• Homo disparitus, Alan Weisman

    Le postulat de base est simple : imaginons que l’humanité disparaîsse subitement de la surface de la Terre et que le monde continue son aventure sans nous. Qu’adviendra-il ?

    Ce titre m’avait interpellée parce qu’en résonnance avec cette question récurrente de la finitude. Je l’ai lu en avril et mai 2009. Depuis, si le temps a trié la mémoire, cet ouvrage ne me quitte pas et j’envisage souvent avec un autre regard les agitations humaines quant à des certitudes, des affirmations, des proclamations à toujours et à jamais sur des valeurs immortelles et/ ou  éternelles (J’ai décidément une grande interrogation vis- à- vis de la vanité humaine, me dépêtrant plus ou moins bien avec ma faille narcissique).

    Nos constructions, au gré des circonstances climatiques et d’ensoleillement, seront balayées par la nature, inondées, envahies par les bactéries, les moisissures, les champignons, les bestioles; les matériaux pollueront plus ou moins longtemps, certains retrouvent leur état d’origine dans les couches géologiques pendant que d’autres résisteront sous les couches d’humus.  En 20 ans, New York redeviendra le marécage qu’il était, par exemple. A Chypre, la zone abandonnée séparant la partie turque et la partie grecque montre concrètement ce qu’il advient de nos villes sans la présence des humains. Entre puanteur et silence assourdissant se développent plantes et bêtes. Au fil du temps, disparaissent d’abord les constructions les plus récentes puis c’est notre histoire qui s’étiolera à l’envers. Etonnement, ce sont les constructions souterraines qui résisteraient le plus longtemps.  

    Les végétaux se réguleront eux- mêmes selon les adaptations des uns et des autres. Ceux que  l’homme a introduits d’ailleurs souvent ne résisteront pas à l’absence de ses soins ; l ’Afrique seule retrouvera un visage primitif presque pur. Nos successeurs d’évolution pourraient très bien être les chimpanzés grâce à leur gène de l’adaptation. Notre impact sur la faune est irrémédiable. Weisman expose par exemple la théorie selon laquelle l’arrivée des humains a provoqué l’extermination de la mégafaune en Amérique, pas en Afrique parce que les grands animaux y ont côtoyé l’hominidé depuis la nuit des temps et se sont adaptés à ce prédateur. La vache à gros pis, les poules, le chien depuis si longtemps apprivoisé ne survivront pas à l’humain contrairement aux chats qui retrouvent plus rapidement leur état sauvage

    Le vide engendré par notre disparition sera rempli par les animaux sauvages. Les moustiques pulluleront, nourriront les poissons, poloniseront les fleurs. Les oiseaux seront ravis de notre disparition (peu la remarqueront en outre) bien que les chats largement répandus se régaleront d’eux. Des espèces introduites par l’homme sur certaines îles contrarieront grandement les oiseaux y nichant parce que proliférant sans la régulation des hommes (cochons et rats par exemple).  Pigeons, serpents, castors investiront les refuges offerts par les bâtiments abandonnés. Dans ce registre, la zone démilitarisée qui sépare les deux Corées est très révélatrice de cette réappropriation par la nature car là, en cette fine frontière, des espèces rares ont trouvé leur ultime refuge ; sans elle, elles auraient disparu depuis longtemps.  Par contre, les poux et acariens, certaines bactéries nous regretterons grandement voire disparaitront avec nous.

    L’engrenage du réchauffement climatique ne cessera guère et les eaux monteront partout à la fonte des glaces, le méthane libéré du permafrost en décongélation l’accélèrera. L’océan mettrait 1000 ans à se renouveler, la terre 100 000 ans. Les glaciers se reformeraient en au moins 15 000 ans. Les plastiques resteront quasi éternellement incrustés partout se dégradant en particules toujours plus petites et plastifiant l’environnement jusqu’au plus profond des cellules, des océans. De nombreuses espèces marines auront d’ailleurs disparu à cause de lui.

     Les lacs artificiels s’enliseront, les terres cultivées retourneront à la forêt, les rivières changeront leurs cours. L’érosion aplanira les constructions humaines, bien des milieux humides et biotiques seront soulagés de l’arrêt de l’utilisation des engrais et en quelques années se purifieront naturellement.  Le paysage sera complètement transformé, de nombreuses espèces migreront du fait de ces changements. Surtout, les installations pétrolières exploseront, brûleront pour certaines pendant des siècles, les centrales nucléaires pareillement en irradiant les alentours, se transformant en lave alors que des tonnes de déchets radioactifs émettront pendant des milliers d’années de sous la terre. Nos produits chimiques infiltrés dans les sols, les eaux résisteront : le zinc 37 000 ans, le plomb 35 000, le chrome 70 000. La faible couche d’ozone n’arrangera rien et forcément, certaines espèces disparaîtront, d’autres s’adapteront… La vie continuera, comme l’atteste la zone interdite de Tchernobyl devenu un laboratoire d’observation.

    Il est peu probable que notre espèce disparaisse rapidement et totalement ; même le pire des virus finit par préserver quelques-uns des corps qu’il infecte pour survivre lui- même. Le danger est plus probable du côté de nos technologies, de la destruction de notre environnement, de la surpopulation. Néanmoins, bien que l’idée d’une terre soulagée de notre espèce puisse séduire, l’homme a créé tellement de merveilles que l’idée de sa disparition conduit à un sentiment profond de deuil. Que resterait- il alors de nos créations ? Nos œuvres d’art ne résisteront pas au temps sauf les statues de bronze, de nous ne resteraient finalement que les sondes envoyées dans l’espace, les ondes hertziennes émises depuis la terre et en perpétuelle route reflet uniquement d’un siècle d’existence de l’espèce humaine. La vie elle continuera sans nous, quoi qu’il en soit et c’est de l’océan que viendront les ressorts de la vie, avec l’Afrique.

    Un jour, le soleil explosera et la terre avec lui ; plutôt que d’envisager des scénarii catastrophes sur notre avenir, n’avons- nous pas mieux à rendre le présent meilleur, à retrouver le sens de la mesure, à  prendre soin de la nature, à ne pas nous exclure nous- même d’un monde magnifique ? Nous sommes redevables à la terre, à toutes les espèces de notre existence, ne l’oublions pas.

    Voilà un petit tour NON exhaustif de ce livre très intéressant. L’immense bibliographie en fin d’ouvrage est à l’image de la méticulosité avec laquelle l’auteur a travaillé et abordé la question. C’est un voyage à travers l’espace et le temps, une vision globale de nous humains en tant qu’espèce parmi d’autres, dans son environnement,  nous humains, si intelligents et capables de tant de folies, d’aveuglement, d’avidité, de courte vue. Par contre,  il y a un point qui m’a fortement déplu. L’auteur est nord-américain et cela transpire dans son approche et son analyse. Ses références, ses représentations sont celles d’un américain et j’étais circonspecte devant l’absence des représentations d’autres pays. Bien des éléments qu’il décrit sont révélateurs des comportements et choix américains loin d’être universels. En Europe, notamment, certaines dispositions existent afin de ne pas sombrer dans la démesure nord-américaine et il n’y en a quasiment aucune mention. Dommage.

    Indubitablement, c’est un livre à réfléchir et principalement une invitation à la sortie de l’auto destruction. Il élargit le champ de nos perceptions sur une vision globale, à grande échelle, sur la longue durée ce dont, je trouve, manquent cruellement nombre d’humains, et particulièrement  ces contemporains obnubilés par le mythe de la vitesse, de la toute- puissance, de la maîtrise, du contrôle, en quête illusoire d’éternité face à leur angoisse de la mort.  

    « La planète au pillage, Fairfield Osborn.Néanderthal, une autre humanité, Marylène Patou- Mathis. »

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  • Commentaires

    1
    Troll des forêts
    Mercredi 18 Juillet 2012 à 11:59
    Troll des forêts

    Je l'ai lu en anglais: "The World without Us"  il me semble qu'il traite aussi de la question de savoir comment l'homme à influencé l'évolution de la planète (en plus de comment serait le monde sans nous). Intéressant et angoissant aussi (le passage sur les plastiques et celui sur les rafineries de pétrole au Texas nottamment).

    2
    fée des agrumes Profil de fée des agrumes
    Dimanche 5 Août 2012 à 12:06

    J'ai souvenir qu'il évoque les modifications dues à l'apparition de l'homme dans des contrées (comme le continent américain) où il n'était pas d'emblée par opposition à l'Afrique,  où les hominidés seraient apparus ( vallée du Rift) .

    Bien que critiquable sur de nombreux points, j'aime ce livre pour les questions qu'il soulève et en particulier sur notre responsabilité en tant qu'espèce.

    Réponse de fée des agrumes le 13/06/2011 à 23h46
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