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Jardin. 2.
A l’instant, je me suis souvenue de mon carnet de bord du jardin que j’avais entamé en parallèle des travaux terriens. Pratiquant le jardinage en carré, en néophyte, j’avais jugé opportun d’y noter mes semis et associations de fleurs et légumes sur ces petites surfaces à rotation rapide. J’y revois radis, salades, carottes, betteraves, navets, échalotes, oignons, poireaux, haricots, melons, courgettes, pommes de terre, poivrons, tomates, basilic, ciboulette, œillets d’Inde, mâche, rutabaga, épinards, choux, céleri, citrouille, fraises, ... Les récoltes étaient capricieuses, le sol n’ayant pas été nourri et écrasé par les pluies ruisselantes, la stérilité du sapin et des thuyas. J’avais besoin de temps pour apprendre à le connaître ainsi que le climat semi- montagnard de la région davantage pour le nourrir, le fertiliser. Je refusais les produits chimiques et travaillais avec un calendrier lunaire. Ce fut laborieux d’autant que nul ne comprenait ma démarche. Ils restaient décontenancés ; à leurs yeux, c’étaient perdu d’avance. SeN critiquait le goût des légumes et n’en mangeait quasiment pas. Je me régalais dès que possible en prenant toutefois garde de bien les laver en raison du fort passage de voitures et camions le long de la maison.
Au printemps 2006, je n’ai pas pu m’en occuper car les premiers symptômes de la maladie survinrent simultanément aux premiers rayons de soleil. A l’été, je fis ce que je pus tant que j’étais mobile et puis à partir d’août, c’en fut fini de mes travaux de terre et verdure. Le jardin et mes plantes furent abandonnés. S’il est vrai que ma dégringolade effrayante fut une évidente contrainte, je vécus en ces heures un véritable crève- cœur. Alors que je me sentais partir vers un ultime voyage, je supportais très mal de voir mes plantes geler parce que laissées dehors, le jardin sombrer dans une décrépitude abominablement triste. Cette répétition de mort en écho à ma propre dégénérescence m’était insupportable. J’avais besoin de vie, de l’espoir d’une continuité de la vie que j’avais accompagnée. Il n’en fut rien. Aussi, quand à la première sortie en 2007 je pus entrevoir des fleurs de bulbes que j’avais plantés, sentir les herbes aromatiques rejaillir, ce fut une victoire à plus d’un titre.
En mai, j’avais cassé les pieds à SeN pour qu’il travaillât la terre des carrés et plates- bandes. En bougonnant, il s’y attela et je pus engager de nouvelles plantations avec l’aide d’un fiston enthousiaste ; celui-ci d’ailleurs demanda à avoir son propre carré ce dont je fus particulièrement fière. Nous récoltâmes évidemment des légumes en nouvelle victoire, joyeusement. A la fin de l’année, le malheureux arbre mal placé et balafré de mauvaises coupes précédentes fut enlevé ainsi que sa souche. SeN agrémenta une terrasse avec quelques bordures supplémentaires. Le gazon fut replanté et ce fut avec obstination à nouveau que j’obtins le droit d’y planter des graines de fleurs sauvages que fiston mit en place au hasard des vents. Je continuai mes plantations de ci de là avec par exemple des topinambours dans un coin. Ils n’étaient pas bienvenus et difficilement tolérés, je les récoltai sous la pluie et les mangeai seule, heureuse de leur saveur particulière. Constamment, je faisais le dos rond aux réflexions.
Les deux années suivantes, je continuai malgré mes limitations physiques, le flot des critiques et des jugements insidieux incessamment répétés. A chaque printemps les éclosions de fleurs m’enchantaient, je savourais les légumes et herbes récoltés, je tentais des expériences toute à ma découverte continuelle, je me réjouissais pleinement de ces fruits et de cette vie. Avec ma vue très basse, je ne voyais pas grand-chose, tout passait par les odeurs et le toucher, c’était un nouvel univers sensoriel. Je demandai de l’aide, un accompagnement surtout visuel pour juger de l’état des herbes folles, de certaines plantes, des fruits et légumes, les réponses étaient peu impliquées et ce fut outrée que je découvris la quantité énorme de framboises écrasées au sol parce que non récoltées ! Ce fut encore moi qui m’obstinai à les ramasser, à les cueillir afin d’en profiter au moins une fois ! Vraiment, je ne comprends toujours pas ces attitudes : les fruits et légumes du jardin ne sont pas propres et n’ont pas un goût habituel, ceux du supermarché sont tellement mieux, propres, emballés, communs, connus. C’était à désespérer.
En pied de nez et opposition à la tristesse du jardin avant mon arrivée, voici quelques photos de nos œuvres :
Contre le refus du jardin opulent, le refus de l’engagement, le refus de l’enfant, le refus de la vie, j’ai lutté. Si je l’ai payé chèrement jusque dans ma chair, je ne regrette rien car je refuse la mortification. En moi, bouillonne la rage de vivre. Et quitter cette maison était une nécessité pour ne pas y mourir.
Tags : fut, j’etais, jardin, legumes, plates
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Commentaires
Commentaires
En photo comme au jardin, qu'elle est belle la fleur de courgette !!! il paraît qu'on peut en faire des beignets très bons ( ? - je n'ai jamais essayé). pour le goût, rien ne vaut de pouvoir cueillir tomate, courgette, fraises et autres produits du potager juste avant de les cuisiner ou de les manger ; de même avec les aromates. Il y a des années que je n'achète plus de tisanes, même en hiver : trois feuilles de ceci et de cela fait l'affaire et permet une grande variété de saveurs. Les dernières récoltes de l'automne sont aussi une occasion d'immense joie et gratitude.
Oui, un jardin c'est magique, et je peux y lire, comme en un contrepoint musical, le déroulement silencieux des saisons qui jouent à saut-mouton les unes par-dessous les autres : en nov/déc, par exemple, il n'est pas rare qu'il y ait déjà de minuscules bourgeons aux rosiers quand vient le moment de les tailler et de les protèger du gel : ces petites découvertes imprévues, sont pour moi le remède par excellence à tous les vagues à l'âme soudain emplie d'étonnement et de gratitude.
Et puis le jardin a un côté magique puisque ça ne va jamais sans la lune ! Autre magie : les échanges qui marchent bon train par dessus la haie ("ma salade contre vos ceps ? mais vous n'y pensez pas, ce ne serait pas équitable ...", je vous jure que ça m'est arrivé !, et au diable la symétrie dans l'échange de bon voisinage :-))) ! ). J'adore aussi que les fleurs me rappellent tel champ traversé en compagnie de telle ou telle personne la saison dernière, tel jardin ami visité en telle ou telle année, tel parc de musée où j'ai soigneusement recueilli les graines d'une fleur fanée ... On peut aussi (on pouvait encore dans un récent passén en 2001) ramasser - avec l'accord des jardiniers de la ville où j'habitais - les très beaux bulbes des massifs urbains destinés ... à la poubelle municipale !
N'idéalisons pas trop quand même, c'est un choix de vie, car enfin un jardin réclame des soins, certes ..., et à certaines périodes beaucoup de soins (d'ongles terreux et de vêtements bouseux), mais des plaisirs aussi qu'il rend au centuple, comme les êtres chers, comme tout ! Il faut aussi parfois plusieurs années avant de trouver où, dans le jardin, et dans quel type de terre, telle ou telle plante se plait, où elle végète, où elle dépérit. Mais bon, la diversité humaine veut qu'on ne peut pas exiger de tout le monde d'aimer cultiver son jardin ... Je suppose que ça aide beaucoup quand on a vécu toute son enfance presque dans un jardin du matin au soir ! (pas d'écran plat en ces temps là). Je me souviens après la guerre, il y avait la saison où on mangeait pendant des semaines, des mois peut-être, surtout des fraises (hummmm !) et celle où il n'y avait quasiment que des poireaux (re - hummmm !) - il valait mieux à l'époque vivre en campagne qu'en ville pour manger à sa faim ... Ce n'était vraiment pas varié mais on n'aurait pas osé ni même pensé à s'en plaindre, et c'était bien bon. Le dessert rituel du 1er janvier était une poire soigneusement conduite au point idéal de sa maturité. Naïvement, on s'en faisait une vraie fête. En revanche, je suppose que ce n'était pas toujours par plaisir que mon père s'en allait au potager tard en fin de journée ou en fin de semaine, mais bien pour nourrir ses 6 enfants ...
Toujours après la guerre, ma mère était la risée de tout le quartier car elle sortait ramasser le moindre crotin de cheval dans la rue. J'en fais autant maintenant : c'est un excellent engrais (gratuit quand il est tombé dans les chemins ruraux), à diffusion lente. Tant pis pour les rieurs. Aujourd'hui, il faut surtout veiller à ne pas avoir des plantes gourmandes en eau. Je ne suis pas encore très experte là dessus mais je m'y essaie.
Alors, oui, je peux ressentir la blessure, imaginer la frustration et l'horreur de devoir laisser son jardin à l'abandon pour cause de santé comme ce fut votre cas, et sans que personne alentour ne se soucie de ce jardin à votre place. Et je crois que je peux aussi mesurer à cette aune là, votre étonnante rage de vivre. Mais au bout du compte, Fée des agrumes, la santé, la vraie, celle qui permet d'avancer et de rester vivante malgré la dureté des obstacles, c'est bien vous qui l'avez, non ?, enfin c'est ce qui me semble.
Biz à vous, bonne Fée ! mirabelle
ps : J'ai lu le livre que vous recommandiez de Christiane Singer ("Eloge du mariage ...... et autres folies"). Très beau livre, écriture et contenu. J'ai eu l'occasion dans une vie antérieure de séjourner à Rastenberg : inoubliable ! là-bas aussi le potager jouait un rôle central. je crois me souvenir qu'il y avait des stagiaires qui venaient là-bas en été, rien que pour lui !
Merci Mirabelle pour ce beau commentaire!
C'est bon le beignet de fleur de courgette, je l'assure.
Je suis du genre moi aussi à ramasser le crottin de cheval sur les chemins de terre mais bon, je n'en ai pas eu l'occasion ( j'ai fait d'autres choses de ce genre )
Quant au jardin, il en existe mille et une versions, le tout est de l'adapter à ses possibilités et goûts. A mon humble avis, ce qui importe, c'est la conscience de notre place en tant qu'être vivant intégré dans un environnement donné dont nous ne pouvons nous détacher quoique voudrait nous faire croire la modernité.
Beaucoup trop à mon goût se meurent, c'est une forme de somnolence anesthésiante rassurante. Vivre fait peur.
C'est vrai que c'est beau de voir une plante pousser, ça doit être aussi beau que ça, de voir un enfant grandir !
Pendant toute mon enfance j'ai vécu à la campagne. Maintenant que je vis en ville, les plantes me manquent. Heureusement j'en ai quelques-unes quand même, mais c'est pas tout à fait pareil ! Je peux pas grimper dans mon bonzaï.
D'un coup j'ai réalisé à qui me faisait penser SeN : au Schtroumpf Grognon !! "Moi j'aime pas les jardins. Moi j'aime pas les fleurs. Moi j'aime pas ci, moi j'aime pas ça..."
Voir un enfant grandir, c'est une aventure mouvementée!
Je l'ai déjà appelé schroumpf grognon quelque part.
Il a surtout énormément de besoins insatisfaits seulement, il n'a même pas conscience de ces besoins, il refoule et nie parce que ça fait peur de voir à l'intérieur et de remettre en question ce qui aide à tenir le coup chaque jour depuis tant d'années.
Ce sont des photos magiques, des photos de Fée...
Bisous!
Dans ce bazar organisé, j'ai butiné de mes yeux très faibles quelques images en souvenirs fugaces d'une bulle vivante.
1 et 3 dixièmes en ce temps... j'ai ouvert mes yeux intérieurs.
J'adore les iris, la lavande, les tournesols...
Je crois bien que j' ai goûté à ces topinabours (et en ai même rapportés en Norvège).
Hmm, impressionant les melons et la citrouille et tout le reste!
Ici on a de l'espoir encore pour cette année. Les plants poussent... mais on fera ce qu'on pourra dans ce climat nordique...
J'aime tellement les topinanbours.. le problème est qu'ils me font pêter...
il y a eu beaucoup de ratés dans ce potager, par exemple, la rhubarbe.La terre s'apprivoise, un jardinier a besoin de temps afin de s'adapter.
Dans ces contrées nordiques, vive la serrre non?
Quelle merveilleuse variété de plantes, et travaillées à tâtons.... je suis admirative moi qui me plaint d'avoir mal aux genoux..... obstinée petite fée, j'espère que tu as de nouveau un autre jardin. gin
Je raconterai ça dans le prochain article dès que je prendrai le temps de m'y mettre.
Quant aux genoux, il y a certainement des adaptations, j'ai par exemple vu dans un bouquin un jardin adapté pour une personne en fauteuil roulant. Comme quoi, tout est possible, il suffit d'y réfléchir et de s'adapter.
Incroyable et magnifique résultat pour une jardinière " à tâtons ". Bravo, et quel charme ce petit jardin en carrés. il te ressemble......... On me reproche beaucoup ces jours-ci de ne m'interesser qu'à mon jardin !!!! Mais il me le rend bien, c'est là que je m'épanouis totalement. Alors bien faire et laisser dire, tu as eu raison de persévérer. - comme toujours - Gin.
et toi aussi persévère! il est important de savoir ce dont nous avons besoin et tellement agréable de se prendre en charge afin de satisfaire soi- même ces besoins sans en porter la responsabilité sur d'autres.