• Dans le flot de mes pensées et souvenirs de ces événements, je reviens toujours vers ces personnes qui ont pris soin de moi en ces instants si difficiles. J'ai déjà parlé de quelques uns au détour des  récits, le temps effaçant quelques noms inévitablement. Ils peuplent chacun à leur manière ma pensée, leur don  parfois fugace ayant germé et fleuri en mon for intérieur.

      Aujourd'hui, j'ai donc envie de vous parler de l'équipe du service de rééducation, me restreignant  au service strict et non à tous les autres qui y participent de plus loin ( kiné, ergo, psycho motricité , atelier etc). Je ne m'en sortirai pas sinon.


    Quand je suis arrivée, j'ai été installée par Jess et Muriel. A vrai dire, j'étais dans un tel état que je ne pouvais pas regarder plus loin que mon corps et mes pensées. Elles étaient dans leur travail, très consciencieuses, j'étais absente.

    Le service n'avait pas encore été refait comme la neuro ; c'était un décor morose et mal vieilli. Où étais- je donc tombée ?

    Le passage sur le lit adapté avait été une  bénédiction, je réalisai en cet instant combien la vie des dernières semaines avait été placée sous le signe de la souffrance et de l'inadaptation des lieux à mon état.  Quelques minutes plus tard, une jeune femme arriva dans la chambre, c'était l'interne du service chargée de m'accueillir. Elle avait un magnifique prénom que j'ai oublié (zut !) et un accent, elle est roumaine. Elle m'interrogea sur l'historique de la maladie, prenant des notes. J'avais le sentiment de me retrouver dans la situation connue en juin 2006, pas très agréable de raconter encore et encore l'histoire d'une chute physique insidieuse et inexorable, des médecins hautains, froids, dépassés, en conflit d'égo puis d'autres désireux de faire au mieux sans résultat malgré leur bonne volonté, enfin le professeur en qui mettre sa confiance. Elle était toute sérieuse, plongée dans ses notes. Comme je concluais que c'était une maladie rare, que je serai peut être l'un des  seuls cas qu'elle aurait dans sa carrière, elle me fixa et me dit sincèrement " Je ne vous oublierai jamais " ;Ah , ça !?  Elle m'étonna, j'eus l'intuition qu'elle était loin des pédants de juin et des curieux froids rencontrés en d'autres circonstances. A aucun moment, elle ne m'a donné de raisons de penser autrement. Elle a toujours eu cette générosité et cette sincérité, que la médecine froide ne la gagne pas ! Bien des patients y gagneront. Comment pouvait- elle être différente ?  Dans le service, elle travaillait avec Delphine et Solange.


    Delphine est toute jeune, dynamique ; elle ne m'a pas donné l impression d'être imbue de sa personne et de son savoir/ pouvoir. Je l'ai vue comme une petite fofolle, fantaisiste et apparemment, je ne suis pas la seule à le penser. Un jour, elle est entrée tonitruant, comme à son habitude et elle est restée troublée par  la chanson de Raphael, les bateaux passant à l'instant «  J'adore cette chanson ! » lança t- elle entre ses considérations médicales. Je n'aime pas Raphael, ses bluettes et sa voix nasillarde, par contre, quand j'entends les bateaux, je revois Delphine en pensée avec plaisir.


    Solange, ô Solange ! Vous l'avez croisée souvent, c'est vraiment une femme extraordinaire. Pleine de vie, d'énergie, elle se bat pour ses patients, se souciant sans cesse de leur bien- être, de leur être. Elle est ce médecin qui va se coucher près de vous quand vous êtes effondré pour vous parler au plus près, elle est ce médecin qui s'assoit au sol pour faire réciter les tables de multiplications à un garçon hospitalisé, elle est ce médecin qui  enlève vos chaussures pour ausculter en s'accroupissant à vos pieds. Elle est ce médecin qui va s'excuser d'être en retard, qui va soulever toute la baraque pour trouver une solution. Elle est ce médecin sur tous les fronts, incessamment en études pour apprendre et encore mieux servir. Jamais, à aucun moment, elle ne vous regardera de haut, jamais elle ne vous snobera, jamais elle ne vous regardera comme un cas ordinaire ou très intéressant, jamais vous ne serez déconsidéré. Ah, pour sûr elle enquiquine les soignants et les autres pour arriver à ses fins mais personne ne lui en voudra (à moins de n'avoir rien compris) parce que Solange se bat pour ses patients avec tous ses moyens.

    Solange est aussi ce médecin qui n'emménagea pas dans un coin parce que ce sont tous des rupins snobinards. Et oui.

    Quand en janvier 2008, à notre dernier rendez-vous, je lui ai offert Un merveilleux malheur de mon ami Boris, elle était touchée. Une amie lui avait conseillé ce livre en d'autres circonstances et c'est moi qui le lui offrais. «  Je penserai à vous en le lisant » me dit-elle ; En dédicace, à côté du titre, je lui ai écrit : Un merveilleux malheur qui m'a permis de rencontrer la femme épatante que vous êtes. Sacrée Solange, Solange sacrée. Vous auriez bien des leçons à donner à ces petits peigne-c... prétentieux qui se croient au dessus du commun des mortels parce qu'ils sont médecins.


    Dans l'équipe soignante, j'ai peur d'oublier quelqu'un.


    Jess, originale au possible avec son chat Poubelle, ses aventures rocambolesques et improbables, ses virées et ses sorties, ses tenues de ville très typées, ses piercing, ses cheveux longs, courts, décolorés, ... Et d'une sensibilité à fleur de peau.

    Muriel et ses airs sérieux, très professionnelle, toujours partante pour rigoler un coup et vous remettre les pendules à l'heure quand vous dites une absurdité de vous-même.


    Cathie, rigolote, avec qui nous avions souvent des éclats de rire. Il eut ce bain mémorable d'un samedi où elle mit trop de produit, la mousse débordait de la baignoire quand nous arrivâmes avec le brancard. Je m'y plongeai avec délectation, dans une franche rigolade car je disparaissais littéralement dans ce nuage blanc rosé. Ce fut épique de s'y retrouver autant pour elle et Floriane que pour moi.   

     Mes jambes vivaient leur vie toutes seules, sous des influx nerveux incontrôlés, nous plaisantions souvent des risques qu'elle prenait à essayer de les maintenir quand il fallait me soigner. Des boutades incessantes sur les productions naturelles de mon corps, en petit poucet ou les bidons de sondage explosant sous les litres venus d'on-ne-sait-où. Je me qualifiais de pisseuse, chieuse et nous en riions souvent. Auto dérision et rire de ce qui peut être en d'autres circonstances la pire des humiliations. Et là, non, jamais. Boutades sur le monde, la vie, les autres.  Les paroles fusaient et nous partagions nos vies.


    Valéry, seul homme du service avait quelques jours de différence avec moi, il est également un ami de ma cousine, nous nous sommes tutoyés très vite.  C'est un homme et pourtant, jamais, je ne me suis sentie gênée ; de par mon état, mon intimité la plus grande était offerte aux bons soins de tous les soignants. Il était d'une telle simplicité, d'une grande humilité, je n'ai pas eu à rougir de m'en remettre à lui.

    Parce que ce n'est pas le corps qu'il regarde, le soignant voit la personne par delà la nudité. ... un vrai en tout cas.  (c'est ce qu'a dit Jess aussi)


    Floriane est arrivée pour remplacer Valery sur le départ Elle était stressée, fraîchement sortie de l'école ( ?), l'envie de bien faire, tant de responsabilités. Ses marques trouvées, elle n'était pas en reste pour rire un bon coup ; d'une extrême gentillesse, d'une extrême douceur, Floriane.


    Marie- Jo, infirmière de garde venait pour le sondage de la nuit. Parfois, je dormais à demi et nous nous sommes rencontrées alors qu'elle me nettoyait. Dans mon demi- sommeil, j'ai lâché un «J'aimerais tellement vous évitez ça ! » elle m'a répondu vivement «Mais nous en sommes parfaitement conscientes, nous le savons ! ».  Et puis, nous conversions au soir, au petit matin, de sa passion du point de croix, de sa famille, de sa vie. Elle eut l'air déçue quand je lui annonçais que je ne serais plus là à son retour de vacances. J'étais contente de rentrer mais ô combien attristée de tous les quitter.  Plus tard, je revins lui porter des catalogues de point de croix que ses collègues furent chargées de lui transmettre. Aujourd'hui, je n'ai pas oublié.


    Sara, adorable aide- soignante, toujours souriante et lumineuse. Elle me confia ses petits soucis, certaines de ses interrogations face à son avenir, ses déceptions également ; nous en avons échangé des préoccupations. J'espère lui avoir apporté quelque chose ; elle rêvait tant à une belle histoire, je l'ai invitée ardemment à penser à elle en priorité.


    Anne, très posée et les pieds sur terre. Généreuse, bonne, douce, elle s'occupe des patients avec tout son cœur comme elle aimerait qu'on s'occupe d'elle (c'est elle qui l'a dit) Férue de peinture, d'arts créatifs, elle s'est exclamée en voyant mon patchwork accroché par une de ses consœurs dans la chambre «  J''ai toujours rêvé d'apprendre à en faire ! » Ni une, ni deux, je lui ai montré les rudiments un dimanche quand le service était calme. Avec Bénédicte, elle m'avait baignée et soignée le premier dimanche passé dans le service, loin de la maison (voir l'article Bain rituel ?). Je n'oublierai pas. 


    Bénédicte, loquace et ouverte. Elle a pris soin de moi en me coiffant, me faisant belle avec les moyens du bord. Toutes d'ailleurs se targuaient de me donner la meilleur des apparences, prêtes à tout ce qu'elles pouvaient afin que je ne me sente pas diminuée dans mon image, entre coiffure et parfum. Il n'était pas question que je perde mes petits restes de féminité. Bénédicte s'est essayée à me rendre belle et par ces attentions, elle m'a rendue un petit goût de mes coquetteries passées. C'est elle qui affirma qu'elle n'oubliera jamais cette image : elle m'avait surprise en train d'éponger mon lit et de défaire les draps, à quatre pattes dans un coin. Quelle drôle d'idée, je vous le dis ! N'importe qui d'autre aurait sonné... et ben, pas moi. Même Solange en rit en l'apprenant.


    Blandine. Quel personnage ! Fille de militaire, elle est très exigeante et rigoureuse. Elle essaie de prendre des airs autoritaires... en vain car j'ai très vite vu qu'elle a un cœur d'or. Bien sûr, les visions différentes dans le travail amènent quelques malentendus et quiproquos et Blandine ne transige pas avec les règles, ah non, pas question ! Blandine est celle qui m'a prévenue que j'étais ici pour travailler, c'est elle qui a eu peur quand je m'étais endormie avant le repas de midi et qu'elle n'arrivait pas à me réveiller. C'est elle aussi qui notait mes records de sondage avec des quantités si impressionnantes que les médecins me demandèrent de moins boire. «  Et ce n'est pas dans nos habitudes ! » s'exclama Solange. C'est elle qui entra tout excitée par la neige tombée quelques jours sur la ville, elle, passionnée de ski. C'est elle qui me portait malgré ses problèmes de dos et  son corset. C'est elle qui a tourné les talons pour cacher les larmes d'émotion qui lui virent aux yeux ce jour de printemps où je vins leur rendre visite depuis l'hôpital de jour. J'étais en fauteuil, j'ai mis les freins, me suis levée et ai fait quelques pas maladroits et hésitants.  


    Je pense également à cette élève infirmière dont j'ai oublié le nom . Après des années dans la vente qui ne la satisfaisait pas, elle avait tout recommencé en se lançant dans une école de soins infirmiers : elle voulait se mettre au service des autres après avoir côtoyé l'univers comptable et égoïste du commerce. Elle finissait sa dernière année et faisait un stage dans ce service. Elle était discrète, sérieuse, dévouée, très prévenante. Un matin, elle fut chargée de ma toilette alors que j'étais incapable de me tourner, que le corps n'était que souffrance, que je ne sentais plus rien sous la poitrine. Nous discutions de choses et d'autres, toilette normale ; bravant le temps et des consignes de travail, elle  prit le temps de masser mes pauvres pieds. Quoi de plus agréable que d'être choyée avec tant de bonté ? Son visage et sa voix sont gravés dans ma mémoire. Comme ceux de tous ceux dont je viens de vous parler.


     Nous avons tant échangé, tant partagé, elles entraient toutes avec joie dans ma chambre. Je n'étais pas seulement une malade, j'étais également une confidente auprès de qui elles se confiaient. Il n'y avait pas de hiérarchie, nous étions tous sur le même plan, HUMAIN.

    Quand j'ai préparé ma charlotte au chocolat avec Noémie pour les ergo et le service de rééducation, Floriane et Cathie sont venues.  Nous riions à nouveau de mes frasques et de mon tempérament « peu conventionnel », toutes ne pouvaient que confirmer, je ne fais décidément rien comme tout le monde.  Cathie  expliqua alors que la veille, elle avait dit à Blandine que j'allais leur manquer, sincèrement.

    Il me coûta de les quitter, j'essaie de retourner les voir dès que je peux, de faire passer un bonjour dès que je peux et je dois une bouteille à Blandine pour mes premiers pipis sans sonde depuis des mois !!!!


    Je sais par la psychanalyse que j'ai vécu à nouveau une forme de maternage tel que le vit le nourrisson à la merci de sa mère. Comment pourrais- je me détester quand j'ai reçu tant d'amour ? Et oui, j'ose le dire ce qui en soi est la marque d'une grande avancée de ma petite personne. J'étais amaigrie, amoindrie, invalide, incontinente, mal fringuée, pas maquillée, et pourtant, ils ont tous été là, pour moi non en simples exécutants froids et mécaniques mais bien avec toute leur richesse personnelle. Ils vivent en moi, je suis habitée d'eux.


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  • Ces dernières semaines, la cuisine m'active moins les neurones, je pourrais me contenter de  ne manger que du riz et des légumes, des soupes, des bouillons, tous les jours ; les compagnons mangeurs ne sont pas très encourageants. Ils en deviennent presque rasoirs à ne vouloir que des cochonnailles et des pâtes, des plats vite faits, vite mangés. Les assiettes s'individualisent et je tourne la tête de dépit dans un profond découragement quand je mal supporte les querelles habituelles à table.  Finalement, je fais sans y mettre de ma personne.

    Le premier signe de ce découragement est apparu subversivement ce midi où j'avais un ragout d'agneau sous la main. Pensant à Mariev, j'avais envie de tenter un tajine avec des figues et des saveurs orientales. Enthousiaste, j'en dévoilai l'intention à un compagnon mangeur... qui fit la grimace, il n'aime pas le sucré salé. Ma petite  bulle éclata sous le piquant et je me rabattis sur le curcuma dont la découverte me vient d'une adorable dame marocaine rencontrée par mon travail, en d'autre temps. Oignons, ail, carottes, agneau, curcuma se mêlent dans la cocotte et alors que j'aime le manger de la sorte, il garda un arrière goût d'amertume.

    Dans le registre découverte, j'ai bidouillé une grosse casserole à l'improviste un midi où la cuisine ne m'inspirait guère de la recherche et des expériences ; je mis ainsi de l'eau à bouillir et sans plus y réfléchir, j'y jetai une portion de graines de millet, une autre de quinoa. Un peu de sel et quand ce fut cuit, j'y ajoutai des miettes de menthe sèche ; mangé avec de la salade en mélange, tomate-verdure et carottes, je me suis régalée. Au soir, j'en fis des galettes grillées à la poêle. J'ai mangé mon petit plat pendant que les gaillards accumulaient les pizze surgelées, les pâtes... J'ai oublié.

    Il y eut ces crevettes  thaï réclamées par mon garçon ; nous en avons mangé deux jours de suite sans que cela posât un quelconque problème. Quand l'assiette est pleine et suffisante, que demander de plus si par ailleurs c'est bon ?

    Soufflés au fromage avec de restes de fromages à raclette. Mon garçon a mis la main à la pâte, ce n'est pas très compliqué et il les aime ; accompagnés d'épinards en branche, ils ont fait notre affaire.

    Expérience tarte extra naturelle hier : pâte maison levée avec farines de blé, de sarrasin et d'épeautre, du beurre, du lait de soja et du sucre complet. Des pommes un peu flétries, un nuage de cannelle. J'en suis assez satisfaite.

    Je pensais faire un de mes gâteaux au chocolat au véritable goût de chocolat et finalement, ce sont des mousses et autres préparations pâtissières qui couvrirent la table. Bonus de  50 kilomètres en voiture et des emballages. Ce n'est pas souvent, je ne peux malgré tout m'empêcher de penser que pour certains, un gâteau fait maison n'est pas assez « beau » pour être présenté à des invités pour une occasion spéciale, ça m'échappe.


    Coup de blues alimentaire.

    Comme je ne peux pas me déplacer à ma guise, que je ne peux pas systématiquement faire les courses, je fais avec ce qui entre. J'avais envie d'une paella express à ma façon, j'avais envie d'endives au gratin, de chou farci, de chou rouge aux marrons, ... Les idées me viennent en circulant entre les étalages... Et là, mes envies et curiosité restent enfermées.

    Bah, il reste le potiron du jardin à déguster en soupe, les sachets à terminer dans les placards  ...


    Oh !  Mais j'y pense, il y eut ce repas délicieux en solo  sardines à l'huile, salade verte et pommes de terre vapeur, ces grappes de raisin picorées tout au long de la journée,  le poisson à la choucroute, ce jambon sec bio, mes soupes de légumes maison, les bonnes courgettes et haricots beurre de SeN

     Ce soir nous mangeons une quiche en famille, la semaine prochaine, il y a des visites :

     - Chantra, une ancienne élève, devenue une amie adorable.

     Nous avons pensé faire de la cuisine de son pays (Thaïlande) et rien qu'à l'idée de partager ces instants, je sens revenir l'agitation de mes papilles...

    - il y a l'entrevue prévue le 1er novembre chez Marina

    C' est aussi une ancienne élève, russe . Nous allons fêter la venue d'une amie de Saint Petersburg ensemble, peut être avec Soo, une coréenne elle aussi  passée par mes cours (elle m'a offert les premiers sushis de ma vie !).


    Argf, finalement, mes expériences et recherches ne s'amenuisent pas, je suis simplement sous le coup de mon isolement géographique et de mon incapacité à me déplacer, sous le coup d'une grande solitude


    Les enjeux de la nourriture... Reflet de la relation à soi et à l'autre. Evidemment.

     

    Et qu'est- ce que mon travail me manque... plus de deux ans...


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  • Ce vendredi, j'avais rendez- vous à l'hôpital pour un contrôle. Ma vue trop basse et l'absence de transports en commun m'obligent à prendre le taxi- ambulance (vsl)  systématiquement. Ma visite se passe  normalement, je profite des longues heures d'attente pour faire le tour des quelques services où j'ai traîné ma carcasse en d'autres temps. Plaisir de revoir des visages connus, compagnons inoubliables de mon aventure. La matinée est riche et ravissante, gaie.

    De retour vers la voiture, le chauffeur m'explique qu'elle a mis quelque chose sur le siège en raison d'un incident survenu quelques minutes auparavant , le siège est mouillé et je ne pourrais m'y asseoir sans risquer de l'être également.

    Pas de problème.

    Nous repartons.

    Comme elle ouvre les fenêtres pour aérer en raison des odeurs, elle explique

    «  Cette dame n'y est pour rien ». Bien sûr, je n'en pensais pas moins, ces véhicules transportent majoritairement des malades, les incidents sont inévitables et je ne comprends pas que les voitures ne soient pas mieux aménagées. Elle continue et l'odeur devient persistante, pénible.

    -  C'est une femme qui reçoit de la chimio. Elle ne m'a rien dit et c'est arrivé juste devant l'entrée de l'hôpital pendant que je cherchais un fauteuil roulant ; j'ai dû demander de l'aide pour la sortir de la voiture tellement elle était faible. Quand je l'ai cherchée chez elle, j'ai aidé à l'habiller, son mari  et moi avons dû nous y mettre à deux pour la monter en voiture, elle chancelait, ne tenait pas debout ; en plus, elle a pris au moins 10 kilos en quelques mois. Il m'a dit de demander à ce qu'elle reste  à l'hôpital pour la nuit car elle ne supporte pas la chimio et elle souffre, c'est tellement dur. Elle ne peut plus circuler en vsl, il lui faut une ambulance !

    - Elle est âgée ?

    - 38 ans ! Et quand j'ai commencé à la transporter, elle était la joie de vivre. Maintenant, je ne la vois pas s'en sortir.

    - Qu'est- ce qu'elle a ?

    - Cancer généralisé

    - Elle est jeune ! ... Et ils ont des enfants ?

    - Non. Et ils venaient de construire.


    L'odeur devient intolérable, j'ai un profond malaise intérieur. Je me surprends à penser que cet homme pourra refaire sa vie. Je pense à ma tante, à mon vécu, je sais le vide qui s'ouvre angoissant et terrible quand la maladie laisse entrevoir la mort. Je lâche cette petite phrase au détour de mes errances pensives :

    « C'est une honte de laisser mourir dans de pareilles souffrances, une honte de les laisser tous avec une telle charge. »

    Le malaise est palpable, entre abattement et révolte, nous faisons mine de penser à autre chose.

    L'odeur ne me quitte pas, me prend à la gorge ; j'ai envie de sortir de la voiture au plus vite ; le retour est interminable.


    Jusque tard dans la soirée, j'ai senti cette odeur.

    L'odeur de la souffrance intolérable et interminable, de la solitude absolue, des traitements lourds, du corps qui se délite, l'odeur de la mort qui approche trop vite.


    «  L'homme en acquérant la conscience de lui- même et de l'irrémédiabilité de la mort, fou d'angoisse, se tourne vers les étoiles. »

    Et quand il n'y a rien dans les étoiles ?


    Il serait grand temps que je me mette à la méditation ...

    Non ?

    Peut être

    Quand je m'en sentirai capable profondément et pas seulement intellectuellement.  


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  • Je ne comprends pas

    -       Ces produits  inutiles mis à disposition dans les circuits de consommations

    -       Ces clichés sur les acheteurs des supermarchés, les acheteurs des magasins discount, ou ceux des  magasins bio.

    -       Cette ignorance des enjeux qui se trament derrière la nourriture

    -       Cette capacité que l'humain moderne d'un pays riche a à se couper de la nature en se nourrissant de tout et n'importe quoi avec des comportements absurdes et sans issue.

    -       Cet enfermement dans la technologie pour se rassurer sur sa soi disant supériorité alors qu'il y est prisonnier manipulé par d'autres qui veulent se croire plus forts


    Je ne comprends pas et ma liste serait encore bien longue si j'avais l'envie d'y réfléchir plus que ça.

    Pas aujourd'hui.


    Néanmoins, je ne suis pas la seule à ne pas comprendre, ce qui me rassure quelque peu. Je vous mets donc en copie l'article écrit par mon amie Sabine. (Sabine's blog)

    J'ai déjà parlé d'elle à l'occasion de notre voyage  pour son mariage en août 2006. Elle vit à Oslo où la pomme y tient une place honorable malheureusement délaissée et ignorée.



    La pomme de la discorde

    Nous habitons sur les hauteurs, dans un quartier aisé d'Oslo. Beaux jardins ornés de nombreux arbres fruitiers et massifs floraux. Il y des pommiers tout autour de nous, je les sens quand je marche.

    En cette saison, les pommes tombent, tombent et personne ne les ramasse! Un journaliste du journal Aftenposten en a même fait un article récemment disant que l'on préfère les acheter plutôt que de les ramasser dans nos jardins.

    http://www.aftenposten.no/fakta/innsikt/article2648784.ece

    Dans les magasins, le kilo de pommes (même) norvégiennes se vend 27 couronnes l'unité!

    Je pense que cela résume assez bien la société (norvégienne) (osloiste?) d'aujourd'hui, riche, stressée et qui a perdu (l'on t'il jamais eu?) le savoir faire/l'appréciation des saisons et qui préfèrent sans se soucier empiler dans leur chariot des oranges d'Afrique du Sud, des asperges du Pérou, des mange-tout du Kenya et des pêches du Chili tout au long de l'année... ou des pommes de Hardanger alors qu'elles pourissent dans leurs jardins.

    19 septembre 2008

     

    Etonnant, non?


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  • Tout au long de ces mois difficiles, il y eut des chutes ponctuelles particulièrement marquantes à mes yeux. Elles évoquent l'impuissance qui m'étreignait, la sensation du corps qui échappe à tout contrôle et balance à la figure la réalité de sa présence à un mental qui l'a trop souvent ignoré, et méprisé, l'affreuse sensation que malgré la vanité quotidienne à se croire maître à bord, la bascule dans le néant de la mort peut arriver n'importe quand.

    Etre là sans l'être, absente à soi, retranchée dans un minuscule petit rien au plus profond de soi.

    Notre capacité à percevoir l'espace qui nous entoure et la place que nous y prenons est régie par notre système nerveux. Des milliards de petits capteurs nerveux envoient les informations en une fraction de seconde au cerveau, par la peau, par les yeux, par les oreilles, par la sensation d'un souffle insoupçonné, par les muscles, les tendons, les articulations.... (Je suis particulièrement ignorante en médecine, excusez- moi)  Ainsi, j'ai appris la notion de proprioception qui m'était totalement inconnue. Les plus courageux pourront aller voir par ici ( et pas Wikipédia, non)

     

    Le plus déstabilisant, au propre comme au figuré a été la découverte que les yeux fermés, je n'avais plus la capacité de me tenir debout. Les défaillances du système nerveux ont été compensées temporairement par la vue. Les kinés me faisaient baisser les paupières et j'étais perdue. Je tanguais malgré moi, incapable de m'en rendre compte. L'espace n'avait plus la consistance passée ; Ils me poussaient légèrement pour faire leurs tests et très souvent, ils me rattrapaient parce que je tombais sans en avoir conscience. S'il peut être agréable de tomber dans les bras de ces  hommes, il n'est guère agréable de mesurer la perte de cette capacité naturelle à se tenir debout dans le noir.

     

    Aux premiers mois de la maladie, j'ai connu la chute dans la baignoire. Il n'y  a pas de douche dans cette maison et les installations pour la toilette assise n'étaient pas là, un peu de savon me piquant les yeux pouvaient avoir des conséquences dangereuses. Ce soir- là, notamment, je fus incommodée par du savon et sans m'en rendre compte, mon corps bascula dans l'espace que je ne comprenais plus. Je le réalisai quand mes jambes cognèrent dans le bord de la baignoire mais il était trop tard. Je n'eus que le temps de m'éviter de taper la tête sur la machine à laver et je me retrouvai dans le panier à linge sale en appelant à l'aide. SeN ne put que me relever alors que j'étais sous le choc de la peur. J'aurai pu me blesser à la tête. Le lendemain, la planche pour s'asseoir était installée.

     

    En neuro, j'avais été autonome aux premiers temps de mes hospitalisations répétées, l'équipe s'en était accommodée avec la surcharge de travail habituelle. Quand mon état de dégrada, je voulus croire que je pouvais l'être encore. Je demandai à aller à la douche et l'aide- soignante m'amena un siège spécial pour se faire. J'étais décontenancée, habituée à  ce vieux fauteuil inadapté. Elle me laissa avec une légère hésitation et comme je lui promis d'appeler en cas de problème, elle retourna à sa tâche. Ces fauteuils sont sensés nous conduire directement sous l'eau ; cela se révéla catastrophique parce que je devais gérer les vêtements, la serviette, le sec et le mouillé. Je préférai passer du fauteuil au siège de douche comme à mes habitudes, mes transferts devinrent périlleux. En quittant la douche, je tombai avant d'atteindre le fauteuil qui s'était échappé de quelques centimètres. Je me cognai au sol, aux roues et la douleur fut profonde ; je me battis plusieurs minutes pour y remonter craignant de ne point y arriver. Je pus finalement m'habiller et sonner. La même aide- soignante revint et me demanda si j'avais pu me débrouiller. Je lui dis vaguement, honteuse que j'avais mal et son visage se décomposa : « Vous n'êtes pas tombée ?? » Je la rassurai, taisant mes douleurs. Après tout, je n'étais pas à un hématome près, mes jambes en étaient couvertes par la violence du fauteuil inadapté. Et oui, j'ai pris sur moi alors qu'il y avait là matière à chercher les ennuis.

     

    J'ai déjà évoqué ces chutes à la maison, entre le fauteuil et le lit, le canapé et le fauteuil. Surtout quand j'étais seule, il y avait dans ces situations l'impression que le monde s'écroulait avec moi. Se rouler, se traîner sur le sol, avancer tel un ver sans en avoir les capacités puis ne plus pouvoir plier les genoux, ni se hisser à l'aide de petits bras pas musclés... j'enrageai entre désespoir et colère, en pleurant et criant mon incompréhension.  Et ma mère qui me soulève et fiston qui n'y arrive pas. Quelles situations horribles !

     

    Je suis tombée dans le panier de linge sale, dans le lave- vaisselle neuf, dans la baignoire, sur les toilettes, au pied des toilettes, sur le tapis, sur le carrelage, sur le plancher, au pied du lit, au pied du canapé, au bas du fauteuil violent, empêtrée dans les béquilles inutiles, dans les bras d'autres. Je suis tombée et tombée. Les hématomes n'avaient aucune signification, je ne les sentais pas, ils étaient les feux rouges, bleus et verts  de la dégringolade générale.

     

    En juillet 2006, lors de ma virée aux Eurock -j'ai menti et parjuré à l'hôpital ! - j'ai eu besoin d'aller aux toilettes. Il y a toujours des toilettes adaptées pour les handicapés... et un nombre incalculable de valides qui les utilisent. Elles étaient donc occupées et j'attendis tant bien que mal. Un tout jeune homme en sortit et fut très embarrassé en me découvrant à l'entrée en fauteuil. Il s'excusa et je ne pus qu' hausser les épaules La rampe d'accès n'était pas aisée et je préférai y aller à pied soutenue par SeN. Je me soulageai enfin, assise sur cette cuvette malodorante et à l'hygiène douteuse.  Je me rhabillai seule et ouvris la porte. Tout à coup, mes jambes lâchèrent et je basculai au bas de la raide rampe perdant tout contrôle. Heureusement, SeN fut là pour me rattraper  et me remettre au fauteuil. Nous étions saufs, ouf !

     

    Au service de rééducation, il y avait un porte- malade capricieux qui fonctionnait à son envi et dans des dispositions particulières. Alors que j'étais avec  Blandine et Cathie, il se révéla inopérant, Blandine portait son corset pour protéger son dos meurtri et malgré ces difficultés, il me fallait rejoindre le fauteuil pour repartir au plateau technique.  Bon, nous allions tenter un transfert toutes les trois. Un, deux, trois... et bloom malgré toutes les précautions, mon corps glissa des mains expertes de Blandine et Cathie. Dans un réflexe immédiat, nous stoppâmes la tentative et nous retournâmes instinctivement vers le lit. Dans un lourd mouvement, nous nous écroulâmes toutes les trois dans ... un éclat de rire entre excuses et compréhensions réciproques, communauté d'impuissance et d'insatisfaction. Ce fut ma dernière chute véritable mais celle- ci avait pris une tout autre tournure. Nous pouvions en rire toutes ensemble parce que nous savions que ce n'était qu'un incident et non plus le signe d'une chute inexorable

     


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  • Quand je me retrouvai en rééducation, je fus surprise du calme qui m'entoura après les sept jours d'agitation d'avant la première cure. Je dormais tout mon saoul, les autres se greffant à mon rythme. Solange passa me voir et elle pesta contre la sonde permanente : il était hors de question que je gardasse cette cochonnerie ! Elle pensait à la suite, il fallait préserver ma vessie à tout prix et continuer les sondages intermittents cinq fois par tranche de 24 heures. Petit tour rapide de la question : comment me sentais-je ? fatiguée, nauséeuse ? ... Euh, non. Bien, le traitement était supporté par l'organisme.

    Je ris des précautions prises autour de moi, incrédule, « puisque je vous dis que ça va ! »


    Car oui, j'allais bien.

    Pour la première fois depuis plus de six mois.

    Je sentais en moi un changement incroyable comme si tout à coup, une troupe  d'élite était entrée jusqu'au plus profond de mon corps avec mission de bloquer l'ennemi destructeur. Mon propre ennemi, mes propres cellules.

    Un calme, un soulagement.

    Je soupirai d'aise et remerciai à tout vent en silence pour ce répit, cette accalmie, cette sensation formidable de ne plus choir dans l'abîme de l'auto destruction fatale.

    Etait- ce un matin réel ? Je ne m'en souviens plus. Je garde le souvenir d'un éveil après une longue nuit froide, terrorisante et affreuse, une nuit de cauchemars abominables dont je n'arrivais pas à m'extirper.

    Une quiétude profonde.


    J'attendais le jour de la visite de mon garçon et de SeN avec impatience ; je me sentais trépigner d'aise à l'idée de leur parler de cette accalmie, de ces effets merveilleux. Du sentiment que la maladie avait été arrêtée net dans les quelques jours suivant la première perfusion.

    Sentant que je pouvais envisager une perspective, je me mis à élaborer des projets, concrètement : me donner à fond dans mes créations et mes travaux en retard, trop longtemps repoussés par les tâches quotidiennes avant, par la maladie après. Je commençais à faire des listes de ce que je voulais avoir près de moi : des livres, un radio réveil, mon patchwork, et tout et tout selon les avancées. Au téléphone, SeN prenait note de mes demandes chaque jour plus longues.


    La position debout sur le verticalisateur devint un jeu d'enfant. Marie me faisait travailler avec des ballons, des bâtons que je repoussais, retenais de mes mains. Après quelques séances, elle me déclara tout sourire que nous allions passer à autre chose, c'était trop facile pour moi. Youpi !!!!!!!  Bien qu'ayant toujours essayé d'avoir un bon mot pour chacun, je parlais de plus en plus, de bon cœur et le sourire aux lèvres, non plus de ce sourire las et triste, celui d'un cœur qui reprend pied dans la vie.

    Dans la même lignée, grâce à Noémie si généreuse et dévouée,  je reçus un fauteuil électrique, le précédent trop lourd n'avait plus lieu d'être, je pouvais retrouver un peu d'autonomie. Quand les brancardiers venaient me chercher, ils ne me poussaient plus, je filai droit devant, toute seule comme une grande. Cela ne m'empêcha pas d'avoir une conversation très intéressante avec l'un d'eux, un monsieur antillais qui fredonnait de sa voix grave . Je lui ai dis qu'il me ramenait au gospel, au jazz, à Louis Armstrong ; il fut touché car il était musicien, saxophoniste et féru de musique noire justement. Il me demanda si j'étais musicienne ( non, fatalement, je vous raconterai à l'occasion) puis si je  connaissais un peu, je lui parlai des voix de femmes que j'aimais : Billie Holliday, Nina Simone, Etha James, Aretha Franklin, du gospel qui me remue les tripes, porteur des espoirs de ces populations profondément  humiliées, outragées, blessées... Désormais, chaque fois qu'il me chercha ; il chanta pour moi. Veinarde !

    Je faisais des pointes de vitesse dans les couloirs, je tentais des dérapages, je freinais, tournais et dansais avec le fauteuil. Quand j'allais quelque part, j'aimais raconter que je me croyais dans la guerre des étoiles !  Dark Vador, R2D2, Leila, Luke Skywalker, Obi Wan Kenoby, Yoda,  et surtout Z-6Po dont nous avons recherché le nom tous ensemble.


    En ergothérapie, nous pensions, Noémie et moi, commencer le travail en chambre. Vu l'évolution, il fut évident que je descendrais au service directement. Je retrouvai toute l'équipe avec grand plaisir ; entre Maud, Lorette, Noémie et Myriam, je ne pouvais qu'être bien. J'y fis la connaissance de Mathilde, jeune stagiaire poitevine passionnée par ce métier dont elle terminait la formation.  Il était temps de commencer la mosaïque ! Elle me coupa la planchette consciencieusement car c'était une tâche impossible en ces instants. Je tenais assise pas encore debout, je pouvais me déplacer en fauteuil, pas encore faire les transferts. Elle se dévoua avec la scie et les serre-joints. Je reportai le motif choisi au carbone et la technique me fut expliquée : coller d'abord les pièces sur la planche puis au final, passer le joint, simple dans le principe. Ce fut parti... et je plongeai mes mains et mes yeux défaillants dans la caisse à rebus où se mêlaient des milliers de petits bouts aux couleurs multiples. Ola, dans quoi m'étais- je engagée ? Et pourquoi n'y arriverais- ja ?  Non mais !


     Oui, il se passait quelque chose.


     Dans la chute, j'avais trouvé un marche- pied où m'accrocher pour remonter cette paroi raide et accidentée. La tâche est rude et ardue, le jeu en vaut la chandelle ... et je n'étais pas seule, bien au contraire.


     C'est tout ce dont j'avais besoin. .


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  • Ma sœur fut la première à me parler de cette histoire :

    un jeune homme, Chris Mc Candless est retrouvé mort, seul, dans un bus abandonné au milieu de la forêt, en Alaska après deux années d'errance sur le territoire nord- américain, dans le plus grand dénuement. Ses parents ignoraient totalement ce qu'il faisait, où il était depuis la cérémonie de remise des diplômes de fin d'études. Il était brillant, issu d'une famille très aisée de la côte est, promis à un bel avenir.


    J'ai d'abord regardé le film de Sean Penn dont j'avais lu les louanges sur l'ode à la nature à travers des images magnifiques.  Oui, les images sont magnifiques mais je n'ai pas vu dans ce film une ode à la nature parce qu'il m'a laissé un goût étrange, une interrogation et un sorte de malaise diffus, innommable. J'y ai vu l'errance d'un jeune homme perdu, en quête de lui- même, pris à son propre piège. J'avais le sentiment que malgré le caractère exceptionnel de son périple, les rencontres et les expériences fortes qu'il a vécues, il n'avait pas d'issue. S'il n'était pas mort en Alaska, je l'imagine suicidé ou mort ailleurs.  A mon humble avis.

    Ayant le livre sous la main, j'eus envie de le lire afin de me faire une idée de l'adaptation du film dans un premier temps, d'y trouver quelques éclaircissements dans un second.


    Into the Wild, voyage au bout de la solitude, de Jon Krakauer.


    L'auteur est un journaliste interpellé par un petit article évoquant la découverte du corps d'un jeune homme quelque part en Alaska, rubrique faits divers. Il fit son enquête et reconstitua le parcours de Chris Mc Candless.

     Dérangeant et déstabilisant.


    Je ne parlerai pas beaucoup de l'Amérique et de sa description à travers ce livre parce que je ne la connais pas concrètement. J'ai été interpellée par ces humains qui décident de vivre en marge de la société consensuelle américaine, j'ai été interpellée par certains comportements fats dans les petites choses de la vie quand ils vivent comme coupés de la réalité de  la nature (gaspillage des ressources naturelles, gros véhicules utilisés pour aller chasser dans des zones reculées et sauvages  par exemple), j'ai été interpellée par la grande solitude de ceux qui ne se satisfont pas des valeurs habituelles, j'ai été interpellée par l'indifférence des nantis à l'égard des moins nantis...

    J'ai  été interpellée mais je n'ai pas les moyens d'en discuter, ce pays ne m'intéresse pas. Mes curiosités à son égard ne m'ont pas  portées à en avoir une vision positive bien au contraire. (Désolée, oui, je suis anti Amérique triomphante) Face à mon ignorance et mon parti pris, je ne me m'étends donc pas plus sur ce sujet.


    Pour Chris Mc Candless, rien ne laissait préjuger une telle fin. Très intelligent, il avait tout pour réussir selon les valeurs américaines. Et pourtant, il a tout renversé violement, partant avec le strict minimum, faisant don de toutes ses économies à une œuvre luttant contre la faim dans le monde, coupant totalement les ponts avec ses amis et sa famille.  Il refusait le système, refusait de se sentir prisonnier de ces valeurs, il est allé à l'extrémité de son idéal de liberté et d'ascèse. Il fut apprécié de tous ceux qui le croisèrent, aucun ne se sent capable de l'oublier. Il a marqué les consciences.

    Il ne fut pas le premier à se lancer dans ces aventures extrêmes, il ne sera certainement pas le dernier, son parcours n'en reste pas moins incroyable au sens de non compréhensible. Que cherchait- il? Le savait- il lui-même ?

    J'y vois une quête désespérée d'identité sans issue. Une vie où les idéaux suprêmes deviennent vénéneux, mortifères puis mortels. Je doute que survivant à son séjour en Alaska, il ait pu trouver la paix en lui et entrer dans la vie des hommes sans encombre. J'imagine une vie forcément sans issue.  J'imagine car personne ne saura jamais ce qu'il serait arrivé en d'autres circonstances. 


    Je ne peux également m'empêcher de faire le rapprochement entre l'auteur et Chris Mc Candless , tous deux dans une relation au père très particulière et toxique. C'est là, je pense, que réside la grande béance dans la vie de Mc Candless. Pas de difficulté matérielle, pas de problème d'éducation, un lien brisé atrocement simplement.

    Quand les parents sincères croient faire au mieux pour leurs enfants et qu'ils passent à côté de leur enfant.

    Quand le père tue son fils avec la plus grande innocence et les meilleures intentions.

    Parce que la sœur de Chris s'entend très bien avec ses parents, je crois que c'est  le lien père/fils qui est en cause. La faille était si profonde que rien à mes yeux ne pouvait la combler.


    Quant à la nature, elle apparait grande et magnifique, superbe, généreuse et froide. Froide aux tourments des hommes, froide à leurs épanchements à son égard, froide à leurs agitations. La Terre porte et nourrit les hommes. Et puis ?  Et puis rien. Les hommes passent et disparaissent dans l'indifférence de la Terre. Comme toutes les autres espèces passées, présentes, à venir. La Terre n'a pas besoin de nous, finit par nous le rappeler à un moment ou à un autre. La Terre  nous tue et nous balaie froidement. Terrible mère nature.


    Si quelqu'un a vu le film, lu le livre, qu'il me donne son avis s'il vous plait. Il y a dans cette histoire quelque chose de froidement étrange, l'idée qu'il est nécessaire de se poser des questions sur notre place sur cette Terre, parmi les siens, dans la société, dans l'humanité.


    Qui sommes- nous pour nous croire si peu ?


    Qui sommes- nous pour nous croire si importants ?


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  • Voici la copie d'un courriel reçu hier.

    Une bonne nouvelle en arbre qui ne cache pas la forêt mais quand même une bonne nouvelle :


    Briser l'isolement des 4 millions de personnes
    atteintes en France de l'une des 8 000
    maladies rares et méconnues.

     




    196 367 signataires :
    un nouveau Plan Maladies Rares en 2010
    Merci à vous tous et bravo pour votre mobilisation !

    La pétition que nous avons lancée en janvier pour réclamer un Plan d'amélioration en faveur de la prise en charge des personnes atteintes de maladies orphelines, a recueilli près de 200.000 signatures !
     
    Nous avons aujourd'hui l'immense plaisir de vous annoncer que votre soutien à ce vaste mouvement a joué un rôle déterminant puisque, le 10 octobre, le Président de la République a annoncé la mise en œuvre d'un second Plan Maladies Rares en 2010.
     
    Dès la veille, 9 octobre, Madame Bachelot, ministre de la Santé, nous invitait à une réunion dans les prochaines semaines afin de définir le calendrier et la méthode de travail pour définir les axes de ce prochain Plan.
     
    Nous avons, tous ensemble, gagné ce combat essentiel pour les malades et leurs proches !
     
    Nous mettons donc un terme au recueil des signatures de la pétition ; et c'est forts de vos si nombreux soutiens que nous allons participer à la construction de ce nouveau Plan, et à l'accomplissement de toutes nos missions en faveur des malades.
     
     
    Olivia Niclas,
    Présidente de la FMO

         
     
     


     

    FMO - Fédération des Maladies Orphelines - 6, rue Sainte-Lucie - 75015 Paris - Association reconnue d'utilité publique - Tel : 01 43 25 98 00


    Merci à tous ceux qui y ont participé. 


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  • Je ne comprends pas.

    C'est la saison des pommes et mes hommes les aiment ; parce qu'elles ont bon goût, parce qu'elles sont faciles à manger et à transporter. Ils les dévorent les unes à la suite des autres. J'ai réussi à les informer sur l'achat intelligent en pleine saison, de France et non du Chili ou d'Argentine hors saison, ouf. Mon garçon en a voulu au magasin bio parce qu'elles sentaient réellement la pomme, celle des vergers anciens et étaient originaires d'un producteur local.

    C'est tout.


    Quand Babeth m'a préparé un gros sachet de pommes qui lui avaient été données, j'ai été enchantée : « Ils seront contents ! ». Je les ai mises dans le panier à fruits en arrivant, il y en avait tellement que le buffet en était envahi. C'était un plaisir pour les yeux et le nez.. Le fiston évoqua vaguement une tarte aux pommes vite passées aux oubliettes. Elles ne bougent pas.

    Je ne comprends pas.

    Ma mère débarque dans la foulée avec d'autres pommes et nous prépare des pommes au four. Sur les 5 ou 6 qu'il y avait, elle en a mangé une, les gaillards aucune et moi le reste. Les autres ne bougent toujours pas.

    Je ne comprends pas.

    Trois jours après l'arrivée des dites pommes, voilà mon gaillard qui rentre des courses avec un sachet de cinq pommes rouges, toutes brillantes et calibrées du supermarché. Incrédule, je lui demande bêtement pourquoi il en a pris alors que nous en avions tellement sur le buffet «  Oooooh ! Je ne les aime pas, je n'aime que les rouges Royal Gala ! ». Je reste incrédule.

    Je ne comprends pas.

    Le lendemain, le fiston prend une pomme et la mange sans demander son reste, je n'ai pas à surveiller, qu'il mange. Deux heures après, il revient avec une autre. C'est une Royal gala et je lui explique que c'est le grand gaillard qui se les a achetées pour emmener au travail. Bah, il la remet en place en s'excusant qu'il ne savait pas et n'en prend pas d'autre.

    Je ne comprends pas.

    Les jours passent, les pommes ne bougent pas, sauf les Royal Gala qui diminuent de jours en jours.

    Je ne comprends pas.

    Finalement, ne supportant pas de les voir perdues, je prépare un crumble avec quelques unes un peu flétries.  Je me demande si je ne suis pas la seule à l'avoir mangé. Le grand : «  C'est un peu trop fort », le petit «  Je n'aime pas ». Comme j'insistais connaissant le loustic, il goûte et finit par dévorer la dernière part en salivant de plaisir. Ah, quand même ! Les autres fois, ils avaient pourtant aimé.

    Je ne comprends pas.

    Ce matin, les pommes n'ont toujours pas bougé, je décide de faire de la compote.  

    -       Mais qu'est- ce que tu fais encore ?!!!?

    -       Ben, de la compote... puisque vous ne mangez pas les pommes.

    -       Oh, mais moi, je n'aime que les Royal Gala ! et il part vite fait dans une autre pièce. 

    Il n'aime pas quand je fais mes préparations : je salis la cuisine, l'évier, de la vaisselle, des casseroles, j'éclabousse, j'entasse des trucs à égoutter je remplis le bac à compost qui l'insupporte,  j'occupe de l'espace en écoutant la radio qu'il trouve rasoir (France inter le matin) et en plus, au final, il y a d'étranges mixtures qui traînent dans la pièce, le pire étant quand la casserole déborde et que la plaque de cuisson est à nettoyer. Alors, faire une compote de pommes, quelle drôle d'idée ! Ça ne vaut pas  la préparation des gelées et confiture que je vous réserve à l'avenir pourtant.

    Je ne comprends pas.

    La compote maison ... Un peu de cannelle, un peu de beurre, du citron ou du sucre, chaude ou froide. Qu'est- ce que c'est bon !

     J'aime quand il y a des morceaux fondants sous le palais, quand j'y trempe un petit gâteau croquant, que je retrouve le goût des différentes pommes mélangées.

    J'aime la compote maison.

    Miam miam.

    Pourquoi n'aiment- ils que les pommes formatées du supermarché ? Pourquoi n'aiment-ils que les compotes en bocal ou en emballage individuel toutes faites dans de grosses usines?

    Je dois vraiment être très bête parce que je ne comprends toujours pas.  

    -       Dis bonhomme, tu as vu qu'il y avait de la compote là. ?

    -       Oh, j'ai bien senti une odeur de pomme mais je ne savais pas d'où ça venait. Je peux pas savoir moi si on ne me dit rien.

    Je lui en donne dans un ramequin. Il revient quelques minutes plus tard avec sa petite vaisselle:

    -       Alors, c'était bon ?

    -       EXCELLENT !

    Je pense «  Aaah ! Quand même ! »

    Dix minutes, le garçon s'agite dans le salon.et soupire :

    -Oh, je rêve d'une belle pomme bien rouge et ronde...

    Pff, je dois vraiment être très très bête pour ne pas comprendre...


    Sommes- nous donc tellement coupés de la réalité de la naturalité de la nourriture ?


    Pensées pour Ravage de René Barjavel.


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  • N'étant plus très certaine du déroulement des événements, je me suis tournée vers SeN et ses souvenirs. A conjuguer les siens au miens, j'arrive à me remémorer chronologiquement des aventures de ces jours si particuliers où je suis passée par des émotions intenses, reliant des faits et des personnes.

    Ainsi, je me souviens que ma mère était venue me voir une après- midi lors de mon séjour en neuro pendant que coulait le produit dans mes veines. Comme à son habitude, elle courut aux toilettes où je lui enviais cette banalité de le faire librement, sans y penser. Comme à son habitude, elle était submergée par les petits tracas de sa vie qu'elle laisse facilement prendre plus d'importance qu'ils n'en ont. Comme à son habitude, elle me ressassa ses habituelles rengaines. Au détour des mots, elle évoqua l'air de rien son attente  vis- à- vis de ce traitement, elle voulait savoir si là, c'était bon ou si j'allais encore basculer dans pire. J'étais souvent prétexte à ce qu'elle lâchât ses propres expériences dans la maladie ; de l'autre en effet de miroir,  indéfiniment.

    Je lui parlai alors de ma voisine de chambre, une femme victime d'une attaque cérébrale avec qui j'avais un peu discuté. Agée d'une soixantaine d'année, elle était originaire du même coin que ma mère, du même village. Elle commença à me questionner sur cette femme, comment pouvais-je lui répondre ? Je n'en savais rien. C'est ma mère ça !  Elle a le chic de poser de questions sur des sujets dont nous ne savons rien, surtout en ce qui concerne les autres et leurs vies. Quand cette femme revint dans la chambre, en fauteuil, le visage de ma mère s'éclaira et elle s'exclama : » Ah ! Mais oui que je la connais ! Salut !... » (J'ai oublié le nom, il n'y a pas eu d'accroche  entre nous, des relations polies de voisines de chambre, sans plus)  Elle la tutoyait, lui parlait comme si elle l'avait vue la veille ; cette femme bousculée par l'attaque et pas très maline (désolée... ) semblait quelque peu effrayée. Ma mère se présenta, elle chercha et la situa vaguement dans ses souvenirs. Elles étaient camarades de classe et  ne s'étaient pas vues depuis au moins 40 ans, si ce n'est plus. 

    Ah Maman, vraiment, tu n'arrives pas à sortir de tes souvenirs, de ton passé. Pas étonnant que tu ressasses sans cesse les mêmes vieilles histoires. 

    Finalement, elles se racontèrent des pans de leurs vies respectives, évoquèrent quelques souvenirs et ma mère, après avoir mis son bazar dans la chambre repartit joyeuse de ce bond dans le passé.

    Ce jour-là, SeN était venu seul. Nous avons discuté des petites choses du quotidien, il me faisait part de ses difficultés à tout gérer, du débordement qui caractérisait sa vie en ces jours sombres. Lui, qui ne rêve que d'une vie pépère et coulant sans heurts était dans ce qu'il déteste le plus : le sentiment de ne pas contrôler. J'admirais ce qu'il réalisait, je me sentais aimée comme jamais, je voyais un acte d'amour dans tout ce qu'il faisait, pour fiston et pour moi. J'avais une foi aveugle en lui.

    J'avais... Oui, j'avais.

    Ces souvenirs m'échappent quand je n'ai rien ou personne pour les remonter à la surface. Tout simplement parce que j'étais entièrement dans le flot de ma souffrance, de mes émotions, de mes peurs et de mes espoirs. C'était parfois si dérisoire de sentir l'agitation du monde au loin, si loin de moi quand je me demandais seulement combien de temps allait durer ce calvaire atroce. Calvaire au sens réel. De celui qui déchire les chairs et mène l'être au bord du gouffre et de l'anéantissement, solution ultime à la souffrance.

    Une mort symbolique.


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