• Réalité en handicap invisible.

    Les handicaps, dans mon cas, sont actuellement invisibles, ils n’en restent pas moins réels. Certaines circonstances m’y ramènent telles ces deux dernières semaines.

     

    Avec les travaux du nouvel appartement, j’ai dépensé une grande énergie, j’ai pris le temps qu’il m’était nécessaire pour en venir à bout malgré les aléas des aides et de mes capacités. Un plafond, des murs, un grattage par ci par là. Quand la fatigue pointait son nez, je posais mes outils et me reposais tant qu’il était nécessaire pour recouvrer mes forces. Facile à gérer finalement car aucun outil ne vient protester, pleurer, hurler, claquer les portes, m’exploser ses ressentis tortueux à la figure. Depuis la rentrée, mon fiston accumule les bêtises au collège et je suis constamment confrontée à des réjouissances en tout genre, c’est une toute autre tâche.

    Si mon esprit et ma sérénité intérieurs ne sont pas démontés, hormis quelques passages à vide où je vis colère et frustration en connaissance de cause, je ressens une grande lassitude physique. Certes, je délègue, je lie des contacts constructifs avec les interlocuteurs du collège, une association d’aide aux ados en souffrance, je ne l’abandonne pas, je ne démissionne pas… mais alors, qu’est- ce que je me fatigue ! C’est du travail de long court, des années de refoulement explosent et je refuse de passer cette occasion de régler des vieux contes. N’a-t-il pas demandé de l’aide un soir où je pratiquai la CNV avec lui ?

    Il y a là une tâche ingrate car les bénéfices sont lents à venir, lents à se montrer. A peine entrevois-je un signe encourageant qu’une nouvelle réjouissance m’arrive aux oreilles ou aux yeux, c’est vraiment dur.

    Je continue avec opiniâtreté à mettre en pratique la CNV malgré mes maladresses de débutante, je continue de poser des limites entre nous, je continue de verbaliser mes ressentis et de le pousser à exprimer les siens, je continue de garder un regard sur son travail scolaire,  je continue à me battre pour lui. Et je continue à essayer de rester chez moi, de ne pas le juger outrancièrement, de ne pas entrer dans les spirales infernales de la culpabilité, de prendre du recul quand je n’en peux plus pour aller méditer, pratiquer du Qi Gong ou tout simplement dormir. Malgré ces tentatives bénéfiques, je lâche physiquement… à moins que mon corps n’exprime une sensation que je ne saurais nommer.

    Il y a dix jours, je  recevais une décision stricte du collège, une sanction comme je ne pouvais en imaginer. Tiraillée entre colère, incompréhension vis-à-vis du fiston et découragement, je sentis vaguement que ma vessie commençait à faire des siennes. « Bah, c’est la période » pensai-je sans y prêter attention et je pris quelques remèdes habituels. Un jour, deux, trois… Arriva le week-end ; les confrontations avec le fiston se multipliaient, j’avais cette envie de lui arracher la tête comme le capitaine Haddock ivre hallucinant dans le désert sous l’effet conjugué de l’alcool et de  la chaleur (Le crabe aux pinces d’or : il y prend Tintin pour une bouteille de champagne et tente de lui faire sauter le bouchon avant de revenir à la réalité et de voir son camarade au bord de l’étouffement).

    Un esclandre éclata finalement à grand cri ; dès les premiers haussements de voix, ma vessie ne fit qu’un tour et je sentis l’imminence du débordement. Précipitation vers les toilettes, une grande brûlure me traversa le corps. « Aïe, Aïe ! Voilà que les choses se compliquent » Malheureusement habituée à ces infections urinaires, je pris des remèdes plus costauds. Soulagement pendant quelques heures, nouvelle crise avec le fiston, nouvelle brûlure. Les nuits furent mouvementées, levers trois, quatre, cinq fois. Aucun des remèdes pris ne semblaient avoir d’effet durable. La première journée de travail se passa assez tranquillement, les fuites se firent à la maison ; le lendemain, par contre, ce fut catastrophique.

    J’étais seule, mon collègue étant en réunion. Il y avait huit personnes et je courais partout, lot de l’individualisation et de la photocopieuse dans un autre bureau. Dans le doute, j’avais mis une jupe et des protections pour ne pas être gênée dans mon travail. Rien n’y fit. Je m’inondais les vêtements sous la jupe, je me précipitais sans cesse aux toilettes pour éponger, changer, nettoyer au mieux. Devant la photocopieuse, je ne pus retenir les flots et me retrouvai au milieu d’une mare. Heureusement, les collègues présentes m’aidèrent à nettoyer…

     Le temps ne passait pas, j’étais mal, mon corps entier tiraillait ; sous l’effet conjugué du corps et des conditions de travail, ma vue déclinait, les contours s’effaçaient, les lumières m’incommodaient. Je résistai pour tenir, en colère toutefois contre les odeurs qui me poursuivaient. « Pourvu que personne ne les sente !! » J’ai fait de mon mieux et enfin, je rentrai chez moi avec ma copine Rachel. Dès mon retour, j’appelai Colette (mon médecin), elle m’invita à déposer un échantillon au laboratoire quand je lui expliquai avoir essayé tous les remèdes en vain. Précipitamment, je remplis un petit flacon et réussis à le faire passer dix minutes avant la fermeture du labo, sans ordonnance sous promesse de la ramener le lendemain. Chez Colette, il y avait tellement de monde en salle d’attente que j’y retournai le lendemain, la neige bloquait les routes et plusieurs rendez- vous furent, heureusement pour moi, annulés. Grand tour de la question. Elle m’expliqua par exemple que les milieux froids et humides avaient certainement une influence sur mon organisme. Je pensai à cette foutue maison où j’avais tant souffert et expliquai que dans le nouvel appartement, nous avions plus de confort sur ce plan. « Il est possible également que le froid du sol monte à vous ». Ben oui, nous sommes au rez-de-chaussée au-dessus de caves non chauffées… Elle me conseilla de prendre de l’eau avec du bicarbonate de sodium en cure de temps en temps, afin de diminuer l’acidité organique qui favorise les infections urinaires. Re- ben oui, j’accumule... sans compter la charge de la tâche avec le garçon. Je repartis avec une ordonnance complète pour soulager les douleurs et l’infection. Ouf.

    Samedi, je voulus faire un tour pas trop loin de chez nous afin de trouver des vêtements en solde pour le fiston. Grand magasin à multiples rayons variés. Pff. En dépit de son aide, je fus très rapidement fatiguée, mes jambes pestaient contre ces piétinements. Je m’assis dans un rayon pendant qu’il essayait une paire de baskets espérant me soulager, il n’y avait rien à faire. Le tour des rayons fut impossible et j’hâtai le retour à la maison alors que ma vue, entre la fatigue et l’infection ne m’inspirait pas confiance, il était plus que temps de retrouver le calme.

     

    Voilà quatre jours que je prends mon traitement, les effets sont aléatoires. J’ai eu mes résultats de labo trois jours après le dépôt, il y a effectivement des vilaines bêbêtes et Colette est absente jusqu’à lundi après midi. En attendant, je me débrouille comme je peux, laborieusement selon les caprices urinaires. Refusant les protections jetables, je me promène avec mes serviettes lavables que je trempe, frotte, lave, essore pour passer d’une journée, d’une nuit à l’autre.

    « Maman, c’est comme la dernière, dit tranquillement mon garçon, tu as du mal à la quitter ». Roooh, fiston, c’est une belle façon de changer d’angle : qu’est- ce que je veux exprimer avec ces infections incessantes ? Surtout que les brûlures me viennent systématiquement quand je suis en plein conflit avec quelqu’un !

    Il est vrai que bébé, je faisais des infections incompréhensibles, le médecin avait eu un mal fou à les soigner, aucun examen ne permettant d’en trouver les raisons. Ma vessie était sensible, je courais aux toilettes avant la maladie.

    Désormais, s’y ajoutaient une atteinte de la moelle épinière, des années sous immunosuppresseurs (une chimiothérapie, ce n’est pas rien au quotidien)… ce genre de maladie finalement révèle aussi nos fragilités, mes fragilités.

     

    Car oui, je suis opiniâtre, persévérante, débrouillarde, intelligente, combative, plus encore… je suis aussi FRAGILE ! Pendant des années, j’ai tiré la corde, moi, la femme forte et bloom, je suis tombée malade violemment, très violemment. La maladie expose mes fragilités devenues des handicaps. Si je peux trouver les ressources pour surmonter les difficultés de mon existence avec une énergie étonnante, je vis avec ma vue fragile, ma vessie fragile, ma moelle épinière fragile, mon corps fatigable plus qu’un autre, mes douleurs devenues habituelles, un système immunitaire fragilisé par les traitements et ce fardeau n’empêche pas la venue d’autres aléas de vie.

     

    Je me demande souvent quelle attitude tenir dans ce cas d’handicaps invisibles. Quand je m’assois, peu m’importe que certains s’étonnent de voir une jeune femme si vite fatiguée ; quand je cours aux toilettes ou m’inonde, je ne me soucie que de mon bien-être ; quand je ne voyais pas, je ne me gênais pas pour tourner les objets en ma faveur ou pour demander de l’aide ; quand dans les immenses parkings pleins  ou en ville, il y a une place réservée aux handicapés, je m’y gare. Quand je me fais conduire par les taxis aux rendez- vous ou au travail, je ne pense pas à ce que d’autres en pensent ; quand je perds l’équilibre dans la marche ou la danse comme un ivrogne, je me garde simplement de ne pas tomber et de me rétablir solidement. Selon les circonstances, j’agis à l’écoute de mon corps et il ne m’intéresse guère de me justifier.

    Parfois, je me gare à côté de la place réservée aux handicapés quand elle est libre, une personne en fauteuil a besoin de plus de place que moi pour entrer et sortir de son véhicule. J’évite d’utiliser les toilettes pour handicapés quand je le peux. Je ne proteste pas quand la caisse prioritaire est largement occupée et qu’une autre a moins de monde plus loin. Je laisse la place à d’autres plus âgés, plus handicapés si je sens que je peux le faire.

     Mes handicaps ne sont pas des revendications, ils ne sont pas un étendard. Certes, ils me donnent accès à certains privilèges dont les virées aux Eurockéennes sont un exemple notoire, cependant, est-il judicieux d’en parler simplement parce que j’ai été contrariée par un obstacle surmonté sans aide ou aménagement ?  Dans quelle mesure informer l’autre ou non de mon état ?

     

    En y réfléchissant, une idée me traverse l’esprit : finalement, je ne demande qu’à être moi-même, dans sa complexité, sa réalité mouvante et humaine, je n’ai pas à être cataloguée handicapée ou non. Je ne veux pas d’étiquette. J’ai des droits, je fais le choix ou non de les utiliser selon les circonstances. C’est cela la société, à mon avis, que chacun y ait sa place quelque soit son originalité, une place avec toute la dignité due à un être humain.

       

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  • Commentaires

    1
    Je transfère
    Jeudi 15 Août 2013 à 15:49

    Commentaires

     
    Je suis admirative devant ton opiniâtreté à pratiquer la CNV, alors que la voie la plus simple serait la colère. Peut-être que tes incontinences sont-elles le signe de cette fatigue devant toute cette discipline que tu t'imposes. Peut-être te disent-elles qu'il faut que "Ca sorte".
    Dans mon esprit cette discipline est une violence que tu te fais à toi-même. Je me trompe sans doute vu que je suis très "classique" dans mes relations avec les autres.
    Commentaire n°1 posté par Magali le 17/01/2010 à 19h05
    Oh ben question colère, j'en tiens un sacré rayon et je ne me gêne pas!   je la vis pleinement en restant chez moi, elle relève de ma responsabilité; je l'écoute et la regarde pour mieux la laisser passer. Ma difficulté vient souvent de la demande, j'ai du travail à faire avec cette étape.

    Je n'ai pas l'impression de m'imposer une discipline, j'ai lâché tant de règles... j'y réfléchirai.  Par contre, l'idée que qqch doit sortir est dans mes intuitions; je ne sais pas trop sur quel plan ça se joue mais il y a là un truc qui coince. Des poisons relationnels qui me brûlent de l'intérieur?
    Quant à la CNV, je ne vois pas d'autre voie possible bien que ce n'est pas aisé de se défaire de vies de violence. Etienne évolue de l'intérieur, c'est mouvementé, évidemment; je reste persuadée que cela est nécessaire pour qu'il ne plonge pas lui aussi dans des fidélités familiales malsaines.
    Nous reparlerons de tout cela de vive voix, en chemin d'Hécate...
    Réponse de fée des agrumes le 17/01/2010 à 22h13
    Ton article est intéressant... il me fait penser à cette réfléxion que je m'étais faite en voyant un homme visiblement un peu handicapé qui travaillait à Carrefour. Il était chargé de ranger des CDs sur des rayonnages, et il était très lent (sûrement à cause de son handicap). Je m'étais fait alors la réflexion que lui avait "le droit" d'être lent parce qu'on lui a collé cette étiquette d'handicapé. Si par contre moi, une personne dite "normale", travaille lentement, ça sera forcément catalogué comme de la paresse. Alors que ça pourrait juste être la façon dont je fonctionne. C'est comme s'il y avait les "handicapés" d'un côté, et les "normaux" de l'autre... alors que dans la réalité il existe toutes sortes de nuances entre les deux... Nous avons tous des forces et des faiblesses, handicapés ou non...
    Commentaire n°2 posté par coq le 17/01/2010 à 23h02
    d'autant plus complexes, ces variations humaines que par exemple, un maniaco-dépressif, en phase maniaque soulèvera des montagnes tant il déborde d'énergie et qu'un valide fatigué ou soucieux de se préserver décidera de vivre lentement.
    Ce qui me gêne,c'est la catégorisation; c'est tellement plus facile que de se pencher sur la complexité de l'humanité. En même temps, nous avons tous besoin de limites et que serait la société sans ces limites?
    j'en reviens au même constat: il y a les principes balisant la vie ensemble... et le principal auquel nous revenons tous, à un moment ou à un autre.
    j'ajoute en cerise, le jugement parce que très souvent, malgré nous, nous jugeons les autres, nous nous jugeons nous- même. Et ça, c'est un poison!
    Réponse de fée des agrumes le 18/01/2010 à 11h47
     
    Que dire de plus, je suis tout simplement très touchée par ce que tu relève, je partage tant ce que tu écris dans ma vie de "devic" !
    Commentaire n°3 posté par valie le 18/01/2010 à 21h44
    Et ce malgré les différences dans les handicaps.
    Ces maladies éclairent nos fragilités, ... Initiatrices maladies.
    Réponse de fée des agrumes le 19/01/2010 à 11h48
    Ton souci de vessie est un véritable handicap... je comprends que tu ne souhaite pas revendiquer ni ça, ni autre chose. Cependant, j'imagine comme il doit être difficile, en cas d'urgence, d'expliquer ou de faire comprendre sans rien dire, à quel point tu ne peux supporter certaines choses.

    C'est terrible à dire, mais je pense que les gens qui souffrent d'un un handicap visible ont plus de "facilités" à le faire accepter...

    J'espère que tu vas vite aller bien.
    Commentaire n°4 posté par la Femme des Steppes le 19/01/2010 à 11h14
    Merci hard rockeuse
    J'ai une belle infection et un traitement antibiotique que mon homéopathe a jugé nécessaire, c'est dire!
    J'ai la répartie et le sens de l'à propos pour réagir, en plus, j'explique très bien quand c'est nécessaire. J'ai rarement rencontré des gens obtus ou fermés, avec mon minois, mon humour également, je suis aidée. Et puis, les hommes aiment bien s'occuper des femmes fragiles, non?
    Le naturel et la spontanéité sont souvent déroutants, ils permettent d'abaisser les barrières.
    celui qui refuse, juge n'est pas mon problème, c'est le sien, vive la cnv!
    Réponse de fée des agrumes le 19/01/2010 à 11h58
    C'est vrai.. on ne peut rien sur ce que les autres pensent de nous... une fois qu'on a compris cela, on est libéré d'un tas de questions douloureuses.

    La hard rockeuse te salue
    Commentaire n°5 posté par la Femme des Steppes le 19/01/2010 à 12h39
    en fado ou baroque?
    Réponse de fée des agrumes le 19/01/2010 à 20h46
    Moi ce serait plutôt le contraire, obligée d'avoir recours à des sondes pour uriner...
    Gros bisous et courage
    Amitiés, Flo
    Commentaire n°6 posté par Flo-Avril le 19/01/2010 à 17h29
    Bonsoir Flo,
    Joli blog que le tien, tu t'y amuses avec des bidouillages css!
    les sondes, j'ai connu ça plusieurs années. maintenant, j'ai un truc pour lâcher les sphincters qui soulage mes soucis précédents de fuite pour cause de vessie pas vidée et surchargée. là, c'était une belle infection explosant les chiffres du labo!
    Que les longues robes et culottes fendues avaient du bon...
    Réponse de fée des agrumes le 19/01/2010 à 20h48
    Un p'tit salut en Purcell, un sourire en Cristina Branco, et un p'tit signe de la main en Cesaria Evora

    ... et puis tiens, pour compléter le tableau, une pirouette en Kusturica
    Commentaire n°7 posté par la Femme des Steppes le 19/01/2010 à 21h00
    Les deux derniers cités j'aime follement!
    Purcell, je connais de nom sans plus et Cristina.. ben je connais pas. Merci pour les liens
    Réponse de fée des agrumes le 19/01/2010 à 21h11
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