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C’était la dernière séance.
A la sixième perfusion de mitoxantrone, l’été 2007 s’annonçait. J’allais beaucoup mieux, j’étais guillerette, enthousiaste, il faisait beau, il y avait une lumière radieuse. Je vivais mes derniers séjours en hôpital. L’idée d’en finir ENFIN avec ces piqûres et autres aiguilles m’enchantait, j’étais ravie et prête à aller de l’avant. Cependant, l’idée de ne plus voir certains soignants me pesait et nos derniers échanges ne furent guère aisés d’autant que je ne pouvais les saluer tous avec les changements d’équipes. Sylvie, l’infirmière de nuit l’avait si bien exprimé : « Nous partageons parfois des grands moments avec certaines personnes et quand les soins s’arrêtent tout à coup, nous ne les voyons plus et ne savons plus rien d’eux.» Elle pensait précisément à une jeune femme dont la sclérose en plaques avait fait des siennes juste avant son mariage, les préparatifs s’étaient faits souvent depuis sa chambre sous perf avec les soignants.
La vie est ainsi, il est des rencontres fugaces qui comptent énormément alors que bien des relations quotidiennes restent creuses, vides sur de longues durées. Question d’authenticité. (D’ailleurs, j’étais d’un naturel à faire le tri avant la maladie, c’est devenu encore plus évident et rapide depuis ; je m’emmerde d’autant moins des superficialités sociales trop souvent hypocrites.)
J’étais alors autonome et ne croisais plus les soignants que lors de leur passage de vérification, de soin ou de repas que je ne pouvais opérer moi- même. De toute manière, je n’aime pas les au revoir aux accents d’adieu et usais de mes stratagèmes de compensation à la peine de les quitter. Je passais ainsi ces dernières heures joyeusement, plaisantant et taquinant à l’envi. En outre, j’avais emporté avec moi du matériel de peinture : tubes d’acryliques, pot et pinceaux afin de terminer un cadre en médium. Une aide- soignante s’étonna de ma capacité avec de tout petits pinceaux alors que ma vue était réduite à presque rien (1 à gauche et 3 à droite pour rappel), je m’en étonne aussi avec le recul.
Il est en couleurs printanières, vivant, vif et brillant ; lorsque mon regard se pose sur lui, je me souviens parfaitement de cette chambre d’hôpital, de la tablette où je m’étais installée, du désordre que j’y mis ; j’entends à nouveau l’exclamation de l’aide- soignante rameutant ses collègues afin de leur montrer mon travail, je revois les mouvements de leurs corps et surtout, cette lumière éclatante qui brillait, du dehors, du dedans. Une espèce de flash de mémoire. Suivent naturellement quelques souvenirs d’impressions, d’émotions en cette dernière séance, la mesure également diffuse des bouleversements opérés en moi en un an, l’ivresse d’une nouvelle page de mon existence à écrire.
A l’instant de sa création, ce cadre représentait à mes yeux la possibilité de construire une vie fondée sur d’autres schémas, un fol espoir m’étreignait, obstinément. Fiston avait brodé le motif avec mon aide, SeN avait fabriqué le cadre dans les chutes de ses constructions, je le peignais. C’était une œuvre commune, ma métaphore de famille. Les travers qui m’avaient éclaté à la figure avec les prises de conscience via la maison, les réactions, les réponses, les silences, les adaptations et non-adaptations à ces abominables douleurs et souffrances me paraissaient encore un terreau fertile en vue d’une reconstruction de notre vie. Malgré les questions, les doutes, les voiles qui tombaient, une part de moi continuait d’espérer.
Cette famille tant désirée ne se réalisa pas. J’ai compris depuis que la maladie a ouvert mes yeux sur l’abominable réalité d’une relation malsaine, stérile, et sans issue. Une impasse, un gâchis de vie intolérable pour qui s’est cru mourir. De fait, cette peinture changea complètement de symbolique. Elle est devenue métaphore d’un achèvement, d’un seuil, une fenêtre sur une page d’existence à écrire en conscience par- delà les ruines de mon parcours chaotique et initiatique, la métaphore d’une renaissance. J’avais lutté pour survivre, je voulais dorénavant passer aux étapes suivantes qu’Elodie avait soulignées : exister et être. En balayant le jeu radicalement, la maladie et ce qu’en j’en tirais changeaient complètement la donne, il en était fini des acceptations tacites à l’auto- destruction.
Qui peut se douter que ce petit rien porte tant de récit?
Tags : d’un, vif, soignants, j’etais, moi
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Commentaires
La vie est faite de ces successions de marches à grimper. Tant qu'on est en mouvement on est vivant!
3MagaliMercredi 18 Juillet 2012 à 12:00Petit cinématographe:
Etonnemment, j'ai multiplié les belles rencontres. Il y a eu un bouleversement en moi qui a changé mes énergies. J'ai lâché prise contrainte par le corps et enfin accepté les cadeaux que la vie envoyait.
Pour l'émotion, c'est drôle, quand je suis intervenue à l'IFSi en juin , la prof m'a dit que j'en dégageais tellement que c'en était palpable.
Bé oui, je suis une sensible...
A bientôt.
A bientôt.
Réponse de fée des agrumes le 14/12/2010 à 22h19A Annie:Pourtant, il existe des immobilités plus que constructives.
Réponse de fée des agrumes le 23/12/2010 à 22h27A Magali:Retrouvez- vous y en amies.
Réponse de fée des agrumes le 23/12/2010 à 22h28
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Ton petit poussin a signé l'oeuvre du départ.......Je trouve ce sujet bien émouvant comme ce dernier jour lumineux à l'hopital. C'est souvent dans des moments insolites que se font les vrais rencontres même si elles sont brèves. Il se passe quelquechose d'indéfinissable parfois où chacun est à l'unisson et joue de son instrument....