• Du sport, renoncer, se réapproprier, résister, lutter, avancer, y aller! 2

    Malgré les renoncements, persista en mon fort intérieur une attitude très particulière: je pratiquais mentalement alors même que j'étais complètement immobilisée au creux du lit. En période de calme solitude, je visualisais le déplacement des influx sur les nerfs, je me représentais la stimulation des muscles, le mouvement qu'ils induisaient et dans mon cerveau, je me tournais dans le lit, je bougeais mes orteils, mes pieds, mes jambes, je marchais, dansais, courais, retrouvais des sphincters opérants, anesthésiais la douleur, je me remémorais les mouvements d'autrefois à pieds, à vélo, en rollers, dans l'eau. Ce n'était pas une simple pensée ou un film mental, non, je mettais ma conscience dans les parties concernées et suivais les chemins parcourus recommençant dès que le fil était perdu.

    Ce ne fut que bien plus tard que j'entendis parler de ces techniques d'entraînement chez les sportifs de haut niveau et des neurones miroirs. Quand nous marchons ou regardons marcher quelqu'un, ce sont les mêmes aires cérébrales qui s'activent, c'est donc une partie intégrante de l'entraînement que d'y mettre sa conscience et d'envisager la démarche physique en esprit. J'ignorais également en ces temps que je méditais profitant de ce fait des bienfaits sur la douleur physique et la souffrance psychologique liée à une telle épreuve. Un instinct de survie probablement. Logiquement, j'en vins à constamment observer les réactions du corps en toutes situations et plongeai sans y avoir réfléchi dans l’expérimentation. Il y eut la rééducation, le réentrainement à l'effort dans le cadre hospitalier, en cabinet accompagnée de professionnels ( articles précédents à chercher pour ceux qui veulent, j'ai toujours la flemme de mettre les liens) puis la vie quotidienne, en fauteuil, en béquilles, en aveugle, en marche en solo.

    Bien sûr, bornée que je suis, je ne me contentais pas d'attendre que l'extérieur m’offrît des opportunités. J'aurais d'ailleurs été bien limitée si je m'étais fiée à SeN. De ses belles promesses, je ne vis rien. Au mieux, il me laissait livrée à moi- même, au pire, il refusait la moindre implication et en prime, critiquait mes choix, niait mes envies. Il fuyait constamment devant la télévision, chez ses parents, en vadrouille solitaire, me laissant seule avec mon garçon. En ces moments, sans soutien, ni accompagnement, j'étais véritablement en prison. Par bonheur, j'avais toutes les autres belles rencontres pour plonger dans l'aventure à la moindre occasion et comme je ne suis pas de ceux qui se soumettent et acceptent sans broncher, je résistais, bataillais quand un projet me tenait la tête.

    La promesse de prendre des cours de danse de couple n'était que du vent et je ne m'y attardai pas, comprenant très vite qu’il avait lancé cette idée pour se rassurer lui- même sur la suite des événements. Par conséquent, je trouvais ma voie seule dansant en fauteuil, avec le déambulateur puis sur mes jambes branlantes, mon équilibre défaillant, dans la maison ( voir notamment l'article Avant de marcher) .

    Il ne voulait pas m'accompagner en promenade aux alentours? Et bien soit! Ce fut la voisine qui s'en chargea, respectant mes faiblesses, insistant cependant pour que la distance fut un peu plus longue à chaque essai.

    Un dimanche, refusant l'enfermement télé- canapé- chacun dans son coin, je proposai une virée à vélo. Il refusa. Tant pis! Malgré les soucis d’équilibre, la vessie capricieuse, la vue faiblarde, j'enfourchai ma bicyclette accompagnée d'un fiston pris entre joie et inquiétude. «Comme je ne vois presque pas, tu roules devant, tu me parles et je suis ta voix, ok? », l'astuce m'était apparue lors d'un reportage sur les athlètes aveugles aux jeux paralympiques. Il s’attela à la tâche vaillamment et nous fîmes une belle balade sur plusieurs kilomètres. Au retour, il fut soulagé et nous étions heureux parce que nous avions réussi, ensemble, à dépasser tous les à- priori négatifs. Je lui dis combien j'étais fière car il avait agi avec attention et soin, porté cette lourde responsabilité avec courage.

    Quelques dimanches matins, je réussis à nous faire conduire à la piscine. A force d'insister, SeN en avait eu assez et était trop content de se débarrasser de nous quelques heures. Il ne nous accompagnait pas comme d'habitude et je pris le parti de me débrouiller seule pour me dévêtir, me rhabiller, entrer, sortir de l'eau. Ce n'était pas facile car les jambes tremblaient, je me sentais si faible quand il fallait extirper le corps de l'eau. Sur les margelles de piscine, je tanguais, me tenais à tous les murs, tâtonnant également, comptant sur la mémoire des lieux afin de m'orienter. Dans l'eau aussi, je ne voyais rien et la pendule à grosses aiguilles me resta longtemps inaccessible; elle fut par ailleurs un repère éclairant sur mes récupérations visuelles ( j'ai déjà aussi raconté ça quelque part). La vessie ne tenait pas, je me vidais donc dans le bassin, sur les bords, discrètement, l'air de rien; je n'avais pas le choix de toute façon et puis, comme tout est mouillé, les lâchages restaient invisibles. Cette préoccupation réduite, je retrouvais la joie d'être portée par l'Archimède à l'abri des chutes. Au début, mouvoir les membres se révéla pénible, j'étais rouillée, raidie, affaiblie, je pris le temps d’adapter les longueurs à mes forces et si je restais loin de mes performances d'avant, je tins à en aligner jusqu'à la limite de préservation d'énergie pour sortir, marcher, se laver, se sécher, se rhabiller seule. Logiquement, à chaque retour, je traînais quelque germe soigné plus ou moins bien par les granules et teinture mère homéopathiques.

    Coriace la fée? Si on veut... Parce que je n'avais pas toujours l'énergie de batailler pour oser espérer aller quelque part ou faire quelque chose et SeN le savait très bien. Je ne voulais pas mourir à petit feu dans une vie morne, triste et sans perspective, alors il était vital de passer outre, de résister, demander et redemander quand l'énergie était là, d'être à l'affût de tout ce qui pouvait venir de l'extérieur quand il y en avait moins. Du coup, j'en ai fait de belles et vous n'avez eu ci- dessus qu'une petite mise en bouche.

    A suivre.

    « Du sport, renoncer. 1 Du sport, surprise d'août 2007. »

  • Commentaires

    1
    Vendredi 20 Juin 2014 à 17:34
    la Mère Castor

    De belles, en effet, sacrée fée, sacré courage.

    2
    Samedi 21 Juin 2014 à 10:30
    Oh! Quelle belle surprise Mère Castor! Merci d'être passée!
    3
    Mardi 29 Juillet 2014 à 21:01

    Magnifique remontée! Cela réveille en moi quelques souvenirs.... L'eau  a des vertus miracles dans la récupération et réappropriation de son corps, j'en suis persuadée

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