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Maman.
Je pleure tous les jours. Un peu. Pour un mot, une musique, une parole, une ambiance, un écho, une pensée. Non de ces sanglots qui soulèvent le corps et remuent les tripes. Des larmes silencieuses et discrètes, retenues, surtout à l’extérieur. Nul ne peut imaginer ce qui se vit à l’intérieur. Certains me trouvent même bonne mine et l’air enjoué. Ma gorge n’en est pas moins terriblement serrée et je me demande constamment comment je fais pour continuer à mener ma barque en plus de ce que je vis dans l’intimité.
C’est une profonde tristesse, une peine sans fond, un gouffre incommensurable que seuls ces quelques mots ici expriment.
Contrainte, parfois, par les circonstances, je raconte vaguement ce qu’il se passe et je lis la terreur, l’effroi sur les visages, dans les yeux de ceux qui entendent. Et je me retiens, leur donne de l’empathie, les préserve.
Avec les médecins, infirmières, pharmaciens, assistants sociaux, nous maintenons le cap au gré des circonstances et des besoins, virevoltants d’une situation à l’autre en raison des changements imprévisibles et de l’évolution.
Parce que ma mère est dorénavant en soins palliatifs. Chez moi. Dans ma chambre.
Elle est trop faible pour supporter de nouveaux traitements et le cancer la ronge. Une lutte âpre de 25 ans aux violents épisodes et lourds tourments passe en phase ultime. Nul ne sait combien de temps cela prendra, nous savons cependant tous que l’échéance approche.
J’en suis profondément triste.
Après une enfance et une jeunesse heureuse au sein d’une famille aimante, cette belle femme intelligente avait vu rapidement sa vie basculer dans une spirale d’accidents, mauvais choix, malchance, mauvaises rencontres, pertes insupportables, disputes et déchirements. A 45 ans, un premier cancer violent la secoua, elle trouva force et énergie pour surmonter cette épreuve. Cinq ans plus tard, un autre la disait condamnée. elle survécut et résista encore près de 20 ans aux métastases. L’an dernier, il repartit. Elle s’accrocha, erra, en état de choc ne fléchissant pas jusqu’à ce que ma soeur et moi entendions de vive voix qu’il n’y avait plus de solution thérapeutique, il y a dix jours de la bouche de l’oncologue.
Soins de confort, soulagement de la douleur, lâcher prise sur la surveillance de son alimentation ou la prise de médicaments, faire en sorte que cette dernière étape soit pour elle la plus tranquille, la plus paisible possible. Être à son écoute et agir en conséquence de ce qu’elle vit à chaque instant. S’organiser pour qu’elle ne court aucun risque, veiller à ce qu’elle soit à l’aise, rassurée, accepter les peurs, les paroles, les silences, les regards … Vivre ce qu’il y a à vivre, avec elle, tant que c’est possible.
Ma soeur, en état aléatoire, fait du mieux qu’elle peut comme elle peut au regard de sa propre situation. Elle l’emmène en promenade en fauteuil roulant, couverte intégralement pour qu’elle n’ait pas froid, elles se racontent des histoires d’humour noir et se disputent comme d’habitude.
Mon fiston la taquine, la recadre, la secoue, l’aide quand elle le lui demande tout en posant ses limites. Et ils se chamaillent, s’envoient des mots incisifs et pertinents au point que la rigolade vient régulièrement conclure l’échange.
Chaque jour, je l’aide à s’habiller, se déshabiller, se laver, s'asseoir, se lever, aller aux toilettes, manger, faire ses pénibles déplacements à l’intérieur. Le fameux appartement soit disant accessible aux personnes à mobilité réduite est un terrain miné, dangereux sans espoir d’amélioration avec un organisme HLM sourd à nos demandes, coincés que nous sommes tous par le manque d’espace, de liberté à aménager et d’argent. Constamment la rassurer: “ N’aie pas peur, fais moi confiance, je te tiens, je suis là, tu n’es pas seule, rassure- toi.”
Je suis aussi le relai- pivot entre les assistants sociaux, les soignants, la banque, les différents organismes- administrations, les associations (car notre situation matérielle à tous est digne de la haute voltige en plein air) et ma mère qui résiste, fuit ou dénie comme tout être humain confronté à une terrible réalité insupportable. Depuis un an, elle ne voulait rien entendre; la semaine dernière encore, elle parlait de retourner chez elle, répétant l’utilité de son lit, sa cuisinière, ses casseroles, sa vaisselle, son électroménager, ses meubles. Tant d’affaires à mettre en ordre, son appartement à vider, au cinquième étage, sans ascenseur. Trier, ranger, jeter, tâcher de trouver des solutions pour ces choses accumulées et qui représentent TOUTE sa vie dans le respect de ses volontés et de chacun. Sans argent. Moi, seule jusqu’à ce jour.
J’appelle évidemment à l’aide dans l’espoir que quelqu’un quelque part viendra soulager ma peine.
Parce que je ne veux ni bâcler, ni liquider sans soin.
Finalement, je réussis à lui faire dire qu’elle ne veut pas que ses affaires soient jetées. Elle veut qu’elles soient encore utiles à quelqu’un... et surtout, elle veut transmettre à son petit- fils quelque chose d’elle, concrètement. Alors, je m’attelle à cette lourde tâche et quand un objet ramené de chez elle trouve naturellement sa place chez nous, je la sens rassurée, soulagée.
J’avoue, mes nuit sont courtes, hachées voire blanches. Il arrive certains jours que chaque pas mis devant l’autre me semble miraculeux. Mes jambes tiendront- elles? Je demande à l’univers de m’aider à tenir maintenant et surtout quand tout sera fini, que la pression sera relâchée. Devic pourrait en profiter pour ramener sa fraise et nous n’en avons pas envie, le supporterions nous seulement après ces longs mois mouvementés et douloureux?
Quoi qu’il en soit, tant que ce sera possible et qu’elle le voudra, elle restera avec et chez nous, nous nous en occuperons. Elle est tellement effrayée, terrorisée, en état de choc, ne trouvant qu’un maigre refuge dans les programmes de télévision au creux de son lit engloutissant des kilos de bonbons. Cette femme d’ordinaire en perpétuelle colère, incisive, mordante, distante, peu chaleureuse, têtue, solitaire, bougonne accepte désormais d’être bordée, tenue par les deux mains, un peu câlinée et embrassée. Choyée. Il n’y a pas d’âge pour apprendre et ce jusqu’à notre dernier souffle, peut- être même après, qui sait?
Ironiquement, je suis reconnaissante envers SeN et les grandes leçons que j’ai apprises avec lui car, grâce à cette expérience, ma mère n’aura pas à subir cette maltraitance pleine de bonnes intentions où la personne diminuée, en danger a finalement peu de place. Je suis à l’écoute des émotions, sentiments, besoins et la priorité est d’être en harmonie, présente à soi et à autrui, en accord. Cela change tout. Même si je pleure tous les jours. Un peu… ou beaucoup comme ce matin à la pharmacie où je me suis précipitée pour récupérer ses médicaments anti- douleurs.
J’avais si peu dormi et il me fut impossible de retenir les larmes. La pharmacienne, adorable et attentionnée me donna de l’homéopathie pour retrouver le sommeil, soulager la peine en attendant de revoir le médecin généraliste qui, il y a quelques semaines, me demandait déjà: Je ne sais pas comment tu fais pour tenir. Et je lui avais répondu spontanément: Moi non plus.
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Commentaires
Je suis bien triste de lire tout cela mais grandement admirative. Il faut essayer de tenir le coup , de vous ménager un peu. Facile à dire de loin...Je t'embrasse fort ma Fée et je pense pense à toi.
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Dimanche 19 Février 2017 à 21:52
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Elle t'a portée maintenant tu la portes et c'est une lourde charge. J'ai tout lu... moi non plus je ne sais pas comment tu tiens, mais je peux te dire ça : ce que tu fais maintenant, pas un instant du reste de ta vie tu ne regretteras de l'avoir fait. Je t'embrasse, de loin, en passant et t'envoie d'inutiles mais sincères pensées.
Merci Mère Castor...