-
De la colère. 4. Prendre conscience des besoins.
Nous, humains avons tous les mêmes besoins. Si l’évidence de respirer, manger, boire, dormir est commune, que savons- nous véritablement de nos besoins ? La pratique quotidienne a largement tendance à les nier, à les restreindre ou à les utiliser dans des buts calculés à profit, il n’est pas si aisé d’en prendre conscience, d’ouvrir son esprit, ses habitudes à leur présence et encore moins facile de les entendre, de les identifier, de leur accorder la place qu’ils demandent. Ainsi, souvent empêtrés dans le flou de nos besoins, nous jugeons violemment, nous insultons, nous donnons la responsabilité à l’extérieur de ce malaise que nous ressentons à l’intérieur. En outre, dès notre conception, nous sommes structurés dans le jugement incessant à soi ou à l’autre. Quand un autre est lui aussi pris dans le flou de ses besoins, qu’il nous agresse, nous insulte, nous juge, nous nous le prenons en pleine figure et l’engrenage de la violence continue allègrement sans que rien ne soit résolu. Une des voies possibles afin de sortir de ces cloisonnements qui enferment, coupent de soi et des autres est un pas de côté, un recul, une question, la communication non violente/ bienveillante de Marshal Rosenberg, inscrite au patrimoine mondial de l’humanité à l’Unesco.
J’avoue qu’à sa découverte, j’ai été déstabilisée, très dubitative, voire méfiante. Cependant, ma part vivante avait grand faim après la remontée ardue face à la maladie, les bouleversements opérés par la psychanalyse ; j’aspirais véritablement à d’autres comportements, d’autres relations. Ce ne fut certainement pas un hasard si je rencontrai Nadine et Yolande à ce moment alors que nous étions voisines depuis des années sans se croiser; mon mode vibratoire était en branle et résonnait en d’autres sphères. La vie cohérente et logique, constamment, nous renvoie à ce qu’il se passe en nous.
D’abord, je pris conscience des liens qui nous unissent. Parce que nous avons tous les mêmes besoins (et les mêmes structures mentales), il est possible d’être relié à l’autre, à ce qu’il ressent sa présence n’étant pas nécessaire. Dans mon cas, l’expérience fut incroyable : alors que nous parlions d’une situation précise vécue par une des participantes, je ressentis précisément ce que vivait la personne non présente avec laquelle était le conflit. Ce fut fort et puissant, un éclair inattendu d’autant que je ne la connais absolument pas. A partir de là, je lâchai mes doutes et suspicions.
Je ne saurai dire quelle furent les étapes de mon apprentissage, ce fut une vague générale, un mouvement de fond indubitable. J’ai tâtonné dans ma vie personnelle avec des maladresses et des erreurs engendrant un changement total d’ambiance et de relation à mon entourage. Il y eut une recrudescence de violence et de scènes avec certains et la multiplication des rencontres avec d’autres. Un tri radical se fit entre ceux qui acceptent d’entrer en relation et ceux qui la refusent parce que c’est trop déstabilisant, inhabituel, dérangeant. Changer de mode relationnel effraie beaucoup car cela induit le changement d’habitudes profondément ancrées, un travail sur soi, une prise de conscience de sa responsabilité et la décision de sortir de fonctionnements anciens qui, bien que toxiques, sont connus et tellement rassurants du fait d’être connus ne fut- ce qu’inconsciemment.
A priori, la communication non- violente/ bienveillante de Rosenberg est simple :
A partir d’une situation concrète, identifier les sentiments et émotions sans jugement puis trouver le besoin non satisfait qui s’exprime en cet instant en n’oubliant pas qu’un besoin n’a pas besoin d’être satisfait, il a besoin d’être entendu. Enfin, faire une demande négociable afin de tenter de répondre à ce besoin.
Cette démarche s’effectue soit avec un interlocuteur autour d’un déclencheur qui a provoqué le conflit violent, soit avec quelqu’un que l’on accompagne, soit avec soi- même, à l’intérieur.
Les difficultés résident dans les identifications des sentiments. Pour ce faire, je renvoie au livre de Thomas d’Assembourg, Cessez d’être gentil, soyez vrai ! où sont listés les sentiments :
- ceux que nous éprouvons lorsque nos besoins sont satisfaits : à l’aise, allégé, amusé, calme, béat, comblé, confortable, content, enjoué, fier, gai, heureux, intéressé, proche, radouci, ravi, satisfait, serein, stimulé, touché, vivant, entre autres
- ceux éprouvés lorsque nos besoins ne sont pas satisfaits : abattu, alarmé, agacé, apeuré, blessé, bloqué, contrarié, crispé, déçu, démoralisé, démuni, ébranlé, effrayé, épuisé, écœuré, excédé, fâché, grognon, honteux, inerte, irrité, jaloux, morose, lourd, nerveux, paresseux, perplexe, avoir peur, ramolli, renfermé, secoué, seul, sombre, soucieux, tiraillé, triste, vexé, etc.
- et - merveilleuse et intrigante liste !- ceux que nous croyons être des sentiments alors que ce sont des interprétations et des jugements de ce que l’autre nous fait, exemples flagrants : abandonné, abusé, acculé, attaqué, bête, coupable, délaissé, déconsidéré, dupé, trompé, écrasé, floué, harcelé, humilié, ignoré, incompris, insulté, isolé, jugé, manipulé, minable, menacé, mis en cage, nié, pas accepté, pas aimé, rabaissé, trahi, utilisé… etc. Cette dernière, en particulier, me sauta aux yeux car je compris que chez nous, nous ne nous envoyions incessamment que des jugements et des interprétations, il y avait un sacré boulot !
A mon humble avis, la priorité est de se relier à soi car :
- comment être relié à l’autre si nous ne sommes pas reliés à soi- même ?
- Comment identifier les sentiments de l’autre si nous ne savons pas identifier nos propres sentiments?
- ET comment identifier les besoins non satisfaits de l’autre si nous ne savons pas identifier nos propres besoins ?
L’empathie vis- à- vis d’autrui est une donnée que je connaissais bien, ma vie en est marquée. Doucement, je pris simplement conscience du peu d’empathie que je m’accordais. En relation fusionnelle, tout était mêlé et pendant des années, j’ai endossé et souffert des malheurs et souffrances d’autrui, incapable de m’accorder le droit d’être en souffrance moi- même ; en privilégiant prioritairement les besoins d’autrui, j’étais incapable d’accorder de la place aux miens. D’ailleurs comment pouvais- je la leur accorder puisque je n’avais pas conscience que ces besoins existaient et étaient légitimes ? J’ai été d’une dureté extrême à mon égard et le prix fort en fut l’auto destruction programmée. Pas étonnant d’en arriver à une maladie auto- immune, finalement puisqu’apparemment les relations destructrices n’étaient pas suffisante dans mon programme malsain. Au fur et à mesure que je plongeais en moi, que je mis des mots sur mes sentiments, que je pris lentement conscience de mes besoins, je mis de l’ordre et de la lumière dans cette caverne sombre refoulée. Du coup, je devins plus clairvoyante des réactions d’autrui, je remis chaque sentiment et réaction à sa place, je sortis de la fusion, je détachai ce qui relevait de mon histoire et ce qui relevait de la sienne- car oui, dans chaque conflit, c’est tout notre histoire personnelle, nos ressentis et nos insatisfactions que nous remettons sur le tapis, balançons à la figure de l’autre ! Je ne me construisis ni une forteresse, ni une carapace, je m’entourai d’une bulle qui grandit constamment. Elle me protège des jugements et réactions de l’autre tout en me permettant de rester en contact avec lui et de lui montrer que je suis présente et ouverte à la relation, s’il est d’accord.
Le changement est évident. Je ne côtoie plus les mêmes personnes, je vis des moments intenses avec ceux qui sont restés dans mon entourage, ils avancent également vers des voies insoupçonnées par l’énergie et l’impulsion que j’ai données à ma vie et que je partage avec eux, les rencontres au travail, dans la rue, des endroits improbables, ne serait- ce qu’au téléphone ou sur la toile sont extrêmement riches, je lis physiquement les tensions qui se délient sur les visages, les corps, dans les yeux, dans la voix, je vois le soulagement et la joie des moments partagés. Néanmoins, c’est une tâche ardue et pénible souvent. La persistance des coups d’éclats, des insultes et jugements que je profère, ces colères et scènes que je vis en certaines compagnies en sont la preuve. Il n’y a que depuis quelques semaines que j’arrive enfin à entrevoir ces besoins insatisfaits qui me poursuivent depuis des années, j’en entrevois surtout désormais l’ampleur.
Quels sont donc nos besoins ?
Les informations ne manquent pas sous le registre besoins fondamentaux. Attendez- vous à être surpris de la longueur des listes !
- Maslow proposa une pyramide : hiérarchie de bas en haut selon l'échelle des besoins prioritaires d'un individu.
5 : les besoins de réalisation de soi
4 : les besoins d'identification, d'estime, de réputation, de dignité
3 : les besoins de reconnaissance
2 : les besoins de sécurité
1 : les besoins physiologiques (manger, boire, dormir)
- Dans Cessez d’être gentils, soyez vrai ! , Thomas d’Assembourg propose:
Survie :
Abri, air, eau, mouvements/ exercices, nourriture, repos/ permanence, sécurité/ protection. (Ça commence bien déjà, non ?)
Autonomie :
Affirmation de soi, appropriation de son pouvoir, choix/ décider par soi- même, indépendance, liberté, solitude/ calme/ tranquillité, temps/ espace pour soi.
Nourriture ( au sens large) :
Affection, chaleur, confort, douceur, relaxation/ détente/ plaisir/ loisirs, sensibilité, soins/ attention/ présence, tendresse, toucher.
Intégrité :
Authenticité/ honnêteté, but/direction/ savoir où aller, connaissance de soi, déterminer ses valeurs/rêves/ visions, équilibre, estime de soi, respect de soi, rythme/ temps d’intégration, sens de sa propre valeur, de sa place.
Expression de soi :
Accomplissement/ réalisation, action, apprendre, créativité, croissance/évolution, actualisation, développement, guérison, générer/ être la cause/ participer, maîtrise.
D’ordre mental:
Clarté/ compréhension (par la réflexion, l’analyse, le discernement, l’expérience), cohérence/ adéquation, concision, conscience, exploration/ découverte, information/connaissances, précision, simplicité, stimulation.
D’ordre social:
Acceptation, amitié, amour/affection, appartenance, appréciation, communication, compagnie, concertation, confiance, connexion, contact, donner/servir/contribuer, écoute/ compréhension/empathie, équité/ justice, expression, honnêteté/ transparence, interdépendance, intimité, partage/ échange/ coopération, présence, proximité, recevoir, reconnaissance (résonnance, écho, feed- back), respect/ considération, sécurité (fiabilité, compter sur, confidentialité, discrétion, stabilité, fidélité, permanence, continuité, structures, repères, etc.), soutien/ assistance/ aide/ réconfort, tolérance/ accueil de la différence/ ouverture.
D’ordre spirituel :
Amour, beauté/ sens esthétique, confiance/ lâcher prise, espoir, être, finalité, harmonie, inspiration, joie, ordre, paix, sacré, sérénité, silence, transcendance.
Célébration de la vie (accueil de la vie dans ses différents aspects) :
Communion, deuil/ perte, fête, goût d’expérimenter l’intensité de la vie en soi, humour, jeu, naissance, rendre grâce, ritualisation.
- Les 14 besoins fondamentaux de Virginia Henderson eux, sont enseignés aux futurs infirmiers et aide- soignants :
- Respirer :
Capacité d'une personne à maintenir un niveau d'échanges gazeux suffisant et une bonne oxygénation.
- Boire et manger.
Capacité d'une personne à pouvoir boire ou manger, à mâcher et à déglutir. Également à avoir faim et absorber suffisamment de nutriments pour capitaliser l'énergie nécessaire à son activité.
- Éliminer.
Capacité d'une personne à être autonome pour éliminer selles et urine et d'assurer son hygiène intime. Également d'éliminer les déchets du fonctionnement de l'organisme.
- Se mouvoir, maintenir une bonne posture et une circulation sanguine adéquate.
Capacité d'une personne de se déplacer seule ou avec des moyens mécaniques, d'aménager son domicile de façon adéquate et de ressentir un confort. Également de connaître les limites de son corps.
Capacité d'une personne à dormir et à se sentir reposée. Également de gérer sa fatigue et son potentiel d'énergie.
- Se vêtir et se dévêtir.
Capacité d'une personne de pouvoir s'habiller et se déshabiller, à acheter des vêtements. Également de construire son identité physique et mentale.
- Maintenir sa température corporelle dans la limite de la normale.
Capacité d'une personne à s'équiper en fonction de son environnement et d'en apprécier les limites.
- Être propre, soigné et protéger ses téguments.
Capacité d'une personne à se laver, à maintenir son niveau d'hygiène, à prendre soin d'elle et à se servir de produits pour entretenir sa peau, à ressentir un bien-être et de se sentir belle. Également à se percevoir au travers du regard d'autrui.
- Éviter les dangers.
Capacité d'une personne à maintenir et promouvoir son intégrité physique et mentale, en connaissance des dangers potentiels de son environnement.
- Communiquer avec ses semblables.
Capacité d'une personne à être comprise et comprendre grâce à l'attitude, la parole, ou un code. Également à s'insérer dans un groupe social, à vivre pleinement ses relations affectives et sa sexualité.
- Agir selon ses croyances et ses valeurs.
Capacité d'une personne à connaître et promouvoir ses propres principes, croyances et valeurs. Également à les impliquer dans le sens qu'elle souhaite donner à sa vie.
- S'occuper en vue de se réaliser.
Capacité d'une personne à avoir des activités ludiques ou créatrices, des loisirs, à les impliquer dans son auto-réalisation et conserver son estime de soi. Également de tenir un rôle dans une organisation sociale.
- Se divertir, se récréer.
Capacité d'une personne à se détendre et à se cultiver. Également à s'investir dans une activité qui ne se centre pas sur une problématique personnelle et d'en éprouver une satisfaction personnelle.
- Apprendre.
Capacité d'une personne à apprendre d'autrui ou d'un événement et d'être en mesure d'évoluer. Également à s'adapter à un changement, à entrer en résilience et à pouvoir transmettre un savoir.
___________________________________________
Si les formulations varient, l’essentiel s’y retrouve et ce vaste tour est à l’image de la multiplicité de nos besoins. Evidemment, ils n’ont pas tous la même importance selon les moments de notre vie et en prime, très fréquemment, nous ne les avons pas ensemble en même temps d’où bien des incompréhensions et des conflits. Réaliser que cet autre qui énerve a des besoins identiques aux siens change déjà la donne, le tout est de voir que cet instant à lui est le nôtre ailleurs, en d’autres circonstances et inversement. Les réactions violentes, agressives, vécues comme telles ne sont en fait que le témoin d’alerte de besoins insatisfaits et plus ils sont insatisfaits, plus ils explosent. Là commence la compréhension de la colère. Je ne doute pas que vous qui suivez mes écritures entrevoyez ce qui s’est réellement passé.
Tags : besoin, personne, soi, capacite, egalement
-
Commentaires
Commentaires
Que de matière ici, beau travail!
Bisous!
Pour les courageux qui lisent mes lonnngs textes..
Je me retrouve dans pas mal des choses que tu dis. Mais j'ai encore beaucoup de mal à identifier mes sentiments et à ne pas considérer le fait de se pencher sur ce que je ressens et la satisfaction de mes besoins comme de l'égoïsme. Et je ne vois de la culpabilité que dans mes actes (le terrible jugement sur soi). Bref, je vois tout ça qui me pourrit la vie et même si j'entrevois la voie pour s'en sortir, pour l'instant, je suis loin d'y arriver.
Mais tes écrits aident, c'est certain.
En ce moment, j'ai ce terrible besoin d'être rassuré sur ma valeur et ma frustration de ne pas croire en moi se déverse en torrent de récriminations vis à vis d'autrui. Je vois le truc, gros comme une maison, mais je le fais quand même. C'est usant. Enfin, bon, bref :D Y'a encore du boulot.
Bonne continuation à toi dans ton avancement :D
S'accorder l'empathie à soi même, tu as déjà essayé? un petit coin tranquille à toi où tu puises là, en toi et tu regardes simplement ce qu'il s'y passe. Triste? En colère? frustrée? Oui, c'est là, je le regarde sans juger et je me dis seulement " je suis désolée" avec le coeur et amour. Prends dans tes bras mentalement cette part de toi ou écoute- là hurler sans juger. c'est un bon départ. Qu'est- ce que tu en penses?
Bonjour Fée,
je viens souvent ici, lectrice fidèle de tes pages qui résonnent indéniablement et m'aident à éclairer mes ressentis sous la lumière de ton analyse.
Merci pour cette aide précieuse et bonne continuation à toi!
Flo
Quoi de plus beau que le partage?
Tu pourrais écrire une thèse tu sais !
Plein de bises
J'en rêve ... à moins que ce ne soit un livre? Les deux? OUI! Quelqu'un m'a parlé aussi de conférences...
Mes particularités font que je suis constamment hors case. Dans quel domaine pourrais- je sévir? J'avoue que je suis un peu perdue dans les cadres d'ici. je m'imagine parfois art thérapeute ... ma caboche est traversée de bien des idées.. et puis? Pas grand chose parce que je ne sais pas par quel bout commencer, encore moins à qui ou quelle institution m'adresser... Dire que certains avec peu de matière mettent une plaque COACH ou thérapeute sur leur porte et ramassent de jolies sommes rondelettes. je suis p'têt bien trop honnête et droite, va savoir
Bonsoir Fée,
ma journée de demain sera très occupée par des parents et amis de passage. Je risque fort de ne pas me connecter, mais je tenais à t'envoyer quelques pensées (en avant-première) amicales sincères et douces en ce jour spécial. Car il s'agit bien de ton anniversaire, n'est-ce-pas?!
Je t'embrasse.
Flo
Comment sais- tu ça ??
Merci beaucoup quoi qu'il en soit. Je suis très touchée, vraiment!
Mille bises en retour à toi!!!