• Déconvenues, 2e épisode : voiture.

    Préambule.

    J’avais acheté ma première voiture grâce à un mini héritage en 2002. En septembre 2005, une jeune femme emboutit tout l’arrière. J’attendais de repartir à un bouchon, elle arriva trop vite et glissa sur la chaussée mouillée. Ce concours de circonstances malheureux fut sans gravité puisqu’il ne s’agissait que de tôle, nous en fûmes néanmoins tous bons pour des séances d’ostéopathie et j’entrai sans le savoir dans un processus infernal. La voiture partit à la casse et je me retrouvai dépendante du bon vouloir de SeN quant à mes déplacements. A cette époque, je vivais dans ce petit village isolé, 12 km pour trouver une boulangerie ou un commerce. Je travaillais sur plusieurs sites distants de 13, 26 et 40 km, jonglant de l’un à l’autre souvent sur une même journée. N’ayant accès à aucun moyen commun et flexible, j’avais besoin d’une voiture.

     Complètement ignorante dans ce domaine, je comptais sur lui pour trouver une bonne occasion. « Il est si exigeant sur ce point qu’il saura faire au mieux. » pensais-je. Nous nous débrouillâmes en gestion des déplacements. Pour le travail, il n’y eut pas de souci, il me prêtait sa voiture pendant qu’il prenait la deuxième de son père et ce système me convint à peu près (j’étais terrorisée à l’idée d’être jugée responsable d’une rayure ou saleté sur son cher bolide). J’étais persuadée que ce n’était que du provisoire, que je pouvais patienter quelques semaines, voire un ou deux mois en attendant.  Il me proposa de temps en temps quelque voiture, plus ou moins contraint et sans enthousiasme, incapable de me dire ce qui valait la peine d’être acheté arguant que c’était à moi de choisir (comment puisque je n’y connais rien ?) d’autant qu’il est très méfiant.

    Rapidement, mes loisirs et visites passèrent à la trappe, insidieusement. Si je voulais sortir, il me conduisait selon son bon vouloir autant dire que j’entamai l’enfermement dans cette baraque. Un étau se serrait, je me voyais foncer dans une voie sans issue. Impossible de mettre des mots en ce temps-là, c’était seulement de floues impressions désagréables auxquelles je n’arrivais pas à donner du sens, incrédule.  Après quelques mois de cette ambiance, j’eus le sentiment de devenir folle. J’étais en prison, affreusement seule, démunie luttant en Don Quichotte. Vainement.  En météo clémente, je pouvais évacuer mon mal-être à travers bois et champs à pied, à vélo mais je connaissais tous les sentiers alentour, c’était un errement perpétuel, sans découverte, morne. Un jour de pluie interminable, je n’y tins plus et me mis à courir autour de la table de la salle à manger pendant une demi- heure. Devant cette résistance inconnue, je commençai l’entraînement à la course de fond avec l’aide de mon amie Sandrine. Maigre échappatoire. Au chapitre voiture, s’ajoutèrent l’impasse de l’enfant mort- conçu, les enjeux de territoire, l’absence de projets, les querelles, les enfermements diffus. Je m’épuisais dans le travail, le sport en fuite devant ce qu’il m’était insupportable d’affronter.

     Clio.

    A la fin de l’hiver 2006, nous allâmes chez un revendeur dont il avait vu plusieurs annonces. A l’arrivée, je remarquai une Clio à mon goût, dernier modèle de l’ancienne génération avec toutes les options de l’époque et surtout confortable ! (Je ne supportais plus le tape- cul dur de son bolide).  Il rechigna, critique, j’en avais tellement marre que je persistai. La rencontre avec le revendeur fut plaisante en ce qui me concerne, il avait l’air honnête. SeN, lui, restait constamment méfiant. Malgré son amertume, je l’achetai du haut de mes tout petits moyens. Après une semaine, elle fumait. Nouvelles salves de critiques en contrariété. Le vendeur la reprit et fit faire les réparations nécessaires sans demander un surcoût bien qu’elles fussent importantes, je ne m’étais pas trompée sur son compte.  Je récupérai la  voiture deux semaines plus tard. Quelque fût la météo, elle démarrait ; je n’avais aucun souci alignant les kilomètres en plus grande liberté. Pourtant, elle perdait de l’huile.  Il pesta contre la nuisance dans le garage, je m’inquiétai de pollution et de dangerosité. Très vite, je le signalais au revendeur qui me donna les coordonnées du garage qui avait effectué ces travaux : «  Allez- y, ils regarderont tout ça et feront le nécessaire, c’est sous garantie ». Naturellement, je demandai à SeN de m’y accompagner, c’était à 45km, la voiture y resterait plusieurs jours, j’avais besoin de quelqu’un pour me ramener. Pendant des semaines, il recula, évita, refusa sous mille et un prétextes, pestant contre cette voiture qu’il n’aimait pas. Je rongeais mon frein, ruminais ; nous arrivâmes au printemps, à avril 2006… et la maladie déboula en cataclysme. La garantie se perdit dans les limbes du temps.

    Evidemment, je comprends que l’urgence n’était pas à la voiture au regard de notre situation et tant que la mort rôdait toute proche, je ne me souciais plus que de loin de ces fuites. Néanmoins, il s’avéra rapidement que les déplacements dans le bolide m’étaient insupportables. La moindre secousse, le moindre coup me torturaient, je vivais un calvaire dans cet engin malgré les  coussin et couverture pour amortir. En outre, mes fuites urinaires étaient la peur absolue, je risquais de souiller les fauteuils. L’usage de la Clio devint une nécessité. Pendant trois ans, nous l’utilisâmes et pendant trois ans, elle continua de perdre son huile. D’abord paralysée, ensuite mal- voyante, je ne pouvais m’en charger et je sollicitai SeN incessamment afin de régler cette histoire. Il y eut peut- être un changement de joint, je ne sais pas vraiment, toujours est- il que quand je partis l’année dernière, la fuite persistait et dans mon esprit tordu et malveillant, je jugeais SeN responsable.

    Par un concours de circonstances (le lâcher-prise !), je rencontrai un mécanicien réparant les voitures en solidarité à ceux auxquels il fait confiance. Je lui présentai la Clio. Etat général correct, quelques réparations d’usure à effectuer mais rien de grave… hormis cette abominable fuite dont il se chargea urgemment. SeN assura les frais à hauteur d’un devis qu’il avait demandé à un garagiste en son temps. J’étais soulagée.

    Alors que je voulus changer disques et plaquettes de frein, la fuite était réapparue ; mon mécanicien préconisa de remplacer une pièce tordue et forcée puisque la précédente réparation s’avérait insuffisante. D’accord. Je revins vers SeN qui hurla au téléphone contre ma malveillance, mes relances insupportables et l’honnêteté douteuse de mon mécano. A sa demande, je fis faire un devis dans un garage agréé, ils en vinrent aux mêmes conclusions que mon mécano avec d’autres mentions plus sérieuses éventuelles à vérifier.  La deuxième réparation fut opérée. Je troquai la main d’œuvre, il restait les pièces à payer. Ne me faisant guère d’illusion, j’envisageais de supporter la somme, enragée par un sentiment d’injustice.

    Après trois jours, tous les voyants d’huile s’allumèrent, la voiture fuma et je rentrai péniblement en pleine nuit avec fiston la peur au ventre. Mon mécano constata que l’huile s’était perdue, le joint avait sauté, tout était à refaire. Il se chargea de venir remorquer le véhicule jusque chez lui afin d’y remettre le nez expliquant qu’il ne comprenait pas ce qu’il se passait, qu’il n’avait jamais vu ça, que cette voiture lui sortait par tous les trous… Un ami expert automobile à que je racontai le long parcours confirma les diagnostics et les choix consécutifs de mon mécano, un tuyau quelque part dans le moteur devait être bouché, provoquer une surchauffe et exploser le joint, les réparations en 2006 n’avaient certainement pas été suffisantes.  Après ces diagnostics à plusieurs, l’idée de changer de voiture me fut proposée. « Je n’ai pas les moyens et je ne veux pas prendre un crédit qui me coûtera plus cher sous prétexte que j’ai une maladie chronique évolutive. » Mon mécano proposa de regarder pour une bonne occasion… ou de changer de moteur. Un copain d’une casse en qui il a confiance saura en trouver un, 300 euros valent mieux que 3 à 4000.

    Je relatai l’aventure à SeN  que j’estimai responsable de ne pas avoir réglé cette histoire alors que la voiture était sous garantie ; ce fut abominable . J’étais à la peur de me retrouver dans une situation matérielle dangereuse à cause d’une voiture, il était à celle de se faire gruger, voler, arnaquer. Finalement, il lâcha 80 euros à contre cœur et tourna les talons furieux. Je laissai tomber définitivement.

    Refusant de mettre la pression à mon mécano honnête et bienveillant, je lui laissai champ libre : « Ne vous en faîtes pas, je me débrouille. ».

     A la découverte de soi.

    Et effectivement,  fiston et moi nous débrouillons comme des chefs.

    Mes tentatives à pied furent instructives. La distance parcourue de cette année fut la multiplication par deux de celle de l’an dernier. Bien sûr, je dus m’arrêter à mi parcours et appeler fiston à la rescousse pour le retour du panier plein mais j’étais ravie de constater mes progrès physiques. Sur ce, se renforça l’idée étrange que mes jambes allaient bien et que c’était le poids du corps sur elles qui me fatigue tant ; j’en vins donc au vélo. Mon garçon découvrit en râlant la joie d’être autonome avec le sien, je lui fis la preuve que nous avions beaucoup de possibilités. J’achetai des sacoches, fis faire les révisions et réparations nécessaires aux deux véhicules et en avant pour l’aventure ! Je fais les courses, les marchés, rends des visites, transporte des marchandises volumineuses, à vélo. Nous allons au Médiabus et à deux reprises déjà, j’ai effectué les 5.9km jusqu’à mon cours de danse à vélo (11 km sur la route et une heure de cours mouvementé, belle performance n’est- ce pas ?). Quand c’est possible, je pratique le covoiturage joyeusement ou prends le train. Je m’attèle pareillement et vaillamment à promouvoir l’autopartage ; sur un forum local, j’ai lancé et relancé l’idée. Or, il est apparemment plus aisé d’avoir des réponses sur le nombre de poissons pêchés le weekend que d’obtenir des réactions à ma proposition. Opiniâtre, je ne m’attarde pas à ces silences, Valie m’a d’ailleurs donné d’autres idées d’information que je compte bien mettre en œuvre.

    Depuis, un moteur d’occasion a été trouvé pour 200 euros, la réparation est en cours ; en froide saison, la voiture viendra nous soulager  et nous sommes heureux de pouvoir bientôt visiter nos amis plus éloignés. J’ai toutefois prévenu fiston, le vélo restera important dans nos déplacements quotidiens aux jours de météo clémente.  

    En conclusion.

    Comme la maison aux multiples possibilités, la voiture a été le terrain  d’un affrontement malsain, chacun y jetant son histoire intime et diffuse : incapacité à prendre des décisions, peurs de mal faire, de mal choisir, d’être trompé ou volé, manque de confiance en soi, fuites (et oui, ça ne s’invente pas), incapacité principalement à vivre le couple dans un projet partagé, commun en raison d’angoisses profondes, de répétition de relations du passé non réglées. Comme les articles sur la maison aux multiples possibilités, celui-ci peut me valoir hurlements et menaces. Tant pis. Celui qui choisit de se mettre en colère fait ce choix- là, cela lui appartient, il en a le droit. De mon côté, je continue ma réflexion sur ce qui nous tenaille et conditionne nos vies, malgré nous, à travers les éléments anodins du quotidien.

    Contrairement à la maison, je n’ai pas eu besoin de me défaire de la voiture. Par manque de moyens financiers ? Prétexte écran parce que je pourrais mobiliser certaines sommes, je n’en ai cependant aucunement envie. Le règne de la voiture individuelle que l’on possède me dégoûte et je suis en quête d’alternatives. Il est notable de constater que grâce à cette mésaventures, j’ai pu rencontrer des êtres bienveillants et solidaires. A vivre dans la méfiance et la peur, nous nous enfermons et attirons inévitablement l’arnaque et le danger. En lâchant prise, en ayant une confiance sincère en la vie, j’ai ouvert les portes à d’autres univers.  

     

    Plus globalement, ces déconvenues électriques et mécaniques permettent de relativiser les notions d’essentiel et de nécessaire. L’an dernier, lorsque la chaudière était en panne pendant près d’une semaine, en plein froid, là, il était indispensable d’accéder à ce « confort » parce qu’il était indispensable et nécessaire de ne pas avoir à greloter dans un appartement à 10 degrés maximum en permanence, à ne pas se laver à l’eau glacée. Grille- pain, appareil à raclette, aspirateur ne sont pas indispensables, la voiture remplaçable avec une organisation différente du quotidien. Dans ces contrariétés, nous avons le choix entre la créativité, l’initiative, la confiance et la peur, l’angoisse de ne pas arriver à gagner assez d’argent pour pouvoir acheter telle ou telle chose, de manquer, de perdre, d’être exclu, rejeté, marginalisé.

    Après tout, nos choix quotidiens sont les reflets de la société à laquelle nous adhérons, consciemment ou non, par accord tacite ou non. Leurs répercussions vont bien plus loin que ce que nous pouvons imaginer.

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  • Commentaires

    1
    Je transfère
    Vendredi 16 Août 2013 à 20:05

    Commentaires

     

    Je pense qu'avoir une voiture n'est pas nécessairement "mal" au sein de la société: tout dépend de l'usage qu'on en fait, de combien de personnes elle transporte.

    Pour moi elle est indispensable, je n'ai pas assez d'autonomie pour la marche. Même quand j'habitais en ville je l'utilisais car je suis rapidement au bout de mes forces.

    Je ne vais pas pour autant culpabiliser. Pourquoi ne pas penser que dans quelque temps la voiture électrique, ou autre, moins consommatrice d'énergie et moins polluante, existera?

    Je ne me vois pas penser "abondance" en tout  sauf dans ce domaine là. Et je demeure persuadée que nous avons tous droit à cette abondance et qu'elle serait possible si nous savions partager.

    Bisou du soir!

    Commentaire n°1 posté par Annie le 30/11/2010 à 19h57

    La question n'est pas de savoir si c'est bien ou mal, si toi ou quiconque a à s'en défaire je crois. La question est de penser notre société autrement avec d'autres systèmes et d'autres moyens. l'homme peut aller dans l'univers, scruter les micro-organismes, pourquoi n'invente t-il pas des moyens de transport non polluants ou une autre façon de vivre?

    D'ailleurs, je crois savoir que la technologie des voitures à eau ( hydrogène?) existe, personne ne l'exploite, ne le développe... enjeux de pouvoir via le pétrole, le nucléaire et consort.

    Dans l'abondance aussi, il y a une réflexion à avoir quant à sa nature et ses composants.

    Réponse de fée des agrumes le 01/12/2010 à 15h35
     

    Chrystelle, Ce chapitre résume assez bien la symphonie de galères que tu as parcourues ces dernières années. Je remarque aussi que ton compagnon qui fut la caricature même du mâle, égoiste, distant, et coincé dans ses idées reçues et surtout son manque de confiance en la vie, en son fils(un autre chapitre), en toi, en tout quoi ! Comment ne pas tomber malade dans ces conditions. et la "maladie" est peut-être la porte qui s'est ouverte pour toi. Pour pouvoir progresser plus vite sur ton chemin. mais je continue sur mail.......

    Commentaire n°2 posté par le petit cinématographe le 01/12/2010 à 14h12

    Il a tellement peur, manque cruellement de confiance. En son temps, j'ai trouvé en lui le moyen de rejouer un travers de mon parcours.Danse infernale. 

    Ma vie n'a pas été facile, la maladie est arrivée après moult épreuves mais je ne pensais pas que le corps lâcherait. Bonne leçon. J'investis ma vie différemment et me sens tellement mieux depuis... Dommage d'avoir à passer par tant de douleurs et de souffrances.

    Que dire si ce n'est que c'est ma vie.

    Réponse de fée des agrumes le 01/12/2010 à 15h43
     

    Tiens je reviens sur " les moteurs à eau ". les premiers à l'avoir découvert ont mystérieusement disparu. Aussi l'inventeur du moteur Pantone, a diffiusé gratuitement et largement les plans sur la planète afin de se protéger, on peu le trouver sur le site " on peu le faire ", voir sur les liens de mon blog. et à faire passer.

    Commentaire n°3 posté par le petit cinématographe le 01/12/2010 à 16h28

    Oukilest le lien sur ton blog? j'ai pas trouvé...

    Réponse de fée des agrumes le 01/12/2010 à 16h58
     

    c'est très mal foutu, c'est juste en haut des articles, tu as autarcie, p.rhabi etc;...

    Commentaire n°4 posté par le petit cinématographe le 02/12/2010 à 11h27

    J'ai trouvé.. et je connaissais

    Réponse de fée des agrumes le 07/12/2010 à 14h44
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