• Au milieu des agitations quotidiennes, SeN entra dans notre vie sous un nouveau jour. J'eus la naïveté de lui demander après un an de fréquentations sporadiques et incertaines, s'il ne voulait pas m'accompagner dans une demande de logement plus confortable, plus grand, mieux situé afin d'essayer une vie en famille. Il refusa immédiatement, catégoriquement, refus que j'essuyai tel une gifle inattendue : il ne pouvait pas vivre en appartement. Et ben, mon vieux, ce n'est pas dans mes moyens de me payer une maison ! Tant pis, je cherchai toute seule et obtins un autre logement ailleurs. Il resta chez ses parents et m'aida grandement au déménagement avec mes amies Sandrine.


    Un trois pièces, au troisième, sans ascenseur toujours mais après les 5 années passées au cinquième et ces escaliers interminables, j'étais ravie. Il était tout neuf, dans un bâtiment agréable, au dessus de l'école. Les kilomètres école/maison du bourg précédent passaient aux oubliettes. Nous nous sommes sentis très bien en ces lieux, mon fils et moi. L'absence du balcon et des espaces verts gênait un peu mais j'envisageais d'y vivre quelques années le temps de passer le primaire du fiston au moins. Nous avions un garage, des placards, notre vie était très agréable dans cet appartement où il ne faisait pas froid, où nous pouvions nous déplacer, cohabiter sans s'entrechoquer. Des petits riens dans le volume des pièces peuvent changer énormément l'ergonomie des lieux et rendre la cohabitation plus aisée. Nous étions bien, il y avait là un sentiment de libération après les saletés du quartier précédent. J'ai cauchemardé pendant une semaine de poubelles débordantes et immenses, d'agressions physiques et verbales à notre arrivée dans ce nouveau logement, j'évacuais les travers emmagasinés pendant les 5 précédentes années. Ouf, nous soufflions et j'avais tellement de plaisir à accueillir mes amis dans des locaux propres et calmes.  Mon fils se fit un grand camarade dans le village qui n'habitait pas très loin et nombreux de nos anciens voisins s'étonnèrent de le découvrir si épanoui et souriant. Dans ce village, je rencontrai également de nombreux stagiaires, les enfants vous disent bonjour spontanément dans la rue. Il tenait une place centrale au milieu de mes lieux professionnels.

    Cet appartement laisse en nous un souvenir positif, une bulle de bonheur et de plénitude, un havre de paix... Nous n'y avons habité que trop peu de temps et les quelques mois passés entre ses murs  nous reviennent souvent tels une aspiration vers un mieux- être. Etrangeté de la vie et de ce que nous en faisons.


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  • Cette fête est très populaire dans l'est de la France. Saint Nicolas, patron des écoliers a été longtemps le seul personnage important des fêtes de fin d'année, supplanté tardivement par le père Noël coca cola largement inspiré de lui. Il visite les enfants dans les classes en leur offrant des mandarines, des chocolats,  des pains d'épices et des petits bonhommes en pâte briochée.

    Dans le village, il est l'occasion de fêter la fin de l'année civile avec les enfants de l'école. Tous les ans, se soulève la question : qui va endosser le costume pour visiter et saluer les enfants ?


    Il y a trois ou quatre ans, c'est une mère de famille qui s'y est collée et de nombreux enfants ont remarqué la fausseté de ce saint Nicolas ; certains ont même reconnu la maman d'un camarade. L'effort est louable, la situation n'en reste pas moins dérisoire. Il n'y a donc aucun homme dans le village qui puisse prendre une demi-journée de son temps pour cette bonne cause ? Où sont les pères ? Où sont les grands- pères ?  J'étais affligée de cette situation.  N'y a-t-il donc que la course au fric qui prime en ces régions frontalières de la Suisse où prospèrent ces nouveaux riches du fait du change ? (J'en aurai à dire là-dessus mais ce n'est pas le sujet, c'est ma colère qui sourd) ;

    L'année dernière, le même problème se posa à nouveau et par ma voisine turque, musulmane pratiquante j'appris que c'était son fils qui faisait et saint Nicolas et le Père Noël pour les visites du 6 décembre et pour la fête de l'école. Je n'en crus pas mes oreilles ! Un français d'origine turque, musulman en saint Nicolas !  Effectivement, je le reconnus sous son costume. Il prenait de son temps pour être là et s'occuper du bonheur des enfants, les basquets aux pieds ; ses propres filles n'y virent que du feu. Il leur parla, leur distribua les petits paquets alors qu'il aurait pu rester avec ses filles qui n'ont plus leur mère suite à un accident de voiture mortel il y a deux ans.  Quand il eut fini, je le félicitai de son dévouement et il haussa les épaules en me soufflant qu'il le faisait pour les enfants. Il avait même loué de sa poche un costume plus beau que celui pitoyable fourni par l'école.  Chapeau bas mon ami !


    Cette année, je n'y prêtai pas attention, mon fils ayant quitté une école communale qui lui avait été un enfer pendant quatre ans en raison des intolérances locales. Je vis passer la calèche avec Saint Nicolas me demandant vaguement qui était sous le costume cette année.  C'est à nouveau ma voisine qui me raconta que c'était son fils. Il avait pris une après midi de congé et  reloué le costume plus beau.


    C'est de tout cœur que je salue la bonté de cet homme qui se met ainsi dans le costume d'un saint catholique quand il est musulman, je salue le dévouement de cet homme qui prend une après midi de congé afin de lire la joie sur les visages des petits écoliers alors que dans sa vie personnelle, il est confronté à tant de difficultés.  Son geste ne prend que plus de grandeur au regard de l'attitude de nombreux villageois : sa famille est installée depuis près de trente ans dans le village, ils ont rénové une ancienne ferme de leurs mains, durement, ils ont toujours la porte ouverte à qui veut entrer et il y en a toujours pour refuser de saluer ces étrangers, ces sales turcs et leur chercher des noises.

     Devant tant de bêtise, mon sang ne fait qu'un tour !


    Et puis merde ! ll n'y a que cette famille qui me reçoit chez elle, qui me salue et m'accueille chaleureusement. Ils sont humains avec leurs qualités, leurs défauts, leur histoire et puis quoi ?  Nous entendons nous  parce que moi aussi je suis vue comme une étrangère ?


    Avant d'exiger l'intégration des étrangers, il serait grand temps de leur en offrir la possibilité.





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  • Le séjour au service de rééducation dura deux mois. Je n'ai pas vu passer le temps, les journées étaient tellement pleines et riches, j'étais si bien entourée, je revivais gonflée d'espoirs et de la joie d'être vivante avec des possibilités nouvelles quasi inespérées grâce au traitement. J'eus quelques visites dont voici un petit panorama au gré de mes pensées aléatoires.


    Quelques fois, il y eut ma mère fidèle à elle- même, sur le qui vive, à rabâcher les mêmes vieilles histoires et très surprise de la qualité des soins et du respect des patients. Comme d'habitude, elle se soucia des repas et de la nourriture. Chacune de ses questions revenait inévitablement vers ses propres expériences douloureuses de la maladie, elle a été si mal traitée que le traumatisme reste énorme malgré les années qui s'écoulent. J'espère qu'un jour enfin, elle se décidera à prendre la voie de la thérapie afin de soulager le poids de sa vie et de ses relations aux autres, au monde. Au regard de mes activités, elle décida également de fouiller les recoins de son petit appartement  et de me ramener les inachevés... 0lala, je n'ai pas fini ! Certains ouvrages sont en plan depuis 25 ans !. pff Toujours débordée, anxieuse de rouler la nuit et noyée sous des priorités qui m'échappent (acheter du pain et du lait, rassurer ses animaux restés seuls par exemple), elle ne vint pas très souvent et dès que l'amélioration de mon état fut manifeste, elle ne prit plus trop le temps de me visiter. Je la connais suffisamment pour savoir qu'elle n'arrive pas à exprimer ce qu'elle ressent et qu'elle essaie de vivre comme elle peut avec ce qu'elle peut. Plutôt que de m'énerver avec elle, je préfère en sourire et lâcher par ci par là des évidences qui la dérangent parce qu'elle sait très bien, à corps défendant, que je suis dans le vrai.


    Il y eut ma sœur. Je revenais d'une séance de quelque chose et je n'attendais pas de visite. En passant à côté de la salle à vivre commune, j'aperçus la silhouette d'une personne assise sur une chaise et je la saluai d'un bonjour amical. Elle se leva et dans le salut, je reconnus la voix de ma sœur. A un mètre de moi, je n'avais pu la reconnaitre en raison de ma vue très basse. Sans la démarche, sans la silhouette, sans la voix, je ne reconnaissais personne. Situation cocasse plutôt qu'anxiogène, nous préférâmes en rire et nous devisâmes de petits riens pendant quelques heures.


    Il y eut Marina. J'ai déjà évoqué cette femme russe mariée à un anglais et vivant en France. Je l'ai connue à mon travail et en dépit de la barrière de la langue, il existe entre nous un lien des plus affectueux. Nous discutons en français, en russe, en anglais un peu en allemand quand je peux comprendre ou dire, l'essentiel reste entre les mots. Elle était déjà venue et m'avait ratée, cette fois-ci, j'étais dans ma chambre quand elle arriva avec ses deux filles. Quelle joie de la revoir ! Elle m'avait préparé un petit paquet de confiseries russes et me raconta ses aventures avec sa bonne humeur habituelle. Elle a vu et traversé tant d'aventures dans sa jeunesse, entre des deuils et des séparations, elle a connu la vie dans les années soviétiques avec toutes ses aberrations, ses absurdités et ses bonheurs, Marina ne s'effraie pas de la maladie, de la souffrance, elle est toujours présente, à vous rappeler que dans les malheurs persiste la vie et sa beauté. Elle vint me voir plusieurs fois sans prévenir, ne serait- ce que quelques minutes et je ne fus pas étonnée de sa présence, je reconnaissais celle que j'avais pressenti dans mes cours. C'est elle qui  m'invitait quand j'étais en fauteuil trouvant toujours un moyen de me faire entrer chez elle, c'est elle qui me cherche quand je ne peux conduire et se soucie constamment de ma santé et de mon humeur. Fidèle et sensible Marina. Quand les mots lui manquent, elle me parle en russe où je reconnais des marques d'affection et m'embrasse à m'en décrocher la mâchoire. Je l'aime énormément.


    Il y eut Babeth toujours fidèle au poste avec son franc parlé du nord et ses faux airs de dure à cuire.  Elle aussi, comme Marina, je l'ai rencontrée au travail alors qu'elle était dans une image déplorable d'elle - même sur une voie de lutte ardue contre son passé mouvementé. Elle a réussi à avancer et sortir de ses méandres parce qu'elle m'a rencontrée et que je lui ai souvent mis des coups de pied aux fesses lorsqu'elle se dévalorisait. A chaque coup de pompe, elle débarquait et se prenait mes réprimandes affectueuses ; nous sommes devenues amies. Je peux toujours compter sur elle, elle ne fait jamais faux bond et depuis la maladie, elle est présente avec toute sa générosité et sa bonté.


    Il y eut Caroline. J'étais dans ma chambre quand le téléphona sonna. Une voix féminine m'interpella en me demandant si j'étais disponible, je ne la reconnus pas  et interrogeai cette personne qui refusa de me donner son nom me promettant une surprise imminente.  J'étais très déconcertée ; quand elles arrivèrent sur le pas de ma porte, j'explosai de joie en retrouvant Caroline et sa maman que je n'avais plus vues depuis des mois et des mois ! J'ai retrouvé toute leur fantaisie avec un plaisir immense. Sa mère avait une visite à rendre et je restai seule avec Caroline. Nous nous racontâmes les aléas de nos vies respectives, la maladie pour moi, ses projets avec l'Afrique pour elle. Quel ravissement que cet instant ! Ce fut effectivement une magnifique surprise.


    Il y eut Grazia. Rencontrée en neuro, nous avions rapidement sympathisé et supporté ensemble nos lâchages du corps respectifs, se soutenant mutuellement. Elle arriva un soir dans ma chambre en rééducation accompagnée de son mari avec un joli bouquet de fleurs et quelques petits gâteaux. Nous étions heureuses de nous revoir et je lui rappelai qu'en neuro, je lui avais dit qu'elle remarcherait avant moi. Je ne m'étais pas trompée, elle marchait et récupérait heureusement de son attaque. Son mari très prévenant était aux petits soins et ils me touchèrent à nouveau de leur tendresse. Elle n'avait rien perdu de sa gaieté et de sa joie de vivre, ils furent soulagés de me voir en si bonnes voies d'amélioration. Vraiment, je n'oublierai pas son arrivée surprise qui illumina ma soirée. 


    Il y eut Isabelle. Arrivée en trombe, elle m'embrassa chaleureusement et évoqua son soulagement à me découvrir pimpante et requinquée. Elle craignait ce service où quelques années auparavant, elle était venue visiter une amie mal en point suite à un accident. Elle m'offrit un livre lu ayant appris que je ne pouvais plus lire et je fus très touchée de ses attentions inattendues.  Elle s'excusa de ne pas m'avoir offert un lit, un vrai en Norvège quand nous avions campé sur la pelouse à côté de leur location. «Si j'avais su que tu étais malade, je ne t'aurais jamais laissé dormir dehors ! ». Attachante Isabelle.


    Il y eut Magali et ses préoccupations de jeune maman vivant loin de son mari, des cousins dont les plus jeunes étaient intimidés puisqu'ils ne me connaissaient pas encore vraiment, des visites impromptues polies et maladroites dont je salue quand même l'effort, Séb et Sabine.


    Il y en a dont je parlerai en d'autres circonstances en raison de leur caractère spécifique. Il y en a qui auraient pu venir et  ne l'ont pas fait pour des raisons qui leur appartiennent. Je sais surtout que nombreux étaient trop loin, à des milliers de kilomètres et/ou ignorant quelque fois ce par quoi je passais. L'amitié et l'affection en l'adversité ne sont pas ni simples, ni évidentes. Des attentions fugaces, un petit mot faussement anodin au détour des conversations, certaines réactions me montrent qu'ils étaient avec moi, en pensée.


    Nous nous laissons tous déborder par nos quotidiens et des préoccupations domestiques et/ou professionnelles, reportant au lendemain une visite, un appel, une lettre  sous prétexte que... et il arrive pareillement que nous les fuyons plus ou moins consciemment. Je sais seulement que ces attentions sont des bienfaits pour le malade, le blessé quand elles sont sincères et humaines, histoire de liens indicibles et souvent innommables.  Je sais également que si l'irrémédiable arrive, il doit être très pénible, voire insupportable de vivre avec ce geste non fait.


    Ayons le courage de dire simplement : « Je suis près de toi, je ne t'oublie pas, tu existes  toujours à mes yeux quoi qu'il se passe ».

    Parce que sans lien, nous ne sommes rien.


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  •  Alors que je travaillais avec Marie sur le verticalisateur, des stagiaires kiné vinrent dire au revoir au plateau technique, l'une d'elles vint vers moi me saluer expressément. Elle me dit qu'elle était contente de rentrer chez elle mais qu'également, elle était triste de partir ; étonnée, je lui demandai pourquoi, elle me répondit spontanément : « Parce que je ne vous verrai plus et que je serai loin de vous ! ».  Je n'en ai pas cru mes oreilles. Pouvais- je marquer à ce point quelqu'un en si peu de  temps ? J'en ai croisé des kinés en ces mois de rééducation. Dans les cabinets, à l'hôpital, dans divers services, à domicile. Certains passent seulement, d'autres marquent.


    Au cabinet, je travaillais seule forcément, j'étais assez autonome et exécutais les tâches qui m'étaient assignées en bavardant avec quelques compagnons de séances, sans plus.

    Au domicile, il y eut Julie, une ancienne élève du lycée où j'avais travaillé comme pion pendant trois ans et demi, nous nous connaissions de vue. Elle prit grand soin de moi avec tendresse, délicatesse,  pudeur et intelligence. C'était un plaisir de se retrouver et d'échanger. Nous nous embrassâmes chaleureusement quand elle quitta le cabinet où elle n'était que remplaçante. Elle reste un doux souvenir, son sourire et sa voix sont gravés dans ma mémoire.

    En neuro, je croisai ce jeune kiné dont le prénom m'échappe désespérément (Hervé ?). Taquin, il avait toujours une plaisanterie à la bouche pour détendre les patients. Il prenait grand soin d'Arlette, une femme incroyable, très attachante et drôle, handicapée par une attaque cérébrale .  Ils formaient une équipe pleine de complicité et de tendresse. Un jour, je le croisai en vêtements de ville, il me parut timide et effacé ; je compris en cet instant son humilité et la transfiguration qui s'opérait en lui quand il portait sa blouse de kiné. Il aimait son métier sincèrement et profondément.

    En rééducation, hôpital de jour, il y eut Raphi. J'ai déjà parlé de lui au détour des récits, il a été mon compagnon sur cette route, dans la descente vertigineuse puis dans la reprise en pied de la vie.  Réservé, il ne manque pas d'humour et de générosité, il prend son temps pour voir à qui il a affaire. J'entends encore aujourd'hui son pas trainant, nonchalant et son beau sourire dans la voix. Nos conversations furent mémorables et riches, nous avions une communion d'âme évidente. Il me souleva, me porta, me supporta et me soulagea souvent de  ses gestes réfléchis et de ses paroles chaleureuses. Il illumine toujours mes souvenirs.  Il y eut Alain, le cadre kiné avec qui nous aimions tant palabrer des choses petites et grandes de la vie. Je n'oublierai jamais notre conversation avec  Elodie sur l'Espagne, le labyrinthe de Pan d'el Toro, la musique, les récits de la guerre civile, du franquisme, du retour au pays pendant les vacances dans l'enfance... Je revois son expression quand nous  écoutâmes une chanteuse espagnole  dans son bureau et qu'il racontait ses souvenirs, parlant espagnol avec Elodie alors que je n'y comprends rien. Bulle de bonheur partagée.  Il y eut Marie ; je ne remarquai pas son mètre quatre-vingt depuis mon fauteuil d'où tout bipède était immense. Elle fut là pour mobiliser mes membres au creux de la vague, elle fut là pour me remettre debout avec le verticalisateur, elle fut là quand je dus ré apprendre à m'asseoir, à me tourner, à faire mes transferts à me lever seule, ... et surtout, elle fut là quand je fis mes premiers pas entre deux barres soutenue de mes pauvre petits bras pas musclés. Avec elle, je remobilisais mon corps, je retrouvais mes centres d'équilibre, je me redressais .Elle s'étonna de mon opiniâtreté quand retombant de ma première tentative de mise sur pied avec déambulateur, je recommençai de moi- même l'exercice sans attendre de directive.  Elle s'étonna quand je la remerciai chaleureusement de me permettre de marcher à nouveau sur quelques misérables mètres avec le déambulateur. « Et bien vous, vous en voulez ! » Comment peut-il en être autrement si la chance est donnée de vivre debout? «  Vous au moins, on peut dire que vous êtes  reconnaissante». Ah bon ? Pourquoi ? Ce n'est pas normal ?  Oui, Marie fut là en ces instants, discrète, sérieuse et amusée de mes frasques, mots et réactions.

    Enfin, il y eut une foule de stagiaires. Ces Allemands avec qui je ne pouvais communiquer et forcément très intéressés par mon cas « maladie rare ». Mes neuf ans d'étude de la langue ont réellement été d'une improductivité flagrante et je préfère en rire avec ce constat que je n'y comprends rien et suis incapable de faire une phrase correcte. Il y eut celui qui me découragea par sa conversation très technique avec Raphi ; heureusement, lui, il me sentit partir et rattrapa le coup avec une parole plus douce. C'est celui-là aussi qui vanta mon jeu de jambes, « Vous faites du ski ?- Non- Ah ben, vous devriez ! »    Hihihi.  Il y eut Mary, apparemment très froide et distante. Pourtant, sous la glace, se cachait une sensibilité particulière quand je pressentis en elle des blessures de la vie autour de la maladie de sa maman dont je ne sais rien. Il n'y avait pas lieu de poser de questions, nous avions un accord tacite muet. C'est elle qui demanda à avoir une photo de la mosaïque terminée et c'est elle qui laissa les premiers commentaires sur un début de blog ailleurs et resté sans suite pour des raisons techniques. Etrange échange que cette relation. Il y eut cette jeune femme dont j'ai ooublié le prénom. Née d'un père espagnol et d'une mère allemande, elle vivait en France et étudiait en Allemagne après avoir été prof de plongée dans les Galápagos et en Amérique du Sud. Son rêve était de travailler avec les dauphins en kiné et un jour, elle lâcha que c'était impossible. Je lui rétorquai que ce n' était pas plus impossible que de se retrouver prof de plongée aux Galápagos et en Amérique du Sud. Son sourire en cet instant fut le reflet de son illumination intérieure.


    Je fus le cas à la descente fulgurante, leur cas d'étude avec une maladie rare que j'expliquais  systématiquement alors qu'ils me rangeaient catégorie sep,. Je devins leur cas «elastic girl » épuisant toutes leurs ressources dans les séances d'étirements que ma souplesse rendait épiques. Je devins leur fée des agrumes, inévitablement avec mes paroles ciselées, pertinentes, drôles ou fulgurantes. Quand j'en revois quelques uns au détour des visites, nous nous retrouvons comme quelques vieux amis avec fierté et complicité.


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    Il y a quelques jours, j'ai reçu un courriel de Noémie qui me proposait une sortie vers un village avec des artisans  et des confitures. J'ai évidemment dit oui, trop heureuse de la revoir et de mettre un peu les voiles.  C'est avec sa générosité coutumière qu'elle me proposa le service complet, transport compris. Une aubaine !  Mes gaillards ne s'en préoccupèrent guère restant hermétiques à l'information : «  Je pars dimanche après midi » jusqu'au jour même. L'heure avançant, les questions commencèrent à fuser et j'étais quelque peu agacée de cet intérêt soudain après l'indifférence. Mon garçon sauta dans tous les sens avec une pointe d'agressivité et Stéph commençait à me rabâcher les oreilles sur ce qu'il aurait pu faire pour me conduire etc. Quand Noémie arriva, je me  hâtai  afin de filer vite. Je souris intérieurement quand je réalise que cette première arrivée de Noémie chez moi ne me marqua pas, c'était comme si elle avait ses habitudes ici. Je lui montrai rapidement quelques unes de mes œuvres qu'elle n'avait vues qu'en photo et mon atelier bazar, joyeux foutoir. Nous partîmes dans le flot de paroles du garçonnet peu accoutumé à me voir filer de la sorte. J'étais contente de prendre l'air et la perspective de bavarder avec Noémie m'enchantait. Je n'avais absolument aucun scrupule à les laisser à leur dimanche ennuyeux, vilaine que je suis.

    Nous avons passé du temps dans la voiture, ce village n'étant pas à côté et malgré ces kilomètres de route, je n'en ai rien vu ! Nous avons parlé, parlé de tout et n'importe quoi, c'était un vrai régal. Elle me montra quelques uns de ces bidouillages et je fus ravie de ces petits monstres, de ces bonnets chats. Je pris des nouvelles des personnes que nous connaissions de l'hôpital et nous espérions rencontrer Michel là-bas.

    Sur place, je réalisai que j'avais oublié le macaron pour le stationnement handicape ; finalement, il n'y avait pas de place de ce type. Nous avons donc déambulé dans les rues et j'ai pris quelques photos de maisons dont les lignes m'inspiraient quelque dessin ou aquarelle. Sur le lieu des confitures, il y avait une longue file d'attente et je ne me voyais pas supporter ce piétinement pour entrer dans l'atelier d'une confiturière de renommée internationale. Nous sommes reparties vers une exposition d'artisans à l'hôtel de ville.

    Nous avons vu des points de croix, des épices, des produits naturels, une tricoteuse de gâteaux miniatures, une découpeuse de papier, un doreur et une dentellière aux fuseaux.  Je soupirai devant ce travail que je rêve d'apprendre depuis des années ; ma vue actuelle ne me le permettrait pas. Il me fut impossible de discuter avec elle car elle était occupée avec une autre dame qui cherchait des cours. Tant pis. Nous nous sommes tournées vers un étalage de papier coupé en silhouette et j'entamai la conversation avec cet adorable monsieur au travail si délicat et fin. C'est un véritable orfèvre du papier ; je m'extasiai sur sa minutie et la poésie qui se dégageait de ces silhouettes noires sur fond blanc. Feuillages ondoyant, enfants sous les arbres, découpage en enluminures florissantes, opulence de la nature. Ces petits travaux respiraient l'amour de la vie, la fraîcheur.  Il fut enchanté de deviser avec nous et touché peut être de rencontrer quelques  unes capables de mesurer son travail. Nous nous serrâmes la main chaleureusement en guise d'au revoir et je pris sa carte en espérant un jour pouvoir m'attribuer une ces œuvre.

    Puis, nous visitâmes un atelier de tapissiers  où les vieux fauteuils nous ravirent toutes deux. Dans la boutique, je participai à une tombola pour gagner un fauteuil club (ce serait un comble que je la gagne, nous habitons si loin !)  Il y avait des fauteuils et des sièges partout, un foisonnement d'échantillons de tissus des plus classiques aux plus improbables et des ours en peluche d'une douceur extrême. Un petit texte accroché dans l'entrée nous fit ressentir la passion du maître des lieux.

    Nous n'allâmes pas chez cette confiturière, il y avait décidément trop de monde et nous repartîmes en quête d'un endroit où s'occuper. Dans la conversation et l'absence d'occasion, nous retournâmes vers notre point de départ et Noémie me déposa finalement chez ma mère où les gaillards me rejoignirent plus tard.

    Il ne nous fut pas facile de nous séparer, nous avons tant de choses à se raconter ! Nous  bavardâmes encore une heure en grignotant des mandarines dans la voiture. J'écoutai avec incompréhension et révolte la politique des administrateurs financiers qui acculait le personnel à travailler dans des conditions difficiles sous prétexte de rentabilité, les patients aux pathologies dures, les tentatives désespérées de les soigner dans la dignité, le respect quand la pression est si forte. Les évocations de ces maladies terribles, de ces accidents bêtes qui paralysent, brrr, la fragilité de la vie s'offrait à nous sous un jour pénible.  Je restai admirative devant le dévouement et le courage de toutes ces personnes qui tentent envers et contre tout de faire leur travail avec générosité. Nous passâmes inévitablement par les habituels égos de quelques uns, les querelles de personnes, les absurdités du système (Superbe machine à 200 000 euros qui prend la poussière parce qu'il n'y a pas assez de personnel pour l'utiliser quand manquent cruellement les bons fauteuils roulants, les coussins anti -escarres). Mais qu'est- ce que ces bureaucrates s'imaginent ? L'être humain est un être de parole, d'affectivité ! Pourquoi broyer aussi stupidement tant de richesse humaine ? Sans toutes ces personnes chaleureuses, comment aurais- je pu supporter ces mois affreux ? Je ne comprends décidément rien à l'économie, la finance, l'administration bureaucratique...

    Après ces péripéties fort agréables et drôles comme ce pipi improvisé sur un parking, la déception d'avoir raté Michel  et la joie d'avoir enfin pu se revoir, de se parler, de faire le lien entre des personnes insoupçonnées ou connues, nous nous quittâmes en raison des pressions impérieuses de ma vessie qui ne supporte  pas la voiture. Je chargeai Noémie de saluer tout le monde à l'hôpital et nous promîmes de nous retrouver dès que possible. Je suis impatiente !


    Merci à toi Noémie, quelle magnifique journée ce fut en ta compagnie ! C'est en ces fugaces instants que je regonfle mon espérance !


    Au fait, Noémie est une ergo qui s'est occupée de moi en rééducation, j'ai souvent parlé d'elle au détour des récits. Elle a un cœur énorme, est d'une grande sensibilité et très généreuse.   Je n'étonnerai personne en racontant qu'elle a pleuré en me voyant faire quelques pas au plateau technique entre deux barres alors que je bataillais dur pour remarcher. C'est portée par des personnes comme elle que j'ai repris pied dans ma vie et que je m'attelle à la rendre belle. Si un coup de blues me surprend, je pense à eux et je repars gonflée de toutes leurs richesses immatérielles. Étrange destin que celui qui me mène vers des êtres pareils !


    Tout ce qui n'est pas donné est perdu.  


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