• Changement de cap effectif.

    Débordée par ce flot d’émotions, je tentai péniblement de reprendre mon calme afin de ne pas alarmer mon ancienne voisine. D’un tempérament soucieux, elle prend sur elle les tourments des autres et je ne voulais pas la charger.  Je m’arrêtai devant chez eux, respirai un grand coup et me dirigeai vers leur entrée. Je sonnai, attendis qu’elle vint et alors qu’elle ouvrait la porte, je fus submergée par le flot ; en turc, je lui dis une expression équivalente à « Ne m’en veux pas » et les larmes coulèrent. Son visage blêmit, elle ouvrit les bras pour m’accueillir posant mille et une questions toute à ses inquiétudes. Son mari déboula à l’écoute de mes pleurs et nous allâmes nous asseoir dans la cuisine chauffée au bois. Je les rassurai immédiatement en évoquant d’abord l’incident des élections. Ils haussèrent les épaules ; en France depuis plus de 30 ans, sans la nationalité, ils ne votaient pas et si leurs enfants l’avaient, ils ne votaient pas non plus. Désabusés. Je relatai à demi mot la rencontre impromptue avec El. en prenant garde d’expliquer qu’elle n’avait rien fait de méchant, que j’avais été dépassée. Ils me dirent ce qu’ils avaient sur le cœur, leur incompréhension, leur colère, leur souci pour moi. Il y eut cette phrase magnifique du mari : « Dans un petit village, quand on sort, il y en a dix pour compter combien de pas on fait ». Elle me demanda de ne pas pleurer parce  que c’était trop dur à supporter ; je lui répondis que je vidai mon sac quelques minutes afin d’évacuer l’émotion. Elle me donna à manger pour reprendre des forces ; je n’avais pas faim mais j’acceptai en partage de nos peines respectives à panser. Après quelques minutes, je retrouvai le sourire, heureuse de leurs attentions, de leur présence, de leur accueil et je remerciai en mon interne la bonne étoile qui les avait placés sur mon chemin.  La barrière de la langue empêche les longues tirades, les mots complexes, tant en français pour eux qu’en turc pour moi. Nos relations n’en restent pas moins riches et fortes. Peut- être parce que nous communiquons par d’autres voies que celles du pur intellect... Le langage du cœur.

    Après plus d’une heure à siroter du thé en partage de nos pensées, tracas et joies, je me sentis réellement soulagée. Je suis chez eux accueillie chaleureusement, sincèrement, généreusement. Nombre de ceux qui les regardent de travers, ne les saluent pas, leur cherchent des noises, les critiquent et les jugent auraient bien des leçons à apprendre d’eux.

    L’heure tournait et Nadine m’attendait, je les quittai en les remerciant du fond du cœur, les priant de ne pas s’inquiéter ; je savais que les changements opérés étaient bénéfiques, salvateurs. Je me débarrasse des derniers oripeaux de passé, en substance.

    Je repris la route traversant champs et forêts tranquillement. Nadine pareillement m’accueillit alors que j’arrivai avec le sourire, toute excitée de lui raconter ma journée. Elle me proposa un thé auquel je préférai un jus de pomme chaud aux épices. Gros morceau de gâteau costaud et nous nous installâmes dans le salon au milieu des coussins et des couvertures. Le travail commença sous l’angle devenu systématique de la communication non violente. Je dis travail mais ce terme est inapproprié car ce n’est pas pénible de lâcher les émotions, les sentiments avec l’assurance que l’autre sait faire la part des choses, guide dans la compréhension de ce qui se joue chez soi. Au fil des formulations énoncées, des aides à l’identification des ressentis et des besoins qu’ils représentaient, les flux partagés nous transportèrent. Partage d’expériences vécues, présentes et passés, donner du sens en dehors de sentiers battus de la morale, de la bonne éducation des bonnes mœurs afin de laisser toute la place à notre humanité complexe. Oupf ! Nous déversions, nous tâtonnions et ensemble nous naviguions à vue. Les hommes, nos parcours, l’éducation, la culpabilité, les rencontres, les doutes,  les hésitations… J’aime penser à mon ami Boris en ces circonstances.

    Alors que Nadine évoquait ses coups de fatigue et ses envies de parfois bêtement faire comme tout le monde, je lui racontai comment, dans son dernier livre, il expliquait une particularité du cerveau. Quand nous nous conduisons en mouton de Panurge, que nous nous soumettons au ron- ron, aux habitudes et au mouvement général, il est en veille, se repose. Quand nous réfléchissons, nous révoltons, sortons du rang, agissons à l’encontre du mouvement général, le cerveau s’active, produit des hormones stimulantes., il se fatigue...  L’humain est majoritairement enclin à la  paresse.

    Si dans certains cas évoqués, je sus formuler la demande, la limite entre l’interlocuteur et moi, je voyais que dans la relation à SeN et sa famille, je n’étais pas au clair. Quelque chose manquait, un flou qui me dérangeait. L’origine finalement des tourments de ces années en sa compagnie. Restait un profond sentiment d’impuissance et de frustration en général. Nadine elle- même ne savait par où prendre le morceau de ce que je déversai en continu avec des exemples précis ; elle eut beau me demander ce que je voulais exactement, j’étais incapable de  lui répondre mis à part que je n’étais pas satisfaite de ces années et encore moins de l’évolution des derniers échanges avec eux aussi peu fréquents fussent-ils. Il y avait un petit truc que je ne pouvais lâcher parce que bêtement, je ne savais ce que je gardais serré en moi. Elle me souffla que peut- être, j’en avais assez fait, que ces huit années avaient suffi, que je pouvais désormais tourner les talons. Lâcher prise ne me posait aucun problème quand je ne voyais aucun d’eux ; ma difficulté venait du débordement des émotions et sentiments quand je rencontrais l’un ou l’autre. Là était le couac qui me perturbait.

    Ma vessie qui avait été étonnamment stoïque toute l’après- midi finit par se manifester fréquemment en fin de journée. Entre les verres de thé et le jus de pommes, je n’avais pas réfléchi aux quantités bues. Rien d’alarmant. La nuit tomba, je m’inquiétai de mon fiston resté à la maison ; à 21h, je décollai. Remerciements réciproques pour ce partage sincère et authentique, petits pas japonais dans la jungle de nos parcours réciproques, nous nous serrâmes fort dans les bras, heureuses, avant de se séparer.

    Dans le quart d’heure, mon garçon appela d’une petite voix, il s’inquiétait ; il fut rassuré d’entendre que j’étais sur le chemin du retour. A mon arrivée, il était content, posé, nullement dans ses angoisses du dimanche soir, souriant. Fier de me raconter que les devoirs étaient faits, qu’il avait mangé des sandwiches à la Scoubidou, il me fit une démonstration pour le dernier exemplaire avec Chorizo, ketchup, tapenade, beurre et pain grillé.

     La soirée se termina tranquillement. Je lâchais toutes les amarres ; divaguèrent impressions et pensées à leur guise. Une nuit, une journée, une autre nuit… combien ? Quelques jours tout au plus. Soudain, tournant dans la cuisine, l’éclair me vint : le nœud si laborieusement cherché était là, sous mes yeux évident et fulgurant. Dans la seconde, toutes les émotions débordantes disparurent et depuis, elles ne sont plus réapparues, pas même en présence d’un SeN furieux, critique, acerbe. Il était évident que la dernière étape me concernant dans cette aventure était entamée. Quand nous commençons à lâcher prise, plus rien ne s’arrête, tout coule et va de soi.

    Dès lors, j’entamai la rédaction des brouillons façon CNV pour El., pour SeN. Le grand nettoyage entamé avec la maladie et l’éventualité d’une mort rapide à ses premières heures me donnait le goût de cette propreté interne, cette netteté merveilleuse d’être en harmonie, en paix. Pour moi, pour ne plus être salie des travers malsains du passé, je leur offrirai une dernière entrevue authentique qu’ils seront en droit d’accepter ou non.

     

     

     

    « Dans la foulée du scandale, entrevue mouvementée.Prologue au dimanche tumultueux »

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  • Commentaires

    1
    Mardi 30 Mars 2010 à 08:29
    Annie
    Tout ce que je peux dire, pour avoir fait un "travail" sur moi avec de l'aide est que l'origine de nos déboires remonte pratiquement toujours à l'enfance, à un vécu particulier avec nos parents. Pour autant, il ne faut pas rejeter la responsabliité de nos difficultés sur eux car à leur époque ils avaient leur propre contexte environemental et affectif. C'est par le pardon envers eux et l'acceptation de ce que c'est à nous de nous définir sans s'en référer aux autres que nous allons mieux.
    2
    fée des agrumes Profil de fée des agrumes
    Jeudi 15 Août 2013 à 18:04
    EXACTEMENT!
    Réponse de fée des agrumes le 30/03/2010 à 09h34
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