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Tâtonnements en peinturlure.
Avril- mai 2007
Après les chandeliers, je voulus expérimenter une nouvelle technique : le shabby chic. Il s’agit de frotter avec une bougie ou du savon de Marseille un support en bois brut peint ou non, de repeindre par-dessus puis de frotter avec de la laine d’acier ou un papier de verre. Par ce procédé, l’objet prend un aspect vieilli et usé qui me paraissait intéressant.
Premier essai sur une petite commode à suspendre.
Déjà vernie, j’eus la paresse de la décaper et la ponçai mollement espérant obtenir un résultat correct à moindre effort. Ce fut une catastrophe. L’incompatibilité évidente avec le vernis acrylique acheva l’expérience et je reléguai le tout dans un coin du bazar.
Nouvel essai sur un pot à crayon.
Il était en bois brut, ouf. Par un grand mystère de l’inspiration, je le fis en vieux rose. J’y peignis en expérience également des motifs vénitiens XVIIIe siècle, fleurs et oiseaux, me fiant à des modèles photocopiés des années auparavant. Mouai… Le résultat ne me satisfit guère, il manquait de personnalité. J’étais prête à tout recommencer d’une main rageuse quand un autre y trouva son compte et je lui donnai.
Frustrée par ces tentatives peu probantes à mes exigences, je farfouillais la maison en quête d’une autre aventure quand subitement, dans l’aveuglement physique de ces mois cruels, j’eus une étincelle.
Au fond d’un tiroir plein à craquer (renforcé par mes soins depuis belle lurette, évidemment), je cherchai une grande toile de jute achetée presque vingt ans auparavant. A l’origine, elle était prévue pour être agrémentée de laines et fils passant au travers et habiller ainsi le verso de boucles. J’avais commencé après l’achat et abandonné rapidement devant l’immensité de la tâche principalement de la recherche des laines aux couleurs adaptées. En outre, la technique ne me semblait pas solide, le risque de voir les laines se détacher rapidement après un long travail ne m’enchantait pas. Je l’avais négligée des années au cours desquelles je fus tiraillée entre agacement et défi en la redécouvrant au hasard des farfouillages dans les tiroirs : « Un jour, je trouverai une solution ! ». Bloom, j’y étais ENFIN : j’allais la peindre à l’acrylique !
La barrière limitative du choix des couleurs était vaincue ; entre les bases et les mélanges s’offraient des possibilités infinies. Ni une ni deux, je commençai par étaler la toile sur le sol de mon atelier afin d’en avoir une idée générale.
Le motif de base était une vague représentation égyptienne antique, un homme et une femme échangeant des plantes sur un fond quasi vide. Dans un souci d’authenticité, je me plongeai derechef dans un de mes livres d’histoire de l’art consacré à ce thème. Triomphante, je trouvai entre ses pages l’origine de ce grossier dessin : Toutânkhamon offrant des fleurs à sa jeune épouse. Super! J’avais glissé là cette photocopie lors de mes années d’université avec certainement l’idée de m’en inspirer plus tard et je l’avais oubliée. Aussitôt, je remplis, affinais les tracés de la toile de jute à partir de cette inespérée trouvaille et étudiai les couleurs sur les pages imprimées du livre. Verts, orange, jaunes et bleus se structurèrent spontanément d’autant que la couleur de la toile nécessitait des choix en harmonie avec elle également. Je jonglais au fur et à mesure des coups de pinceaux entre les couleurs de base vives et des mélanges pris au hasard. Je me suis notamment régalée à nuancer la couleur des peaux, le blanc rosé des fleurs, les dégradés de vert sur les feuillages, les subtilités des tissus, en particulier celui de la femme que j’avais transformé, la robe d’origine étant trop maladroite à mon goût. J’investis le décor en opulence pareille à celle de la boite à chocolat ; je les entourais, les habillais, les maquillais, leur donnais des teintes vives. Mon garçon s’y pencha également, curieux de la gymnastique et de la concentration que me demandait cette tâche ; ce fut lui qui me fournit le tube de peinture dorée en relief dont j’ignore complètement l’origine.
Dernièrement, il me surprit, trois ans après, en évoquant les deux femmes au bas du tableau : celle de droite est maquillée, parce que de meilleure naissance que celle de gauche, simple paysanne. L’épisode l’a marqué, véritablement.
En ces mois du printemps 2007, j’étais en fauteuil roulant. Les perfusions de mitoxantrone portaient leurs fruits et il m’était aisé d’effectuer les transferts seule. Je ne tombais ni ne glissais plus, il m’arrivait régulièrement de me laisser aller sur le sol et d’y évoluer à quatre pattes, maladroitement tel un quadrupède nouveau- né, ne craignant surtout plus de ne pouvoir remonter. Certes, ce n’était pas facile, j’y mettais concentration, volonté et force, repoussant mes limites à leur extrémité, perpétuellement en test de mes capacités reconquises ou à conquérir. En l’occurrence, cette toile fut peinte de la sorte, sur trois pattes ma main étant occupée à poser les couleurs entre traits, remplissages et mélange. Ma mémoire garde le souvenir des douleurs dans le dos, les bras, les jambes, les fourmis grouillant sur les appuis et les articulations ; elles ne m’arrêtaient pas, je pensais uniquement à mon objectif. Je faisais des pauses, étirais mes membres, remontais dans le fauteuil pour renouveler l’eau du pot, nettoyer ma palette, mes pinceaux, prendre du recul, écouter le corps et lâcher bénéfiquement l’attention.
Je garde également en mémoire l’agacement qui fut mien devant les remarques régulières sur les débordements éventuels de mes peintures à travers la toile malgré mes journaux au sol. Pestant parfois, ignorant souvent, je fis obstinément la sourde oreille.
Etrangement, alors que je ne voyais que très mal, les souvenirs visuels sont précis, lumineux. La grandeur de la toile (110x146) était à l’échelle de mes capacités ; habituellement occupée aux minutieuses précisions des pinceaux fermes et souples, je découvrais par la force des événements le plaisir du travail en grande surface avec des brosses larges et épaisses, drues pour pénétrer suffisamment les fibres de jute.
SeN fit un cadre où je tendis la toile au mieux et dorénavant, je lui cherche une place d’honneur où que je vive parce que je suis fière de ce barbouillage à grande échelle. J’ai beaucoup appris grâce à cet ouvrage, il parle de moi en cet instant, de ce que j’ai fait de mes faibles moyens, de mon tempérament, de ma lutte permanente à profiter pleinement de ce que la vie offre furtivement. Envers et contre tout.
Tags : toile, couleur, j’etais, fut, egalement
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Commentaires
Et oui, je commence le boulot à 6h, donc, debout à 5h :D Mais j'espère que ça ne durera pas... C'est ce qu'on appelle un boulot alimentaire. 2-3h par jour, c'est pas énorme mais ça aide à vivre mieux...
Et ouiiiii, encooooooore des photos de tes oeuvres :D (les culinaires sont sympas aussi)
Ouaouhhhhhhhh !
J'aime beaucoup ta toile !
Tu me la prêteras pour ma salle de classe ?????
Tu sais, pour les l'art.dons des autres, et puis moi aussi bien sûr,
histoire d'apporter de la lumière dans un monde parfois sombre dans leurs vies aussi.
:-)
Gros bisous à ma fée préférée, et puis, en avance, une bonne fête pour demain !
Bonjour Fée des A rts, eh bien en commençant à lire la petite histoire , je m'attendais à un truc du genre, pot à crayons. mais pas du tout, les tons sont recherchés, et comme d'habitude le souci du détail qui te caractérise. C'est vraiment d'un rendu extra eh oui il doit être accroché maintenant, te rappelant cette période à la fois sombre et lumineuse. novembre 2010 BONNE soirée. gin
A Latan:
1. t'es mignonne et MATINALE!! Si tu veux un pot à crayon vénitien, fais- moi part de tes doléances et je m'en chargerai avec plaisir.J'ai toute une réserve de productions sous le pouce, elles parlent de l'évolution de ma vue et de mon petit parcours intérieur, tu en auras pour tes yeux.
belle journée
Réponse de fée des agrumes le 27/05/2010 à 11h03
2. Scroumpff, j'ai beaucoup de retard avec mes chroniques miam miam! Pô facile de suivre tout ce qui me passe par la tête
Bonne chance pour le boulot!
Réponse de fée des agrumes le 27/05/2010 à 21h51A Galatée:Merci Galatée, belle fête à toi aussi!!Réponse de fée des agrumes le 29/05/2010 à 10h49
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Je n'ai qu'une chose à dire... et c'est super profond: Waouw :D Je n'ose imaginer ce que tu peux faire quand tu es en pleine possession de tes moyens :D Cela me fait penser à ces artstes magiques qui ont/avaient un handicap apparemment incompatible avec leur art... Je n'ai en tête que Beethoven, mais bon :D
Moi, j'aime bien le pot de crayon, tu m'en fais un quand tu veux lol Mais le pauvre ne serait pas mis à l'honneur dans mon bordel... Hum.
Bonne journée l'ensorceleuse... Je commence bien la mienne avec ton petit article...