• Vessie au Botox.

    Suite aux mésaventures de fin septembre et au bilan uro- dynamique désastreux, je n'avais plus le choix et des injections de toxines botuliques furent décidées. J'eus d'abord un rendez- vous avec le chef de service d'urologie, copain de Solange. Cette dernière nous croisa d'ailleurs quand j'entrai dans son cabinet et me recommanda encore à ses bons soins. L'entretien fut rapide, l'attente avait été plus longue que la consultation. Il était agréable, détendu m'expliquant que l'intervention était facile et donnait de très bons résultats. Je le taquinai sur la notion de facilité somme toute très relative. « Si vous savez faire cette opération ,je vous embauche de suite! » s’exclama t-il hilare, je lui rétorquai que je savais d'autres choses, pas la chirurgie, il se soucia de demander ce que j'exerçais comme métier. La relation passa bien, heureusement car je refuse les médecins que je ne sens pas; de toute façon, Solange est derrière. A peine sortie du cabinet, les secrétaires programmèrent l'intervention, me donnèrent consignes et paperasses, les dates de rendez- vous et je fis l'admission administrative dans la foulée.

    Plus tard, il y eut le rendez- vous avec le médecin anesthésiste; sa secrétaire se révéla être une ancienne camarade de collège. Étrange que de ses retrouver! Quand elle me rappela son nom, cela remua quelque mémoire lointaine et je la resituai vaguement. La vie avait tellement changé depuis, c'était passer à une autre dimension quelques minutes; je m'étonnai surtout de tout ce dont elle se souvenait, je ne pensais pas marquer les esprits à ce point.

    L'entretien avec le médecin fut très agréable. Probablement originaire d'Afrique noire, j'appréciai avec quel calme il s'occupa de mon cas. Il prenait son temps et je reconnus des gestes d'ailleurs, une sorte de nonchalance émanait de lui, conjuguée à un sérieux manifeste. En raison des atteintes consécutives à Devic, il décida d'une anesthésie générale et non d'une péridurale, « Une petite, rassurez- vous, nous n'allons pas prendre le risque de blesser encore votre moelle». Je ne m'en souciai guère. Il est probable que je prenais cette histoire avec légèreté et indifférence, dubitative que je suis avant tout traitement.

    Lors de la programmation d'hospitalisation, les secrétaires d'urologie m'avaient mise en garde: « Vous pouvez toujours venir avec votre propre voiture mais n'y comptez pas pour le retour ». Ce fut donc avec le vsl que j'arrivai au service à l'hôpital le jeudi, convoquée à 7h, à jeun. Je traînais au gré des instructions des soignants faisant la connaissance de ma voisine de chambre, rangeant mes affaires, fatiguée d'une courte nuit. Je n'avais pas l'autorisation de m'asseoir sur le lit puisqu'il m'accompagnait en chirurgie. Je reçus la vague visite d'un médecin dont l'accent m’intrigua ( un Argentin):

    - Oh, ce ne doit pas être facile d'être si loin de sa famille! m'exclamai- je spontanément alors que je le croyais espagnol.

    - Ça va, sauf peut- être au moment des fêtes, lâcha t-il sourire en coin, refermant la porte en quittant la chambre.

    Deux soignantes s’interpellèrent dans le couloir de loin et j'eus alors pour consigne de prendre la douche de bétadine: de la tête au pieds, toutes les parties du corps, le moindre pli, orifice est à savonner de ce désinfectant rouge cœur de bœuf contenu dans de petits tubes en plastique. Je m'étonnai de l'état de la douche minuscule, avec un vague rideau, sans poignée d'aide, un simple tabouret et un crochet pour les affaires. En prime, j'avais à utiliser ma propre serviette pour me sécher alors que j'avais eu toute une série de consignes anti- germes auparavant. Plastique aux pieds dans les chaussons, vêtue de la fameuse blouse ouverte dans le dos ( les boutons ou étaient manquants ou impossibles à ouvrir), portant mes vêtements sur les bras, je revins dans la chambre. Un verre d'eau, un cachet, un liquide dans un gobelet en plastique m'attendaient, l'infirmière s'étonna de mes questions à leur propos. Si j'acceptai le liquide pour préserver l'estomac, je refusai le calmant- anxiolytique ou autre chimie pour m'apaiser. Elle s'étonna pareillement quand je soulevai quelques contradictions entre l'exigence anti- germes et la pratique concrète. Les consignes, les protocoles, la routine. L'hôpital en gros. J'attendis ensuite de longues minutes sur mon lit, la nuit ayant été courte. Cela faisait plus de deux heures que j'étais arrivée quand le médecin accompagné de sa troupe vint m'informer que j'allai bientôt partir en opération. Mon bonjour haut et fort le fit sourire, tous nos échanges d'ailleurs se faisaient sur un ton enjoué et direct ce qui laissaient ses collègues interloqués. Ma voisine de chambre, elle, se régalait; très vite, elle avait remarqué que je ne me laissai pas mener facilement et elle fut enchantée de me voir refuser, remarquer, discuter et interpeller. « C'est normal non? Après tout, c'est mon corps» lui dis- je , elle m'avoua qu'elle n'osait pas. Une brancardière vint me chercher et me conduisit par ascenseur et couloirs en chirurgie. Je n'avais pas envie de rester couchée et m'assis sur le lit observant les alentours, Fourmilière, échanges entre collègues, patients endormis, assommés, inquiets ou en attente lointaine, murs abîmés et cabossés par le transport des lits. La couverture n'était pas de trop au milieu des courants d'air avec ces portes battantes à ouverture et fermeture permanentes. Ce fut mon tour.

    Une équipe joyeuse m'installa sur la table d'opération et nous entrâmes dans une salle que j'observai à nouveau parmi les activités des soignants. Ils me furent tous présentés et chaque geste expliqué. Une espèce de couverture gonflée me fut posée sur le torse, je demandai à ce qu'elle fût mise sur le haut du corps, le froid me prenant là. C'était doux, étrange. La perfusion fut douloureuse, mon corps en a vraiment eu son lot et en est devenu récalcitrant. L’infirmière s'excusa, « Comment pourrais- je vous en vouloir de faire votre travail? ». Je regardais les machines, les volumes, les costumes, la grosse lumière au plafond, « Ce n'est pas souvent que j'ai l'occasion d'y être en vrai ». L'infirmière me parla d'autres personnes croisées en ces lieux ayant eu la même intervention très satisfaites. J'entendis une voix me demander si je dormais, je répondis que non, elle ajouta que cela ne tarderait pas et j'eus un malaise tournant la tête violemment puis sombrai. C'était parti pour les dizaines de piqûres dans la vessie via les voies naturelles.

    J'étais au bord d'une falaise dans un immense canyon prête à me jeter dans le vide quand une voix m'appela au loin. Dérangée dans mon rêve, je bougonnai:

    - J'étais dans un canyon.

    - Vous y êtes déjà allée ?

    - Non, et là j'attendais de me transformer en aigle.

    - Comment a été l'équipe en salle d'opération?

    - Adorable.

    Dans le brouillard de ce réveil, j'aperçus le médecin anesthésiste et le saluai d'un geste de la main. Il vient me la taper et la serrer puis je sombrai à nouveau. Je me réveillai plus tard dans une salle où d'autres émergeaient comme moi plus ou moins, les soignants s'activaient et discutaient. Deux d'entre eux virent vers moi, je signalai mon besoin d'uriner, un bassin me fut proposé, « Je crois que c'est trop tard, ça y est, ça coule! ». ils posèrent des paravents et changèrent mes draps, posant au passage un carré absorbant. Je remarquai que mon entre- jambe était enduit de produit désinfectant brun- rouge, le mélange avec les résidus d'urine fut des plus repoussants. Au moins, j’étais au sec. Je fus ramenée en chambre.

    N'ayant rien avalé depuis la veille, je commençai à sentir la faim et m'interrogeai sur l'heure. Ma voisine indiqua qu'il était plus de 13h. Merdalors! Un plateau me fut porté plus tard et je restai circonspecte devant sa maigreur et son peu d'allant. Je n'avais évidemment rien ramené à manger et personne pour me fournir quoique ce fut. Ma voisine raconta comment elle maigrissait à vue d’œil, cinq kilos perdus en une semaine d’hospitalisation avec un mari attentionné qui lui portait des sandwiches tous les jours. Comme je n'avais pas le droit de me lever, je restai cantonnée au lit pendant plusieurs heures à l'écouter raconter ses péripéties, ses inquiétudes et sentir les urines s'échapper sous moi. Les produits, leurs odeurs et consistances conjugués à mes urines incessantes me dégoûtaient, je pris mon mal en patience songeant à mon amie aide- soignante révoltée du sort fait aux patients pour raison comptable à économie absolue. Après plusieurs heures, deux soignants virent avec un appareil à mesurer la tension et je fus surveillée, avant, pendant et après le lever. Tout était bon. J'évoquais mes fuites incessantes, une bande absorbante me fut proposée, je m’exclamai en souvenir de l'infirmière des urgences tout sourire:

    - La fameuse protection 1950

    - Oh, mais c'est tout ce que nous avons, répliqua la soignante piquée au vif.

    - Ce n'est rien contre vous, pensez- donc. J'ai rencontré une infirmière qui les appelle comme ça et ça m'amuse.

    Elle sortit et revint avec la dite protection en lançant: « Nous ne sommes pas certains d'en avoir encore longtemps à ce rythme.» C'est bien révélateur de la misère de l'hôpital désormais, en urologie, les soignants ne sont pas certains d'avoir encore des protections contre les fuites urinaires à l'avenir. Bravo les économies.

    Je fus accompagnée à la salle d'eau au lavabo, « Vous allez vous laver». Et pourquoi pas une douche? Au point où j'en étais, je n'attendais que de rentrer, la ridicule pièce du matin m'avaient suffi. Tout à coup, j'étais nue, la soignante ayant décidé pour moi, certainement pour aller vite. Elle s'imaginait que j'étais embêtée par cette foutue perfusion douloureuse au flacon vide et dont j'ignorais la persistance. Je ne pus m'empêcher de lui dire que j'avais l'habitude de ces gymnastiques, elle était partie avant que je ne terminasse ma phrase. Je passai de longues minutes à me défaire des résidus colorés de désinfectant et aspirai à retrouver une bonne douche complète afin de me débarrasser de ces odeurs envahissantes. Je traînai ensuite, indécise, vaseuse et impatiente de rentrer. « Si prochaine il y a, c'est sûr, je ne reste pas la nuit et c'est tant mieux»

    Je rencontrai le mari de ma voisine, me régalai de ce couple de quarante ans, en relation belle, enjouée, bienveillante. Je m'étonnai presque de constater qu'un autre prenait soin d'elle ici, à l'idée de son retour et se montrait prévenant du temps à venir. Qu'allai- je trouver moi? Le capharnaüm d'un ado laissé seul 36 heures? Les attentions ne se bousculaient pas et de toute façon, je n'en parle pas ou de façon légère pour que personne ne s'inquiète, c'est mon choix.

    J'avais emmené deux livres, de quoi noter, un ouvrage pour passer le temps et je ne fis rien, hormis quelques pages vite lues avant le sommeil car ma voisine évacua toutes ses inquiétudes en me racontant ses soucis. Elle ne se plaignait pas, ne geignait pas, les échanges furent très agréables et je la taquinai avec humour de temps en temps; comme tellement, elle avait besoin de bienveillance ce que je lui offris avec joie. Elle se régala de ma langue bien vive car j'interpellais les soignants, les médecins franchement, à égalité, poliment, clairement. C'est qu'il y avait de quoi et sans rentrer dans les détails, il y eut:

    1. - Qu'est- ce que le médecin vous a dit à propos des auto- sondages? Je les reprends de suite? Je continue comme d'habitude?

    - Je n'en sais rien du tout, répondit ahuri le soignant.

    2. - Qu'est- ce que vous avez comme soupe? De la soupe en sachet?

    - Évidemment. Pourtant, quand j'ai commencé à l'hôpital de R..., il y avait un cuisinier qui faisait sa propre soupe avec des légumes frais. De grosses casseroles montaient à chaque couloir et les patients étaient servis directement. Mais l'hôpital, ce n'est plus ça, expliqua le même soignant.

    - Enfin, du moins, l'hôpital que d'autres ont choisi parce que vous et moi aurions d'autres choix.

    Au soir, une infirmière vint enfin enlever la perfusion, j'avais insisté, ne comprenant pas pourquoi on me laissait avec un flacon vide si longtemps d'autant que le service savait très vaguement combien de temps je restai puisqu'habituellement, cette intervention entraîne une hospitalisation du matin au soir uniquement. Libérée de cette foutue tuyauterie, le bras cependant douloureux et ce pour plusieurs jours, je passai la nuit pas trop mal. Ma voisine s’était endormie tôt et me raconta ses insomnies lors de mes levers pipi nocturnes; au matin, nous rîmes ensemble de nos ronflements respectifs. Comme le repas de la veille, le petit déjeuner se révéla triste et infâme. Décidément, j'ai vraiment à organiser mes séjours à l’hôpital autrement. Restait à attendre l'autorisation de départ.

    Je préparai ma valise, renonçai à la douche d'hôpital trop heureuse de retrouver une salle de bains digne de ce nom à la maison car il me tardait de nettoyer corps et tête de toutes ces odeurs. J'avais la volonté de bouger, de retrouver mes copines en soirée disco dès le soir, d'aller marcher et sortir prendre l'air, de préparer les fêtes. Pourtant, une partie de moi était mollassonne, assommée, ralentie et je l'observai dubitative. Si la veille j'avais accepté de prendre les anti- douleurs posés par l'infirmière sur le plateau repas, j'y renonçais au matin. Ma vessie était meurtrie évidemment par cette trentaine de piqûres, la douleur ressemblait à celle d'une gastro-entérite ou de règles, supportable aussi refusai- je de la faire taire. Elle avait le droit d'être entendue et je lui laissai cette place. Quand le médecin- chef arriva avec sa troupe en fin de matinée, il m'expliqua que l'opération s'était bien passée, que mon état évoluait favorablement, que je pouvais rentrer sans souci. Ma voisine s'amusa de la suite

    - Ma vessie me dit qu'elle est meurtrie et je lui laisse la place, je la respecte.

    - Oh, mais ça c'est une opération de rien du tout.

    - Opération de rien du tout pour vous, pour ma vessie, ce n'est pas rien et elle me le dit. Les effets se feront sentirent à partir de quand? Je continue le Vesicare en attendant?

    - D'ici une semaine environ et oui, continuez le Vesicare jusque là le temps de profiter de l'intervention. Les effets durent variablement de six, huit, neuf mois, cela dépend et la première parfois peut ne faire effet qu'un mois. Dès que vous sentez que l'état se dégrade, vous me rappelez et on en refait une.

    - Si je veux, répliquai- je du tac au tac.

    - Vous allez gagner en confort, un grand confort; finies les fuites entre les sondages.

    Je n'eus pas le temps de lui dire que je ne venais pas pour le confort mais pour protéger mes reins en danger, il tournait déjà les talons en riant ( il avait compris à qui il avait affaire, peut- être que Solange lui avait préparé le terrain et nos échanges étaient vraiment enjoués et complices).

    - Je suis venue en vsl hier comment..., lâchai- je in extremis.

    - Et vous rentrerez en vsl, je signerai le bon de transport, voyez avec l'infirmière, dit- il avant de disparaître.

    Par bonheur, ma voisine obtint également sa libération et l'autorisation de rentrer. Quand la cadre vint distribuer nos différents papiers de sortie, je remarquai l'absence du bon de transport, elle n'était pas au courant. N'ayant aucune envie de passer du temps supplémentaire entre ces murs à courir après des signatures, des appels téléphoniques, la disponibilité d'un vsl, programme très chronophage, je m'arrangeai avec ma voisine de chambre et son mari qui s'avéraient être des voisins géographiques, leur maison étant à 100 mètres de chez moi. Youpi! J'attendis patiemment que ses affaires fussent en ordre, une erreur ayant été commise sur l'ordonnance et finalement, nous partîmes en fin de matinée, trop heureuses de ne pas avoir à subir un repas d'hôpital de plus. Je retrouvai avec joie l'air et la lumière à l'extérieur, il me tardait d'être à la maison, de me cuisiner un petit plat goûteux, de savourer l'environnement familier et personnel loin de la détresse, de la violence sourde, de l'hôpital devenu usine. Une sortie danse avec les copines était programmée au soir et je songeai joyeusement les rejoindre.. avec toutefois une légère hésitation, une vague incertitude, quelques doutes voire des appréhensions. Mon corps n'était pas très vaillant, ma vessie exprimait son traumatisme, une de mes chères copines m'avait dit que quand même, une anesthésie générale demandait du temps de récupération. Je sentais une espèce de flottement déconcertant en moi. Et qu'allai- je trouver à mon retour? Un ado geek seul depuis la veille qui plus est en vacances à partir de ce jour, des fêtes de fin d'année à préparer, des affaires à régler... Bref, des conditions idéales de sortie d'hôpital.

    « Quand la réalité explose en pleine figure, préambule.Retour entre deux. »

  • Commentaires

    1
    Lundi 24 Mars 2014 à 11:08

    Et alors ta vessie te dit quoi maintenant? C'est mieux?

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    2
    Lundi 24 Mars 2014 à 11:11

    Je raconterai ça prochainement sarcastic

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