• Décembre 2006, quatrième.

     

    Je ne sais ce qui me permit de tenir, tenais-je seulement ? La question serait plutôt de savoir comment j’ai tenu. Est- ce la richesse des rencontres ? Le cheminement intérieur qui s’opère ?

    Chaque jour était un combat, une course de fond, une acceptation fatale de mes incapacités, de mes pertes, l ‘idée peut être de la mort ? l’inconscience de l’être assommé par une vie qui s’échappe ? ou ces petits riens auxquels je me suis accrochée de bout en bout ? Tenir jusqu’au soir, tenir jusqu’à l’aube, revoir encore ceux que j’aime, sentir leur peau, leur odeur, entendre leur voix….

     SeN  était en vacances pour deux semaines, il préféra s’occuper de tout pour ne pas avoir d’ « étrangers » à la maison. Sa mère fut opérée en catastrophe le même mois, elle ne pouvait plus nous aider. Ma mère fit ce qu’elle pouvait, elle habite à près de 30 km.

    Les ergo nous avaient prêté un siège pivotant pour la baignoire, nous avions  une chaise percée, c’est tout. Les démarches prennent du temps et le matériel tel qu’un lit médicalisé avec matelas adapté était en commande sans pour autant arriver. Je précise que mon état se dégradait si vite qu’aucune organisation  ne pouvait se faire. Nous agissions dans l’urgence, surtout SeN, débordé.

    Mon quotidien se résumait dans les actes de soins élémentaires : manger, boire, se vider, s’habiller, se laver, se coucher, dormir. Toute la journée allongée parce qu’incapable de me tenir assise plus de quelques minutes. Le calvaire de la toilette, le corps qui se contracte et se raidit au contact de l’eau ; la crainte de glisser sur le siège, de tomber au fond, l’incapacité de dire si c’est chaud ou froid. . Le calvaire d’aller aux toilettes et d’éliminer quand les sphincters refusent de s’ouvrir.  L’impossibilité de me tourner dans le lit, il me fallait réveiller SeN pour me bouger. Les courants d’air qui transpercent le corps et le contractent de douleur

    Je résistai à ma façon, essayant d’être habillée en journée et non en vêtements de nuit constamment, je tenais absolument à être propre et sentir bon.

    .J’avais tellement mal : des tiraillements qui semblent déchirer les chairs de l’intérieur, l’incapacité de dire où et comment étaient mes jambes, mes pieds souvent coincés et tordus sans que je le vis,  les sensations d’avoir le visage chatouillé par les cheveux constamment, de l’eau coulant entre les jambes, de la brûlure permanente de la peau, la tête battante, congestionnée comme après un coup de massue, l’arrière des yeux donnant l’impression que quelque main invisible enfonce ses doigts pour sortir le globe de son orbite. Autant de fantômes harceleurs, omniprésents, omnipotents.

      Ce qui me semble le plus évocateur est cette réalité vécue dans toute son absurdité intellectuelle : je ne ressentais plus rien de mes jambes au point de ne pouvoir les situer sans les voir et je ne supportais pas le poids des draps, tels un éléphant dormant sur elles, sensation d’écrasement.

    Le corps s’emmure, s’enferme, pris dans son propre étau et l’esprit si naïf de se croire libre quand il va bien ne comprend pas cette existence cloitrée dans cette forme qui ne lui répond plus, noyée qu’elle est  par les cris de son auto mutilation.

    Mes mains perdaient de leur dextérité, j’avalais souvent de travers, m’étouffant sous les regards inquiets de mes gaillards, je ne pouvais plus tousser, mon torse ne répondait plus. Si je restai assise trop longtemps, j’avais un malaise. Pour ne pas tanguer sans cesse à chercher un équilibre perdu, j’étais casée entre des coussins sur mon fauteuil. Pour manger, il fallait me couper les aliments, m’expliquer ce qu’il y avait et où ils étaient ; il m’arrivait de tomber sur le gras, l’os, le pourri, l’intrus parce que je ne pouvais voir.

    Couchée des heures la tête dans le vide, à réfléchir à la condition humaine, au sens de la vie et de la souffrance, le souvenir de ma vie perdue, le drame des projets et des rêves passés à la trappe. Une vie  à l’avenir invisible, une vie à tenir d’une minute à l’autre, d’un acte à l’autre, tenir, tenir...

    Les coups de fil de ma chère Sandrine des Vosges qui me comprend et sait trouver les mots, se taire si nécessaire étaient mes plaisirs du jour . Elle avait pris un abonnement spécial uniquement pour m’appeler tous les jours et nous partagions ces moments difficiles.

    L’agitation du monde me gênait et je passai des heures à écouter France Culture sur des sujets divers et improbables.

    Je voulais participer aux fêtes au mieux. Je m’arrangeai pour trouver les cadeaux avec l’aide de complices. Quand elles arrivèrent, je tins absolument à ce qu’elles se fussent AVEC moi.

    « Second Life.Anecdotes »

    Tags Tags : , , , ,
  • Commentaires

    Aucun commentaire pour le moment

    Suivre le flux RSS des commentaires


    Ajouter un commentaire

    Nom / Pseudo :

    E-mail (facultatif) :

    Site Web (facultatif) :

    Commentaire :