• Les possibilités de la cuisine.

    Cette question avait été cruciale. Si le mobilier  (formica blanc, gris, noir, brun, vieille cuisinière, frigo)  restait, je ne venais pas.

    Ils ne me comprirent pas. En dépit de sa laideur déprimante, cette cuisine était également inadaptée à ma taille : plans de travail, évier, tout était trop bas et j'entrevoyais les dégâts sur le dos. Finalement, certains éléments furent enlevés et quelques meubles que je crus avoir choisis à deux  commencèrent à être installés par lui.  Mais avant cela, il y avait les papiers à décoller, les peintures à refaire.

     Un peintre avait été employé par les parents propriétaires et il avait accepté le travail à condition que les murs fussent prêts à être tapissés. Je me coltinai bêtement la tâche. A ma grande surprise, je trouvai deux couches de papier. J'achetai une ponceuse pour décoller celui du dessous et passai plusieurs heures dans les nuages de poussières et de plâtre en grimpant jusqu'au plafond. Travail harassant désagréable. Comme je m'étonnai de ces deux couches, il me fut expliqué que les propriétaires n'avaient pas voulu s'embêter à arracher le premier, pris par le temps avant les locataires et qu'ils avaient simplement recollé un neuf par-dessus.  Pourtant, ne se targuent- ils pas de toujours faire ce qu'il faut comme il faut ? Là, je m'interrogeai sur le décalage benoitement.

    Le meuble formica sous évier resta en place parce qu'il ne v/pouvait pas tout faire en une fois (ce que je peux comprendre). En dépannage, temporaire, je plaçai un de mes meubles et dénichai une chute de plan de travail neuf dans la poubelle d'un magasin de cuisiniste afin d'y placer la plaque de cuisson et le four multifonction. Toute heureuse de cette trouvaille inespérée, je le mis en place et le lui montrai quand il rentra, très fière. Il me houspilla expliquant qu'il ne voulait pas de ces bricolages mais d'un  plan de travail uniforme sur toute la longueur. Je courbai le dos et attendis l'achèvement de la cuisine... pendant 3 ans. Mon morceau de plan de travail se révéla fort judicieux pendant des mois.

     

    L'évier était beau et grand, malheureusement trop bas pour mon mètre 68.  Je me cassai le dos deux ans avant la maladie à faire mes vaisselles quotidiennes, matin, midi et soir. J'expliquai, je pestai, je cherchai des solutions... rien ne bougeait dans un flot de prétextes divers ou de silences exaspérés. Le lave- vaisselle acheté en soldes début 2006 ne fut installé que plusieurs mois après... quand je ne fus plus capable de faire la vaisselle. Comme je tombai un jour sur la porte en le vidant, j'essuyai un sermon sur le caractère brise- tout et sans soin de ma famille par lui, agacé de mes soit- disant casses incessantes.

     

    De même, après quelques années d'inertie,  les  derniers aménagements se firent et l'évier fut posé à bonne hauteur alors que j'étais en fauteuil roulant. Après quelques semaines d'utilisation debout, virent les protestations : le plan de travail avait gonflé autour de l'évier et du robinet, je salissais sous la plaque de cuisson en renversant et il devenait fou, pestant de mes incapacités. Incrédule, je lui fis remarquer qu'il n'y avait aucun joint, ni autour de la plaque, ni autour de l'évier, ni autour du robinet, ni à l'arrière entre mur et plan de travail. Il me répliqua que rien ne serait arrivé si j'avais fait attention. « Maintenant, je vais devoir tout changer ! »  ce qu'il compte faire ... plus tard.

    Dès notre arrivée dans la maison, j'osai évoquer une uniformisation du sol par un carrelage identique dans toute la pièce, naïvement. J'essuyai un refus catégorique ; il préférait mettre du parquet stratifié sur la deuxième moitié et laisser les carreaux sur la première avec une espèce de baguette en alu entre les deux. Ce n'était pas très important et acceptai son choix afin de ne pas envahir et/ ou écraser ses désirs. Après quelques semaines, commencèrent les accrochages incessants aux vis qui ressortaient de la baguette d'alu. «  Vous n'avez qu'à mettre des chaussons ! »... il est vrai que fils et moi sommes toujours pieds nus, quelle drôle d'idée. Puis, vint l'épisode de la goutte d'eau sur la parquet qui me choqua particulièrement.

    Je venais de rentrer des deux mois d'hôpital et accusais la fatigue liée au traitement. Encore en fauteuil, je me contentais de venir mettre les roues sous la table et de manger en compagnie de mes deux acolytes. Je supportais difficilement les disputes quotidiennes entre un garçon maladroit et un contrôlant; je courbais l'échine de lassitude la majeure partie du temps car mes paroles n'avaient aucun impact. Ce jour- là, le garçon bavardait et gesticulait à table, comme tous les enfants ; dans des circonstances oubliées, il fit tomber une goutte sur le sol ; il eut droit à  une remarque et un sermon sur le gonflement du parquet stratifié à cause de l'eau. J'ajoutai bêtement sans plus y penser qu'effectivement, ce revêtement de sol était inadapté à une cuisine... Que n'avais- je pas dit ? Ce fut l'explosion ! Entre cris et claques, le repas se termina dans une violence inouïe. J'en fus tellement choquée que je racontai l'épisode à la psychiatre : « Vous vous rendez compte ? Il hurle pour une goutte d'eau sur le sol ». Elle avait haussé les épaules, «  Qu'est- ce que vous voulez ? il est obsessionnel et vous ne pourrez rien y changer, c'est sa structure de personnalité ».  Cette étincelle ne fut que le début d'un éclairage perpétuel.

     

    Alors, évidemment, je comprends qu'il ait fallu agir dans l'urgence en d'autres circonstances, je comprends que tous n'avaient pas les possibilités en temps et/ ou en moyens pour rendre cette pièce impeccable immédiatement, je comprends que des impératifs d'agencement, de niveaux, de conduite, de branchement posent problème, je comprends que la peur de mal faire puisse freiner les initiatives. Je ne comprends pas  toutefois pourquoi il y avait un tel décalage entre les discours et les actes, je ne compris pas pourquoi le quotidien devenait une succession de violentes scènes... jusqu'à ce que l'obsession évoquée me  permit de regarder les actes quotidiens sous un autre angle.  

     

    Plus tard, au détour d'une conversation anodine, j'entendis qu'il m'avait laissé choisir les meubles sans s'en mêler alors que je pensais les avoir choisis à deux et que s'il avait fait cette cuisine, c'était pour ses parents parce qu'l ne pouvait décemment pas laisser la pièce sans aménagement quand j'avais exigé l'enlèvement des éléments. Bon sang ! Elle avait presque quarante ans la précédente ! Ce n'était pas enlever de la valeur à la maison que de la rénover ? En plus, ils avaient refusé toutes mes propositions économiques expliquant qu'ils ne voulaient pas de « bricolages/ bidouillages »... Quelque chose m'échappait, étais- je donc trop bête ?  

    Je croyais que la cuisine intégrée était un aboutissement, un confort voire un luxe et je réalise combien elle est révélatrice de celui qui la fait plus que de ce qu'elle est. Dans ma grande bêtise, je voulais simplement en faire une belle pièce chaleureuse et accueillante adaptée à nos modes de vie, embellir la maison sachant pertinemment que simple locataire de passage, je n'emmènerai rien avec moi en quittant les lieux. Tant pis pour eux, qu'ils se la gardent !  J'espère retrouver bientôt ma cuisine de bric et de broc où je peux travailler sans avoir à craindre perpétuellement les critiques, remarques sur mes soit- disant incapacités à faire ce qu'il faut comme il faut. Il me tarde de retrouver une cuisine respirant la vie faite de principal et non de principe.

    Mon ensorcèlement des lieux n'a évidemment rien à voir avec celui d'autres et certains s'indigneraient de lire ces quelques mots, choqués, révoltés, qu'ils le soient! Peu m'importe parce qu'ici, il n'est question que de moi et de ma perception du monde. Cette cuisine n'est seulement que la première pièce d'un puzzle laid qui se construisit à plusieurs et aussi terrible soit- elle,  la territorialisation inconsciente des espaces se révéla lentement, à ma grande stupéfaction au fur et à mesure de l'installation.

     


    En boutade aux obsessionnels! 
    (obsessions aux multiples visages)

     

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  • Commentaires

    1
    Je transfère
    Dimanche 11 Août 2013 à 20:11

    Commentaires

    Euh ... eh ben dis donc, pour quelqu'un disant ne pouvoir tolérer les bricolages/bidouillages, il se pose là, le phénomène!
    Ton récit est cahoteux : on dirait un chemin où des cailloux apparaissent à la dernière seconde. Serait-ce qu'on ne les a pas vus, qu'on n'a pas voulu les voir, ou qu'ils sont soudain tombés d'une structure qui ne paraissait pas si branlante?
    J'aime ta définition de la cuisine (on y trouve le principal, pas des principes), valable pour tout, au fond, non ?

    Sachant que la manière dont on traite, décore, répare, entretient et vit son habitation est révélatrice, très, de notre propre intérieur ... l'épisode laisse rêveur
    ;)
    Commentaire n°1 posté par mariev le 06/02/2009 à 17h15
    Ce ne sont pas des cailloux que j'ai rencontrés, ce sont des murs!
    La vie est faite de principal et non de principes rigides qui  enferment et empoisonnent nos vies ( l'article sur capacités cognitives et dogmatisme ne me quitte pas l'esprit) .
    J'ai mis le temps à comprendre, la claque de la maladie m'a sacrément remis les idées en place et en cela, je suis reconnaissante.
    Je n'avais que trop tardé.
     
    Réponse de illoux le 06/02/2009 à 22h56
    Je ne comprends pas les gens qui s'empêchent de vivre dans leur maison par peur de l'abîmer. A moins de casser les murs exprès, je ne vois pas comment vivre peut endommager une structure faite exprès pour accueillir la vie, justement. Et ce n'est effectivement pas une goutte d'eau qui va détruire un plancher... et même si c'était le cas, doit-on s'empêcher de respirer, de peur que le toit ne s'effondre?
    Commentaire n°2 posté par Coq le 06/02/2009 à 19h54
    Je ne comprends pas non plus.
    J'y vois une soumission  volontaire à la tyrannie de l'objet quand d'autres y voient le respect du cadre de vie.
    Révélateur de représentations du monde antinomiques.
    Réponse de fée des agrumes le 06/02/2009 à 23h00
    Si seulement ses parents à lui avaient une cuisine où tout les meubles et les couleurs et les rideaux vont ensemble!! En parlant d'obsessionnels de la déco...
    Mais ils sont bêtes (radins surtout?) car tout ce que l'on ajoute à une maison lui donne de la valeur (économiquement mais aussi dans le sens de vie, enrichissement)!
    Et, et le parquet stratifié c'est du collage de bois en plus...
    Enfin, il me semble que l'explosion du mec pour une goutte d'eau est l'expression d'un autre problème sous-jacent...
    Hi hi hi j'adore cette chanson!! ;)
    bises et bon week-end!
    Commentaire n°3 posté par Troll des Forêts le 06/02/2009 à 22h35
    Je savais qu'elle allait te plaire !
    Quant à la valeur ajoutée, j'aime cette phrase où tu évoques le sens de la vie.
    La goutte d'eau est évidemment un prétexte à l'expression d'autre chose, comme tout le reste. Que faire face à des angoisses niées? 
    J'explose et crache mon venin afin de ne pas m'empoisonner plus que je ne l'ai déjà fait.
    J'ai dégusté, ça suffit.
     
    Réponse de fée des agrumes le 06/02/2009 à 23h09
     
    Oui, il y a du poison dans ton entourage, Fée des agrumes,
    J'ai connu aussi, ces soirées/matinées/journées de violence -verbale chez moi- pour des... gouttes d'eau.

    Fée, ces soirées/matinées/journées sont passées, fichues et il n'y a aucune possibilité de les refaire. N'en laisse pas échapper trop d'autres.
    Commentaire n°4 posté par DcommeDom le 08/02/2009 à 15h28
    C'est bien pour cela que j'ai décidé de prendre ma vie en main et de faire face à ce que j'ai trop longtemps refuser de regarder.
    La vie est trop courte et précieuse pour être gâchée.
    Réponse de fée des agrumes le 08/02/2009 à 17h05
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