboration, fabrication, perfectionnement PLUS les trucs machins chouette  à transformer, réparer, adapter. Un gros bazar. Ajoutez-y le propre bazar de mon garçon.

    Autant l’avouer de suite, je déambule dans mon foutoir en fermant les yeux sur ces étalements perpétuels et pète un câble quand vraiment, ça déborde trop. Question propreté, je suis intraitable mais alors question rangement, je me pensais incapable de le gérer jusqu’à ce que je trouve cette remarque fort judicieuse et dont j’ai oublié l’auteur : dans les magazines de décoration, de présentation de maison et appartement, les lieux sont épurés et ordonnés parce qu’ainsi, nous pouvons tous nous les approprier. Nos bazars personnels, familiaux marquent le territoire et empêchent autrui de se représenter personnellement et intimement dans ces lieux. J’en souris jusqu’aux oreilles.  Ces intérieurs impeccables ne sont- ils donc que des façades, des vitrines vides ? Ceux qui s’astreignent à cette rigueur s’interdisent –ils d’occuper le lieu ? A moins qu’ils n’expriment leur souci permanent de l’apparence et du qu’en dira-t-on ? S’interdisent- ils d’exprimer ce qu’ils sont ? En ont- ils peur ? Que jouent-ils dans l’image de leur intérieur ? …

     Je me souviens de ma surprise en croyant trouver chez une poupée tirée à quatre épingles des livres d’art. En les sortant de l’étagère, je restai bouche bée quand je découvris que c’étaient des albums- photos dont la tranche avait été couverte d’une copie couleur d’un livre sur la peinture ; celle- là même s’excusait constamment de la vieille cuisine pas encore refaite. Ou ces gens qui exposent des livres reliés que personne dans la famille n’a lus, qui ne sont touchés que pour dépoussiérage. Ces autres qui ont une cuisine en bois massif immaculée où ils reçoivent les visiteurs alors qu’eux mangent et préparent les repas dans la cave où avaient été descendus les anciens meubles de cuisine. Je n’ai jamais compris ces pièces où tout est millimétré, où il est gênant de s’asseoir, de se mouvoir.  Je suis certainement stupide après tout, non ?

     

    Bref, j’en étais à mon bazar et au ras le bol du fiston. En raison des travers de Devic, j’ai besoin de temps pour envisager des grands travaux, les pauses étant obligatoires. Sans aide, franchement, je ne me lance pas. Avec le travail, la nourriture, la paperasse, l’éducation du fiston, le linge, la vaisselle, le nettoyage Et mes activités, le temps qu’il reste est nécessaire au repos. Néanmoins, la simple idée que quelqu’un soit là pour prendre le relai ou donner un coup de pouce me donne des ailes. Au jour de sa déclaration,   fiston m’aida grandement et ce fut avec joie que je découvris notre salon impeccable en rentrant du travail. Maline, j’ai entamé la valse des rangements de fond : armoire, commode, derniers cartons, placards. Ma chambre par exemple devint un capharnaüm, le couloir un parcours du combattant, l’appartement un champ de bataille. Le lendemain, fiston s’occupa de ses jeux et je me retrouvai seule avec mon dérangement omniprésent. Comme je bougonnais chaque jour plus fort, il m’expliqua : « Je n’arrête pas, je fais une PAUSE. Je reprendrai plus tard. » Mouai. Avec la reprise des cours, je doutais qu’il s’y remît vraiment. Je continuai mes allers- et- venues incessants d’un bout à l’autre de l’appartement avec mes tas de trucs, de boites, de cartons, heureuse de sortir de la maison pour mes heures de travail salarié (Et oui, aussi incroyable que cela paraisse, j’ai cette chance inouïe d’avoir un emploi qui me repose la tête et le corps, qui me ramène à la maison plus heureuse que quand j’en suis partie). Au bout de quatre ou cinq jours de ce capharnaüm, fiston me gronda :

    -        MAMAN !!!! Le salon était rangé et regarde dans quel état il est maintenant!

    -       Oui, oui, je sais ! Seulement, vois- tu, si je range ces trucs correctement dans ma chambre, ça fait de la place pour ces machins qui traînent dans des cartons depuis que nous avons emménagé. Et pour les mettre dans ma chambre, j’ai besoin de ranger mon armoire et les placards du couloir, et puis j’ai aussi mes livres à ranger ENFIN correctement, et mes CD, et les DVD, et les cassettes… et puis… et puis…

    -       M’enfin, moi, je voulais seulement ranger ce qui se voit ! D’accord, Maman, je sais que les commode- armoire- placard- étagères sont à ranger AUSSI, mais là, c’était peut- être trop d’un coup non ?

    -       Ah mais tu connais ta mère !

    -       Oui, quand elle commence quelque chose, il faut qu’elle fasse tout, entièrement et complètement, de suite.

    Finalement, j’ai mis plus d’une semaine. J’ai dormi dans un coin de lit, j’ai slalomé dans le couloir, la salle de bains, d’une pièce à l’autre, déplacé quelques meubles tout en continuant à gérer le quotidien, les visites, les pannes de chaudière, le linge, le bastringue quotidien, le boulot.  Et Ô MIRACLE, j’ai (presque) tout rangé !

    Je suis particulièrement fière de mon armoire à travaux manuels où chacune des activités a désormais sa boite avec étiquette de repérage.

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    Les tissus et pelotes de laine sont rassemblés dans des housses plastique sous- vide (sans aspirateur, je me suis étalée dessus au mieux afin d’en extirper le max d’air),

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     les chutes de tissus sont dans un énorme sac dans le placard

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    et dans un coin de ma chambre, j’ai mis tous les raccommodages/ transformation/ arrangements à faire urgemment ! (Certains attendent depuis des années).

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    J’ai pu aligner plusieurs étagères de livres constatant toutefois que le manque de la bibliothèque reste criant, les cassettes, dvd et cd sont rangés, les derniers cartons du déménagement ont disparus ou sont rangés dans les placards.

    Fiston n’en revenait pas quand, au soir, tard, j’ai pu nettoyer tous les sols… sauf ceux de sa chambre qui, elle, n’a pas bougé d’un iota.

    Quelle aventure !

    Je n’en voyais pas le bout, éreintée par la tâche, le sentiment d’être condamnée à ranger les lieux telle une Danaïde. Et malgré tout, j’ai réussi.

    «  Le comble, ce serait que l’ébéniste m’appelle maintenant pour me dire que la bibliothèque est terminée et qu’il peut me la ramener prochainement » m’exclamai- je à mon garçon hilare. Parce que cela voudrait dire recommencer chambardements et déplacement ! Bien que…  Le gros ouvrage ayant été achevé, il nous/ me sera plus aisé de la  remplir. Déjà les idées, dans ma caboche, fourmillent pour faire de notre intérieur un lieu adapté à notre mode de vie.

     En l’occurrence, je ne vis pas sous la tyrannie des murs, je ne suis pas à la solde des apparences, des modes, j’investis les lieux où que je sois, malgré mes déménagements incessants et mes locations sans propriété.  Systématiquement, j’adapte l’aménagement intérieur à notre poésie. Est- ce pour cela que nos visiteurs se sentent si bien chez nous ? Envers et contre tous les principes habituels, nous accueillons chaleureusement. Combien de maniaques de l’ordre se sont sentis si tranquilles dans nos bazars ? Je ne saurais le dire.

    Enfin, ces péripéties expliquent les jours sans écriture d’autant que le fiston en vacances accapare l’ordinateur aux heures où l’envie me prend de m’asseoir devant l’écran. Maintenant que se termine l’écriture de cet énième long article, je songe à cette réflexion récurrente qui me poursuit depuis des années : dis- moi comment tu te meubles, organises ton foyer, je te dirai qui tu es.

    Le champ sémantique de notre mobilier tient en  tables, bureaux, armoires- commodes- placards- buffet, étagères- bibliothèques, chaises, pas de canapé ou fauteuil, un vague futon où nous ne nous asseyons pas, pas de télévision, les lits n’y sont que par nécessité (J’ai souvent réfléchi à des montages, structures, aménagement pour les rendre moins envahissants ou du moins plus pratiques avec nos piles de bouquins, BD, doc ou disques qui s’étalent alentour). J’en ai croisé qui transforment chaque espace libre en salon ou chambre à coucher, d’autres qui affichent du standing dans les lieux publics et se réservent la pire médiocrité dans l’intimité, certains qui tirent la maniaquerie jusque dans les moindres détails (plutôt acheter cher le truc qui ira avec le tout- de la voiture à la poussette en passant par la serviette de toilette- que de risquer un élément non aligné et ce jusqu’à jeter des cadeaux), celle- ci qui refuse toute fioriture et chasse la moindre saleté par peur du jugement d’autres, elle qui n’a pour horizon que son intérieur ou celle- là dont j’ai entendu tant de critiques sur son incapacité à garder un intérieur propre parce qu’elle privilégiait ses bêtes et dont je découvrais des armoires lumineuses d’ordre, de propreté avec du linge de grande qualité, choyé et parfaitement entretenu. Une multitude de choix de vie quotidienne. Enracinés, en transit, attachés aux apparences, au passé, aux habitudes, à des souvenirs, nomades modernes, coincés, névrosés, bricoleurs, extravertis, à la merci de papa-maman ou du qu’en dira-t-on. Comme les livres que nous lisons, nos foyers sont les reflets de ce que nous sommes, de ce que nous vivons, de nos ensorcèlements du monde.

    Allez, zou, je retourne à mon bazar, joyeusement.

     

     

    Epilogue :

    Impressionné par l’organisation de mon armoire à travaux manuels, mon garçon se demanda s’il n’allait pas jeter toutes ses affaires au milieu de la chambre afin de mieux ranger ses moindres recoins. Alors que j’eus l’envie de hurler « NOOON ! Pitié ! Surtout pas ça ! », je restai calme et lui démontrai simplement qu’en posant des étapes claires, il lui serait plus facile d’arriver au bout de sa tâche. Il m’écouta silencieusement puis réfléchit quelques instants. «  Oui, tu as raison. Me connaissant, je risquerais de tout mettre en vrac et de me décourager devant la quantité à ranger. » OUF !  Tant qu’à faire, je préfère de loin le chantier actuel plutôt que des grands travaux interminables.  

    « Le destin, Youssef Chahine.Préambule et prologue, récurrence. »

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  • Commentaires

    1
    Je transfère
    Vendredi 16 Août 2013 à 21:21

    Annie:

    chacun son originalité pour ses raisons propres, qui ne sont pas celles des autres.

    Celui qui a besoin d'intérieur impeccable par souci de ce que d'autres pourraient en dire fait ce choix, c'est son organisation propre, il reflète son parcours, son histoire, son intérieur... Donné- je l'impression de dire autre chose et notamment de juger? Mince.

    Il n'empêche que je me suis pris bien des jugements à la figure sur ma façon de vivre et je ne savais pas en ces temps- là que ces juges parlaient d'eux- mêmes.J'ai cherché à comprendre le pourquoi de leur réaction à mon/ notre égard et j'en suis arrivée à me dire qu'eux aussi, dans leurs comportements avaient de quoi se poser des questions bien au delà de la simple "moralité/ normalité- etc"'. Heureusement, désormais, j'ai des clefs.

    Vois- tu, moi non plus, je ne peux pas faire de grands travaux, j'ai besoin de temps et plutôt que de me rendre malade, j'accorde sa place au bazar par respect pour moi- même. Petit à petit, j'y arrive.

    Quant à la mise en commun, la façon dont elle s'opère est évidemment très représentative de ce qu'il se joue entre les deux parties. j'ai connu les chasses- gardées, il n'est plus question d'en revivre. Te connaissant, je suis certaine que c'est une belle voie de  partage et d'avancée, ensemble. 

    A bientôt

    Réponse de fée des agrumes le 11/03/2011 à 21h32
     
     
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