• L’hôpital d’août et septembre 2006

    Premier séjour dans le service de neurologie.

    Les chambres y sont neuves et baignées de soleil. Très vite, je fus connue pour être celle  vivant dans l’obscurité, je ne supportais aucune lumière naturelle et uniquement les lumières artificielles indirectes. Je ne marchais plus, arrivée dans le vieux fauteuil. Je pouvais faire mes transferts du fauteuil aux sièges et lit seule ce qui me permit d’être assez autonome.  Je ne me souviens plus qui vint me dire que j’allais repasser une batterie d’examens car l’évolution de la maladie était inhabituelle pour une sep. Et ce fut reparti pour des prises de sang, une ponction lombaire, des pev et j’en passe. Mon  amie Sandrine vint me voir presque tous les jours, je la sentais très soucieuse. Elle me gâta avec du pain au levain, des friandises et une bouilloire pour faire des tisanes. Elle a été aux petits soins pour moi, merci ma belle. coeur-qui-eclate-autour-de-la-t-te.gif

    Comme je lui racontais que sur la précédente Irm, il y en avait plein la colonne, elle tiqua. Non, ce n’était pas une sep ; une de ses amies infirmière l’avait déjà faite douter, les dernières nouvelles enflaient sa défiance. A nouveau, je me promenai entre espérance et désarroi. L’interne, adorable jeune femme roumaine me fit une ponction lombaire sans douleur, me rassura sur les possibilités thérapeutiques actuelles. Cette fois-ci, j’eus ordre de rester allongée strictement pendant au moins deux heures en buvant beaucoup. Grâce à cette précaution, je n’ai pas été malade. Je repris espoir.

     

     Les pev confirmèrent une dégradation de la vue très forte. Un autre médecin D. vint me trouver pour me parler de ma situation : oui, ils cherchaient tout ce qui était possible, même les maladies rares et extrêmement rares, les examens allaient dans le sens d’une pathologie démyélisante type sep. A ces mots, je lui demandai d’une voix tremblante  pourquoi la corticothérapie avait été aussi peu efficace, il haussa les épaules, tendit la main vers moi et souffla un «Vous faîtes partie de la minorité de personnes chez qui elle ne l’est pas et nous en sommes les premiers désolés. » A d’autres reprises, je le trouvai brutal et le considérai vite comme un oiseau de mauvais augure. 

    Une fois seule, je sentis la tristesse m’envahir, les larmes pointaient au coin de l’œil de façon incontrôlée, je voulus aller dans le coin toilettes et par une fausse manœuvre, je glissai sur le sol, me blessant encore au coin du fauteuil métallique, N’arrivant plus à me remettre, je sonnai et une aide-soignante me trouva au sol. Elle chercha une infirmière, elles me replacèrent.  Je bafouillai quelques mots d'excuse et les larmes coulèrent. L’aide- soignante, Amandine, me gronda gentiment de ne pas pleureur et Céline l’infirmière fut d’une extrême gentillesse, Elle repassa plus tard avec Gilles, il me questionna sur mon moral, je repartis malgré moi en lui expliquant que l’on ne cessait de me dire que cela allait s’arranger, depuis trois mois ,  que force était de constater que rien ne s’arrangeait, c’était difficile de passer pas tant d’états émotionnels, j’étais découragée.  Il me rassura, je me sentis mieux ; il a ce don de vous parler.
    Je ne suis pas prête d’oublier certains de ses gestes si chaleureux, notamment ce jour où j’attendais pour passer les pev. J’étais dans un couloir, les yeux perdus dans le brouillard omniprésent qui m’entourait désormais. Des bruits m’attirèrent et je portai mes yeux sur une très grande personne en blouse blanche  -la position assise dans un fauteuil change bien des repères -, je le reconnus de suite à ses gestes, sa silhouette, nouveaux signes de distinction pour reconnaître les gens autour de moi. Je le saluai de loin par un « Eh, bonjour monsieur R. ! » avec le sourire. Il s’approcha et s’accroupit devant moi en saisissant les bras du fauteuil ; déjà là, j’y vois beaucoup de son humilité et en plus, il se mettait à ma hauteur. Il me parla de résultats en attente sur certaines maladies partis à Lyon, à Lille, à Paris pour poser un diagnostic. Je lâchai d’une voix dépitée que le diagnostic m’importait peu et que je ne demandais qu’à être soignée, il assura  s’y attacher. Il confirmait l’intuition que j’avais eue de lui à notre première rencontre.

     

    Dans un premier temps, il préconisa une corticothérapie de 3g sur trois jours pour essayer de récupérer de la vue. Je retrouvai sans enthousiasme le régime sans sel ni sucre… Pfff.  Pour accompagner ses effets notables, je reçus quelques séances de kiné d’un jeune homme très sympathique avec qui je riais souvent surtout au sujet de mes pauvres jambes blessées et couverte de bleus à cause de ce fauteuil inadapté, ce fauteuil « violent » comme je le nommais.  (J’ai malheureusement oublié son nom, j’ai plus la mémoire des gestes, des voix et des visages)  La liste des stagiaires rencontrés ne faisait que commencer avec cette première équipe de jeunes venus d’une école de kinés d’Allemagne.  Les veinards, ce n’est pas souvent qu’on trouve des cas comme le mien ! D. était optimiste ; il me fit faire quelques pas alors que je lui serrais fort les mains: la marche était bonne, il fallait corriger les déséquilibres.  Entre béquilles et déambulateur, je réussis à faire des pas dans le couloir sous les encouragements d’une infirmière pleine d’espoir. Je la remerciai et verbalisai mes doutes quant à la durabilité des effets.

     

    En fin de séjour, Gilles m’expliqua que les interférons ne seraient pas suffisants face à une telle virulence et qu’il fallait passer à un traitement plus lourd, l’Endoxan, forme de chimiothérapie plus légère que celle des cancers avec toutefois des effets secondaires peu réjouissants. Il fallait quelques temps à l’hôpital pour mettre en place le protocole de traitement et en attendant, je serai prise en charge en hôpital de jour, rééducation fonctionnelle pour de la kiné intensive.

    Un médecin de ce service me retrouva dans ma chambre avant ma sortie. Il était très volontaire et engagé dans sa démarche : «  On ne va pas vous laisser rentrer chez vous, seule avec un diagnostic tel que le vôtre comme ça ! Nous allons vous prendre en charge. »  Rien à voir avec les pratiques observées par ailleurs et c’est tout à leur honneur !  Dans la même logique, j’ai rencontré une assistante sociale qui me questionna sur ma situation de logement, de famille, etc. Par elle, je retrouvai une de ces collègues qui était de ma famille.

    Claudie ne manqua pas de venir me voir et nous échangeâmes les dernières nouvelles. Ce fut à cet instant que j’appris la maladie de ma plus jeune tante atteinte d’un cancer grave. Je ne pus en supporter plus et je fondis en larmes dès que je fus seule. Mais que se passait-il ? Quel sort s’acharnait donc sur nous ?  (je ne vous raconterai pas tout, ce serait trop long et pénible)

     Je rentrais à la maison dans l’attente de ma rééducation et repris contact avec mon autre tante, Thérèse. Sa plus jeune sœur avait un cancer généralisé, nous avions appris nos maladies respectives à quelques semaines près et je fus effondrée. Tout me semblait terriblement injuste !  Avoir  vécu les épreuves des derniers mois donnait un sens plus que concret à ce que je pouvais imaginer de son parcours ; ce sont des résonances horribles et dévastatrices.



    Pensée particulière pour Sandrine des Vosges et Michèle.

                                                
     La première ne pouvait venir me voir et elle me téléphona tant qu’il lui était possible ; elle suivit tous mes états médicaux et émotionnels, me soutint de sa petite voix lointaine, hésitante et posée. A chaque sonnerie de téléphone, je sentais monter l’espoir, l’espoir de l’entendre, l’espoir d’être entendue et l’espoir de ne pas être seule. 

      Michèle est une collègue de travail pleine de vie, d’énergie, de compassion, de positivité. Elle vint me voir avec un superbe bouquet de roses dans un petit panier à oiseaux qui parfuma ma chambre et ravit mes yeux aussi faibles fussent–ils, sans compter le contact soyeux des fleurs. De la fenêtre à la porte, je ne la reconnus pas et quand elle me parla, je fus baignée de joie. Car à travers elle, je voyais aussi mes collègues et tous ceux que j’avais laissés en juin. Jamais, à aucun moment, je ne doutai de leurs pensées et Michèle a toujours été là pour me soutenir et me remettre sur la voie de la vie et de l’espérance.
    Merci à vous deux.

     

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