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Restos du cœur.
Devant la situation matérielle des derniers mois et le décompte des obligations de paiement courantes, ils étaient passés à mon esprit comme un songe, un souffle. « Eventuellement » Parce que c’est une évidence, je frôle le seuil de pauvreté avec mon salaire et ma pension d’invalidité, un comble pour qui s’est battu à continuer de travailler. Les deux tiers de mes petits revenus partent uniquement dans le paiement du loyer, des charges et des factures courantes type assurance. Lors du bilan effectué avec l’assistant social, j’avais été choquée par cette conclusion : « Il vous reste 200 euros pour manger ». Pour manger ? Et l’entretien du corps, de la maison, les vêtements, l’essence de la voiture, la culture? Il n’y a pas que l’alimentaire dans la nourriture bon sang ! Ce n’est pas lui que je vise parce qu’il a remué ciel et terre pour m’obtenir des aides au déménagement et à l’installation, ce sont ces représentations aberrantes de la condition humaine dans cette société prétendue moderne. Travailleur pauvre, intello précaire, famille monoparentale, absence de proches suffisamment aisés pour combler les fissures des accidents de la vie… et c’est parti pour les solutions de survie sociale.
Les dossiers coincent à la CAF, je suis bloquée dans l’extension des heures de travail par les décisions de la médecine du travail et mon état physique, sans même parler des tractations financières récurrentes au statut d’enseignant de la formation pour adultes, contractuel de l’Education nationale mal payé, mal considéré, une espèce de bâtard du monde du travail.
Les structures administratives me protègent d’un côté et m’enferment de l’autre ; je ne me laisse pas faire, je cherche, je demande et depuis des années, nous bataillons tous pour que, malgré la maladie, ma vie soit digne. Seulement voilà, cet hiver, nous avons à peine de quoi nous nourrir. Si je ne m’inquiète pas et vis tranquillement, simplement, sobrement, heureusement, ce n’est pas le cas de mon garçon qui ne cesse de lancer des sos depuis sa rentrée dans le nouveau collège. Il accumule les comportements répréhensibles et souffre tellement qu’il finit grâce à la cnv par me parler de ces peurs atroces qui le tenaillent et la seule solution qu’il entrevoit, le suicide. Merde alors ! A bientôt 13 ans !! Par chance, sa mère est une tête de mule et j’ai fait le tour des profs, cpe, principal adjoint, association (merci Valérie pour le rappel de Sépia !!!). Prise en charge totale pour ne pas le laisser sombrer! Je suis soulagée de partager cette tâche avec des interlocuteurs efficaces dans des sphères qui ne relèvent pas de mes compétences, ouf.
Avec la même opiniâtreté, en attendant que les dossiers se débloquent et/ ou que ma situation professionnelle soit plus « confortable » financièrement, je me suis inscrite aux Restos du cœur. Ça passe tout juste bien que j’ai à courir après X justificatifs que tel ou tel organisme ne me donne pas parce que le dossier est en cours (depuis septembre…). Il est heureux que mon garçon mange à la cantine pour laquelle j’ai pu obtenir un coup de pouce du fond social du collège ; si je peux me contenter de repas très sobres genre pommes de terre et haricots secs, riz et lentilles toute la semaine, ce serait quelque peu rébarbatif pour lui si méfiant de mes tamagouilles. Toujours est- il que le premier colis d’aujourd’hui fera son bonheur ! Entre des flans nappés caramel, du fromage type camembert ou à tartiner, des céréales de petit déjeuner, du poisson pané, des biscuits sablés, des raviolis en boite, de la soupe en sachet, des frites congelées, des compotes de pommes et du riz au lait tout prêts, il trouvera plus d’un produit que je ne suis guère accoutumée d‘acheter. A son âge vorace, il en profitera. J’ai tout exposé sur la table de la cuisine pour lui, à son retour et je suis contente qu’il se réjouisse de ces gadgets alimentaires comme j’aime à les appeler.
Par contre, j’ai été secouée ce matin. Ma voiture étant en réparation pour trois jours, j’avais demandé à ma mère de m’emmener aux Restos du cœur ; marcher à l’aller est faisable, je ne me sentais pas capable de faire le retour. Paniquée par la neige, elle est venue tôt, fait inhabituel chez elle. Je la sentais inquiète et nerveuse, j’ai mis ça sur le compte de la neige et j’ai tâché de la rassurer façon CNV (et oui, c’est automatique). Elle parlait fort, criait parfois, s’énervant pour trouver une place. Je sortis la première, elle me rejoignit quelques minutes plus tard alors que j’expliquai ne pas avoir le papier demandé la semaine passée en raison des lenteurs administratives de la CAF. Je vis son visage livide et je me penchai vers elle (je suis notoirement plus grande qu’elle) :
- J’ai mal au ventre crus- je entendre
- Qu’est- ce qu’il y a ? Tu ne te sens pas bien ? Tu veux t’asseoir ? Boire quelque chose ?
Et là, des larmes coulèrent de ses yeux. Quel crève- cœur ! Ma pauvre Maman !
Elle vit très mal de me savoir là, elle ne comprend pas pourquoi nos parcours de vie sont jalonnés de tant d’épreuves. Je lui expliquai que je ne le vivais pas mal parce que je suis quelqu’un qui donne beaucoup et qu’il est naturel que je reçoive aussi, que ce n’est qu’une solution temporaire en attendant le déblocage des freins bureaucratiques et circonstanciels… Rapidement, elle tourna sa profonde tristesse en colère, en révolte sourde et amère avec les relans de revendications communistes, une tradition familiale, hihi.
Que pouvais- je faire d’autre que de l’écouter ? Que de l’accompagner dans la verbalisation de ses sentiments ? J’ai tâché de lui demander de ne pas s’inquiéter outre mesure pour nous ; je suis bien, je m’occupe de mon fiston et j’ai l’intime conviction que nous nous en sortirons. Une simple question de temps. Elle eut un léger soulagement quand j’achetai une salade pour le cochon d’Inde (celle-là, elle est difficile et il n’est guère aisé de la nourrir actuellement avec les denrées hivernales de soudure). Je n’ai pas pris le petit billet qu’elle me tendit au retour à la maison parce que je sais qu’elle- même est confrontée à des difficultés financières : « Maman, je n’ai pas besoin d’argent ; les restos du cœur c’est pour avoir un petit plus afin d’améliorer l’ordinaire » Une touche de fantaisie.
Elle est repartie précipitamment, dans sa colère, son incompréhension, sa révolte, ses sentiments à elle. J’étais triste de la voir se miner de la sorte parce que je sais qu’elle se culpabilise énormément de ne pas avoir pu nous offrir une enfance dorée, paisible confrontées que nous étions au deuil, à l’isolement, aux difficultés économiques. Je lui dis ce que je ressens et ce que je vis de mon propre chef fût-il inconscient, c’est à elle de faire son cheminement dans ses propres ressentis. Je l’écoute et l’accompagne, je refuse toutefois de me culpabiliser, de rentrer dans la spirale infernale de l’amertume, la rancœur, la culpabilité. Sur ces voies de l’autodestruction, j’en ai suffisamment supporté, je vogue sur d’autres courants.
Quant aux Restos du cœur, j‘irai tant que l’ordinaire est trop chiche. J’étais heureuse d’y recevoir des gadgets pour mon fiston, je me suis même exclamée « Tout ça ! » en découvrant ma barquette. J’ai rendu certains produits parce que j’en ai suffisamment dans mes placards ou parce que je sais que nous ne les mangerons pas, un autre peut en avoir réellement besoin. J’avoue en avoir pris certains pour les donner à d’autres qui n’ont guère besoin d’assistance mais je sais qu’ils aiment cette chose. Je reçois parce que je donne, et ce que je reçois, je ne le savoure que par le partage que j’en fais. Et dire que je suis une agnostique pure et dure, une mécréante parfaite…
Le tutoiement m’a surprise, voir gênée, je me suis sentie en décalage avec ceux qui étaient là sans toutefois poser des hiérarchies. Il n’est pas facile d’avoir une éducation type cadre supérieur et vivre dans un milieu socialement défavorisé, problématique quotidienne également dans le logement social où je me promène depuis des années. En retournant aux Restos du cœur chaque semaine, je croiserai des vies autres, des parcours divers et multiples, ce n’est pas en mettant des barrières dans mes représentations que je rencontrerai authentiquement qui que ce soit et avec mon bagage, qui sait ?, j’aurai quelque chose à apporter à celui qui en voudra.
En Europe, les plus heureux sont les Danois, simplement parce que dans leur organisation générale, nul n’est laissé pour compte, ni déprécié dans son statut d’aidé. La France avec ses grands idéaux républicains mérite mieux que la vanité de nantis complaisants ou hautains venant sermonner ceux qui n’ont pas la chance d’être né avec une cuillère d’argent dans la bouche. Oui oui, j’arrête, sinon c’est la fibre familiale communiste qui va s’exprimer.
On ne m’enlèvera jamais de la tête que l’humanité n’aurait jamais survécu sans la solidarité.
Tags : j’ai, qu’il, n’est, restos, c’est
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Commentaires
Commentaires
Je n'en ai pas le temps, pas l'envie. Comme disait ma mère : "autant pisser dans un violon".
Quelle société de merde ! Et l'autre connard de BUSH qui veut à tout prix exporter notre "démocratie" aux 4 coins du globe (comme si un globe avait des coins...).
C'est amusant... ta conclusion... toujours une note positive.
Quelle force !
Tu vois... je saute du coq à l'ane... allez... je vais aller jouer à "saute mouton", les brebis ont faim et la neige qui s'accumule (presque 15 cm ce soir dans le centre morbihan) ne m'incite pas à m'attarder dehors.
Courage... courage.
Au fait... comment il disait l'autre emplumé ?
Ah oui... travailler plus pour gagner plus ! ben tiens.
Ce connard de BERLUSCONI c'est pris une statuette dans la gueule... ça me démange de refaire le portrait de NABOT 1er...
Cette note de cynisme me plait, je suis aussi adepte de Desproges et de l'humour grinçant héhé
je ne suis pas partisane de la violence mais j'avoue que j'ai des envies de baffes ( avec ou sans statuette) très souvent devant certaines têtes... En CNV, la violence est acceptée quand il y va de la sécurité essentielle de chacun; avec bien des dirigeants, cette violence- là ne serait pas un luxe!!
Au plaisir de te retrouver ici ou là.
moi aussi j'ai vécu ce genre de situation il y a quelques années.
C'est vrai que c'est un choc de découvrir des milieux sociaux que nous ne sommes pas habitués à côtoyer.
En effet, on donne d'un côté, et on reçoit de l'autre.
C'est une façon saine de voir les choses.
Que l'on vienne d'un milieu communiste, chrétien ou autre, c'est la manière dont les gens se comportent qui compte.
Bonne soirée.
Je n'ai jamais évolué dans un milieu fermé, passant de l'immigré sans papier sans abri à la bourgeoisie très aisée.
La multiplicité de l'humanité me plait et j'aime regarder derrière les façades parce que la richesses n'est pas toujours là où on l'attendrait.
l'argent est malheureusement devenu la valeur absolue et l'humain relégué à rien quand il ne possède pas gros chiffres à beaucoup de zéro et biens immobiliers...
Prolétaires de tous les pays, on se fout de nous!!
Finalement, ce qui me choque ce sont ces barrières sociales qui restreignent le mouvement vers le haut par la culture, l'éducation, la relation humaine. Ne comptent que l'arrivisme, le fric, le fait de pouvoir écraser l'autre.
Heureusement, j'ai foi en l'humain grâce à des grands qui jalonnent l'histoire dans la médiocrité généralisée des vaniteux.
Pierre Rabhi, mon ami Boris, Simone Veil parmi les vivants... entre autres.
Et combien d'autres qui les ont précédés!
Nous avons le monde que nous méritons et je lutte opiniâtrement pour le monde dans lequel je vis, de l'intérieur. C'est ça la foi, je pense.
Au plaisir de vous relire.
Ma mère est en souffrance depuis si longtemps que je ne peux pas lui en vouloir d'avoir fait de son mieux malgré toutes les adversités. Je crois qu'elle est soulagée par la bienveillance que je lui accorde; je fais ce que je peux pour la libérer de sa culpabilité.
Les prénoms qu'elle m'a donnés sont très forts et je réalise depuis peu, après des années de réflexion intérieure, qu'elle m'a chargé inconsciemment de sauver la famille et elle en particulier. Certes, c'est lourd, j'en ai traversé des épreuves... en même temps, elle m'a transmis une confiance inestimable et avec quelques autres, une force incroyable.
Je me charge à mon tour de transmettre à mon garçon le flambeau de cette force tout en m'attellant à liquider l'héritage trop lourd.
Quelle belle histoire de vie, non?
Je t'embrasse très très fort!
En nous, autour, près et loin.
Bon en tout cas je vous souhaite plein de bonnes choses, à tous les deux.
Ne doute pas de ce que tu peux apporter à Etienne. Il regarde régulièrement tes dessins et je lis en lui une grande joie, une grande reconnaissance; il est très sensible et la confiance qu'il t'accorde est rare, crois- moi.
Je lui montrerai ton commentaire ou lui en parlerai et je sais d'avance qu'il sera extrèment touché de ton attention à son égard.
Vous existez l'un pour l'autre et ça, c'est une véritable rencontre.
Je crois qu'à ta place j'en serais très honteuse et déprimée (n'y voit aucun jugement mon amie, ce n'est que mon ressenti personnel par rapport à moi-même). Je crois que je ne pourrais jamais être bénévole aux restos du coeur pour cette raison, côtoyer la misère me déprimerait. Curieusement, je n'ai pas du tout l'impression de faire du social en donnant des cours d'alphabétisation, et je n'ai pas l'impression de côtoyer la misère avec ces femmes qui n'ont jamais eu la chance d'aller à l'école, car j'ai toujours vu en elles des mamans, des femmes qui ont eu une experience de vie, qui ont connu le déracinement et le bouleversement de leurs habitudes, et ceci est une richesse. Je ne les ai jamais prises de haut, et je ne m'autorise pas le tutoiement avec elles, qui ont l'âge de ma mère.
Je voulais te parler de ton rapport à ta mère en privé, mais puisque tu l'évoques dans les commentaires, je m'autorise donc en en parler ici.
Je me souviens qu'à 20 ans, tu disais que tu prendrais toujours soin de ta mère. Tu prenais effectivement la lourde charge de sauver ta famille sur tes jeunes épaules. Et maintenant, que vois-je ? Tu as donné à Etienne la lourde tâche de te protéger. D'une génération à l'autre, le même problème se pose. C'est intéressant non ?
Pour ce qui est des prénoms, oui, intéressant. Ton parcours de souffrance et de résurrection est très christique en effet. Attention à la vanité, péché d'orgeuil. Tu n'es pas là pour sauver l'humanité! Lol !
J'aurais beaucoup d'autres choses à dire, mais il n'y a pas de place. Je t'en parlerai au tel, ou face à face.
Bisous à toi, et félicitations pour ton énergie à t'en sortir.
La différence entre ces femmes qui apprennent sur le tard et les personnes qui viennent au resto du coeur est, je pense, qu'elles sont dans une démarche active marquée volonté de s'en sortir. Chercher à manger est plus proche de la charité; les relations sont complètement différentes. Il y a beau faire, je suis certaine que bien des jugements inconscients se jouent dans ces situations et à travers ces jugements, ce sont des histoires personnelles qui se remettent sur le tapis sans cesse.
Quant à la relation à ma mère, je suis en plein éclairage ces derniers mois, avec les événements et la cnv, je prends de plus en plus conscience de la limite qu'il m'est nécessaire de poser pour exister et sortir des plans inconscients imprégnés dans nos psychismes.
je ne sais pas si je demande à mon garçon de me protéger, je crois qu'il se sent lui- même responsable de se charger de tout le monde parce que nous avons dans notre famille une succession de drames qui nous ont tous fragilisés; il a copié ce rôle de sauveur sur moi et c'est de sa responsabilité, notion à ne jamais oublier dans ces quêtes de sens personnelles. Par rapport à moi, je sais désormais que je l'ai conçu par instinct de survie, j'avais besoin d'une raison de continuer à vivre.
Reste que j'ai le sentiment d'être à une charnière importante, les malaises actuels sont devenus énormes parce qu'il y a de véritables prises de conscience en cours, l'abcès est mûr pour être vidé... et c'est pourquoi je suis heureuse de trouver des interlocuteurs compétents. J'ai compris l'importance de la limite pour me protéger en passant le flambeau à d'autres.
Péché d'orgueil? héhé, un vocabulaire judéo- chrétiens . Je ne pêche pas à vouloir me donner ce rôle de sauveur, je m'aligne sur des fidélités familiales inconscientes dont j'ai bien voulu me charger pour avoir le sentiment d'appartenance à cette famille. Désormais, je fais le ménage à grandes eaux avant tout pour moi- même.. et tant mieux si ça sert mon entourage.
Enfin, nous en reparlerons certainement de vive voix,
Je pense souvent à toi, et je me dis parfois que ce que tu as vécu est digne d'une initiation de chamane.
Je comprends que le tutoiement te gène. C'est quelque chose qui m'indispose également. La langue française dispose de cette distinction entre le vouvoiement et le tutoiement, ce n'est pas pour rien. Mieux vaut vouvoyer trop que tutoyer d'emblée.
Je t'envoie plein de pensées, pour toi, ton fils et ta maman...
Et belles fêtes à toi!
Etant passée (peu de temps) par là, je comprends tout à fait ta situation, tout en ne comprenant toujours pas comment des français, qui travaillent de surcroît, peuvent en arriver à un tel point, mais cela est une autre histoire...
Attention à vous deux, et surtout, protégez-vous bien tous les deux.
L'adolescence est une période difficile à vivre et mes enfants, qui en sont sortis ont fait le même constat : ils ne se sentaient pas écoutés ni compris par nous, parents, malgré tous nos efforts de dialogue (qu'ils repoussaient d'ailleurs).
Tu as d'ailleurs la chance immense de connaître et pratiquer la cnv ; puisse-t-elle t'aider ou plutôt vous aider.
Joyeuses fêtes à vous !
La cnv est plus que bénéfique, je sais que la situtation est transitoire et je suis assez folle pour garder l'espoir!