• Par delà l’injure, le besoin.


    L’injure est un appel.

     Cette abomination jetée à la figure ne parle pas de son destinataire, elle parle des besoins insatisfaits de celui qui l’énonce. Afin d’exposer concrètement cette réalité, je m’en vais relater un épisode particulièrement évocateur.

    Alors que j’étais à la maison, tranquillement, me prit l’envie subite de parler avec la mère d’une de mes amies. Je l’apprécie depuis longtemps, nous partageons des goûts communs tels que le patchwork et nous avons eu de multiples conversations sincères et enrichissantes au fil des années. Je n’avais plus de nouvelles depuis plusieurs mois et je ressentis le besoin d’entendre sa voix ; elle était à la maison et j’en fus enchantée. Pourtant, rapidement, je remarquai une aigreur dans le ton de sa voix. Soucieuse, je m’enquis de son bien-être, elle m’expliqua qu’elle était bouleversée par la mort d’une camarade disparue brutalement d’une attaque cérébrale radicale alors qu’elle n’avait pas 50 ans. Je donnai de la place  à sa douleur et l’accompagnai dans ses ressentis, bienveillante, elle y mit rapidement fin par une pirouette. J’expliquai alors mon envie subite de lui parler après ces mois de silence et elle enchaîna des jugements abominables à mon encontre justifiant son silence, exposant toutes les raisons d’une colère qui m’échappait.

    En gros, je n’étais qu’une salope d’avoir osé abandonner SeN après tout ce qu’il avait fait pour moi, après ces années passées dans cette maison, gracieusement, dans un confort largement dû à l’extrême générosité de SeN et de ses parents . Du jour où elle avait appris mon départ, elle avait décidé de couper définitivement les ponts avec moi.  Et des « vous êtes vraiment spéciale, vous l’avez toujours été » ou encore «  Il serait temps que vous admettiez que votre garçon a des problèmes et qu’il est très particulier, difficilement supportable ».  Bien sûr, j’avais envie de me défendre, d’argumenter, de démontrer à quel point elle se trompait sur mon compte, ce n’était simplement pas judicieux à cet instant, je savais pertinemment qu’elle parlait de ce qui se jouait en elle et passai outre les abominations qu’elle lançait. Obnubilée par ses besoins, elle s’était fait un film de mon histoire de rupture en transposant une part d’elle- même en miroir. Laquelle ?

    Très calme, je m’occupai d’elle, posant des questions, proposant des ressentis et sentiments, finement. « Oui, oui, c’est exactement ça ! » criait –elle presque à l’autre bout du fil. Si je me trompai, du fait d’être empathique et ouverte aux ressentis, elle corrigeait et affinait mes propositions. Finalement, j’en arrivai à ses besoins. Elle put exprimer combien il était essentiel à son bien- être d’avoir de la clarté dans ses relations, combien elle avait besoin de relations paisibles avec son entourage et surtout, l’essentiel, qu’elle avait besoin de reconnaissance pour tout ce qu’elle faisait. Ainsi, obnubilée par ce besoin, elle s’était transposée sur SeN, le couronnant de son propre fonctionnement, de ses propres représentations. Evidemment, son film n’a rien à voir avec la réalité de mon histoire, elle a rejoué une peur interne qui la concerne elle et  certainement pas moi, entre rejet et abandon, terreur de l’ingratitude… Un fatras qui lui appartient et dans lequel j’ai eu besoin de mettre une petite lumière afin de me préserver.  

    Elle avait quelque obligation et écourta la conversation, répétant que peut- être, un jour, nous nous croiserions au hasard, peu certaine de vouloir garder des contacts.

    Pendant 40 minutes, elle avait eu toute la place et j’ai été si fine dans mon attitude qu’elle n’a pas réalisé une seconde que nous ne parlions que d’elle, que je ne me fâchai ni ne me blessai de ces paroles cruelles. Je mesurai à nouveau l’immensité de mon avancée des dernières années : l’empathie que j’ai désormais à mon encontre me permet d’être présente à l’autre, pleinement, chaleureusement.


    Trois ou quatre semaines plus tard, alors que je retournai à ma voiture au supermarché, je la vis au loin marchant dans ma direction. Le hasard. Elle était souriante, radieuse  et ouvrit les bras à mon approche. Je l’embrassai chaleureusement et nous devisâmes joyeusement de longues  minutes. C’était beau, sincère, authentique ; à l’intérieur, je rayonnai. Comme nous nous quittions, elle nota mes coordonnées dans son calepin évoquant une prochaine entrevue, je lui exprimai ma joie de la rencontrer si magnifique. Jamais cette belle rencontre n’aurait eu lieu si j’avais pris pour moi ces mots lâchés en cri d’appel de ses besoins.

     

     

     


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  • Commentaires

    1
    Lundi 9 Août 2010 à 17:40
    Annie

    L'effet miroir et le pouvoir du langage consciemment construit, ce sont deux notions essentielles. Si on s'observe soi-même soigneusement, on voit aussi l'inverse de ce que tu décris: si on sent une colère monter, à coup sûr le problème vient de soi et non de l'autre. A ce moment il est donc facile de désamorcer le problème, d'éviter qu'il ne dégénère.

    Inconsciemment tu t'es peut-être menée à avoir ce contact avec cette femme pour faire l'expérience de la mise en application réelle de ce que tu as appris en CNV. Expérience réussie!

    2
    Lundi 30 Août 2010 à 10:04
    Cybione

    Un seul mot : Bravo !

    Bravo pour ta réaction, et surtout bravo pour le cheminement que tu as fait tout au long de ces années et qui t'a permis d'arriver à ce résultat.

    3
    Coq
    Mercredi 18 Juillet 2012 à 12:02
    Coq

    Eh bien, chapeau bas, mamzelle ! Ca doit pas être évident d'être dans l'empathie quand tu t'en prends plein la tronche ! Il faut une sacrée force pour ne pas rentrer à son tour dans le "jeu" de l'autre.

    Ca me fait penser à une fois où ma mère s'était mise en colère subitement. Au lieu de le prendre pour moi comme j'avais l'habitude de le faire depuis des années, j'ai réussi à rester calme en face, à ne pas rentrer dans sa colère. J'avais enfin compris que c'était elle qui avait un problème non résolu, et que ça n'avait rien à voir avec moi. Par contre, je n'ai pas réussi, comme toi, à l'écouter avec empathie. Je n'ai juste rien dit, pensant dans ma tête "bon, j'espère qu'elle a bientôt fini son délire". Ne pas être affectée moi était déjà un immense progrès ! qui est la première étape vers d'autres progrès, tels que ce que tu viens de raconter là...

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    4
    fée des agrumes Profil de fée des agrumes
    Jeudi 15 Août 2013 à 22:23

    A Annie:

    Vois- tu Annie, la cnv est devenue réccurente, naturelle chez moi, je l'applique dès que je le peux.

    Sauf quand je pose mes limites par respect pour moi et mes propres besoins!

    Réponse de fée des agrumes le 13/08/2010 à 19h29
     
    A Cybione:

    Ce n'est pas toujours facile d'aller par dessus les jugements , j'avoue que les apprentissages des dernières années m'ont permis de comprendre les fonctionnements et franchement, c'est une libération quotidienne. Le monde, les autres, apparaissent sous des angles totalement différents et j'ai véritablement la sensation d'être passée dans une autre dimension.

    Ce qui va suivre n'en sera qu'une énième preuve.

    Réponse de fée des agrumes le 31/08/2010 à 21h25

    A Coq:

    Ben oui parce qu'en tout premier lieu, il est essentiel d'avoir de l'empathie pour SOI.

    Se taire est une belle façon d'être empathique d'autant plus forte qu'on ne rentre pas dans le jeu de la rivalité et de la violence. Ce jour, tu as fait un cadeau merveilleux à ta mère... et à toi- même.

    Naturellement, l'écoute de l'autre en lui laissant la place et en l'accompagnant viendra.

    Réponse de fée des agrumes le 09/08/2010 à 13h17
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