• Tranquille repos.

    Après de longues années de bons et loyaux services, elle avait été licenciée. Elle saisit l’occasion pour revenir aux études que la vie précédemment lui avait refusées; ainsi, nous nous rencontrâmes. Elle entrait à l’école d’aide- soignante quand je plongeai en Devic. Quelques années passèrent et nous nous retrouvâmes. Nous avions bien des aventures à se raconter et j’écoutais particulièrement son parcours car je la retrouvai démolie par des collègues qui allèrent jusqu’aux menaces de mort parce qu’elle avait dénoncé des maltraitances dans le service. Comme elle argumentait et expliquait ce qu’il s’était passé, je tins à lui dire combien je comprenais son choix de dénoncer, relevai son intégrité, son courage. Afin de clairement exprimer ma compréhension, j’évoquai à demi mots ma propre expérience avec SeN pendant les heures sombres de Devic. Son sang ne fit qu’un tour et je lis sur son visage, son corps le choc de telles révélations.

    Dès sa première année au lycée, fiston me parla d’un copain d’un copain qui avait un truc au cerveau qui l'empêchait de comprendre les réactions d’autrui. L’année d’après, ils étaient les meilleurs amis du monde. Le binome porta de tels fruits que ce fameux camarade obtint son BEP sous le regard enchanté de tous leurs profs. Longtemps, ces derniers me louèrent l’attitude de mon garçon qui l’avait accompagné avec bienveillance et exigence tout en continuant son propre chemin couronné de réussites tant scolaires que relationnelles . J’avais entendu le même discours chez la mère de ce garçon, mon fiston étant son premier vrai copain à venir chez eux et chez qui il allait, du pain béni car avec un syndrome d’Asperger, il avait traversé de longues années de solitude. Elle était d’autant plus enchantée et reconnaissante que son fils s’entend aussi très bien avec moi, que le courant était passé entre elle et moi. Désormais,  elle et ses enfants savent qu’ils peuvent compter sur nous.  Je les ai longuement écoutés raconter leurs péripéties, leurs vécus, leurs parcours difficiles et laborieux.  Ils savent que j’ai des ennuis de santé, que fiston et moi avons un parcours particulier également mais n’étant pas du genre à nous étaler, encore moins quand les interlocuteurs ont de grands besoins d’empathie, ce n’était pas très clair pour eux. Dernièrement, je suis allée en promenade avec elle autour d’un plan d’eau. Nous échangeâmes sur ses difficultés socio- économiques ( ceux qui parlent des pauvres ne les connaissent pas), sa recherche d’emploi, ses questionnements, ses envies, ses démarches, ses doutes. Au trois quart du tour, j’ajoutai simplement que la vie était pleine de surprises, que nous ne savions pas de quoi demain sera fait malgré nos illusions de contrôle, que jamais je n’aurais imaginé ma vie telle qu’elle est, en particulier avec cette foutue maladie. Elle saisit l’occasion pour me demander comment elle était survenue, ce que j’avais vécu et tranquillement, je lui fis ce long récit. De retour à la voiture, elle était en pleurs, bouleversée, choquée; j’en étais désolée car ce n’était absolument pas ce que je voulais, les années ont passé et je le raconte sans émoi particulier. Pour elle, cependant, c’était présent et elle mesurait alors ce que cela avait été pour fiston et moi. Surtout, elle avait envie de prendre SeN en face, de lui demander sa version des faits, de lui dire ce qu’elle avait eu envie de lui faire à l’écoute de mon récit. L’escarre, en particulier était révélateur à ses yeux.

    Chacune a vécu des circonstances, des événements qui les ont rendues  sensibles, conscientes à des sujets que beaucoup ne veulent pas entendre et à l’écoute de mon récit, elles mesurent ce que je ne dis pas. Je n’ai pas besoin d’expliquer, de dire et redire ce qu’il en était de moi, de mon fiston, de nos sentiments et émotions face aux événements, aux réactions, paroles, actes de ceux qui nous entouraient; derrière les faits, elles savent ce qu’il s’est joué. Quel repos, quel calme je sens alors en moi! La même simplicité que quand nous causons entre malades de Devic parmi lesquels j’ai rencontré quelques perles.

    C’est rarement le cas pourtant; par je ne sais quel mystère, beaucoup virent rapidement la conversation vers ceux qui m’entouraient en ce temps. Est- ce un réflexe face à des questions type:  “ Et moi? Qu’est- ce que j’aurais fait? Comment  aurais- je réagi? Aurais- je  vu, entendu, compris?”. Peu importe. Personnellement, j’avoue, cette réaction m’agace, j’en ai assez entendu et je n’ai plus envie de cette sympathie à leur encontre. Au coeur de la tempête, je leur ai donné de l’empathie, quand je me reconstruisais lentement, je leur ai donné de l’empathie, quand j’ai ouvert les yeux et voulu me sauver, je leur ai donné de l’empathie, quand je suis partie, je leur ai donné de l’empathie... Maintenant, ça suffit. Je n’ai plus envie de chercher à comprendre, expliquer leurs attitudes désastreuses, encore moins de les justifier ou de les excuser.

    De rares échos de leurs paroles me sont parvenus ces dernières années; systématiquement, j’ai le sentiment qu’ils n’ont toujours pas compris, je reste la vilaine à leurs yeux, ils continuent de se présenter en victimes ( oui, oui, vous lisez bien) et cela me met en colère, de cette émotion salvatrice qui s’exprime quand nous percevons une menace à notre intégrité. Quoi qu’ils disent et fassent, je sais par quoi je suis passée et comment leurs attitudes m’ont confrontée à des situations terribles. Je vois clair et je ne pardonne pas, c’est aussi radical que cela. Je me suis libérée, la vie me préserve de ce genre de personnes et circonstances, Dieu merci! Je suis à d’autres voies, d’autres rencontres, d’autres événements, sur une autre planète et c’est tellement mieux. D’ailleurs, ceux qui me connaissent telle que je suis aujourd’hui sont certes d’abord bouleversés par cette histoire puis terriblement heureux de voir ce que je suis devenue. Puisse la vie continuer à nous préserver d’une telle expérience... et mes blablas à ouvrir ne serait- ce qu’une paire d’yeux.

    « Au fer!Avertissement à ceux qui suivent. »

  • Commentaires

    1
    Magali
    Samedi 19 Septembre 2015 à 18:48

    Ils se sont sentis victimes car ta maladie a fissuré le mur de leurs certitudes et mettait en danger leur petit confort. En clair, ils se sont sentis agressés car tu leur a montré l'existence du temps qui passe, l'inéluctabilité de la mort et la folie de leurs vaines illusions.

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