• Caroline

    Après une dizaine de jours passés à l’hôpital, les médecins m’accordèrent une sortie en fin de  semaine avec obligation de revenir le dimanche soir pour refaire une nouvelle ponction lombaire le lundi matin. Je ne me souviens plus de ce week-end, de ce que j’ai fait, de ce que j’ai pensé. La mémoire fait le tri avec le temps.

    Au retour, j’avais enfin une chambre avec des toilettes et plus de calme. Une jeune fille était installée dans le lit à côté, sa mère et son amie à son chevet. Elles étaient gaies, devisant et défaisant les nattes de la jeune fille. J’avais de la tristesse à devoir affronter de nouveaux examens, les doutes et les questions. Je pleurai dans les bras de SeN; j’avais bien du mal à laisser mes hommes loin de moi. L’infirmière essaya de me réconforter, le médecin de nuit également, mais que pouvaient-ils faire de plus ? Nous savions tous dans quelle situation je me trouvais. Très tôt le matin, la ponction fut faite sans me faire le moindre mal, je pus dormir tranquille ensuite.

    Dans la même semaine, je fus envoyée chez le neurologue pour faire des tests aux niveaux des nerfs optiques (potentiels visuels évoqués) : il me plantait des aiguilles dans le cuir chevelu, je regardais des carrés sur un écran et la machine calculait ; rien à signaler de particulier. Je pris le temps de discuter avec lui afin d'obtenir des informations sur le diagnostic. Dès mon arrivée avec le courrier de ses confrères de l’hôpital, il semblait exaspéré ; il le rejeta même sur son bureau. Il marmonnait : 

    « Mais pourquoi ils s’entêtent avec la sclérose en plaques ? Ils rament, ils rament- Il dit un chiffre de cellules que je ne connais pas- C’est trop bas ; dans la SEP, c’est au moins, x - Je ne sais pas, ce n’est pas mon domaine- Mais il y a tellement de maladies, comment savoir laquelle c’est ? ». Je lui demandai de confirmer que pour lui, ce n’était pas une sep, ce qu’il fit. Il pensait que cet examen n’était pas judicieux et avec ses conclusions, il me donna  la photocopie d’une page d’un de ses livres où se trouvait une liste de maladies neurologiques annotée : «  Sep ? Bof ». Je repartis requinquée, confiante parce que pour moi, je ne voulais pas croire en la sclérose en plaques… Les hésitations et la succession des avis contradictoires m’avaient certainement beaucoup affectée, je ne savais pas à quel saint me vouer.

    A l’hôpital, le dr. D. n’a rien voulu écouter de mes questions ; pour lui, c’était une sep, il y avait de nombreux cas dans sa famille et il savait. 

    Comme je revenais à l’avis du neurologue, il balaya cette idée en expliquant que 99% des maladies avaient été écartées, qu’il ne restait que des maladies rares ou très rares, qu’ils n’y croyaient pas. Ce fut lui aussi qui ne répondit pas aux questions de SeN. Ne sachant que penser de mon état, il était allé le trouver pour obtenir des informations. Le médecin lui ressortit son leitmotiv : « C’est compliqué, c’est compliqué »

    - Mais pourquoi ne la transférez- vous pas dans un service de neurologie ?

    - Parce qu’ils ne feraient rien de plus que nous. 

    Quand nous commençâmes à poser des questions, à chercher des réponses ailleurs qu’auprès de sa science, il ne plus prit le temps de venir me voir, uniquement pour me dire que j’avais une sclérose en plaques, que je prendrais des risques inconsidérés en ayant un autre enfant. Au bout de la semaine, Orlando m’informa que le diagnostic était désormais clair, la sep ; je recevrai des boli de 1g de cortisone par jour, pendant 3 jours. Je posai la question sur la suite, il ne put que me conseiller d’attendre, que seule une deuxième poussée pouvait justifier un traitement de fond souvent lourd. La perfusion fut mise en place avec une grosse aiguille douloureuse et je connus le premier traitement au Solumédrol accompagné de son fameux régime sans sel et sans sucre.. Beuark… J’en attendais beaucoup, ce traitement avait des effets immédiats d’après les médecins.

    Au bout des trois jours, je marchais de plus en plus mal, qu’avec de l’aide et je souffrais de maux de tête. Dr.D. fit ajouter de quoi me soulager et je découvris également que les gouttes que j’avais à prendre étaient des anti-dépresseurs.  Clopinant difficilement dans les couloirs, je cherchai à dire aux médecins qui ne venaient plus, combien mon état se dégradait. Le dr.M. fut décontenancé et ronchonna que normalement, ce traitement était radical, avec des effets immédiats. Je crois bien qu’ils fuyaient confrontés à leurs limites.

    Me sentant de plus en plus mal, je suppliais SeN de me sortir de cet hôpital où je ne voulais plus rester d’autant que Caroline était partie. Une femme atteinte d’un cancer recevant sa chimio, mal en point, était à côté, c’était trop dur. Nous partîmes précipitamment alors que je n’arrivais plus à rester debout, ni à m’asseoir sans me sentir défaillir. Ce fut en pleurs que je cherchai la copie de mon dossier médical, payante qui plus est ; ce fut dans une souffrance physique et psychique que je rentrai à la maison avec le sentiment que c’était loin d’être terminé.


    Caroline est cette jeune fille qui partagea la chambre en cette deuxième période ; nous sommes devenues amies et  liées malgré les distances. Revenue d’Afrique avec une pneumonie, elle connaissait Orlando ; nous constatâmes combien les patients étaient traités différemment selon les copinages par le jeune dr.M. Nous regardâmes ensemble The others tard dans la nuit sur son ordi portable, nous eûmes des fous rires, mirent un bazar très personnel dans notre chambre au grand dam des personnels, nous pestâmes sur la médiocrité des repas. Nos conversations étaient riches et variées, je lui fis passer un oral de préparation pour son diplôme.

    Nous avons partagé, nous nous sommes rencontrées, elle a été un soutien très important. Sa mère m’offrit un magnifique bouquet des fleurs de son jardin que je laissai à grand regret en partant. Caroline a été un véritable rayon de soleil, je lui en suis très reconnaissante.

    Voici en particulier un épisode de nos aventures :

    Le dr. M. faisait sa tournée dans les chambres, il était très prévenant avec la jeune patiente, amie de son supérieur, ne m’accordait que peu d’importance, j’étais le cas compliqué sur une emmerdeuse à la bouche trop ouverte ( les agrumes ) . Je lui fis remarquer que, ne remettant pas en cause leur travail médical, je les invitai à changer d’attitude envers les patients. « Si vous annoncez vos diagnostics comme ça à une personne fragile psychologiquement, elle finira par sauter par la fenêtre. C’est une question de communication, de respect de la personne, de prise en compte de sa globalité, il n’est pas possible de se comporter de la sorte ».  Il sourit d’un air méprisant et tourna les talons en riant sous cape, l’air de me dire « C’est ça, cause toujours » Je le vis prendre la direction de la porte et lui lançai «  Platon a dit que seul l’homme intelligent sait qu’il ne sait pas. ». Sans quitter son sourire narquois, il nous quitta. Caroline éclata de rire, « Bien envoyé ! ». Encore aujourd’hui, je ne regrette pas d’avoir dit ce que je pensais ; la médecine n’est pas une science à machine. Tant pis pour eux s’ils ne comprennent pas; un jour,  ils seront aussi malades, confrontés à leur humanité fragile. Il est compréhensible qu’un médecin se protège des drames de leurs patients,  d’autres, heureusement,  plus tard ont montré des choix différents.

     

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  • Commentaires

    1
    Mardi 11 Août 2009 à 22:56
    morsli
    Je viens de lire les quatre articles qui suivent la mort de cette pauvre perruche et je n'arrive pas à poster de commentaires.Je n'arrive pas à imaginer tant de souffrances et d'inquiétudes et en outre, moi qui voulait commencer ce blog par le début, je pense qu'il me faudra cependant regarder les derniers articles aussi ! je reviendrai demain.A demain ,donc.
    2
    Mercredi 12 Août 2009 à 12:38
    morsli
    Je n'ai pas osé te le dire, vu l'insignifiance de mes ennuis de santé par rapport aux tiens, mais hier soir, j'ai du quitter ton blog en raison de problèmes récurrents de spasmophilie (tacchycardie violente entre autre) : j'ai pu lire tes articles en comprenant qu'il me fallait remonter le blog pour en apprendre davantage.En revanche, mon cerveau était incapable de fonctionner tellement j'étais ennuyé par cette crise.Donc je n'oublie pas ton blog, sans problèmes.Je reviens ce soir ! bon appétit.
    3
    Jeudi 13 Août 2009 à 17:56
    morsli
    Jamais obligé ! c'est toujours de "bon coeur" que je m'intéresse aux gens.L'histoire de ta vie m'avait "interpelé", c'est pour cela que je voulais découvrir ton blog petit à petit.En revanche, il peut m'arriver d'interrompre brusquement une occupation, y compris un commentaire quand je subis ces crises qui peuvent prendre 36 formes dont un faux infarctus, une cécité transitoire, de violentes crampes...dans ces cas je suis "inopérationnel" malheureusement (rien de grave, tous les organes sont en bon état, mais c'est le contrecoup des anxiétés consécutives à trois deuils dans ma famille).
    Sinon, je suis effaré par le manque de tact, de délicatesse, de psychologie de certains docteurs.Je déteste également l'air supérieur chez certains (sans généraliser).Bon, il n'a peut-être pas du entendre parler de Platon celui-la!
    Est-ce un effort si démesuré que de faire preuve d'un peu d'humanité, de considérer les patients comme des êtres humains et non comme des numéros identiques ? En tout cas je te souhaite du courage.Amicalement à toi. 
    4
    Jeudi 13 Août 2009 à 17:57
    morsli

    Zut ! interpellé avec deux L bien sûr !

    5
    fée des agrumes Profil de fée des agrumes
    Vendredi 12 Juillet 2013 à 11:30

    A Morsli:

    1. Et encore, là, ce n'est que le début, le pire est à venir...
    Quelques bouffées positives sont bonnes à prendre en revenant vers les derniers articles.
    Les événements récents  se révèlent faussement anodins au regard de ce qui s'est passé depuis 2006.

    2. Et ben ...
    J'espère que la crise est passée tranquillement. J'ai connu ces manifestations dans mon entourage, pas facile à vivre au quotidien.
    Ce ne sont pas les lectures par ici qui provoquent les crises ?!
    Bon courage à toi et n'oublie pas d'être empathique avec toi- même.

    Je prends ce qui vient ici, je ne demande rien de quiconque, ne te sens pas obligé.

    3. Prends le temps qu'il t'est nécessaire pour remonter les articles, il n'y a pas de décompte. Quant aux médecins, tu liras que je ne me suis pas laissée faire et j'ai trouvé des personnes extraordinaires de simplicité et de bonté. Nous y avons tous gagné.

    4. Je n'ai pas fait attention, j'étais dans le fond et non dans la forme.

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