• Quand la famille s’emmêle, Serge Hefez

    La famille.

    Comment définir ce mot ? A-t-il seulement la même signification pour tous ?

    J'ai lu  Serge Hefez, Quand la famille s'emmêle. Étrangement, ce livre réservé au bibliobus est arrivé alors que je l'avais oublié. Il survient sur un champ balayé par les événements, le terreau formé de mes recherches anciennes, labouré par la psychanalyse. Sa lecture est si éclairante, si fertile.

    Psychanalyste spécialisé en thérapie familiale, je l'avais entendu à la radio présenter son travail à la Pitié Salpêtrière. Comme mon ami Boris, j'ai accroché à sa voix, ses mots et la curiosité m'a portée vers sa bibliographie. Cet ouvrage est le premier d'une série à venir, je crois. Il y expose des exemples concrets de famille rencontrées en thérapie et au fur et à mesure ce qui lie ces êtres, dans leurs schémas inconscients, souvent anciens, intergénérationnels et comment la thérapie transforme le non dit insidieux et destructeur en possibilité de relation apaisée.

     Amour et haine se côtoient dans toute relation générant une ambivalence, à la base entre la mère et son enfant nouveau-né.

    Idéalement, cette ambivalence est intériorisée au fil des années puis l'adolescence permet la remise en question de l'héritage parental pour se le réapproprier personnellement, se détacher.

    Idéalement, le gendarme intérieur se construit grâce à celui construit par les parents afin de ne plus avoir besoin d'eux pour se protéger.

    Idéalement, ces cheminements permettent l'individualisation qui entraîne l'autonomie. Devenir soi pour ne plus fusionner avec l'autre, savoir faire la différence entre mes émotions et les siennes, différencier mes besoins, mes désirs des siens, savoir qui je suis...  j'en oublie.

     Idéalement, oui... mais ce n'est pas toujours possible. Alors, par excès d'angoisse suite à un trauma occulté, par excès de projection de soi sur l'autre suite à un ratage dans sa relation au parent, par excès d'amour, excès de haine, de soi, de l'autre, par les jeux répétés depuis longtemps, les êtres s'enchevêtrent et deviennent incapables de se séparer. Malgré les années, les distances, les choix apparemment différents, certains endossent des destins d'ancêtres par loyauté envers cette famille qu'ils craignent de trahir, dont ils craignent d'être rejetés et plus aimés. Ainsi, ils deviennent ce quelqu'un, ce fantôme, ce fantasme rêvé par toutes les parties du groupe. Les liens se tissent, se serrent, deviennent étouffants, destructeurs, auto destructeurs et les vies sont tourmentées, jalonnées de tristesse, de violence, de souffrance. Plus elles sont sourdes, plus le retour est virulent. Les drames surviennent tôt ou tard souvent par des chemins détournés, souvent par les enfants,  leur  adolescence.

    Que la famille soit classique ou recomposée, adoptante ou avec naissance médicalement assistée, mono, homo ou hétéro parentale, la problématique est la même partout parce que chacun des membres baigne dans un univers mental et psychologique commun. Le poids d'un idéal de vie réussie par le bonheur conjugal et familial rend la tâche de vivre ensemble d'autant plus difficile et ardue parce que nous avons tous intériorisé ce mythe de la famille idéale  qui n'existe pas et n'a jamais existé en dehors des fantasmes et représentations morales.

    Familles baignant dans un univers mental traditionnel où dominent les hommes et se séparent les sexes, où le groupe prime sur l'individu, où la société conditionne les vies de chacun, familles de transition où la discussion est intégrée mais la soumission à l'ordre encore prégnante,  familles contemporaines où la société n'intervient plus et où chacun ré- invente sans cesse la façon de vivre ensemble ,  la définition  de famille... Discours réactionnaires sur la chienlit actuelle et le rêve d'un retour à des valeurs  anciennes prétendument salvatrices (Ah si nos ancêtres pouvaient seulement imaginer donner leur avis sur leur condition de vie en famille ! Les moralisateurs  d'aujourd'hui seraient bien décontenancés de les entendre et repartiraient soit dans des délires soit la tête basse).

     L'obligation d'être heureux et en harmonie, vivant tous dans un bain d'amour sans tâche empoissonne nos vies, culpabilisatrice de nos tâtonnements incessants dans la relation à l'autre. Cela n'existe que dans les histoires mièvres. (D'ailleurs, ces prétendues familles parfaites, je les appelle avec ma sœur les bisounours ou les schtroumpfs, hihi.. vilaines que nous sommes). Plus l'image est lisse et proprette en surface, plus la violence est sourde et puissante; l'explosion n'en sera que plus terrible. Au lieu de juger, il me semble plus intelligent de se poser, de regarder, de chercher à comprendre, de défaire les nœuds, de soutenir quiconque prend la peine de se détacher de ses chimères afin de rendre la vie de tous plus sereine, moins violente et de surtout reprendre le dialogue, ensemble, tranquillement. Il est toujours temps de déculpabiliser et de responsabiliser.

     

    Le sujet est vaste et j'en parle certainement mal à travers le prisme de mon ensorcèlement. Je ne peux que constater à nouveau combien nous sommes tributaires de notre inconscient, combien il est le seul maître à bord et avec quelle vanité nous osons nous imaginer plus forts que lui avec notre petit mental, nos raisonnements et nos contes.

     

    Nous sommes tous embarqués dans de frêles embarcations sur une mer déchaînée.

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  • Commentaires

    1
    Je transfère
    Dimanche 11 Août 2013 à 19:15

    Commentaires

    He ben, encore un sujet "costaud" : la famille...

    ... de la famille idéale  qui n'existe pas et n'a jamais existé en dehors des fantasmes et représentations morales.

    J'ajouterai : et qui sont propre à chacun... Alors, comment au sein d'un couple, d'une famille arriver à l'harmonie idéalisée ?

    Autre point que je relève :
    reprendre le dialogue, ensemble, tranquillement. Il est toujours temps de déculpabiliser et de responsabiliser
    Dans ma famille (au sens large), j'ai tenté ces dernières années de renouer avec une parentelle qui s'était distendue au fil de chamailleries comme nous en connaissons dans toutes les familles. Certains décès rendant possible - théoriquement - de renouer des liens, je suis finalement bien déçu. La vie à continué pour chacun de son côté et les "blancs" dans les relations sont impossibles à combler.
    N'est-ce pas A. GIDE qui disait "familles je vous hais ?

    Commentaire n°1 posté par philippe le 16/01/2009 à 12h53
    Tiens, Serge Hefez a cité cette phrase de Gide.
    Un idéal est inatteignable, nous ne pouvons qu'y aspirer pour améliorer notre quotidien, non?
    La limite extrème est celle de l'autre, au delà, il n'y a rien à faire. Nous ne pouvons faire que pour soi; tu as fait une partie du chemin vers ces personnes, elles n'ont pas voulu, et ben, tant pis pour elles. peut être ne sont- elles pas prêtes?
    Pense à toi; la rencontre n'a pas de frontière, elle est possible partout!
    Réponse de fée des agrumes le 17/01/2009 à 11h25
    Oui, la famille, grand sujet... je crois que je n'ai pas fini d'en parler dans mes écrits...
    Commentaire n°2 posté par Coq le 16/01/2009 à 22h23
    Il y a de quoi alimenter des milliers et des milliers de pages, c'est sûr!
    Réponse de fée des agrumes le 17/01/2009 à 11h17
    Je voudrais le commander et je vois qu'il existe en poche. Est-ce le livre dans son intégralité ?
    Ce livre tomberait à pic dans ma vie où de grands bouleversements se profilent.
    Commentaire n°3 posté par Magali le 17/01/2009 à 10h17
    Ce serait précisé si c'était un condensé ou seulement une partie.
     Je pense que c'est l'oeuvre intégrale.
    J'ai souvent pensé à toi en le lisant, surtout dans le dernier chapitre.
    Une lecture salvatrice et déculpabilisante.
    Réponse de fée des agrumes le 17/01/2009 à 11h15
    j'ai commencé à avoir du mal à respirer en cours de lecture !
    sans doute parce que le sujet nous touche TOUS, d'une manière ou d'une autre, qu'il est vaste, tellement vaste, que la tâche paraît insurmontable, par où commencer ? à qui parler en premier ?
    j'ai commencé un cheminement voilà quelques mois, j'ai pu prendre conscience de certains enfermements, certaines aliénations dictées, à ma grande surprise, par l'amour, en effet ; j'ai déjà compris que vouloir s'en défaire ne signifie pas entrer en "désamour", que tout ne fonctionne pas par oppositions binaires, bien au contraire, que regarder bien en face le père, la mère, le frère, la soeur, la grand-mère ... c'est d'abord reconquérir l'amour de soi, en sortant de leurs yeux aimants à eux ... Tu vois, c'est encore un peu flou, et je me gourre encore, bien sûr, mais la faible lumière que cette nouvelle approche diffuse est prometteuse ... pour peu que l'on ne tombe pas dans un excès inverse (vouloir TOUT lire avec cette seule grille de lecture)
    en tout cas, la psychogénéalogie est fascinante, pas seulement pour se regarder le nombril, mais parce qu'elle pourrait permettre de mieux comprendre la communauté humaine elle-même et sa furieuse tendance à reproduire ses erreurs dans l'histoire ... ainsi, comment décrypter ce qu'Israël assène à Gaza en ce moment ? Ce pays jeune cherche à se défendre, tout le monde peut l'entendre, mais la réaction est particulièrement démesurée et brutale, presque vicieuse et hyper provocatrice (bombarder l'ONU, c'est du jamais-vu, quand même). Je me gourre peut-être totalement, mais je ne peux m'empêcher de penser au "fameux" schéma de l'enfant battu qui souvent devient un parent violent ...

    merci à toi pour ces fils de pensées qu'il ne faut pas lâcher  ;)
    Commentaire n°4 posté par mariev le 17/01/2009 à 11h37
    Un jour, ce thérapeute en Allemagne m'a dit de lâcher ma mère parce qu'à me raccrocher, je sombrerai avec elle. Comme je le regardai ahurie, il a ajouté simplement:
    " Lâcher ne veut pas dire abandonner"
    et tout s'est éclairé; je comprends ce que tu racontes là, inévitablement.

    Je te souhaite de ne pas avoir à passer par une grosse crise pour arriver à voir clair en toi.
    La maladie a été un cataclisme qui m'a acculée à faire face; désormais, avec l'aide de la psychanalyse, je comprends mes travers et mes errements.
    Qu'est- ce que c'est salvateur... et pourtant si ténu parce que notre inconscient est si surprenant et tout puissant. 
    Bien des articles suivront pour évoquer ce parcours terrible, je ne lâche pas les fils... et tant mieux si certains y trouvent un écho susceptible de les aider, les soutenir.

    Tout ce que tu fais pour toi n'est pas narcissique ou égocentrique, nous sommes tous reliés, ce que tu fais pour toi, tu le fais pour tous.
    La vie est un kaléidoscope, une vision univoque n'apportera rien de toute manière alors l'extrémisme et les positions tranchées parlent plus d'autres choses que de ce qu'elles affirment.
    Dans ce livre, j'ai senti l'humilité et la tolérance de ce thérapeute, j'y ai reconnu un grand monsieur. La porte est toujours ouverte.
    Réponse de fée des agrumes le 17/01/2009 à 13h42

    Ah, l'image de la famille parfaite me terrifie toujours...

    Toute famille est une micro-société, et les non-dits finissent toujours par ressortir, décuplés!

    J'ai demandé à mon mari pendant un an que nous allions voir ensemble mon neurologue,car même ma maladie expliquée par moi ne génèrait qu'incompréhension et même ressentiments...
    Enfin, il a reçu nos filles ados et mon fils et mon mari respectivement.
    Je ne dis pas que seule la maladie est en cause, mais en entendre parler par un professionnel extérieur nous a fait du bien à tous...
    Espérons que cela durera!
    Amitiés et bravo pour ton courage.
    Hélène.

    Commentaire n°5 posté par Hélène le 18/01/2009 à 23h27
    Ah oui, je suis d'accord! Faire intervenir une tierce personne capable d'expliquer à la famille la réalité df'une maladie, c'est une démarche trop souvent négligée !
    Je ne sais pas ce que serait devenu mon fiston ces dernières années si je n'avais pas été capable de lui expliquer simplement la situation et je n'ai pas hésité une seconde de l'emmener chez une pédopsychiatre malgré les freins d'autres qui n'y voit que du danger.
    mainteant, je sais que j'ai eu raison d'insister... tout comme toi!
    L'homme est un être de parole, c'est vital.
    Quant au courage, je dis seulement que tant que la vie est là et possible, je ne vois pas ce qu'il y a comme alternative. Bêtement.
    J'espère que tu vas bien
    Réponse de fée des agrumes le 19/01/2009 à 12h15
    bjr...
    je dis souvent "la famille est une secte a elle toute seule" je dis cela,car nous vivons avec le rytme des parents,le rytme de leur vie,de leur education....
    Puis apres,on quitte celle ci,pour se construire de differente façon,parfois meme,on va a l'encontr. de ceux qui nous a été inculqué.
    J'dis ça,mais j'dis rien....
    Bien a toi.....

    Passée par plaisir sans obligation...
    Commentaire n°6 posté par B.secret le 19/01/2009 à 08h46
    Et bien merci de la visite.
    Tu évoques là, simplement le parcours de tous les humains.
     Reste la problématique des enjeux inconscients des choix de chacun.
    Au plaisir. 
    Réponse de fée des agrumes le 19/01/2009 à 12h18
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