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Chimiothérapies en perfusion.
Terme communément associé aux cancers, ce traitement est également utilisé contre d’autres maladies dont les scléroses. Au regard de l’évolution rapide et radicale de mon état, elle a été envisagée en trois mois. Après le protocole de mise en place du traitement, j’eus ma première perfusion en octobre 2006. Ont suivi huit mois de chimio en intra- veineuse que mon corps a encaissé laborieusement.
La première, Endoxan a été catastrophique. Je sentais le poison glisser en moi et la déconfiture généralisée qui s’en suivait m’anéantissait peu à peu. A la première perfusion, je ne tenais plus debout, à la seconde, plus assise. Devant mon état dégradé, Gilles m’envoya voir le professeur de Sèze qui préconisa la mitoxantrone.
Celle-ci fut radicale en janvier 2007. Rapidement, j’avais senti l’arrêt du désordre interne, l’agitation figée subitement engendrant un état oublié de calme physique. Mon pied bougea au bout de quelques semaines, je pus me remettre debout avec l’aide des kinés. En mars, je rentrais à la maison puisque capable d’effectuer mes transferts. En avril, nous plaisantions avec quelques amis sur la coïncidence : « Ce serait drôle que tu remarches pour Pâques » ce qui ne manqua pas d’arriver. En mai, j’utilisais deux béquilles, en juin, une seule, en juillet, je titubais vaillamment sans rien. Apre combat que j’abordais à bras le corps, mue par une pulsion de vie puissante nourrie de l’efficacité du traitement. Pourtant, ce fut loin d’être une partie de plaisir, les perfusions s’accumulaient frappant à chaque coup en bazooka comme l’exprima Gilles.
Deux mois environ furent nécessaires à la mise en place d’Endoxan ; du retour brutal d’août à la première perfusion, j’attendis patiemment avec les séances de rééducation en bonne compagnie. Pour la mitoxantrone, ce fut plus rapide entre le rendez- vous chez Jérôme de Sèze le 22 décembre et la première perfusion courant janvier. Il est vrai que mon état se dégradait presque de jour en jour et l’urgence était évidente afin d’éviter au maximum des séquelles irrémédiables et leurs handicaps consécutifs. Ce fut néanmoins un calvaire et la mort me sembla souvent libératrice sous le flot des douleurs et souffrances qui me submergeaient, mon horizon se limitant à atteindre le soir ou l’aube en ultime victoire.
Je ne connais pas les subtilités administratives de ces processus. J’ai entendu parler de demande spécifique d’autorisation avec explicitation de la prescription à justifier, j’ai subi les examens préparatoires où de nombreux points sont vérifiés afin d’éviter des prises de risques trop importantes, j’ai signé des autorisations et certificats justifiant ma connaissance des risques potentiels à recevoir ces traitements (leucémie, malformation cardiaque et autres réjouissances). C’est du lourd.
Avec la mitoxantrone, prise de sang et échographie cardiaque étaient obligatoires avant l’administration du produit. A l’obtention de l’accord, suivait la procédure, constante : préambule de cortisone avec son régime sans sel ni sucre (beaurkk et j’avais faim !), mitoxantrone bleue puis liquide de rinçage. Le traitement passait en un ou deux jours.
Sous ce récit anodin se cache une réalité plus conséquente dont j’ai déjà évoqué quelques aspects dans des articles précédents (voir l’historique du chapitre et la maladie de Devic…). Heureusement, le contact avec les infirmiers était plaisant, les chambres attribuées agréables majoritairement et je n’ai pas souffert de violences institutionnelles. Il reste qu’au cours de pires mois de la maladie, j’étais totalement dépendante du bon vouloir des personnes alentour et quelques concours de circonstances avaient l’amertume cruelle de mon impuissance à ne pas être tributaire d’autrui. Personnel surchargé, pressé et contrariétés diverses occultent régulièrement le soin et la préoccupation du patient. J’ai passé outre refusant d’entrer dans des conflits personnels alors qu’il s’agit de dysfonctionnements logistiques consécutifs à des choix budgétaires.
A la première perfusion, ayant expérimenté les inondations du lit consécutives au radical produit de rinçage malgré des protections géantes, je demandai une sonde permanente en neurologie. Solange n’appréciait pas, j’y gagnais toutefois un grand confort d’autant que les infirmières de ce service n’avaient pas connaissance de la consigne des cinq sondages journaliers. Dès que je pus me déplacer seule, je repris la course répétée aux toilettes où je déversais mes urines bleues. Ce n’était guère aisé tant que mon corps restait peu mobile parce qu’il était question d'impériosités, transferts, déshabillage, sondage et rhabillage ; heureusement, au fur et à mesure des progrès, je pus gérer cette contrariété de plus en plus facilement. Restaient que mon stock de sondes ne suffisait pas à ce rinçage, que les sempiternelles infections urinaires empoisonnaient mon quotidien avec son lot de fuites imprévisibles. Je chapardais régulièrement des alèses pour le lit, des protections dont j’emmenais quelques exemplaires à la maison où ces achats pesaient sur nos budgets, nos poubelles et nos relations. Si un jeune enfant apprend la propreté avec l’humidité de sa couche, je vous garantis que de baigner dans son urine que ce soit au lit, dans ses vêtements ou sur son fauteuil est une sensation plus que désagréable. D’abord chaude, elle glace le corps, en refroidissant. Rapidement, au contact de l’air, les odeurs deviennent obsédantes. L’achat des protections est coûteux, les poubelles en débordent, le sac de change volumineux puisqu’il importe de songer constamment aux protections, au matériel de nettoyage du corps et des vêtements de rechange. Rapidement d’ailleurs, je me suis penchée sur des alternatives en parallèle d’une volonté infaillible de retrouver mes capacités tâtonnant laborieusement avec les solutions médicales et mes propres expériences de rééducation de mes sphincters.
A partir de mars 2007, je supportais les allées-et-venues en ambulance. Une heure pour arriver, une heure pour rentrer, minimum. Parce que la mitoxantrone est une chimiothérapie, elle fait connaître lentement ses effets secondaires. Les nausées, le malaise général ne s’arrangeaient guère sur les routes vallonnées et sinueuses du retour. J’arrivais souvent anéantie, assommée et incapable de supporter l’ambiance électrique de la maison, les cris, les critiques, les reproches, les pleurs. Je me souviens par exemple d’une arrivée vaseuse. La coiffeuse était là pour nous arranger fiston et moi, je passai la première laborieusement et finalement accélérai la coupe afin de me coucher au plus vite, éreintée. Rien que la lumière me fatiguait.
Si je ne vomissais pas, ne supportais pas de diarrhée, j’avais, au fur et à mesure des perfusions, un mal au cœur sourd et permanent, diffus, sournois. Montaient les nausées et grandissait la faiblesse généralisée dans les jours suivants la perfusion. La fatigue était récurrente, surtout lorsque je n’avais pour seul horizon que les murs de la maison et la vue par la fenêtre. Je n’oublierai pas ce jour où ma voisine est venue me chercher pour marcher, prendre l’air ; elle était éberluée quand arrivée au premier croisement de notre rue, je demandai à m’asseoir, épuisée. J’avais marché tout au plus 50 mètres.
Mon sommeil n’était pas réparateur. En plus des levers habituels pour les toilettes, j’étais réveillée par de grosses gouttes de sueur perlant sur mon front, le haut de mon corps ou un frisson lié à l’eau inondant mes draps. Je transpirais des litres comme jamais. Trois, quatre, cinq, six fois par nuit, je me levais, me lavais, me changeais, changeais les draps. Entre lit et fauteuil.
Mon visage, quant à lui, se creusait. Ma peau pâle en devenait presque transparente, mes sourires se teintaient souvent d’une profonde lassitude. Au regard des photos de ces mois-là, je le constate simplement. J’avais pourtant le cœur plein d’entrain, une rage de vivre et de reprendre le cours d’une vie « normale ». Les sorties à l’hôpital, en rééducation, en ergothérapie étaient salvatrices et j’y pétillais joyeusement. Celle- ci, par exemple a été prise par Michel en Adelo : je lui avais fait la surprise de me lever du fauteuil et de marcher vers lui avec les béquilles. J’étais fière et nous étions heureux, ensemble.
Le vœu d’une épilation intégrale ne se réalisa pas et la mitoxantrone ne me fit pas devenir chauve. Par contre, ce fut au moins la moitié de ma chevelure qui tomba. Longs, plats et mornes, mes cheveux accentuaient ma triste mine et il y en avait partout, dans les moindres endroits, volant ou s’agglutinant dans quelque coin, rapidement. L’hécatombe.
Au fil des prises de sang et des perfusions, le corps finit par se rebiffer et mes veines crièrent leur ras- le-bol. Elles filaient, roulaient, refusaient de se laisser prendre. Souvent, plusieurs infirmiers s’y essayaient laborieusement. Tentative au creux du coude, sur le dos de la main, au poignet… J’en avais marre serrant les dents, les muscles se crispant malgré moi. Mon tempérament frileux n’y aidait pas et il m’arriva de m’asseoir devant le radiateur les bras posés au plus chaud afin de dilater des veines récalcitrantes. Il était préférable d’en plaisanter de toute façon.
Il y eut rapidement l’arrêt des règles. Si ce détail laisse supposer un gain de confort notable, j’appris grâce à Colette, homéopathe que ce phénomène permet aux femmes d’évacuer les tensions accumulées. Quand elles s’arrêtent, les tensions se logent ailleurs et dans mon cas, ce furent la nuque et le bas du dos. Une séance d’acupuncture me les fit ressentir lors de leur déblocage, clic clac, elles s’étiolèrent lentement, momentanément.
Heureusement, je bénéficiais des traitements d’accompagnement préconisés par Colette. Elle travaille en oncologie et connait les produits, leurs conséquences. Consciencieusement, je prenais mes granules, mes gouttes, mes herbes afin de diminuer les nausées, les conséquences sur le foie qui déguste en particulier, je soignais mes infections orl ainsi que mes récurrentes infections urinaires. Si les effets paraissent discutables à certains, je sentais que ce soin personnel avait sa raison d’être dans mon parcours, c’était ma part exclusive et libre, mon choix propre.
Je récupérais, c’était indéniable. Mon corps luttait, obstinément, je résistais, m’accrochais, insistais, recommençais et recommençais en cas d’échec, je déployais une résistance et une énergie phénoménales. Tous ceux qui me soignaient s’en étonnaient bien que ce fût normal à mes yeux. Courage, volonté, opiniâtreté, rage de vivre et de s’en sortir, naturellement, instinctivement. Tous, à ce que j’ai entendu, ne font pas le même choix.
Parallèlement au combat physique, je continuais la déferlante psychanalyse remuant les vieilleries et les systèmes malsains d’une vie fourvoyée en travers inconscients et autres détours auto destructeurs. J’entamais ces grands travaux à bras le corps et en cette période si lourde à encaisser physiquement et psychiquement, j’avais besoins de calme, de repos, de sérénité.
Malheureusement, l’ambiance chez nous était empoisonnée. Lentement, les possibilités de la maison éclataient à mon regard aveugle, peurs et angoisses prenaient le pouvoir, enclenchaient des batailles et des tranchées, des enjeux de pouvoir écœurants. Souvent, je me retrouvais entre les tirs de SeN et de fiston, les repas étaient un calvaire, mes tentatives maladroites de reconstruction sur d’autres modes relationnels restaient lettre morte et chacun s’enfermait dans son camp. Les silences lourds étaient entrecoupés de batailles à haut cris, gestes violents et brouhaha. Reproches, rancunes, pleurs, incompréhension… Je cherchais mon oxygène quotidien dans les sorties à l’hôpital entre perfusion, rééducation, ergothérapie et séances de psychanalyse, car en ces lieux existaient des liens authentiques et enrichissants, partagés.
Les perfusions cessèrent en juin 2007. Je remarchais maladroitement, j’étais plus autonome. Ces récupérations physiques me permettaient plus d’assurance et doucement, je décidai de reprendre en main ma vie par- delà la simple survie.
En juillet, une page se tourna avec la fin des séances de rééducation à l’hôpital, désormais, une autre s’ouvrait.
Tags : perfusion, corps, premier, fut, traitement
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Commentaires
Commentaires
Que dire? T'envoyer des milliers de bises, ma consoeur en douleurs.
C'est que nos corps ont dérouillé.
Grosses bises à toi aussi!
Chère Chrystelle, c'est douloureux de te lire....... je pense à la chanson "c'était un petit cheval blanc....il est mort dans un éclair blanc.... mais quelle renaissance ! contente de te voir en photo. le visage sur les mots. Gina
Si tu farfouilles, tu trouveras d'autres images.
L'éclair blanc a été celui de l'initiation et de l'ouverure des yeux pour moi. Ouf!
J'ai le souvenir de toi, à la démarche vacillante, quand tu entrais dans le jardin, la première fois que tu vins me rendre visite après ta sortie d'hôpital. Je me souviens de la joie sur ton visage et aussi de mon agréable surprise à te voir marcher. Et je me souviens aussi de ta grande dignité. Je ne t'ai quasiment jamais entendue te plaindre pendant toute cette épreuve et après.
Oui, je me souviens de ton visage! C'est étrange, ma vue était si basse et mes souvenirs sont clairs.. sauf quand j'ai réalisé que je ne voyais pas. Peut- être que mon cerveau reconstruisait les images pour ma mémoire?
Vois- tu, chaque moment agréable était salvateur. A la maison, c'était tellement insupportable que mes renconcontres positives étaient une immense joie, une recharge d'oxygène.Dans ces moments- là, je vivais mes bonheurs pleinement.
C'est une preuve de courage que tu nous donne à tous
Je suis moi même atteinte de la maladie de Devic et il faut avouer que ce n'est pas toujours facil
Le courage est ce qui nous fait avancer, tu en es la preuve vivante
L'envie d'avancer est ce qui doit nous maintenir à la superficie. J'ai été ravie de te lire
A+
Heureuse de te trouver parmi nous Marie Ange! A bientôt j'espère, ici, sur le forum, ailleurs.
Salut à tous
C'est un plaisir de communiquer avec ceux qui peuvent comprendre
Quand on en parle aux autres, l'on ressent des expressions de compassion de pitié, qui en tout cas à moi, ne m'e,ncourage pas beaucoup
C'est tout récent encore pour moi aussi et l'adaptation n'est pas très facile
L'Endoxan ne me convenait pas, j'ai eu quand même une autre inflammation à la moelle épinière puis quelques mois après au nerf optique
On m'a allors changé au Rituximab cet été, avec 4 cures suivies, mais des sequelles sont restées. Les douleurs musculaires aussi
Les effets secondaires sont différents -pas de chute de cheveux- mais sur les intestins, la vessie, les dents.. La fatigue constante incluse
Ce sont les à côté de la vie
A+
J'espère que tu vas t'exprimer sur le forum afin de partager ton vécu.
C'est plus que bienvenu de rencontrer, même virtuellement, d'autres qui comprennent sans avoir à s'étaler sur les explications. Nous avons dans nos expériences respectives des infos, des trucs, des tuyaux à partager. En plus, quand la nouvelle et la maladie éclatent à la figure, c'est bénéfique de savoir que d'autres vivent leur vie malgré tout.
Si la maladie est vécue seul, l'isolement est à proscrire! Nous sommes déjà si peu nombreux et bien des amalgames se font dans la tête de ceux qui ne sont pas concernés de près.
Dans la maladie, il y a un important cheminement qui s'opère.
A bientôt sur le forum alors?
Je ne suis pas une habituée des Forums
Je ne sais pas trop comment ça marche non plus
Ce qui est intéressant c'est bien sûr de pouvoir partager ses expériences, de savoir écouter (ou lire dans ce cas) celles des autres aussi
Bon j'essaierai
A+
Tu as très bien ouvert la danse! Bravo!
Bonjour
Toujours un peu tourmentée quand même. Quelqu'un sait-il si l'on peut avoir une aide quelquonque ?
Que ce soit administrative ou par la MDPH
Je n'arrive pas á tout faire par moi même et sans travailler, il est difficile de survivre !
Merci
A + tard
Tu peux déjà commencer par t'adresser à l'hôpital où tu es suivie. Il y a peut-être -au minimum- un service social qui pourra t'accompagner.
Sinon, c'est vrai que la MDPH peut être un interlocuteur intéressant... Seulement, c'est comme tout le reste, un combat de longue haleine et il règne beaucoup d'hypocrisie dans notre société sur la prise en charge des personnes malades, handicapées.
je t'écris par courriel.
A bientôt