• Rencontre à l’IFSI.

    A notre dernière entrevue, Solange m’avait proposé d’intervenir auprès d’élèves infirmiers en première année, dans le cadre d’une unité de valeur de leur examen portant sur le handicap, la maladie chronique au quotidien. J’avais accepté, enthousiaste.

    Lors des échanges téléphoniques préliminaires avec l’école, j’eus quelques indications générales : le thème avait été étudié en cours, des recherches en amont demandées avant l’entretien, je n’avais qu’à me présenter rapidement, répondre aux questions, échanger avec les élèves. La promo de 160 élèves étant divisée en groupe de trente environ pour les cours  non magistraux, nous étions plusieurs intervenants.

    Les semaines passèrent, je ne m’en préoccupais outre mesure, m’interrogeant vaguement sur ce que j’allais dire.  La réflexion engendrée par l’écriture du blog se révélait particulièrement intéressante dans ce contexte, l’esprit clair, les problématiques définies, les illustrations et explications ordonnées.

     

    Jeudi dernier, je me jetai allègrement dans l’inconnu, ravie de l’aventure, confiante et nullement intimidée.

     Intervenants et enseignants se retrouvèrent à l‘accueil puis chacun partit vers son groupe. Je me retrouvai dans une grande salle, petit amphithéâtre dont les tables avaient été repoussées. Deux, trois chaises vides faisaient face à celles occupées par les étudiants, en demi- cercles. Grand bonjour en entrant avec le sourire, petite remarque sur la solennité de l’agencement, je cherchai mes marques et naturellement, je me coulai avec aisance dans le contexte. En préambule, j’expliquai que je ne pouvais rester longtemps assise ou debout, que j’avais besoin de bouger ; je posai mes affaires et englobai d’un regard mes interlocuteurs. Après mes prénom et âge, d’emblée, je pris le contre- pied de ce qui leur avait été annoncé : non, je n’ai pas une sclérose en plaques mais une maladie ou syndrome de Devic, maladie rare du système nerveux central touchant le nerf optique et la moelle épinière.  

    J’expliquai ses caractéristiques, ses particularités, le parcours pénible coutumier des personnes atteintes d’une rareté,  le cataclysme qu’elle avait provoqué dans ma petite existence, l’idée de tumeur initiale qui m’avait acculée à l’éventualité d’une mort rapide «  Non, non, ce n’est pas possible, je ne peux pas mourir maintenant, j’ai encore tellement de choses à régler ! », la prise de conscience de ma finitude,

    « - La finitude ?

    - Oui, parce qu’il y a mourir et il y la finitude. A notre mort, le cerveau meurt avec tout ce que nous sommes, ce que nous avons appris, expérimenté, ressenti. Chaque être qui meurt, c’est un monde, un univers entier qui meurt. Nous survivons dans le souvenir de nos proches, dans ce que nous avons transmis et peu à peu, lentement, s’installe l’oubli définitif. »

    le corps qui s’échappe à grande vitesse, la perte de mes jambes, de ma vue jusqu’à cet état terrible de janvier 2007, le rétrécissement de mon environnement jusqu’à l’extrême où ne compte plus que la présence de quelqu’un serrant la main,

     la mitoxantrone, bénéfique qui permet le ré élargissement de mon monde, la rage de vivre, de ne plus rien gâcher, de jouir pleinement de ce que la vie offre, ici et maintenant,

    l’impact sur l’entourage, les bouleversements internes engendrés par le choc, la psychanalyse,

    « Dans ce cataclysme, j’ai rencontré quelqu’un et ce quelqu’un, c’était moi »

    la douleur, la souffrance, l’incompréhensions de certains médecins, la violence institutionnelle subie,

    « Les meilleurs traitements du monde et les progrès de la médecine indéniables ne valent qu’avec la prise en compte de la globalité de l’être, de sa profonde humanité. »

    la beauté des rencontres avec d’autres, mon ami Boris, la force du lien, l’humanité si puissante,

    « Nous ne sommes rien sans le lien à autrui. Nous tous ici avons été confrontés à des épreuves, si nous sommes encore vivants, c’est que nous avons trouvé quelque part, en quelqu’un la force de continuer à vivre. »

    les notions de besoins, d’empathie,

    « Soyons empathique avec autrui en comprenant que l’agressivité, l’amertume, le désarroi sont les reflets de besoins insatisfaits qui n’ont pas à voir avec nous ; soyons surtout empathique avec nous- même. »

    le handicap, les adaptations, le quotidien en aveugle physique et aux capacités réduites quand à l’interne, l’acuité est vive et la marche entamée,

    « Comment recevoir si nous ne demandons pas ? Chaque fois que j’ai sollicité de l’aide, dans la rue, au supermarché, ailleurs, personne n’a refusé et ils me donnaient avec joie. »

    En vrac, ordonné ou plus fouillis, je racontais ma perception de cette épreuve, de ce qu’elle avait engendré en moi, des conséquences collatérales à la maladie, aux handicaps,  l’importance du ici et maintenant, la méditation, le Qi Gong.  

    Pèle- mêle de ce que j’ai exprimé dans le flot de mes pensées. Pointillé au hasard de ma mémoire.

    En condensé, j’ai relaté ce qui jalonne ce blog, au gré des circonstances et de la ligne générale de mon récit.

      J’observais les visages, les postures, répondis à quelques questions. Devant leur silence, je les interrogeai à mon tour sur leurs impressions, invitai à l’ouverture la plus grande démontrant mon absence de tabou. L’enseignante elle- même restait silencieuse. Je revins à leurs préparations, elles se révélèrent totalement obsolètes : «  Nous pensions à un récit du type j’ai droit à … et j’ai…, à des questions très terre à terre et finalement, vous nous avez emmenés complètement ailleurs, dans l’ordre de l’humain, du philosophique ». J’insistai à nouveau, taquine, une étudiante demanda à me prendre dans ses bras ; évidemment, chaleureusement je l’accueillis. Je vis des larmes couler d’émotion, c’était fort. « Je ne suis pas venue pour vous faire pleurer, je suis là pour vous rappeler de ne jamais douter de l’humain qui est en vous. Si j’ai pu  apporter quelque chose à quelques uns parmi vous, j’en suis comblée. Je suis là pour offrir ; accepter ou refuser ne relèvent pas de moi, c’est à vous de choisir, à votre convenance.»

    L’enseignante dit que j’emplissais l’espace de ma présence, par mes gestes ouverts et amples, que je vibrais d’émotions intenses qui touchaient au cœur, qu’avec mon témoignage, je donnai une réalité palpable aux théories enseignées en cours. Etonnant pour une personne à la faille narcissique si profonde, remarquai- je en boutade.

    Suivit un partage de délicieux gâteaux au chocolat, de boissons que je dégustai avec joie. Peu vinrent vers moi, nous échangeâmes  toutefois rapidement deux ou trois points plus pratiques dans le registre d’une vie avec le handicap, du fossé existant entre les discours et la réalité parce que je n’étais pas là pour occulter ces travers de la société. Le groupe reprenait ses affinités et non affinités habituelles pour des conversations plus feutrées, il semblait cependant que chacun avait à digérer ces heures partagées. Des idées fusèrent pour relater l’expérience aux autres groupes (suite du travail demandé aux étudiants) ne pouvais- je carrément revenir ? , que chacun s’exprime et non pas seulement quelques uns… Je répétai simplement l’accueil que je gardais à quiconque désirant me contacter. En fin de goûter, un étudiant proposa de monter un projet vidéo autour de mon témoignage après les partiels, cet été ; une dizaine de camarades s’y rallièrent. L’entrevue était prévue sur deux heures, je suis partie au bout de trois ; certains m’accompagnèrent jusqu’à ma voiture, nous nous échangions des remerciements mutuels chaleureux sous un ciel lumineux. Je réalisai à peine ce qu’il se passait, toute à ma joie d’avoir été pleinement à ma tâche.

     

    Aujourd’hui, à l’écriture de cet article, je ne suis pas certaine d’avoir réellement pu exprimer ce qu’il s’est passé. J’ai offert sincèrement, authentiquement mon expérience en partage répétant à l’envi le libre choix de chacun à l’accepter ou non. Pourquoi d’ailleurs y suis- je allée ? Répéter combien la vie est précieuse, fugace et fragile, revenir à l’essence de notre humanité, (ap)porter l’espoir, dépasser les clivages, prôner la tolérance, l’humanisme… Incarner le changement que je souhaiterais voir dans le monde (citation de Gandhi). Que sais- je ?

    Maintenant, ma curiosité est titillée à l’idée de découvrir ce que les élèves en feront.

    Affaire à suivre.

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  • Commentaires

    1
    Je transfère
    Jeudi 15 Août 2013 à 21:05

    Commentaires

    Tu penses comme je suis touchée et d'accord avec ce discours!

    Cependant, j'ai une autre vision de "l'après-vie" qui change considérablement la vision globale. J'ai eu à faire avec ma propre vie s'échappant et celle de mon fils qui s'est échappée, et pourtant j'ai cette foi en la Vie qui se pousrsuit au delà de la mort, qui, elle, au sens spirituel, n'existe pas.

    Bisous du jour!

    Commentaire n°1 posté par Annie le 29/06/2010 à 10h35

    Que je t'envie cette foi... J'avoue que je suis très "matérialise" en ce qui concerne notre fin.

    Réponse de fée des agrumes le 29/06/2010 à 17h48

    Ca, j'imagine qu'ils ont d'abord été silencieux, les étudiants ! Y'a une expression très poétique qui exprime l'état dans lequel ils devaient être : ils étaient "sur le cul"! C'est que c'est pas si souvent qu'une petite bonne femme vient leur parler de ce qui est vraiment essentiel dans la vie !

    Commentaire n°2 posté par Coq le 29/06/2010 à 12h05

    J'espère pouvoir montrer la vidéo ici quand ce sera prêt!

    J'ai oublié tellement d'autres choses dans cet article; quelques uns étaient plus loquaces, j'ai néanmoins le chic de dérouter et d'emmener ailleurs. Pleine de surprise la petite fée héhé !

    Réponse de fée des agrumes le 29/06/2010 à 17h50
     

    Je suis d'accord avec Annie, et tu connais mon opinion sur le sujet de l'après-vie. Je ne vois même pas l'intérêt de naitre, de vivre, d'apprendre s'il n'y a rien après la mort. Tout est vain, autant crever tout de suite pour s'éviter des souffrances inutiles. Rien ne vaut plus la peine.

    Commentaire n°3 posté par Magali le 29/06/2010 à 19h56

     Ben oui, je la connais ton opinion.

     

    Réponse de fée des agrumes le 29/06/2010 à 21h29
     

    trop forte la fée ! c'est une chance pour ces étudiants et pour les patients dont ils auront à prendre soin, d'avoir à entendre un aspect plus humain, humanisé, d'une personne confrontée à une maladie dévastatrice mais qu'il existe aussi un chemin de pensées............................. je suis intriguée par cette vidéo à venir !

    Commentaire n°4 posté par valie le 30/06/2010 à 23h30

    Je la mettrai sur le blog quand elle sera prête avec l'accord des élèves.

    A bientôt ma belle noctambule

    Réponse de fée des agrumes le 01/07/2010 à 22h20
     

    Bon, ben, deux Magali qui ont un peu les mêmes idées sur la Mort :D Waouw.

    Sinon, c'est bien ce partage. Si ça peut aider les élèves... Mais surtout et très concrètement, leurs futurs patients. J'aime bien les chaînes comme cela. Tu aides qlqn, qui du coup aide qlqn, qui...

    J'ai pas les idées très claires, mais merci pour ce témoignages...

    Bonne journée enchanteresque

    Commentaire n°5 posté par Latan le 04/07/2010 à 14h16

    C'est que nous sommes tous reliés.

    Réponse de fée des agrumes le 05/07/2010 à 13h39
     
    Wow, chouette billet, merci de partager vos conseils et je "plussoie" cette opinion. J'insiste, votre billet est réellement très bon, très instructif... PS : Bonne continuation et longue vie à votre site !
    Commentaire n°6 posté par streaming film le 16/07/2010 à 15h54

    C'est quoi ce commentaire?

    Réponse de fée des agrumes le 17/07/2010 à 12h11
     

    Bonjour Fée des agrumes,

    je ne me lasse pas de parcourir les pages de ton blog, en totale adhésion avec tes idées et ta magnifique philosophie de vie.

    C'est une chance pour des étudiants de découvrir une vraie personne derrière une patiente, et comme tu l'écris avec beaucoup de justesse: "je ne suis pas une maladie". CQFD! Ceux qui auront capté le message auront appris beaucoup avec toi ce jour là...

    J'espère avoir le plaisir de visionner cette vidéo. A bientôt!

    Flo

     

    Commentaire n°7 posté par Florence B. le 16/09/2010 à 14h32

    Coucou Flo,

    Les pauvres étudiants sont débordés par leurs études je crois puisque je n'ai pas de nouvelles hormis des échos par ci par là. Notamment: " Vous nous avez envoyé un sacré numéro!" s'est exclamée la prof à Solange!!

    Peu importe, ce qui compte c'est l'énergie qui circule.

    L'une des étudiantes m'a d'ailleurs dit: " je ne rentrerai plus jamais dans une chambre d'hôpital de la même façon désormais"Que pouvais- je demander de plus?

    A bientôt

    Réponse de fée des agrumes le 16/09/2010 à 21h31
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