• Quitter.

     Pour chacun de mes logements, j'ai évoqué leur ensorcellement ( voir la catégorie Dévidoirs et réglements de contes).

    La maison aux multiples possibilités se révéla empoisonnée et avant d'être malade, déjà j'envisageais de la quitter. Après l'illusion de dévouement pendant les épreuves terribles qui nous frappèrent, j'ouvris les yeux; elle devint le symbole d'un enfermement. Une prison sans issue, sclérosante, déprimante, mortifère non parce que les coups de sort l'avaient rendue telle mais bien parce que d'entrée de jeu, elle était une impasse. Le refus de l'adapter à mes handicaps, le refus d'envisager la vie sous d'autres angles fut un traumatisme dont j'ai longtemps ignoré la portée; la colère qui m'habita n'en était que le cri. L'idée de partir entama sa course lente. Mon amie Babeth l'entendit et me proposa rapidement la visite du logement que quittait sa sœur: de plain- pied, accessible, portes des toilettes et salle de bains élargies, de la place. Je m'y rendis un jour de pluie. 4 pièces mal agencées aux dimensions douteuses, des murs biscornus, des portes à n'en plus finir... Je ne m'y sentis pas très bien, quelque peu amoindrie. Toutefois, la vie avec SeN devenait tellement pénible qu'un appartement pas terrible m'était préférable. Contre tout présupposé, je remplis les demandes de logement social. Peu de revenus, seule avec un enfant, malade, handicapée, sans soutien familial, j'avais toutes les bonnes excuses pour me soumettre au destin, je ne suis pourtant pas de cet acabit. Le logement fut attribué à une famille et un autre me fut proposé. Fiston était à la visite et envisagea de le prendre; je le refusai, les fenêtres de petites chambres donnaient sur le parking, à hauteur des voitures.

    L'attente dura plusieurs mois et l'ambiance devint insupportable. Je profitai de la moindre occasion pour échapper à cet enfer mais ne pouvant conduire, j'étais tributaire de mes chauffeurs et covoiturages. SeN d'ailleurs partait seul pendant des heures en vadrouille ou chez ses parents, ne supportait plus notre présence au point que je le sentais près de nous mettre dehors. Je regardais les annonces de location, les prix du privé étaient effrayants, mes revenus incapables de supporter de telles exigences. Je n'avais aucune aide.

    Enfin, après deux ans, j'aperçus une offre de logement social sur la toile et relançai mes démarches; étonnamment, dès lors, les propositions se multiplièrent! Et que du beau:

    trois pièces riquiqui, quatre pièces avec une centaine de marches, bel appartement avec vue sur le parking et les poubelles... J'étais désespérée d'autant que j'avais beau expliquer mon état de santé, mes limitations physiques, je n’étais pas entendue. Les organismes sociaux n'ont cure que de gestion locative et de remplissage à tout prix des logements vacants. Finalement, j'en acceptai un sur les conseils d'une assistante sociale car cet organisme avait signé une convention avec la MDPH et j'y mis bon espoir. Lors de la visite, j’entrevis les possibles aménagements d'accès par l'arrière, les grandes toilettes, la salle de bains aménageable et transformable. En outre, heureusement, je conduisais depuis peu et pus chercher mes papiers, formulaires, aller signer le bail, me renseigner à gauche à droite car j'étais bien seule.

    SeN furieux de nous côtoyer ne coopéra pas, refusant que quiconque rentrât dans sa maison. Il décida que lui seul s'occuperait du déménagement de nos affaires à fiston et moi. Je me contentai de fuir la veille de la rentrée des classes avec une table, deux chaises, un futon, un micro-ondes, quelques menues affaires balancés sur la remorque par SeN. Et nous vécûmes dans ce grand dénuement pendant des semaines. Lui qui gagne 2.5 fois ce que je gagne utilisait tous mes biens, invitait ses parents à ma table, sur mes chaises, dans mes assiettes et verres, profitait de mon frigo et me reprocha à plusieurs reprises de l'avoir laissé sans rien. Et en plus, il ne bénéficiait plus des réductions d'impôts du fait d'héberger une personne handicapée... Tant pis pour lui! J'avais la tête ailleurs depuis belle lurette et je vécus l'expérience de l'aide avec ces travaux incroyables. Car oui, avec ma mauvaise vue, je n'avais pas remarqué l'état délabré de l'appartement et plusieurs semaines furent nécessaires pour le rénover, à peu près.

    Mon garçon, choqué à l'idée de se retrouver seul avec une mère mal en point plongea dans la dépression. J'appris également que l'organisme HLM ne ferait aucun travaux d'aménagement pour l’accessibilité. Bravo! Quand tout est signé et payé, il n'y a plus personne. Tout l'hiver, nos mangeâmes grâce aux Restos du cœur.

    J'observai simultanément que la maison aux multiples possibilité devint une réalité peu après notre départ: le toit fut refait, la boite aux lettres branlante pendant les 5 ans de ma présence malgré mes demandes répétées fut redressée, le rideau de notre chambre - qu'il m'avait constamment refusé- fut installé dans la semaine suivant mon départ sur la commande imposée de sa mère, le jardinet où je m'étais battue vainement seule contre les ronces, les souches, les pierres fut nettoyé et aménagé, le jardin ré aménagé, la haie reconstituée, la porte décomposée remise en l'état, les fenêtres repeintes et je passe bien des énervantes constatations qui heureusement ont quitté ma mémoire. La maison se remplit de cadeaux et accessoires de la vie courante avec une abondance que je n'avais pas connue.

    De mon côté, je mis environ 6 mois à récupérer l'ensemble de mon ménage. SeN était en constant barrage et blocage, entre reproches et colères. Je passai des heures à écouter ses plaintes, ses jugements incessants, je sentais la violence qui se dégageait de lui. Grâce à la communication non violente, je l'accompagnai, je prenais ma place, grâce au Qi Gong, je restai debout des heures devant lui à l'écouter vociférer. En bout de parcours, c'est à peine s'il n'a pas trié les poubelles et déversé les déchets pour me ramener mon dû. Il y eut des levées de voix, des pleurs. Une rupture dans tous les sens du terme. Et j'étais celle qui coupait franchement ne supportant pas l'ambiguïté ou le flou de l'indécis. Celui que j'avais aimé n'était que l'illusion qu'il se faisait de lui- même, la maladie et ses pertes avaient ouvert mes yeux dans une lucidité cinglante.

    Ainsi, fiston et moi vécûmes deux ans et demi dans ce logement. Il était mal en point, éloigné des services (mon pauvre garçon a marché ou pédalé laborieusement sur les routes interminables et pentues, je n'arrivais pas à aller- et- venir à pieds à ma guise vers le centre), il était mal isolé provoquant des infections urinaires incessantes le premier hiver, la chaudière y tombait souvent en panne, je n'y avais pas de place, mon mobilier n'y était pas adapté, les voisins du dessus hurlaient et tapaient au sol pour communiquer avec nous, j'y étais en bazar perpétuel et l'argent fuyait dans des dépenses énergétiques énormes. Ce fut portant le logement de la rupture, le logement de la libération. J'y posai mes affaires, j'y exprimai mes doléances, les mis en œuvre, je l'aménageai à ma guise, j'avais la liberté d'y recevoir qui je voulais, de fermer la porte devant un SeN furieux ou de lui raccrocher au nez. Il y avait mes quelques plantes et fleurs, beaucoup de verdure, quelques voisines fort sympathiques, un immense séchoir à linge, des caves pour stocker mon matériel et y travailler. Il fut le logement de la liberté retrouvée et des possibilités infinies vers une vie plus heureuse et épanouie. Merci à lui.

    Pour l'anecdote, la première semaine où j'y habitai, dormant sur le futon, un matelas au sol, dans le bazar des travaux et le quasi rien du ménage, j'y fis toutes mes nuits, complètes, révélateur d'un soulagement profond.


    « Ça déménage, préambule.Se loger, habiter. Première. »

    Tags Tags : , , , ,
  • Commentaires

    1
    Samedi 17 Mars 2012 à 18:47
    Cybione

    Ce fut un mal pour un bien, en effet...

    Heureuse de te savoir mieux logée maintenant !

    • Nom / Pseudo :

      E-mail (facultatif) :

      Site Web (facultatif) :

      Commentaire :


    2
    Trollette
    Mercredi 18 Juillet 2012 à 11:57

    Les lieux résonnent en nous et nous résonnons en ces lieux. "Place is a space to which meaning has been ascribed" (Un endroit est un espace auquel on a donné du sens)...

    J'aime bien ta manière de parler de cet apart que tu quittes. 

    3
    fée des agrumes Profil de fée des agrumes
    Dimanche 18 Août 2013 à 13:20

    Tu ne crois pas si bien dire héhé! Attends de lire la suite

    Réponse de fée des agrumes le 18/03/2012 à 09h27
    Suivre le flux RSS des commentaires


    Ajouter un commentaire

    Nom / Pseudo :

    E-mail (facultatif) :

    Site Web (facultatif) :

    Commentaire :