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En écho, je m’écris.
Au Qi Gong hier soir, j’ai été prise de crampes dans les pieds, j’avais des difficultés à synchroniser respiration et mouvements, l’équilibre me faisait défaut, des gratouilles et des chatouilles m’assaillaient partout, je m’arrêtai à plusieurs reprises :
Olala, oui, je suis fatiguée et il est grand temps que je me repose.
Ce matin, après un départ mouvementé et une mise au point hurlante avec le fiston façon CNV malgré la voix forte, je me suis posée doucement : petit déjeuner puis installation devant mon écran parce qu’il nécessite une posture assise et statique qui repose le corps. Quelques petits tours légers sur la toile sans grande conviction passés entre sourires et soupirs, je m’attarde sans y penser sur mes brouillons d’articles. Ma tête fourmille de textes à écrire, je n’en ai guère envie et je viens doucement parler de mon état ici et maintenant, Massive Attack en musique planante au creux des oreilles.
Malgré l’état de l’appartement, je lâche, je dénoue les tensions en les observant, les amadouant avec bienveillance. A toi mon corps, je laisse la parole.
Il est vrai qu’entre l’enseignement, la tâche avec fiston, les travaux, le rangement, le nettoyage, les déplacements d’un lieu à l’autre, les préoccupations quotidiennes, les émotions fortes des dernières semaines, je sens que mon corps a besoin d’autre chose. J’aspire au calme, à la tranquillité, à l’ordre à la propreté, j’ai des envies de dodo, de broderie, de peinture, de couture, de télévision et cette dernière est très significative. Par mon ami Boris, je sais que lire, regarder n’ont pas le même effet qu’écrire sur notre psychisme et en bulle d’oxygène vivifiante, je laisse courir les doigts sur les touches du clavier.
J’ai réalisé il y a quelques jours que nous habitions ici depuis environ dix semaines alors que j’ai la sensation d’y être depuis des années. Certes, l’étendue des travaux a mangé un temps considérable sur le quotidien, reléguant les recherches manuelles et intellectuelles, l’écriture à l’arrière plan de mes activités. Toutefois, dix semaines, qu’est- ce que c’est ? Un temps filant entre les doigts, subtilement, inexorablement.
Ces dix semaines furent particulièrement mouvementées, trépidantes, puissantes. Dix semaines où le réel dépasse ma capacité à retranscrire ce qui est vécu. Entre la présence à l’instant et l’ouverture interne qui en découle, se dessine le cheminement.
Etablir des listes d’événements n’a aucune importance, en soi, ils ne sont rien, ils n’existent que par l’ensorcèlement que j’en fais. Je réalise en les observant avec recul combien la vie est multiple, la chronologie ne donne pas de sens, ne conduit pas à comprendre ce que je vis.
Je dis cela parce que je pensais relater les événements au fur et à mesure des jours afin de montrer la réalité d’une vie possible dans la maladie et le handicap, une vie hors des sentiers battus de la matérialité prônée par la société en valeur absolue et unique de réussite. Je n’ai que faire des façades, ce n’est pas nouveau, je suis dans l’authenticité, en permanence, la claque de cette maladie et le ménage qui en a suivi me permettent d’aller à l’essentiel, d’être présente pleinement, généreusement, bienveillante tant envers moi- même qu’envers les autres. Je brasse chaque jour des émotions qui m’appartiennent ou celles d’autres dans leurs colères, leurs détresses, leurs peurs, c’est fort, c’est puissant et je me sens grandir, je mesure toujours plus la profondeur qui m’habite désormais. Evidement, nous n’en avons jamais terminé avec nous- même, celui qui se croit en place se protège de l’immensité de la tâche, tel est son droit. Je ne suis pas de ceux- là.
Grâce à mon amie Valérie, j’ai pu voir et enregistrer un documentaire incroyable passé sur Arte à propos de la neuro plasticité (cf ici). Hors de toute philosophie, religion ou élucubration, ce documentaire expose les études de plusieurs chercheurs sur les capacités du cerveau à se transformer, à s’adapter alors que pendant des décennies, il était perçu comme une sorte de machine pré établie, statique en déliquescence inévitable au fil du temps. J’ai souri, j’ai eu les larmes aux yeux, j’ai gardé mon esprit critique tout en goûtant la merveille de ce qui était montré. Par mon ami Boris, neuropsychiatre, j’avais déjà abordé ces questions et ce documentaire n’en prenait que plus de profondeur. J’ai eu envie d’écrire à mes copines ergo, à Raphi, à Gilles, Colette et Solange, à tous ceux que je croise dans cette adversité parce que j’avais envie de partager avec eux sur le sujet, parce que j’y ai vu précisément une intuition qui me poursuit.
Notre corps vit au présent quand notre esprit nous balade sur tous les plans, notre psychisme ne connait pas le temps. Je ne saurais dire l’origine ultime de cet état de fait cependant, je sens au plus profond de moi que nous possédons des capacités énormes par l’interaction profonde entre notre corps, notre psychisme, notre pensée. Nous sommes les acteurs de nos vies et la fatalité n’existe pas. Les événements sont là, ils vont et viennent, ils passent, nous marquent ou non, nous seuls les mesurons. Telle ou telle maladie, tel ou tel état émotionnel, telle ou telle situation relèvent de notre responsabilité quand bien même ils sont majoritairement inconscients. Nous faisons des choix, nous lançons les dés de l’aventure de notre vie, nous sommes maîtres à bord de ce bateau lâché sur des mers inconstantes. Il n’est pas question de mêler responsabilité et culpabilité parce que la moralité n’a guère de place dans le cheminement intérieur des êtres, elle relève de choix dogmatiques. Corps et psychisme cohabitent avec le dogme, ils s’en nourrissent ou s’en empoisonnent, ils en jouent principalement. De ce tout nait le moi, un moi responsable quand s’ouvrent les yeux intérieurs.
Cogito et non sum parce que la pensée seule ne me fait pas.
Corpum habeo et non sum, parce que le cerveau mort, je ne suis plus
Animum habeo et non sum, parce que sans corps, je ne suis plus moi ici.
Ces jeux de mots avec mes faibles souvenirs de latin n’ont de sens que par le filtre de mon ensorcèlement. Je les positionne en contradiction de Descartes et de ses réflexions que je ne partage pas (du moins, ce que j’en connais), ma pensée seule et l’existence de Dieu ne sont pas la base de la construction de mon univers. Peut être serais-je plus proche d’un Socrate déambulant dans les rues d’Athènes sans prétention à vouloir écrire ses paroles sur notre présence au monde ou de Diogène éloignant Alexandre lui cachant le soleil ? Mon ignorance en philosophie n’existe que par les livres que je n’ai pas lus.
Ainsi, la vie est multiple. En cet instant, je suis moi, différente de celle d’hier, non celle de demain. Assise devant l’ordinateur, je suis dans ma pensée écrivaine, le casque sur les oreilles, je suis l’écouteuse de musiques particulières, les haut- parleurs non fonctionnels me ramènent à mon état de mère exaspérée par l’entêtement de son garçon ; dans cette divagation de la pensée, je suis la prof, dans celle-ci, la trentenaire, dans celle- ci, la ménagère, ou dans cette autre, l’énervée fatiguée ne supportant plus la contrainte … Je pense par vagues aléatoires, mes oreilles se tendent et découvrent des sons, mon corps parle de son parcours douloureux, mon cœur se tend vers ceux que j’aime en élan diffus, je ne suis que parce que je suis complexe et qu’une entité raccroche ces pans divers de mon être. Je suis parce que dans ma boite crânienne, il y a un cerveau aux capacités incroyables capable d’être, d’exister, de s’adapter, d’évoluer à l’image d’un moi supramatériel dont j’ignore réellement s’il existe. Ce lobe préfrontal apparu il y a des centaines de milliers d’années nous a donné le sens de l’abstraction et de l’imagination, celui de la mort et de la religion, la capacité à perce-voir par delà le concret et de chercher à comprendre pourquoi, comment nous vivons.
En incessants changements, nos êtres évoluent. Dans la multiplicité des humains, chacun absolument unique et irremplaçable, réside une unité d’être, cette unité qui lie Socrate, les neuro- plasticiens, mon ami Boris, vous, moi, nous tous.
Nous sommes ce que nous pensons.
Cette phrase m’est apparue si évidente en visionnant ce documentaire non parce que la pensée rationnelle nous construit mais parce que je pense là, maintenant, de mon être intérieur et c’est cela qui fait de moi ce que je suis dans la fulgurance de cette pensée fugace. La maladie existe, persiste et restera indélébile dans mon corps, j’en fais néanmoins une étape puissante de mon parcours de présence au monde. Je médite tranquillement, à la circulation des influx nerveux sur la moelle épinière et les nerfs optiques abimés pour accompagner l’utilisation de voies de traverse de mon système nerveux. J’entends les aléas du corps, des émotions, des pensées malsaines. Je vis pleinement ma condition humaine avec ses limitations et ses explorations. Je mange, je bois, je ris, je travaille, je réfléchis, je pollue, je me révolte, je crie, j’aime, je pleure, je m’énerve, je me trompe, je salis, je nettoie, je peste, je maudis, j’embrasse, je soutiens, j’écoute, je range, je dérange, j’agace, j’énerve, j’ensorcèle, je fais de ma vie, de mon interne, de mon externe ce que j’en veux, de ma propre responsabilité.
Je suis au monde, simplement, en perpétuel changement, avec cette constance de l’être.
Si vous ne trouvez rien à dire après la lecture de cette tartine, je ne m’en offusquerai nullement, je sais parfaitement que je me parle à moi- même, effet miroir de l’internet où je répare ma faille narcissique. S’arrêter, s’asseoir, laisser passer les pensées, lâcher les doigts, sentir en son creux que tout ceci a du sens et aucune importance… Je m’initie à la méditation.
Tags : pense, moi, corps, j’ai, sens
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Commentaires
Commentaires
Même quand c'est léger, humoristique ou bien plus profond, cela parle de moi avant tout tout en parlant aux autres.
Bises pour la journée!
l'internet est le royaume du narcisme et c'est en miroir que nous y évoluons devant nos écrans. Pourtant, quelle merveille que de dépasser les limitations du réel pour aller à la rencontre de l'autre, en écho de soi, en écho de lui.
Je suis très honorée de vous y croiser, mes habitués et étonnée de voir grossir le nombre sur le décompte des visiteurs...
je t'embrasse Fooooooooort!
Bizzz
L'être et ... la pugnacité ? la volonté de suivre pas à pas son chemin dans la vie au lieu de se laisser mener par des voies balisées ?
Voui, un peu beaucoup de ça.
Et pourtant, la liberté véritable, c'est étrangement la maladie qui me l'a apprise par le lâcher prise. c'est fou non?
Bizzz