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Des rencontres.
... et autres détours ...
La reprise du travail se fait laborieusement entre les aménagements qui n'arrivent pas pour cause de réduction des budgets à l'Education nationale et des stagiaires appelés désirés malgré les multiples demandes répétées depuis mon arrêt de travail en juin 2006. Il est heureux que mon état s'améliore parce qu'en cas contraire, il m'aurait été impossible de persévérer dans cette reprise. Il est heureux que je sois opiniâtre et si chanceusement entourée tant au travail qu'avec l'équipe d'insertion professionnelle de l'hôpital. A moins que ce ne soit ma personne qui incite à tant de mobilisation ? Toujours est-il que nous avançons en mêlée comme au rugby ! Combien d'autres baissent les bras et/ ou sont remerciés, renvoyés à la maison avec souvent trois fois rien pour vivre. (A ce propos, allez faire un tour sur ce blog d'insoumis à la misère ici).
Ces contrariétés ne m'empêchent nullement de retrouver avec enchantement les joies et les trésors de mon métier. Sans stagiaires, je m'occupais à ranger et aménager les lieux pour compenser mes handicaps, à mettre en place des supports informatiques appris pendant mes trois longues années d'arrêt où l'Internet a été la seule fenêtre sur le monde quand mes yeux me l'ont permis, à savourer la présence de mes adorables collègues. Peu à peu, j'ai repris mes marques et essuyé les plâtres du métier avec le handicap, la fatigue et les pipis urgents à gérer. Certains stagiaires connus avant la maladie sont enchantés de me retrouver - amaigrie mais debout - et les nouveaux s'illuminent après la surprise de ma rencontre. La générosité, la spontanéité et le naturel ne sont-ils donc pas si répandus ? Allez, je charrie là, je sais pertinemment que je déroute, trop habitués que nous sommes à jouer des rôles formatés par des lois sociales non dites.
Je n'ai pas fini de vous parler de mon métier en sacerdoce, vocation et convictions, c'est un sujet récurrent généré par mon enthousiasme. Aujourd'hui, j'ai envie d'évoquer la joie profonde qui m'habite à l'exercer. J'ai entendu sur France Inter parler de deux tomes Les intellos précaires au sujet de ces diplômés, surdiplômés exerçant des métiers peu payants sur le plan financier, matériel et social avec pourtant l'adhésion et la foi en ce qu'ils font... J'aime assez me classer dans cette catégorie depuis.
Ainsi, je croise des femmes qui changent totalement de vie à des âges variés pour devenir aides-soignantes ou infirmières, stressées et tendues par les écrits, les oraux qui les attendent. J'aime les taquiner, les tourmenter sur les aléas de leurs travaux et exposés, ne me piquant aucunement de quelques informations contredisant parfois mon approche. La confiance s'installe rapidement et je suis heureuse de leurs visages qui se décrispent et sourient de leurs réussites et erreurs.
Je croise des personnes venues d'autres pays : Russie, Ukraine, Thaïlande, Turquie, République Dominicaine rien qu'en quelques mois d'exercice. J'avais comptabilisé 22 nationalités la première année et puis, j'ai arrêté ; les chiffres me dépassaient. J'aime me plonger dans d'autres univers, regarder le monde à travers d'autres yeux, apprendre d'eux ce que nous ne pouvons voir ici. Je baragouine en russe, en turc, en allemand, en anglais, mêlant les langues dans ma petite cervelle qui ne s'en sort pas. Comment organiser une telle pagaille ?
Dans la foulée, logiquement, j'ai retrouvé l'excitation des invitations. Ainsi, j'ai fêté Pâques à l'ukrainienne avec un repas pantagruélique mitonné par l'adorable Irina et dansé sans cesse à un mariage turc. J'y ai rencontré de nombreuses anciennes stagiaires ; trois enfants et une nouvelle maison pour celle-ci, le permis de voiture pour celle-là, les enfants qui grandissent, le français en berne ou en progrès, la surprise d'apprendre qu'une rumeur avait couru que j'étais morte. J'ai dansé et appris de nouveaux pas de leur danse traditionnelle des mariages exécutée en ligne: yalay.
J'étais bras nus et décolletée parmi des femmes voilées.
Et oui, la Turquie est loin d'être ce que certains peuvent en dire : au sein d'une même famille, telle fille portera minijupe et chemisier ouvert, sa sœur sera voilée et couverte entièrement, Turquie et France sont les seuls pays laïcs du monde ; là- bas aussi, le voile est interdit à l'école et l'université publiques.
Il y a beaucoup à apprendre au contact de ces populations.
Ces vies croisées venues d'ici ou d'ailleurs, de plus ou moins loin, dans des circonstances dramatiques, hasardeuses ou énergiques me font parcourir le monde (sans polluer sivouplè) . Je me souviens notamment d'une conversation avec des voyageurs revenus de Turquie. Je n'y étais jamais allée à cette époque et je réalisai que j'en savais plus qu'eux sur les habitudes quotidiennes, les spécialités, le mode de vie. D'abord décontenancée, j'en fus finalement très fière. Quand j'arrive dans des pays partagés en France, je suis dans une position toute autre qu'un touriste débarqué là sur catalogue, mes vacances n'en sont que plus belles. (Vous pouvez regardez là ou là par exemple). Il me reste à récupérer physiquement et à économiser pour accepter enfin, les invitations en Ukraine, en Russie, au Maroc, en Turquie, en Chine, en Thaïlande ou au Brésil. Il y a aussi la Hongrie d'Ester ou la Géorgie et peut être à nouveau la Norvège. Qui sait ?
A la rentrée, je repartirai sur les chapeaux de roue avec des projets en pagaille car la maladie m'a coupée de certains apprentissages en bonne voie. Certains ont cheminé de leurs propres ailes pour mon plus grand bonheur, d'autres n'attendent que moi pour reprendre la route. Je suis là, prête à continuer ma tâche le cœur vaillant et enrichie de l'expérience des trois dernières années.
« Vous êtes dans le don » me dit si justement cette jeune ukrainienne à qui je donne des cours depuis des mois dans le village. Je suis d'accord pour ce qui est du don de soi et de l'énergie, par contre, j'aime mieux dire que je suis dans le partage. Parce que d'eux, j'apprends chaque jour sur le monde, l'humain, ses représentations ; j'écoute leurs difficultés et leurs tourments, ils me nourrissent et m'enrichissent de leurs visions du monde. Je suis pleinement humaine en leur compagnie et en soi, c'est inestimable. Dans le respect et l'estime mutuels, dans le partage et la recherche, c'est notre humanité tout entière que nous rendons plus belle, non ?
Tags : autre, monde, turquie, voie, trois
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Commentaires
Commentaires
Attends Coq de lire mon aventure de ce samedi et cette évidence n'en sera que plus forte!
Merci à toi de passer et laisser quelques mots
Rien que ces deux derniers jours ont été d'une intensité profonde qui résonnera jusqu'à vous.
Bizzzzz
Hasard de la vie, hasard des rencontres, un zeste de ma personne et
abracadabra, je m'épanouie
Je fais partie de ces contractuels de l'Education Nationale très diplômés, en situation précaire, sans reconnaissance ni salariale ni sociale (qui sait ce que nous sommes et ce que nous faisons?) et qui travaillent quotidiennement dans la formation pour adultes.
Je m'occupe de français, d'expression orale, d'histoire géo, de culture générale... et tout le reste pour tous les niveaux, de l'alphabétisation à la préparation aux concours de cadres... Un métier passionnant en sacerdoce avec une équipe dans la même pensée contre un tout petit salaire.
Ben oui, dans une catégorie particulière...
J'en reparlerai certainement, ma position très spéciale dans l'EN et le monde du travail en général a généré des situations très très "cocasses" avec la maladie de Devic.
Dire que je suis prof de français est malheureusement si peu évocateur, les clichés habituels sur les profs n'ayant aucun lieu d'être; il n'y a que des explications à donner.