-
De la mort
Fin 2006, j’étais très mal et l’organisation matérielle ne suivait pas le rythme de la dégringolade physique malgré toutes les bonnes volontés. Ma mère venait pour s’occuper de moi et du fiston, SeN devait travailler et je ne pouvais rien faire.
J’avais besoin d’aide pour passer d’un siège à l’autre, du lit au fauteuil et ce jour-là, ma mère rata le transfert, je tombai comme une poupée de chiffon sur le sol, au pied du lit.
Horrible sensation que de choir impuissante, être là comme l’eau glissant entre les doigts de celui qui voudrait tant la retenir.
Si le lit n’est pas trop haut, je ne pouvais m’y accrocher, me tourner, plier mes genoux pour me hisser. Il fallut d’abord libérer mes jambes toujours à se coincer dans le fauteuil puis me soulever. Ma mère n’avait pas de force, je pleurai de colère et de désespoir. Elle me gronda, refusa d’y prêter garde et réussit à me transporter dans un mouvement venu d’où je ne sais, retenant son souffle. Elle s’écroula à côté de moi dès que je fus sur le lit, poussant un cri entre victoire, soulagement et colère. Je lui dis simplement :
« Maman, je ne veux pas d’une vie pareille, pas comme ça, ce n’est pas une vie. ».
Imaginez sa révolte, elle tapa sur les draps dans un élan de colère noire : « Ce serait vraiment stupide de te perdre pour des conneries ! », je compris. Elle avait surmonté deux cancers avec une bande de guignols incapables de la prendre en charge dignement (dont certains du même hôpital où j’avais été en juin 2006). Les conneries, c’était l’évocation de ces incompétents, de l’absence de prise en charge sérieuse.
L’idée de la mort avait donc toute sa place ; ma mère y pensait, j’y pensais, elle était là, silencieuse, personne n’en parlait, nous y pensions tous.
Lors de ma première Irm, début juin 2006, je croisais les doigts pendant des heures en priant je -ne -sais -qui de préserver mon cerveau, je ne voulais pas perdre ma pensée, mes souvenirs, tout ce que j’avais acquis par la vie, les études, le travail, l’expérience, mes lectures et les champs illimités de ma curiosité. Je pleurais , je pleurais en pensant que la mort serait là pour moi, planant partout et attendant l’instant où le corps ne supportera plus les blessures. Ce n’était pas le plus insupportable, l’idée de la mort car elle nous prend dans ses bras et nous coupe de la douleur. Le plus insupportable est l’idée de la perte et du renoncement.
Quitter ceux qu’on aime, se faire à l’idée que leur odeur, leur peau, leur voix nous échapperont à jamais, que nos petites affaires perdront leurs sens, que tout ce que pour quoi et en quoi on a cru s’évanouit dans le néant, les projets, les rêves qui attendaient leur tour balayés violement, abattus radicalement. La mémoire des proches nous fait vivre en rêve et puis, nous nous délitons pour disparaître complètement à tout jamais. Très belle illustration de cette cruelle vérité avec la scène de fin de Blade Runner, Ridley Scott, version réalisateur et non commerciale : le chef des répliquants évadés affronte Harrison Ford. Il s’abat sur lui-même sous la pluie et la suprême douleur de la conscience de sa fin et disparition dans le néant quand de son vivant, il a vu et fait des choses extra ordinaires que personne d’autre ne vivra ou verra.
J’ai su également que je ne croyais pas en Dieu, je n’y trouvais aucun soutien. La religion est une réponse face à l’angoisse de la mort, ce n’est pas pour moi car je suis dans la vie, jusqu’au dernier souffle. Un proverbe juif dit « Une seconde de vie, c’est toujours la vie », je me situe là, dans cette foi en l’humain vivant (merci la psychanalyse).
Si je suis encore en vie aujourd’hui, j’ai vécu le cheminement du mourant, j’ai vécu concrètement dans le corps et le psychisme ce que nous craignons tous, ce que nous fuyons tous, ce contre quoi nous croyons nous prémunir tous. Maintenant, je relis et relis souvent ce magnifique livre à l’origine pour enfant, si épuré, si beau si évocateur, Le canard, la mort et la tulipe de Wolf Erlbruch parce que cette expérience aussi terrifiante et enrichissante soit elle ne me permet pas d’apprivoiser l’idée de la mort. Elle me permet simplement de prendre pleinement conscience de ce qu’est la vie.
Tags : vie, mort, l’idee, moi, j’etais
-
Commentaires
Bonsoir Fée des Agrumes.
Je ne sais pas quoi dire alors je me tais.
Et je te souhaite une très bonne soirée.
Fabien
si humaine,
si désespérément éperdue d'espoir,
si belle,
mais qui ne prend son sens que parce qu'il y a la mort.
Oui, tu as raison, mais je crois profondément que la vie perdure dans l'âme,
et que celle-ci est immortelle...
Mille bisous qui sauront traverser tes peines pour te dire mon amitié,
Donc tout ça pour te dire que ce n'est pas ton commentaire qui a été supprimé, c'est mon article. Et, de fait, tous les commentaires avec. Je serais très reconnaissant de ta part si tu venais le réinscrire à l'identique.
Ben, voilà, je te fais une bise.
Hips !
J'arrive pas à recopi é l'im age ell ebouge tou tle temps ! fine della boutielle !
Certaines rencontres sont comme des évidences. Je ne crois toujours pas au Destin,mais j'affirme l'existence de la logique de nos parcours.
A bientôt.
Bizettes und Tchuss.
7HélèneMercredi 18 Juillet 2012 à 12:10
Le premier article qui m'ait interpelée, c'est celui-là.
La mort, personne n'ose beaucoup en parler. Mais c'est une épée de Damoclès pour beaucoup. Elle ne me fait pas peur, je crois, mais ce que j'ai du mal à supporter, c'est cette pente inéluctable, et le fait que nous nous éloignions beaucoup, avant, de ceux que nous aimons... L'écart se creuse, petit-à-petit...
Ma Grand-Mère est restée alitée 10 ans, et elle était devenue très agressive: je prie afin de pouvoir être moi, le plus longtemps possible, pour mes amours de mari et d'enfants, pour mes amis, aussi.
Mais, nous sommes en vie! Profitons-en au maximum!A Fabien:
Le silence... d'une âme qui crie sa révolte, son désespoir et sa foi.
Pour nous, en nous.Réponse de fée des agrumes le 05/09/2008 à 22h27A Galatée:
Merci Galatée, si généreuse en toute chose , je suis touchée, sincèrement. :)
Je t'envie cette foi en l'immortalité de l'âme. Je ne crois qu'en la transmission de la petite étincelle qui permet de faire perdurer le feu de notre espèce, de l'aube de notre temps jusqu'à sa disparition, son oubli dans le néant. Pour nous, en nous, pour tous, en tous, pour chacun, en chacun, d'avant, d'aujourd'hui et de demain.
Je pense aussi à Tolkien, ses elfes et ses hommes, un article me viendra certainement, en son temps.
Je t'embrasse, chère GalatéeRéponse de fée des agrumes le 06/09/2008 à 15h00A Chris spé:
Quelle baffe dans la figure également! Comme on s'en prend peu.
Réponse de fée des agrumes le 06/09/2008 à 15h01A Fabien 2:
Je ne suis pas certaine de me souvenir de ce que j'avais écrit, je vais faire un effort, là maintenant.
Je lève un verre pour toi, pas trop , je ne supporte pas l'alcool. Je parle trop, c'est dangereux parait-il. ;pRéponse de fée des agrumes le 06/09/2008 à 18h34A Liebesthot:
Il n'est pas besoin de signature pour reconnaitre certains.
Je suis très honorée de ta présence en ces lieux.
Bienvenue.Réponse de fée des agrumes le 06/09/2008 à 21h10
Ajouter un commentaire
j'aime le proverbe juif
j'aime ce que tu nous dis de nous au fil de tes articles
et encore une lecture à rajouter à ma liste
(et, ah oui, Blade Runner ... splendide et terrifiant ... à la fac d'anglais, j'avais pondu une "analyse" sur "le naturel et l'artificiel" dans "Do androids dream of electric sheep?" de Philip K.Dick, le livre donc à l'origine de ce beau film)
bref, maille après maille, nous nous tricotons comme une écharpe commune
et grain après grain, la plage se forme, oui!
belle journée!
;)