• Traitement de suite et réjouissances.

    Le laboratoire Roche le nomme Cellcept, la molécule est mycophénolate mofétil. Ce n’est pas de la rigolade, au contraire,  c’est du lourd. Evidemment, après les perfusions au bazooka, cela me semblait de la gnognotte, je ne me suis heureusement pas posé de questions ou tourmentée en le prenant ou en lisant la liste des effets secondaires, cela aurait été inutile voire destructeur. Je préférai mesurer l’aubaine d’un traitement permettant de contrôler une saloperie de maladie incurable, chronique, aléatoire, invalidante, virulente. Très cher (110 euros la boite avec la marque Roche, 2 à 3 nécessaires par mois), je louai à nouveau la Sécurité sociale, le tiers payant et la prise en charge à 100% pour les affections de longue durée ! Dans d’autres pays, même très riches, c’était la mort assurée d’abord sociale puis physique.

    La première semaine, j’entamai les prises quotidiennes. C’était tellement facile, un verre et hop, c’est fini. J’avais la tête à la vie et je ne tins aucunement compte d’un quelconque effet secondaire.

    La deuxième semaine, je commençai par prendre deux comprimés le matin histoire de me débarrasser de cette obligation au plus vite, je n’avais aucune envie d’y songer à plusieurs reprises dans la journée. D’emblée, je remarquai qu’un coup de massue me fauchait en début d’après-midi, une fatigue forte, irrépressible m’étreignait et où que je me trouvasse, j’avais envie uniquement de me coucher et de fermer les yeux. Le monde pouvait s’écrouler que je n’en avais cure, je ne voulais que me reposer. Bornée comme je suis, je n’ai pas cherché très loin, incrédule et assez indifférente en dehors des coups de massue. Ce n’est que lorsque j’étais contrariée dans mes projets que ce phénomène me questionnait. Je passai donc à la troisième semaine avec ses trois prises.

    Catastrophe, deux prises le matin et un comprimé plus tard, j’étais un vrai zombie. Mon médecin généraliste m’expliqua, quand je l’interrogeai sur ces manifestations, que mon organisme ne supportait pas ces fortes doses et qu’il serait plus judicieux de les étaler dans la journée. Je pris donc trois comprimés, trois fois par jour, bien séparés. Passage en quatrième semaine et ses quatre prises journalières.

    Un le matin, un le midi, deux le soir.

    Désormais, en plus de ma volonté acharnée à récupérer au maximum ce qui avait été perdu sur le plan physique (marche, vue, souplesse, endurance…), de mon combat pour l’assainissement des relations à mon entourage dans une ambiance délétère et du marathon du retour à la vie sociale, j’engageai une lutte quotidienne contre cette fatigue, cette profonde lassitude.

    Quelques mètres ou quelque activité me fauchaient littéralement très rapidement. Chaque effort était une expérience profonde afin de puiser la force nécessaire à mon objectif. Je faisais tout en pointillé, en négociation perpétuelle avec le corps. Le ménage par exemple était une épreuve. Ce que j’abattais avant en deux heures me prenait toute la journée contrainte par des pauses régulières d’assise. Ce fut d’ailleurs au cours de l’une d’elles que je réalisai combien j’avais nié mes besoins en mettant fin à l’aide à domicile parce que je n’avais laissé de place qu’aux angoisses de SeN. Nouvelle voie d’apprentissage.

    Simultanément, je faisais régulièrement des malaises avec syncopes et perte de connaissance. Qu’importaient le moment, l’heure, le lieu, je pouvais tout à coup m’écrouler sans prévenir. Je me souviens en particulier d’un matin où une sœur infirmière était venue pour la prise de sang mensuelle. J’étais descendue joyeuse et bloom, je me retrouvai portée jusqu’au canapé ; je m’étais écroulée subitement. Heureusement, SeN était derrière moi par hasard et il n’avait eu qu’à tendre les bras pour me rattraper in extrémis, je ne fus pas blessée. Je n’ai aucun souvenir, simplement un trou noir- éclair. Par bonheur, ces chutes ne survinrent pas quand j’étais seule (ce qui était la plupart du temps) et n’entrainèrent jamais de blessure. Si j’étais croyante en quelque religion, je parlerai d’anges gardiens.

    En parallèle, j’entamai la valse folle des infections urinaires.

    Du fait d’une atteinte de la moelle épinière, mon système d’évacuation est détraqué, c’est mécanique. En raison de sphincters mal connectés aux ordres du cerveau,  des résidus stagnants dans la vessie provoquaient déjà quelques infections régulières. Avec la prise d’un immunosuppresseur, ce sont nos fragilités qui se réveillent et chez moi, mon système urinaire en est un. Bébé, j’avais eu des staphylocoques incompréhensibles ; longtemps, nous avions cru que c’était de l’histoire ancienne et avec l’immunosuppression, cette vieille histoire revint sur le devant de la scène. Pendant des mois, elles se succédèrent avec une régularité énervante. Malgré les traitements et alternatives mises en place avec Solange en rééducation (auto-sondages, médicaments, etc.), elles étaient quasi permanentes. Par chance, je n’eus que peu d’antibiotiques puisque mon médecin généraliste est homéopathe. Je me suis donc gavée de teinture mère, de granules et autres doses pour contrecarrer ces foutues infections. Le neurologue évoqua opérations, traitements supplémentaires. Oula ! Au regard de ce que j’ingurgitais depuis des mois, je voulais m’éviter au maximum de nouvelles chimies en cocktail ; l’homéopathie me sauva la mise et il ne put que m’encourager sur cette voie. Et oui, les médecins confrontés à certaines pathologies lourdes n’ont absolument rien contre des alternatives permettant de soulager leurs patients du moment que la thérapie se fait de concert.

    Evidemment, ces tracas avaient une portée importante sur mon quotidien. Les nuits étaient perpétuellement entrecoupées en raison de levers incessants aux toilettes aggravant la lassitude engendrée par le médicament en lui- même. Souvent, en pleine nuit, je n’arrivais pas à destination. Au mieux, je me liquéfiais sur place, dans le couloir, dans les escaliers, devant la cuvette des toilettes. A 2, 3, 4, 5 heures du matin, j’épongeais  les traces de mes fuites tout le long de ma course à la salle de bains, je me lavais, je me changeais, parfois, je réveillais SeN pour changer les draps d’un lit inondé.  Au pire, la tête tournait au point de m’écrouler dans une immense flaque d’urine ou dans les bras de SeN répondant à mes rares appels à l’aide. Même dans ces situations dangereuses, je ne tenais pas compte de mes besoins, je le passais avant moi sous prétexte qu’il travaillait, qu’il avait besoin de dormir. C’était un crève- cœur que de le solliciter et j’encaissais ses réflexions acerbes sans broncher, profondément triste.

     

     Et puis, après plusieurs mois de ce cirque, il s’avéra un jour, par hasard que la pharmacie était en rupture de Cellcept. Comme il est à prendre progressivement, son arrêt ne peut se faire brutalement et je calculais combien il me restait de comprimés jusqu’à la date prévue d’arrivée des nouvelles boites… «  Humm, en n’en prenant que 3 par jour, je peux y arriver ». Sans en informer les médecins, je m’y mis et mon quotidien fut transformé très rapidement. Mes soucis urinaires s’apaisèrent grandement, la vitalité me revint comme par enchantement, les efforts ne me coûtaient plus tant, je retrouvais bien des activités avec plaisir, je pouvais mobiliser mes forces vers les muscles, la motricité, la relation, les projets de vie au- delà les murs- prisons de cette foutue maison. Ce fut une magnifique surprise, un soulagement, un tremplin vers d’autres horizons désormais plus accessibles.  Refusant la peur, je décidai par moi- même de rester à trois comprimés par jour.

    Au rendez- vous suivant en neurologie, j’informai joyeusement et fermement  Gilles que de mon propre chef et à l’écoute de mon corps, j’avais arrêté les quatre prises quotidiennes. «  Ma vie en a été transformée ! ». Comme à son accoutumée, il m’écouta attentivement, répondit posément : «  Si effectivement vous vous sentez mieux ainsi, vous pouvez continuer avec seulement trois comprimés par jour. La posologie normale dans cette pathologie est de quatre mais comme vous n’êtes pas bien grosse (pour rappel : 1m68 et 54-55 kilos), je pense que trois sont suffisants. » Youpi ! Je pouvais continuer sur ma lancée.

     

    Jusqu’à nouvel ordre, c’est un traitement à vie, c’est- à- dire tant que la médecine n’aura pas d’autre proposition thérapeutique et cette prise est devenue une habitude, un geste mécanique. Néanmoins, de temps en temps, j’ai quelques pensées nostalgiques pour ce temps où je n’avais pas à songer constamment aux traitements, pilules et autres chimies à avaler, où les boites n’envahissaient pas ma cuisine, bien en vue. J’ai également des jours où j’oublie d’en prendre un avec ce désir constamment présent d’en finir avec ce truc pas léger du tout. Il suffit d’une douleur, d’une malaise quelconque pour que je me jure mordicus de ne plus le négliger, la peur de replonger me rappelant à l’ordre. Les prises de sang se font moins fréquentes les premiers mois ayant été bons, mon organisme surmonte l’épreuve et mes cellules se maintiennent à des niveaux normaux tendance moins. J’avoue avoir négligé les échographies cardiaques annuelles à partir de la troisième, la deuxième ? Je ne sais plus. Et puis, à la rencontre d’autres personnes atteintes elles aussi de Devic, j’ai pu mesurer ma chance. Non seulement je le supporte bien ce foutu immunosuppresseur, anti- rejet, mais en plus, je suis un des rares cas à répondre aussi favorablement aux traitements.    Bon sang, pourvu que ça dure !! Et dans ma caboche de Carabosse bornée et acharnée de la vie, je songe souvent à cette petite remarque de mon ancien kiné de rééducation, Raphi : «  Et guérir, pourquoi pas ? C’est aussi une possibilité… ». Ma guérison intérieure quant à elle est déjà bien en marche, quoiqu’il en soit

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  • Commentaires

    1
    Jeudi 7 Juillet 2011 à 13:44
    Annie

    Tout ce qui vient de l'intérieur se manifeste à l'extérieur, donc...

    Gros bisous!

    2
    Vendredi 8 Juillet 2011 à 20:50
    Magali

    JE te souhaite en tout cas de continuer à cheminer et à guérir, dans tous les sens du terme...

    3
    Lundi 11 Juillet 2011 à 22:27
    Bruno

    Hello Toi ! bienheureux je  suis effectivement, pour ta guérison intérieure puisque ce qui est à l'intérieur rejaillit sur l'extérieur, c'est tant mieux..!.

    A propos d'anges, même si certaines religions ont utilisés ces êtres pour leurs desseins, point n'est besoin d'un dieu pour que les anges existent, le tien t'accompagnera sans que tu portes une croix ou voues un culte quelconque..!.

    Interpelles-le, il sera ravi de t'aider et t'éclairer !

    Bisoux !

     

    4
    Herve_C
    Mercredi 18 Juillet 2012 à 11:59
    Herve_C

    Bonjour

      J'ai parcouru votre blog surtout ce qui concerne votre maladie. C'est passionnant un peu dur a suivre, dans les méandres de posts. Mais émouvant bien écrit plein de punch. Vous faites parti de ceux qui savent qu'ils vont mourrir, les autres se croient éternels et perdent du temps alors qu'il est compté.

    cordialement

    Herve

    5
    fée des agrumes Profil de fée des agrumes
    Samedi 18 Août 2012 à 10:22

    A Annie:

    Je répète qq "mantras" ces temps- ci, il y est question d'abondance

    6
    fée des agrumes Profil de fée des agrumes
    Samedi 18 Août 2012 à 10:24

    A Magali:

    J'aimerais bien que mon chemin me mène vers chez toi, vous êtes qqns à être dans le même coin.

     

    7
    fée des agrumes Profil de fée des agrumes
    Samedi 18 Août 2012 à 10:25

    A Hervé:

    Bonjour Hervé et bienvenue

    Les méandres d'ici sont consécutifs au support blog malgré mes efforts de garder une ligne. Décidée, je reprendrais le tout en vue d'un format livre; éditer et cie ne m'emballent pas à moins que cela vienne à moi, l'air de rien.

    Vous avez bien raison, c'est la conscience du temps, de la finitude qui animent mon existence, la prévalence du ici et maintenant. A mes yeux, il n'y a rien de pire que de mourir dans le regret.

    Au plaisir de vous recroiser,

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