• De mes folies, première boite.

    Lors de mes séjours prolongés en hôpital, j’ai profité pleinement des séances d’ergo et des phases Adelo entourée de personnes épatantes : Lorette, Maud, Michel, Myriam, Noémie. Avec elles, pas la peine de s’étendre sur mes difficultés, elles proposaient, je faisais et si je coinçais, elles étaient là pour m’accompagner… et non faire à ma place.  De nombreuses conversations dans les services portaient sur mes activités diverses et variées avant la maladie ou encore sur mon obstination à continuer celles à ma portée malgré la chute incessante et la perte de la vue. Parce que oui, je le dis sans peine, le plus douloureux pour moi a été de perdre la vue. Avec celle de perdre l’usage de mes mains, c’était ma plus grande peur et inévitablement, je suis tombée dedans allègrement. La psychanalyse a désormais donné du sens à ces peurs et c’est avec ironie que je les regarde à postériori. Reste que je suis folle  et pour mes vieilles connaissances, ce n’est pas une découverte liée à la maladie.

     Jusqu’à 14- 15 ans, j’étais enfermée en moi- même, figée par des souffrances non dites  puis, j’ai explosé contre l’écrasement que je ressentais. Alors, pendant des années, j’ai survécu en m’agrippant au moindre crochet trouvé avec plus ou moins de bonheur et de réussite. Il y eut des choix malheureux et des expériences très malsaines. Pourtant, malgré les aléas terribles de la vie et de mes choix inconscients, je n’ai jamais cessé instinctivement de trouver des solutions à mes comportements morbides récurrents. L’une des voies choisies a été la création de bric et de broc.

    La problématique permanente de la précarité matérielle a empêché des expressions telles que la musique, la danse ou quelques autres techniques spécifiques, j’ai fait selon les moyens du bord et je compensais le manque d’argent par l’ingéniosité et la débrouillardise. C’est devenu un choix de vie en sobriété heureuse.  Comme je le disais déjà ici, je passe des heures à apprendre des techniques, je suis affreusement curieuse et quand enfin je comprends comment quelque chose fonctionne, je fonce à l’aventure, incapable de me contenter de copiage.

     Au retour de l’hôpital en mars 2007, l’entreprise de démolition précédente avait permis de laisser la place à le reconstruction grâce notamment aux progrès médicaux. Dans mon auto destruction programmée de long cours, inconsciemment, la dernière phase était contredite par cette chance inespérés et je saisis par instinct cette pulsion  vers la vie. Etrangement, ce fut dans les pires situations que j’avais une chance incroyable. J’ai joué avec le feu trop longtemps dorénavant, je ne me malmène  plus mais avant de brûler les étapes, je reviens à cette explosion de création au retour à la maison.

    L’oxygène des rencontres et des travaux à l’hôpital m’avait droguée, je me fermai aux tumultes de la maison et des relations toxiques en m’engouffrant dans l’interne de mon âme consolidée par les rencontres des derniers mois.

     Dans un premier temps, j’ai farfouillé tous les recoins de la maison en quête des activités possibles avec mes handicaps- ma capacité d’adaptation m’étonne moi- même- tout en testant régulièrement mes capacités d’après l’évolution de mon état. Dans mon joyeux foutoir, il y a forcément toujours à faire. N’avais- je pas réussi à terminer tous ces ouvrages aux pires heures de la maladie ?

    J’ai remué toute la maison en roulant partout avec mon fauteuil, j’ai envahi les tables, les coins, les moindres espaces à ma portée de mes travaux  en pensée, en cours ou en finition. Je réclamais les objets relégués pendant mon absence dans des recoins inaccessibles à ma vue ou mon fauteuil avec une obstination forcenée. C’était ma façon personnelle de dire que j’existais ! Et oui, déjà en deuxième phase. Je vivais et je m’attelais à exister. 

     Mon premier ouvrage fut une boite en boite à peindre.


     

    SeN me l’avait offerte à un Noël plusieurs années auparavant avec un lot de pinceaux et de peinture. Je n’avais jamais pris le temps de mettre en couleur sur pièce le dessin africain auquel j’avais pensé. La première esquisse du projet était prête depuis longtemps, elle était désertique, morte et vide : un village de huttes abandonnées  sur une terre sèche et aride, des armes posées contre la façade (Je mettrai le dessin plus tard dans l'article, l'est emballé quelque part, mince). J’ai poncé le bois et  commencé par les fonds. Une couche, deux couches. Puis j’ai reproduis le dessin initial en gros… Les pinceaux furent à peine dans mes mains que je me suis lancée dans une aventure toute à fait différente de l’initiale, portée par ma vue intérieure quand mes yeux ne voyaient quasiment rien ( 1 et 3 dixièmes respectifs). 

     

    Sous les poils de martre, les couleurs ont explosé, un fleuve s’est dessiné, le village oublia ses armes, trouva un grenier à grains et s’entoura de potager, de culture, de puits. Des personnages en silhouettes vivifièrent le paysage, un homme et deux enfants, deux femmes porteuses d’enfant et de jarres. La lumière et des couleurs chaudes. L’opulence, une explosion de vie. Après le vernis, j’ai habillé l’intérieur de serviettes en papier au vernis colle.

     

     

    Cette boite florissante est devenue la réserve à chocolat.


     

    Je ne pouvais pas faire plus explicite,  ce n’était néanmoins qu’un début

     Je me demande systématiquement en regardant les œuvres de cette époque comment j’ai fait.  Je ne trouve que la voie de mon intuition pour l’expliquer, une voie intérieure, profonde, chaude et puissante. Indicible. 

     

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  • Commentaires

    1
    Mercredi 5 Août 2009 à 17:34
    Annie
    En ergothérapie à l'hôpital, moi je faisais de la rééducation de mes mains paralysées. Mais cependant j'y ai découvert autre chose: tout ce qu'il y avait de créatif en moi. Certaines personnes se contentent d'une vie en copier/coller des autres, sans imagination, sans mouvement, ce n'est pas un mal, c'est une liberté. Et d'autres ont besoin d'évoluer dans cette vie, et c'est également leur liberté.
    Bonne soirée!
    2
    coq
    Jeudi 13 Août 2009 à 18:57
    coq
    C'est fou ce qu'on peut être capable de faire sans s'en rendre compte... Le fait qu'après coup tu te dises "mais comment j'ai fait?" me rappelle nos débuts, avec Panda. Il parlait vraiment mal le français, et avec le recul je me demande "mais comment on a fait pour se comprendre?" Mais voilà, le fait est : on s'est compris! Et le fait est que tu as fait toutes ces oeuvres! Comme quoi nous pouvons bien plus que ce que nous croyons... suffit de laisser aller le corps et l'instinct...
    3
    Dimanche 23 Août 2009 à 18:59
    DcommeDom
    J'adore cet article, autant pour cette envie de dévorer la vie que pour ta créativité. Ce village africain qui devient vivant, c'est magnifique. J'admire la performance mais plus que tout, j'admire ta détermination à enfin goûter ta nouvelle vie.
    4
    Lundi 24 Août 2009 à 12:15
    DcommeDom
    Chance ? C'est une vue de l'esprit, je ne crois pas que tout le monde appellerait ça comme ça. En tous cas, tu as recouvré la vue, une bonne vue. ;-)
    5
    fée des agrumes Profil de fée des agrumes
    Mardi 13 Août 2013 à 18:05

    A Annie:

    Liberté et responsabilité ne sont- ils pas les maîtres mots de nos existences?
    Réponse de fée des agrumes le 07/08/2009 à 10h00

    A Coq:

    Exactement, le corps et l'instinct! Nous les négligeons trop souvent dans nos volontés de contrôle.
    Réponse de fée des agrumes le 13/08/2009 à 22h59

    A DcommeDom:

    1.

    C'est que j'ai eu une chance incroyable!
    Réponse de fée des agrumes le 24/08/2009 à 11h55

    2.

    Comme me l'a joliment dit une camarade de CNV, les yeux physiques se sont fermés, et les yeux intérieurs se sont ouverts... c'est beau heim??
    Réponse de fée des agrumes le 31/08/2009 à 22h06
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