• Avec l'appareil photo posé en permanence sur la table à côté de mon assiette, je m'amuse chaque jour comme une petite folle sous les regards exaspérés de mes compagnons de table. Parfois, le fiston s'occupe de la technique et bidouille les réglages avec de plus en plus de précision. (Ces appareils ne sont vraiment pas pratiques avec leurs indications écrites en tout petit !). Je peux donc profiter pleinement de mes préparations et expériences malgré le temps qui passe et prendre du recul sur nos modes alimentaires. J'avoue mon étonnement face à ma capacité à inventer chaque jour, chaque semaine de nouvelles improvisations culinaires. Les mangeurs se rendent- il seulement compte de leur table quotidienne ? Mon garçon est ravi de manger «normalement » à la cantine évoquant des menus fantastiques avec des salades ou légumes bio, des frites et des rabs à n'en plus finir. Il lui arrive également de me demander de préparer quelque chose à ma manière quand le même plat à la cantine n'était pas à sa convenance. Cette complémentarité n'est pas pour me déplaire, j'en conviens. En son absence, je fais ce qu'il n'aime pas et le savoure sans avoir à supporter ses gesticulations quand il n'ose pas dire qu'il n'en veut pas. (Par exemple, aujourd'hui, foie de veau avec tagliatelles et  poêlée aux pleurotes, asperges vertes et pois gourmands... )


    En ces journées enneigées, je continue mes préparations d'hiver avec quelques divergences grâce aux légumes surgelés. C'est la symbiose du corps et de la nature conjuguée à la pratique du Qi Gong sur les reins, organe phare de l'hiver. Etre là pleinement, les pieds dans la vie, c'est une chance inespérée que j'ai trop longtemps ignorée. Attention, c'est parti sur les réjouissances des derniers jours où la soupe a enchanté nos soirées.


    -       Plat d'hiver ravissant avec des haricots coco à la tomate, des œufs durs, des crozets au sarrasin (spécialité de Savoie dont nous raffolons) avec salade de mâche et de betteraves. Je ne regrette pas du tout d'être passée aux huiles bio première pression à froid, elles sont si parfumées et douces en bouche ! L'huile de noisette ne saurait tarder d'ailleurs. Et mon chauffeur de taxi grand cuisiner des plus grands restaurants m'a parlé de l'huile de cresson ! Encore de la découverte à venir mes amis !

     


    -       Filet de colin seulement salé et poivré avec des poivrons rouges au four et salade feuille de chêne, riz complet. 


    -       Soupe à la turque, comme le fait ma voisine, avec des restes de légumes que mon amie Sabine en visite de Norvège a pu apprécier. Dans un peu d'huile, je fais revenir des oignons émincés et y ajoute une cuillère de concentré de tomate. Après quelques minutes, j'y jette tout ce que je trouve : lentilles corail, haricots verts, haricots cocos, riz complet, champignons et je rallonge avec de l'eau.  C'est une solution idéale pour finir les demi-portions restantes des repas précédents sans cette impression de manger toujours la même chose. C'est une véritable soupe à surprise !


    -       Cuisse de dinde au four avec des haricots verts, du riz de Camargue et des flageolets. Réellement économique, une cuisse nous a fait 3 repas au moins pour 3.20 euros. Stéph et ses sandwichs au saumon pour le travail en est resté estomaqué. 120g de ce saumon valait plus que la cuisse de dinde ! Ce sont des choix de vie, des habitudes ; même s'ils sont inconscients, ils engagent tout de même nos responsabilités.



    -       Un dimanche, Stéph a d'ailleurs fait un bel effort en s'occupant intégralement du repas. Filet mignon en croûte avec des frites au four pour le bonheur d'Etienne et des légumes variés (haricots verts, choux fleurs et champignons forestiers) qu'il a malheureusement noyés à l'eau. Je déteste ces préparations dénaturées par ce bouilli obsessionnel dans le but d'éviter les casseroles qui attachent. M'enfin, mis à part cet égarement, le repas était bon.


    -       Ma voisine nous a offert des sarma et du börek avec la fête du sacrifice d'Abraham/ Ibrahim que j'ai mangés quasiment seule. Tant pis pour eux, ça en fait plus pour moi na ! C'était très bon avec du riz basmati, des crevettes au curry et de la salade d'hiver que m'a ramenée mon amie Sabine. Elle connait mon goût pour les légumes et j'apprécie toujours ces petits sachets issus du jardin de ces parents.



    -       Grâce à elle, j'ai aussi préparé mes premières bettes. Après blanchiment, j'ai préparé une soupe très verte avec les feuilles et fait revenir les cotes dans la poêle avec du sel, du poivre et de l'huile. Je me suis régalée avec du riz (vous avez dû certainement remarquer que j'aime particulièrement le riz, héhé )



    -       Risotto à la tomate, sauté d'endives et poivrons rouges avec des oignons et de l'ail. Désespérants gaillards qui chipotent et/ ou refusent de manger ! Qu'est- ce que c'est bon pourtant ! Je ne comprends décidément  pas leur cloisonnement gustatif... Nul n'est prophète en son pays... et oui

    -       Poule au pot, nouvelle variation du pot au feu tant apprécié ! J'y ai mis les mêmes légumes et une racine de gingembre, simplement. Mitonnée et réchauffée, elle a réjoui mes papilles plusieurs jours sous l'étonnement des hommes qui ont reconnu le goût particulièrement savoureux du bouillon. La viande terminée, j'ai jeté dans le bouillon des lentilles corail et du riz en trop grande quantité et me suis retrouvée avec une bouillasse épaisse qui à ma grande surprise a fait le bonheur de mon garçon d'habitude très méfiant de mes tamagouilles ! J'en ai fait des galettes grillées à la poêle servies avec des salades.


    -       Soupe d'Idil. Vous connaissez mon amie Idil maintenant et c'est par elle que j'ai connu cette soupe au yaourt que nous aimons tous. Il y a plusieurs manières de la préparer et j'ai la mienne. Cuire des courgettes dans de l'eau, mixer. Ajouter du riz rond et laisser cuire. Saler. A part, mélanger un œuf avec un yaourt nature et une à deux cuillérées de farine. Quand le riz est cuit, prendre une louche du bouillon et le verser sur la préparation au yaourt, bien mélanger puis verser dans la casserole, laisser épaissir. En fin de cuisson, ajouter de l'huile d'olive à la surface et de la menthe hachée. Cette soupe est très revigorante et donnée souvent aux personnes alitées. Sans courgette, avec des lentilles brunes, ma voisine en a une tout autre version. Je peux vous garantir que c'est un délice.


    -       Raclette traditionnelle qui me frustra par l'absence des épinards en branche que je mange habituellement avec les pommes de terre.  Le lendemain, avec les restes de fromage, j'ai gratiné un écrasé de chou fleur qui me donna l'idée de raclette aux épinards ET au chou fleur qui ne laisse pas la grosse boule patate/fromage dans l'estomac. Préparés ainsi, les légumes disparaissent très vite sans bruit dans les bouches avides de gratins.

    -       Filets de sardines au four avec pommes de terre et épinards en branche. J'avais laissé une fonction du four pour maintenir le plat au chaud le temps que Stéph rentre du travail. Résultat, les filets si goûteux à midi pour mon repas ont fini complètement desséchés à 13h45 ! J'ai goûté dépitée à 17h de retour du travail et finalement, ils restaient bons. Les Slaves ont des poissons séchés ainsi qu'ils grignotent dans la journée. Je me demande où ils sont passés, je n'ai pas eu le temps de les finir, mince !


    -       Surprise du soir avec un mélange de pois chiche, d'épinards en branche, de pommes de terre et de feta écrasée. Normalement, j'avais prévu des feuilles de brick  épinards et feta, de l'houmous ; trop fatiguée, j'ai laissé tomber et ai mélangé dans l'assiette les bases non préparées.  Et ben, c'était fameux !



    -       Tajine végétarien avec tous les fonds de sachets de légumes surgelés qui traînent (flageolets, artichauts, courgettes)  et les restes de pois chiche +  carotte, oignons et ail.  Accompagné de semoule de blé dur au chanvre. Miam miam !





    -       Brandade de morue faite maison avec une écrasée de pomme de terre et de la salade de carotte. Elle était meilleure que la première cuite trop vite sur feu trop vif. J'étais contente. Je l'ai achetée surgelée déjà dessalée mais l'expérience avec la morue salée véritable ne saura tarder dans ma cuisine pour le plus grand désespoir des hermétiques aux expériences culinaires envahissantes. Hihi



    -       Enfin, soupe de potiron bien poivrée avec une potée au chou vert et à la viande hachée. Simple, rapide et tellement agréable en ces longues soirées d'hiver. 

    Voili voilà mes dernières expériences ; je dois avouer que les conversations avec le chauffeur de taxi emballent mes envies ! Je le questionne sur son parcours, ses expériences dans les grands restaurants étoilés et Michelin, relais château et même à Matignon s'il vous plait ! Il est passionné et je l'ai prévenu : « Attention ! Je risque de vous garder en otage jusqu'à ce que vous me prépariez un gueuleton ! »

    Pour les fêtes, je vais me lancer dans la préparation d'une lotte à l'orange qu'il m'a expliquée... Cela m'a l'air très prometteur, slurp !

    Et j'ai prévu des truffes au chocolat maison, un saucisson chocolat également et... et ... 


    Surprise !


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  • Pendant longtemps, j'espérais qu'un autre que moi prisse une initiative à la maison pour occuper les dimanches autrement que par les écrans et l'ennui de chacun dans son coin. Du temps de mes capacités physiques, j'arrivais à lever la masse vers des sorties culturelles et sportives avec acharnement.  Malade et handicapée, je constatais avec tristesse l'inactivité dans laquelle s'englua le fiston.  Désormais dès que j'ai assez de force, je tente avec plus ou moins de bonheur de remotiver la troupe. Parfois ça passe, parfois ça casse.

    Samedi, j'évoquai à nouveau mon envie d'aller voir le marché de Noël où Maud et Noémie avaient un stand pour la première année. J'avais vu des œuvres en cours d'élaboration, partagé des idées et des projets, il m'aurait coûté de rater l'événement. Rien n'y fit, le cavalier solitaire avait prévu sa sortie commerciale. Comme je lui renvoyai à la figure son attitude, il se renfrogna et décida de rester à la maison. Nous ne fîmes donc rien. Je dis à mon fils que si tout allait bien, nous irions à la piscine le lendemain. Il s'enthousiasma et à 8h dimanche, il était debout, lui qui traîne au lit jusqu'à midi souvent. Notre chauffeur décontenancé nous y conduisit sans trop bougonner.

    Il y avait peu de monde et nous nageâmes toute la matinée, séparément,  ensemble. Je mesurai les progrès qu'il avait fait ces derniers mois et nous jouâmes en riant avec un gros boudin évoquant Scrat, l'écureuil délirant de l'âge de glace, en faisant la course, en étirant un bonnet de bain qui ne résista pas à nos histoires de méduses et de poisson fou.  Je fus surprise de ma capacité à nager sur une vingtaine de longueurs en brasse ou sur le dos crawlé. Mon corps se plait dans l'eau et je le sentais crier sa joie de se mouvoir, de mobiliser les muscles et les articulations, mon souffle reprenait son rythme régulier.  Je fus également grandement étonnée de constater que par rapport à notre dernière venue au printemps, je pouvais lire l'heure sur la pendule depuis tous les points du bassin. A la fin de la séance, il n'y eut plus que nous deux dans l'eau et je savourai ces instants de plénitude me remémorant mes baignades dans les lacs de Carélie. La douche chaude avant la sortie ajouta à mon bonheur et contrairement à ce que j'imaginai, je ne fus nullement fatiguée. 

    De retour à la maison, petit accrochage sur le linge, sempiternelle évaluation des actions de chacun, épuisant. La tâche répétée et habituelle de l'un prend des proportions de labeur éreintant pour un autre. Et en plus, le repas n'était pas même en cours de cuisson ! Je me chargeai de vider les sacs de piscine et de préparer une belle daurade avec des brocolis, des salades et des pommes de terre. Le fiston défoulé par la natation était calme et ne tergiversait pas, les règlements de compte à table s'arrêtèrent sous mes remarques pertinentes quant à leur incapacité à sortir d'un système relationnel conflictuel.  Fiston finit par en rire et SeN lâcha prise. Ouf.  Guignols de l'info et zapping en tricot puis je commençai à activer les gaillards pour décoller. Nous partîmes à 14h50.

    Crochet par le supermarché habituel avec un bon d'achat gagné la veille et valable uniquement ce jour. Inévitablement, nous rencontrâmes  les parents de SeN, je fus exaspérée par la foule de ces dimanches d'avant Noël. La caisse prioritaire pour handicapés avait une queue aussi longue que celle des autres et je refusai d'attendre me sentant incapable de piétiner dans ces conditions. Fiston eut un lot de cartes dont il rêvait depuis longtemps uniquement avec des bons de réduction et nous repartîmes vers le marché de Noël à 16h. J'étais quelque peu courroucée craignant de ne plus rien trouver sur place ; heureusement, il n'en fut rien.

    Je sillonnai le site à la recherche de mes amies  jetant de temps à autres un œil sur les stands aux formes et couleurs attirantes.  Avec ma vue, je ne peux plus balayer l'environnement dans le but de me situer et de me représenter ce qu'il y a autour de moi en dehors des couleurs et de quelques formes indistinctes.  Autant dire que le « lèche- vitrine »  est une activité sans intérêt. (Je n'aimais pas ça avant de toute façon).  J'aperçus dans un rayon de lumière chaude le visage de Maud en pleine élaboration de crêpes.  Noémie et elle  étaient affairées et nous bavardâmes de loin pendant que les hommes de chaque côté allaient et venaient à leurs occupations. Le marché avait été une réussite, elles étaient contentes et je fus ravie pour elles surtout en voyant comment tous avaient été solidaires dans cette aventure. Je commandai deux crêpes au Nutella et une au caramel et beurre salé plus un jus de pomme froid, un autre chaud aux épices qu'ils nous offrirent chaleureusement malgré mes protestations... Slurp !  Je fondis de plaisir avec ma crêpe au caramel et y reconnus les pattes de Maud et Lorette. Un délice mes amis ! Nous prîmes deux pots de confiture magique que Maud, fin gastronome, avait élaborée dans ses expériences culinaires. Il était un peu frustrant d'être là dans la foule avec l'accaparement de chacun et nous nous promîmes de nous retrouver bientôt en des lieux plus propices à la conversation. Noémie me fit part de l'émotion provoquée par le récit de notre virée entre filles et exigea un article sur ce dimanche. Aurait-il pu en être autrement ?  Je repartis bienheureuses de les avoir tous croisés.

                       
     

    Nous divaguâmes  dans quelque magasin avec un aller urgent aux toilettes me concernant, la journée aurait- elle  malmené ma vessie ? Par chance, la catastrophe fut évitée. Nous finîmes chez ma mère  en vue d'organiser les festivités de Noël et forcément, nous fûmes invités à manger. Miam miam :  soupe de légumes toujours savoureuse, petits pâtés au poulet ou au canard, poulet farci avec petits pois, sauce à la crème et aux champignons, frites et salade de chicorée, cake au citron.  Olala, nous repartons toujours l'estomac bien plein.

    Au retour, je m'activai encore, sans fatigue à ma grande surprise et je me couchai avec l'espoir d'une bonne nuit réparatrice.  Seulement, entre la piscine, les toilettes publiques, le froid, j'avais attrapé quelque germe et ma nuit fut entrecoupée par un accident pipi fort désagréable. Pas génial le nettoyage à 3h du matin dans les escaliers!  Prise urgente d'homéopathie pour stopper l'infection et dodo plus lent à revenir qu'à partir. Ce lundi, malgré la nuit agitée, j'ai pu faire tout mon ménage portée par la joie emmagasinée la veille parce que vraiment, j'ai la chance inouïe d'être là, vivante sur mes deux jambes ; j'ai pu m'amuser avec mon fils, j'ai pu revoir mes chères amies et un marché de Noël dont j'aime l'ambiance feutrée aux lumières scintillantes dans la nuit et les odeurs épicées des préparations hivernales,  j'ai pu me régaler de saveurs fort plaisantes. Alors franchement, ce petit germe aussi contrariant fut- il, ne me prendra pas le bonheur emmagasiné au cours de cette journée, pas plus que les travers relationnels dont certains refusent de sortir.


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  • Par une fin de matinée solitaire et d'attente, arriva une jeune femme brune à l'accent chantant du sud. Elle se présenta : Elodie, psychomotricienne. Envoyée par les médecins, elle s'assit à côté de mon lit et m'expliqua qu'elle venait en éclaireuse afin de trouver ce qui pouvait me convenir. N'ayant aucune idée de ce qu'était  la psychomotricité, je restai interdite. Psycho, bon d'accord, je vois. Motricité, aussi. Et les deux ensemble, ça donne quoi ? Elle m'expliqua simplement que c'était l'étude de l'interaction de l'un à l'autre. J'eus la sensation qu'une nouvelle fois, cette évidence s'affirmait : pas de corps sans psychisme, pas de psychisme sans corps. A nouveau, les circonstances me ramenaient à un recentrage total de mon être « Vas-y reprend- toi encore une bonne claque pour te remettre les idées en place. »  De toute façon, la souffrance physique  m'avait déjà bien fait réaliser  la vanité de l'esprit à se croire détaché des réalités matérielles. Comme je l'interrogeai sur le parcours des études, des écoles, des diplômes, des moyens concrets de cette discipline, elle me parla d'expériences qui m'emballèrent immédiatement : relaxation, méditation, massages, écoute de musique, yoga, taï chi... Autant de réjouissances auxquelles je m'intéressais depuis fort fort longtemps. Etant très limitée physiquement, elle m'interrogea sur mon rapport au corps en ces instants. Je lui dis que je souffrais constamment, qu'il me laissait du répit  uniquement dans le sommeil, m'endormant dans la souffrance, m'éveillant dans la souffrance. Omniprésente.

    «  Vous ne vous souvenez plus alors de ce qu'est un corps qui ne souffre pas ? ».

    Non.

    Nous convînmes de séances de massage des mains avec de la musique de relaxation.  Elodie remarqua  rayonnante que j'étais très ouverte, que cela se lisait sur mon visage. Elle était accoutumée aux personnes noyées par la souffrance, repliées, refusant de sortir des sentiers habituels de leur vie et là, elle trouvait une personne les bras grand ouverts à tous les possibles, sans apriori et confiante, impatiente d'apprendre et de découvrir. 

    Je garde un souvenir radieux de notre premier échange.


    Elle revint le lendemain avec son petit poste et mis cette musique relaxante que je ne connaissais pas. Elle m'expliqua qu'elle n'avait plus d'huile essentielle et travaillait avec de la Biafine. J'étais un peu déçue mais bon, ce n'était pas si important. Elle me massa les doigts, la main, le poignet, l'avant-bras, remontant au fur et à mesure. Elle m'avait expliqué qu'elle avait une façon toute personnelle de travailler, refusant de s'enfermer dans des carcans trop stricts, restreints afin de s'offrir tous les moyens d'avancer avec le patient. Comment pouvais- je avoir une idée de ce que c'était puisque je n'y connaissais rien ? Nous devisions de choses et d'autres avec un objectif pour elle certainement ; je me contentai de me laisser porter. Elle était si enjouée, brillante de toute sa générosité et de sa bonté, j'avais eu confiance en elle immédiatement.  Entre questions et réponses, nous naviguions de l'une à l'autre. La maladie, les études, Toulouse, l'Alsace, la famille, les amis, le corps et les pensées. Je lui parlai de mon incompréhension face à la maladie, des sentiments qui me traversaient, de la mort que je sentais toute proche... Nous n'avions aucun tabou. Nous parlions de nous, d'elle, de moi, de nos vies. Nous aimions les mêmes musiques, nous avions un regard commun sur le monde; nomades, nous nous somme trouvées sur des sentiers similaires. Elodie a été l'un des artisans essentiels de ma renaissance.


    Grâce à elle, j'ai compris que je n'aimais pas la maison où je vis depuis quatre ans parce qu'elle me renvoie sans cesse à l'abandon dont je souffre depuis ma conception, j'ai compris que j'étais prisonnière de répétitions familiales sur au moins trois générations, j'ai compris en m'exclamant que je voulais VIVRE qu'il est nécessaire de vivre dans un premier temps pour ensuite exister et finalement être. J'ai compris surtout qu'il était temps pour moi de ne plus me contenter de survivre.

    J'ai compris que j'avais passé ma vie à me fuir et à colmater des fuites dans le bâtiment fragile et branlant de mon existence, que je souffrais des autres, que je souffrais de mon histoire et de mes ancêtres, que je souffrais de moi- même. La maladie est arrivée en cataclysme,  cri suprême d'un corps et d'un psychisme qui n'en pouvaient plus.


    Elle m'a prêtée  Michel Odoul, Dis moi où tu as mal et je te dirai pourquoi. Je ne sais pas trop quoi en penser, quelle est la part de fantasme et la part de réalité ? Certaines idées m'ont été très bénéfiques, résonnantes et productives, fertiles. Peu importe l'intellect.

    Elle m'a prêté Aïe mes aïeux, d'Annette Ancelin Schützenberg pour trouver une voie dans la psycho généalogie, si lourde chez moi.

    Elle s'est extasiée sur mon patchwork lumineux révélateur de la vie qui bouillonne  en moi. Les mille soleils de ma petite personne (ce qui explique les images choisies pour le blog, je le réalise désormais).

    Grâce à Elodie, j'ai pu ouvrir les yeux sur moi, sur le reflet que m'en renvoyaient les autres. J'ai compris que j'étais quelqu'un, j'avais une valeur, j'étais vivante et humaine. Non cette forme infâme et insignifiante, non cette sous merde ballotée par la vie et les prisonniers de leurs chimères crachant leur propre détestation sur ma personne si mal aimée. Non cet être désespéré luttant contre des moulins à vent, incapable de voir que l'essentiel de la bataille était en lui. 


    Elodie s'occupa de moi pendant les mois d'hospitalisation complète. Ce temps fut trop court à mon goût car elle a ouvert des champs immenses de réflexion et m'a permis de regarder là où un petit rien pouvait être désastreux insidieusement ; le voir enfin permettait de le déloger de ce rouage coincé ou détraqué. Le déplacer de quelque distance pour retrouver un roulement apaisé.

     Grâce à Elodie, j'ai compris que recevoir est aussi important que donner. « A force de donner à tous, il n'y a plus rien pour vous. Savoir recevoir, c'est aussi savoir donner» La maladie ne serait- elle pas le signal d'alarme de ce vide devenu béant? Ainsi, j'ai pu débuter l'acceptation des bienfaits qui m'étaient offerts par tous ceux qui m'ont aimée alors que j'étais dans le dénuement le plus complet. J'ai appris le respect de moi-même. 

     

    Elodie est celle qui m'a permis de voir dans la nuit ceux qui étaient là, vivants et morts, ceux qui me détruisaient parce qu'ils se détruisent eux-mêmes et ceux qui me nourrissaient depuis le passé, ceux qui me nourrissaient au présent.   

    Grâce à elle, la terre était fertile pour porter les fruits de la psychanalyse. 

    Grâce à elle, j'étais prête à recevoir tous les bienfaits que je n'avais pu voir avant la maladie.

    Maladie sursaut de vie,  maladie déclencheuse de vie. De Devic à de vie, il n'y a qu'une lettre et un espace...


    Elodie vit désormais en moi, ad vitam aeternam, génératrice de vie, génitrice de ma nouvelle vie. Explosion de la renaissance.

    « Et vous verrez que vous ferez votre crise d'adolescence ! » affirma t- elle en m'expliquant que quand un humain descend très bas et en revient, il repasse toutes les étapes du développement.


    Nouvelle vie, Elodie.


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    Lors de mon séjour en rééducation, dès que je fus transportable, j'eus quelques permissions à la maison pendant les weekends.

    Je me réjouis de cette perspective imaginant que je manquais à mes gaillards, qu'il nous serait bénéfique d'être ensemble, libérés des contraintes liées à la lourdeur de ma prise en charge.


    La première permission se fit un dimanche après midi, j'étais si heureuse de me rendre à la maison, de passer quelques heures avec la petite famille et de retrouver mes affaires bien qu'il me fut impossible d'en jouir. Je me souviens de peu finalement, quelques impressions tout au plus. Avec les deux heures de trajet, le temps était vraiment très court.

    J'ai été émue de revoir l'intérieur et les couleurs du rez-de-chaussée. La luminosité des fenêtres plein sud m'éblouit et faisaient ressortir les couleurs chaudes de la salle à manger. O mes livres ! Qu'ils me manquaient ! J'avais du temps et pas les yeux, c'était très frustrant. Je fus étonnée du bazar qui régnait. SeN m'avait tant reproché mon bazar omniprésent et préjugé de mon incapacité à avoir un intérieur impeccablement rangé, j'avais naïvement pensé qu'en mon absente et mon garçon plus souvent chez El. , la maison serait enfin nette et ordonnée ; il n'en était rien, tiens ? Bah, il n'avait sûrement pas le temps.Les repas me firent remarquer qu'il y avait des progrès dans les préparations, les plateaux repas de l'hôpital me lassaient et j'étais contente de goûter d'autres saveurs.

    Nous attendions la visite des parents de SeN trop contents de me revoir en ces murs,. Le pauvre n'arrivait pas à gérer et les soins de l'après midi se révélèrent catastrophiques à l'instant même où ils arrivèrent. Je réalisai combien la vie à la maison avait été un calvaire, comment avais-je pu tenir et supporter tout cela si longtemps ? Le séjour à l'hôpital me faisait comprendre que nous avions subi une situation  intolérable et inextricable.  J'en arrivai à penser que je ne reviendrai que lorsque je serai autonome, SeN ne pouvait ni le gérer, ni le supporter.

    Quand l'ambulance revint me chercher, c'était presque la panique, nous avions été dépassés par les événements. Au bout du compte, nous n'avions rien fait.  Laisser mes hommes fut un véritable crève-cœur, je pleurai et pleurai de longues minutes de les quitter. Et puis, je retrouvai le confort d'un lieu adapté et toutes les personnes qui prenaient si bien soin de moi.


    A partir de la deuxième, je partis du samedi au dimanche. Le traitement améliorait mon état et nous trouvions des traces d'organisation alors que je récupérais quelques petites capacités physiques. Nous ne faisions pas grand-chose puisque je ne me souviens de rien sauf de la dureté du lit. Pas étonnant que j'ai eu des escarres à la fin de l'année 2006 !


    Il y eut ce weekend end de février où nous pûmes préparer un petit goûter d'anniversaire pour le fiston qui fêtait ses dix ans.

    Avant de venir dans cette maison, je ne les fêtais pas en raison de l'absence de place dans nos petits appartements. Arrivés en ces lieux, cette organisation était plus facile et il avait eu quelques beaux  goûters avec une ribambelle de camarades, des thèmes différents dont un gâteau hérisson par exemple. Evidemment, je m'occupais de tout, les gaillards n'y pensant pas.

    Quand je fus malade et hospitalisée, rien ne se fit à leur initiative. Comme j'allais mieux avec deux perfusions, je lançai l'idée d'organiser une petite fête malgré tout et mon fiston paniqua. SeN était décontenancé et ne savait pas comment s'y prendre, cela lui sembla inopportun. J'insistai et nous pûmes inviter deux camarades, les autres ne pouvant se libérer la veille ou simplement le jour même, avertis au dernier moment. Je réussis à faire un gâteau au chocolat (Ne me demandez pas comment !) avec un Playmobil sous un ramequin en lieu de pilote de soucoupe volante et  à ordonner quelques décorations sur le thème de l'espace et de l'air. Quelques adultes se joignirent à nous et bien que la fête fût des plus simples, je fus heureuse de lire la joie sur le visage de mon garçon entre ses deux camarades. SeN avait pu amener quelques boissons et autres sucreries, ces trois enfants furent ravis surtout de jouer ensemble toute la journée. Mon fauteuil ne me gêna pas et je suis fière d'avoir réussi à offrir ce petit jour à mon garçon. Peut être était-il heureux simplement de me savoir près de lui et capable de participer à nouveau à la vie de famille.


    En y réfléchissant, je me souviens en riant de ce dimanche où je demandai de l'aide à SeN pour m'épiler. Depuis des mois, ce n'était vraiment pas une priorité et je m'excusais souvent auprès des soignants de ma pilosité. Comment aurais-je pu y remédier, paralysée et aveugle ? Une infirmière d'urologie m'avait répondu en riant qu'en hiver, elle aussi se tenait au chaud avec sa fourrure naturelle.  Comme de toute façon, je ne voyais rien, je ne me rendais pas compte de l'ampleur des dégâts.

    Ayant retrouvé des sensations et de la mobilité, je découvris du bout des doigts qu'il était plus que temps de réagir ! Entreprise de grand travaux que SeN hésita à prendre en charge. Je dirigeai les opérations et la panique s'amena avec les ambulanciers qui me recherchaient déjà en début de soirée. Il me fit le minimum syndical malgré mes protestations et je repartis mi amusée mi frustrée avec seulement le dessus des mollets épilés.

    Le lendemain, je racontai ma sortie à Anne et Jess. La première remarqua l'inachevé et la seconde m'expliqua qu'elle pouvait me le faire parce qu'il n'y avait pas de raison à ce que les patientes subissent ces inconvénients. Je fus touchée de cette attention et me promis de ne plus garder des poils intempestifs. De toute façon, avec les épreuves traversées et la sempiternelle suite de soins, mon rapport au corps était définitivement bouleversé et je ne fais désormais que ce dont j'ai envie quand j'en ai envie et sûrement plus pour répondre à de soit- disant obligations esthétiques et/ ou sociales. 


    Un autre dimanche, il y eut également une sortie dans le froid ; SeN et son père me portèrent dans les escaliers de l'entrée et notre petite troupe partit en promenade vers un chemin coutumier et goudronné. En fauteuil, les voies se réduisent forcément, exit les chemins de terre ou trop accidentés ; exit les rues aux trottoirs trop étroits, exit les pentes abruptes ou longues.

    SeN s'inquiéta et m'imagina dans les fossés, les quatre fers en l'air, pestant de ne pouvoir me porter quand fiston eut l'idée de faire la course. De son petit gabarit de garçon de 10 ans, il s'enquit de me pousser à toute vitesse et de me mener dans une course folle. Je rassurai SeN , il n'y avait pas lieu de s'inquiéter et j'en avais tellement envie ! Ainsi donc, exacerbant les angoisses du gaillard, mon garçon et moi partîmes aussi vite que possible.  Le fauteuil allait et venait dangereusement, je criai quand il fallait redresser,  fiston y mettait tout son cœur et son énergie pendant que SeN hurlait et s'exacerbait de notre inconscience, présageant des catastrophes ingérables.

    Qu'est- ce que j'ai ri ce jour-là ! L'air glacé qui claque au visage, le vent qui souffle... je me sentais revivre. Fiston était si fier d'être maître de ce jeu, si fier de contrôler le fauteuil de sa mère.  Non pour dominer les adultes, simplement pour se prouver qu'il était capable de contrôler une petite partie de notre expérience des derniers mois. Enfin, je pense qu'il y a de ça là-dessous. 


    Ces séjours à la maison ne m'ont pas laissé de souvenirs impérissables en dehors de ces quelques uns, je vivais l'instant présent sans penser à autre chose que de profiter des petits gestes du quotidien ou de reprendre mes repères dans cet environnement autrefois familier.  Il y avait les soins, les impératifs liés à mes handicaps, il y avait la tension omniprésente sur les épaules de SeN qui devait tout gérer, les inévitables chamailleries usantes et fatigantes.

     Présentes avant la maladie, elles n'en devenaient que plus stupides et exaspérantes au regard de notre parcours. Je ne venais que quelques heures par semaine et je n'échappai pas à la spirale sourde de la violence des échanges qui gâchait ma joie d'être à la maison. Grâce au travail entamé avec Elodie, je commençais à prendre conscience de ce qu'il se passait entre ces murs, je ressentais le besoin vital de ne plus les  subir mais malgré la maladie, malgré mes demandes et mes injonctions explicites et répétées, je ne voyais pas l'issue de nos travers relationnels. Repartir me déchirait le cœur, m'arrachait des larmes, je constatai cependant qu'il me prenait l'envie de retourner dans un environnement plus sain et chaleureux. Aussi aveugle que je fus, mes yeux commençaient à s'ouvrir sur ce que nous ne voyons jamais quand nous sommes pris dans la gestion du quotidien, l'évidence que l'on nie de son regard fuyant. Je prenais conscience du  changement profond  et irréversible qui s'était opéré lentement en moi, sans que je pusse en dater le début.

    Rien n'avait changé, j'avais changé.

    Mon regard se posait sur le même monde depuis un point de vue autre. Je réalisai l'illusion dans laquelle je m'étais fourvoyée depuis trop longtemps. Il était temps  de sortir de cette vie en prison où je m'étais enfermée moi- même avec la complicité inconsciente de tout mon entourage.

     Le corps ne crie pas inutilement. Les mains se tendaient et cette fois-ci, je m'y accrochai.

    Que cesse désormais l'opération auto destructrice.


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  • Je tenais simplement à ajouter qu' hier, dans la salle de cours, j'ai vu, avant de partir, un grand Bienvenue à mon égard sur le tableau blanc ; j'en suis restée sans voix. Il y a une telle rotation des stagiaires que les actuels ne me connaissent probablement pas, surtout en cours de math. Et pourtant, mon collègue a eu ce geste si touchant signifiant sa joie de me revoir et cette place que je n'ai jamais perdue au sein d'une équipe solidaire et soudée.



    Avez- vous remarqué que j'ai écrit Connes au lieu de Cannes ?  


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  • Après des mois de luttes administratives avec toute une équipe serrée autour de moi dans une mêlée avançant centimètre après centimètre, j'ai ENFIN pu reprendre mon travail. (J'essaierai de raconter cette aventure épique plus tard)  J'en trépignais d'impatience depuis plusieurs semaines et plus je m'approchais de la date, plus je me sentais fofolle.  Ce fut donc toute guillerette que je partis avec le taxi désormais mis à ma disposition par un financement de la Région.


    J'étais porteuse de salut des uns aux autres par les liens que je créai grâce/ à cause de ma loquacité pendant les transports avec les différents chauffeurs de vsl et autre taxi.  Ainsi, j'en vins à raconter des pans de ma vie d'avant, des conséquences de la maladie : handicaps invisibles, bouleversements du quotidien et des projets, ce sentiment étrange que je ne me suis jamais sentie aussi bien après le grand ménage que ces épreuves avaient provoqué. Je n'ai pas de difficultés à répondre aux questions et à expliquer.


    A l'arrivée avec mon chauffeur très prévenant (je prends goût à ces commodités, hi hi)  j'ai embrassé mon collègue qui m'attendait sur le pas de la porte tout ému, un large sourire sur le visage et ma supérieure  quand elle est arrivée. J'ai vidé mon sachet empli de ce qui retrouvait sa place et je suis repartie avec une grosse boite de pains d'épices au chocolat, cadeau de mon collègue qui me touche grandement. Je n'ai pas pu voir la secrétaire qui travaille ailleurs le mardi et j'espère la voir jeudi matin. Son supérieur un peu bourru habituellement s'exclama en me voyant « Tiens, une revenante ! » Je lui répondis qu'il ne pouvait pas mieux dire.  

    J'ai remis de l'ordre dans quelques papiers, j'ai essayé de prendre mes repères dans ces lieux connus et pourtant différents en raison de ma vue déficiente. Moult informations me sont désormais inaccessibles et des automatismes d'hier prennent du temps à revenir parce que je n'ai plus les mêmes moyens physiques : je ne peux plus lire les fiches des stagiaires à la première rencontre, les étiquettes des dossiers sont écrites trop fin et petit sur des fond jaunes ou orange, je ne peux plus courir d'une pièce à l'autre, j'ai oublié le code de la photocopieuse... Cette machine  avait disparu de ma vie pendant deux ans et demi et je la retrouvai avec quelques hésitations. Les touches et les écrans si petits m'obligent à coller mon nez dessus, je repérai le relief sur la touche 5 auquel je n'avais jamais prêté attention avant la maladie. Ce fut avec une réelle délectation que je fis mes recto- verso, en paquet, en individuel... Ah ! Ces petits gestes du quotidien dont nous ne mesurons pas la richesse. Evidemment, avant, je pensai toujours aux copistes du Moyen Âge qui passaient leur vie dans le froid et les courants d'air à transcrire des œuvres. Que penseraient -ils de nos facilités à dupliquer ? Bah, dans 100 ans, nos papiers se seront auto détruits de leurs propres acides et les enluminures n'auront rien perdu de leur magnificence. J'en ai vu datées de mille ans qui resplendissaient comme au premier jour de leur temps, notre civilisation a quelque chose de dérisoire face à elles.


    J'avais été prévenue que je n'aurai pas beaucoup de stagiaires, le mois de décembre n'étant pas idéal pour une reprise ; entre la fête du mouton et les préparatifs de Noël, les volontés se ramollissent.  J'eus donc une seule personne. Je tâtonnai et travaillai ardemment avec elle sur l'expression de la position, parlant et répétant inlassablement les phrases types. Mes automatismes revenaient vitesse grand v, les bâillements répétés en plus (ce sont les médicaments).  Finalement, je n'ai rien perdu de mes capacités, j'espère les avoir enrichies avec l'expérience des dernières années.

    Au détour de la conversation, je reçus des nouvelles d'une ancienne stagiaire russe qui avait vanté mes mérites professionnels et humains auprès de cette jeune femme.  Ola ! Comme il est étrange de revenir et d'entendre que tous ces mois, je n'avais pas été oubliée, que les stagiaires réclamaient mon retour sans cesse. Que l'activité reprenne son cours et j'en retrouverai avec bonheur quelques uns.  Je me sens inondée d'amour et de gratitude , je suis habitée de toutes ces rencontres merveilleuses.

    Au passage, elle me demanda mon âge, je répondis, 36. Elle resta bouche bée, elle ne m'en donnait pas plus de 25 ans. Hé hé.  Je fais 10 ans de moins depuis près de 15 ans : on me prenait pour une fille mère quand j'étais enceinte de mon fils. Et moi qui pensais que  les soucis, la rudesse de la vie et la maladie avaient marqué mon corps !  Je la remerciai chaleureusement, j'étais gonflée à bloc.


    Mes heures passèrent très vite et j'ai quasiment  oublié la fin de la séance ; cela était une de mes caractéristiques également, avant ; je suis constamment ramenée au temps par les stagiaires. Seulement, désormais, j'ai un chauffeur ponctuel, je ne peux plus déborder comme autrefois. Je me hâtai de reprendre mon sachet (j'en ai rien à faire des apparences et je ne ressens pas le besoin d'avoir un sac, un vrai au risque d'en déstabiliser certains avec mes paniers ou sacs plastiques)  et je filai avec des grands gestes d'au revoir, à jeudi.. Le retour fut des plus intéressants, mon chauffeur avait été cuisinier pendant 15 ans dans les plus grands restaurants d'Europe : Martinez de Connes, Georges V à Paris et bien d'autres. Il m'époustoufla de son cv et nous devisâmes vivement des goûts, saveurs et expériences culinaires. J'évoquai mes modestes tamagouilles, il ne les regarda pas avec mépris parce que nous étions dans les mêmes idées : multiplier les goûts pour apprivoiser les saveurs et se lancer dans l'aventure de leur alchimie, travailler et préparer des produits de base, de saison, expérimenter tous les possibles. Le trajet, tout comme l'après midi a filé sans que je ne le remarquai.Et il y eut deux heures de phonétique avec ma jeune voisine ukrainnienne, je ne suis même pas fatiguée ce soir.


    Alors oui, bien évidemment, les autres stagiaires ne sont pas venus et ce n'est pas bon pour les finances. Oui, l'avenir est très incertain avec les changements dans les procédures de financements. Oui les organismes de formation sont placés dans des positions tangentes par les politiques. Oui il y a un travail énorme à fournir seulement pour préserver nos emplois... Oui, rien n'est parfait. Néanmoins, nul ne sait de quoi demain sera fait et je suis bien placée pour le comprendre réellement. Alors, simplement, je savoure ce premier jour de retour au travail.

    Nombreux sont ceux que je remercie du fond du cœur pour leur aide, leur soutien, les combats qu'ils ont menés afin que je revienne,  pour les aménagements et la flexibilité dont ils ont fait preuve. Au regard de ce qui me revient à travers les autres, je peux enfin accepter l'idée que je suis une bonne personne, une personne de qualité sans que cela ne me gêne. C'est par respect pour eux tous que je l'accepte. .


    En juin 2006, j' arrêtai de travailler un mardi.

    En décembre 2008, je repris un mardi. 

    La boucle est fermée. Pour un temps du moins.  


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  • Au milieu des agitations quotidiennes, SeN entra dans notre vie sous un nouveau jour. J'eus la naïveté de lui demander après un an de fréquentations sporadiques et incertaines, s'il ne voulait pas m'accompagner dans une demande de logement plus confortable, plus grand, mieux situé afin d'essayer une vie en famille. Il refusa immédiatement, catégoriquement, refus que j'essuyai tel une gifle inattendue : il ne pouvait pas vivre en appartement. Et ben, mon vieux, ce n'est pas dans mes moyens de me payer une maison ! Tant pis, je cherchai toute seule et obtins un autre logement ailleurs. Il resta chez ses parents et m'aida grandement au déménagement avec mes amies Sandrine.


    Un trois pièces, au troisième, sans ascenseur toujours mais après les 5 années passées au cinquième et ces escaliers interminables, j'étais ravie. Il était tout neuf, dans un bâtiment agréable, au dessus de l'école. Les kilomètres école/maison du bourg précédent passaient aux oubliettes. Nous nous sommes sentis très bien en ces lieux, mon fils et moi. L'absence du balcon et des espaces verts gênait un peu mais j'envisageais d'y vivre quelques années le temps de passer le primaire du fiston au moins. Nous avions un garage, des placards, notre vie était très agréable dans cet appartement où il ne faisait pas froid, où nous pouvions nous déplacer, cohabiter sans s'entrechoquer. Des petits riens dans le volume des pièces peuvent changer énormément l'ergonomie des lieux et rendre la cohabitation plus aisée. Nous étions bien, il y avait là un sentiment de libération après les saletés du quartier précédent. J'ai cauchemardé pendant une semaine de poubelles débordantes et immenses, d'agressions physiques et verbales à notre arrivée dans ce nouveau logement, j'évacuais les travers emmagasinés pendant les 5 précédentes années. Ouf, nous soufflions et j'avais tellement de plaisir à accueillir mes amis dans des locaux propres et calmes.  Mon fils se fit un grand camarade dans le village qui n'habitait pas très loin et nombreux de nos anciens voisins s'étonnèrent de le découvrir si épanoui et souriant. Dans ce village, je rencontrai également de nombreux stagiaires, les enfants vous disent bonjour spontanément dans la rue. Il tenait une place centrale au milieu de mes lieux professionnels.

    Cet appartement laisse en nous un souvenir positif, une bulle de bonheur et de plénitude, un havre de paix... Nous n'y avons habité que trop peu de temps et les quelques mois passés entre ses murs  nous reviennent souvent tels une aspiration vers un mieux- être. Etrangeté de la vie et de ce que nous en faisons.


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  • Cette fête est très populaire dans l'est de la France. Saint Nicolas, patron des écoliers a été longtemps le seul personnage important des fêtes de fin d'année, supplanté tardivement par le père Noël coca cola largement inspiré de lui. Il visite les enfants dans les classes en leur offrant des mandarines, des chocolats,  des pains d'épices et des petits bonhommes en pâte briochée.

    Dans le village, il est l'occasion de fêter la fin de l'année civile avec les enfants de l'école. Tous les ans, se soulève la question : qui va endosser le costume pour visiter et saluer les enfants ?


    Il y a trois ou quatre ans, c'est une mère de famille qui s'y est collée et de nombreux enfants ont remarqué la fausseté de ce saint Nicolas ; certains ont même reconnu la maman d'un camarade. L'effort est louable, la situation n'en reste pas moins dérisoire. Il n'y a donc aucun homme dans le village qui puisse prendre une demi-journée de son temps pour cette bonne cause ? Où sont les pères ? Où sont les grands- pères ?  J'étais affligée de cette situation.  N'y a-t-il donc que la course au fric qui prime en ces régions frontalières de la Suisse où prospèrent ces nouveaux riches du fait du change ? (J'en aurai à dire là-dessus mais ce n'est pas le sujet, c'est ma colère qui sourd) ;

    L'année dernière, le même problème se posa à nouveau et par ma voisine turque, musulmane pratiquante j'appris que c'était son fils qui faisait et saint Nicolas et le Père Noël pour les visites du 6 décembre et pour la fête de l'école. Je n'en crus pas mes oreilles ! Un français d'origine turque, musulman en saint Nicolas !  Effectivement, je le reconnus sous son costume. Il prenait de son temps pour être là et s'occuper du bonheur des enfants, les basquets aux pieds ; ses propres filles n'y virent que du feu. Il leur parla, leur distribua les petits paquets alors qu'il aurait pu rester avec ses filles qui n'ont plus leur mère suite à un accident de voiture mortel il y a deux ans.  Quand il eut fini, je le félicitai de son dévouement et il haussa les épaules en me soufflant qu'il le faisait pour les enfants. Il avait même loué de sa poche un costume plus beau que celui pitoyable fourni par l'école.  Chapeau bas mon ami !


    Cette année, je n'y prêtai pas attention, mon fils ayant quitté une école communale qui lui avait été un enfer pendant quatre ans en raison des intolérances locales. Je vis passer la calèche avec Saint Nicolas me demandant vaguement qui était sous le costume cette année.  C'est à nouveau ma voisine qui me raconta que c'était son fils. Il avait pris une après midi de congé et  reloué le costume plus beau.


    C'est de tout cœur que je salue la bonté de cet homme qui se met ainsi dans le costume d'un saint catholique quand il est musulman, je salue le dévouement de cet homme qui prend une après midi de congé afin de lire la joie sur les visages des petits écoliers alors que dans sa vie personnelle, il est confronté à tant de difficultés.  Son geste ne prend que plus de grandeur au regard de l'attitude de nombreux villageois : sa famille est installée depuis près de trente ans dans le village, ils ont rénové une ancienne ferme de leurs mains, durement, ils ont toujours la porte ouverte à qui veut entrer et il y en a toujours pour refuser de saluer ces étrangers, ces sales turcs et leur chercher des noises.

     Devant tant de bêtise, mon sang ne fait qu'un tour !


    Et puis merde ! ll n'y a que cette famille qui me reçoit chez elle, qui me salue et m'accueille chaleureusement. Ils sont humains avec leurs qualités, leurs défauts, leur histoire et puis quoi ?  Nous entendons nous  parce que moi aussi je suis vue comme une étrangère ?


    Avant d'exiger l'intégration des étrangers, il serait grand temps de leur en offrir la possibilité.





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  • Le séjour au service de rééducation dura deux mois. Je n'ai pas vu passer le temps, les journées étaient tellement pleines et riches, j'étais si bien entourée, je revivais gonflée d'espoirs et de la joie d'être vivante avec des possibilités nouvelles quasi inespérées grâce au traitement. J'eus quelques visites dont voici un petit panorama au gré de mes pensées aléatoires.


    Quelques fois, il y eut ma mère fidèle à elle- même, sur le qui vive, à rabâcher les mêmes vieilles histoires et très surprise de la qualité des soins et du respect des patients. Comme d'habitude, elle se soucia des repas et de la nourriture. Chacune de ses questions revenait inévitablement vers ses propres expériences douloureuses de la maladie, elle a été si mal traitée que le traumatisme reste énorme malgré les années qui s'écoulent. J'espère qu'un jour enfin, elle se décidera à prendre la voie de la thérapie afin de soulager le poids de sa vie et de ses relations aux autres, au monde. Au regard de mes activités, elle décida également de fouiller les recoins de son petit appartement  et de me ramener les inachevés... 0lala, je n'ai pas fini ! Certains ouvrages sont en plan depuis 25 ans !. pff Toujours débordée, anxieuse de rouler la nuit et noyée sous des priorités qui m'échappent (acheter du pain et du lait, rassurer ses animaux restés seuls par exemple), elle ne vint pas très souvent et dès que l'amélioration de mon état fut manifeste, elle ne prit plus trop le temps de me visiter. Je la connais suffisamment pour savoir qu'elle n'arrive pas à exprimer ce qu'elle ressent et qu'elle essaie de vivre comme elle peut avec ce qu'elle peut. Plutôt que de m'énerver avec elle, je préfère en sourire et lâcher par ci par là des évidences qui la dérangent parce qu'elle sait très bien, à corps défendant, que je suis dans le vrai.


    Il y eut ma sœur. Je revenais d'une séance de quelque chose et je n'attendais pas de visite. En passant à côté de la salle à vivre commune, j'aperçus la silhouette d'une personne assise sur une chaise et je la saluai d'un bonjour amical. Elle se leva et dans le salut, je reconnus la voix de ma sœur. A un mètre de moi, je n'avais pu la reconnaitre en raison de ma vue très basse. Sans la démarche, sans la silhouette, sans la voix, je ne reconnaissais personne. Situation cocasse plutôt qu'anxiogène, nous préférâmes en rire et nous devisâmes de petits riens pendant quelques heures.


    Il y eut Marina. J'ai déjà évoqué cette femme russe mariée à un anglais et vivant en France. Je l'ai connue à mon travail et en dépit de la barrière de la langue, il existe entre nous un lien des plus affectueux. Nous discutons en français, en russe, en anglais un peu en allemand quand je peux comprendre ou dire, l'essentiel reste entre les mots. Elle était déjà venue et m'avait ratée, cette fois-ci, j'étais dans ma chambre quand elle arriva avec ses deux filles. Quelle joie de la revoir ! Elle m'avait préparé un petit paquet de confiseries russes et me raconta ses aventures avec sa bonne humeur habituelle. Elle a vu et traversé tant d'aventures dans sa jeunesse, entre des deuils et des séparations, elle a connu la vie dans les années soviétiques avec toutes ses aberrations, ses absurdités et ses bonheurs, Marina ne s'effraie pas de la maladie, de la souffrance, elle est toujours présente, à vous rappeler que dans les malheurs persiste la vie et sa beauté. Elle vint me voir plusieurs fois sans prévenir, ne serait- ce que quelques minutes et je ne fus pas étonnée de sa présence, je reconnaissais celle que j'avais pressenti dans mes cours. C'est elle qui  m'invitait quand j'étais en fauteuil trouvant toujours un moyen de me faire entrer chez elle, c'est elle qui me cherche quand je ne peux conduire et se soucie constamment de ma santé et de mon humeur. Fidèle et sensible Marina. Quand les mots lui manquent, elle me parle en russe où je reconnais des marques d'affection et m'embrasse à m'en décrocher la mâchoire. Je l'aime énormément.


    Il y eut Babeth toujours fidèle au poste avec son franc parlé du nord et ses faux airs de dure à cuire.  Elle aussi, comme Marina, je l'ai rencontrée au travail alors qu'elle était dans une image déplorable d'elle - même sur une voie de lutte ardue contre son passé mouvementé. Elle a réussi à avancer et sortir de ses méandres parce qu'elle m'a rencontrée et que je lui ai souvent mis des coups de pied aux fesses lorsqu'elle se dévalorisait. A chaque coup de pompe, elle débarquait et se prenait mes réprimandes affectueuses ; nous sommes devenues amies. Je peux toujours compter sur elle, elle ne fait jamais faux bond et depuis la maladie, elle est présente avec toute sa générosité et sa bonté.


    Il y eut Caroline. J'étais dans ma chambre quand le téléphona sonna. Une voix féminine m'interpella en me demandant si j'étais disponible, je ne la reconnus pas  et interrogeai cette personne qui refusa de me donner son nom me promettant une surprise imminente.  J'étais très déconcertée ; quand elles arrivèrent sur le pas de ma porte, j'explosai de joie en retrouvant Caroline et sa maman que je n'avais plus vues depuis des mois et des mois ! J'ai retrouvé toute leur fantaisie avec un plaisir immense. Sa mère avait une visite à rendre et je restai seule avec Caroline. Nous nous racontâmes les aléas de nos vies respectives, la maladie pour moi, ses projets avec l'Afrique pour elle. Quel ravissement que cet instant ! Ce fut effectivement une magnifique surprise.


    Il y eut Grazia. Rencontrée en neuro, nous avions rapidement sympathisé et supporté ensemble nos lâchages du corps respectifs, se soutenant mutuellement. Elle arriva un soir dans ma chambre en rééducation accompagnée de son mari avec un joli bouquet de fleurs et quelques petits gâteaux. Nous étions heureuses de nous revoir et je lui rappelai qu'en neuro, je lui avais dit qu'elle remarcherait avant moi. Je ne m'étais pas trompée, elle marchait et récupérait heureusement de son attaque. Son mari très prévenant était aux petits soins et ils me touchèrent à nouveau de leur tendresse. Elle n'avait rien perdu de sa gaieté et de sa joie de vivre, ils furent soulagés de me voir en si bonnes voies d'amélioration. Vraiment, je n'oublierai pas son arrivée surprise qui illumina ma soirée. 


    Il y eut Isabelle. Arrivée en trombe, elle m'embrassa chaleureusement et évoqua son soulagement à me découvrir pimpante et requinquée. Elle craignait ce service où quelques années auparavant, elle était venue visiter une amie mal en point suite à un accident. Elle m'offrit un livre lu ayant appris que je ne pouvais plus lire et je fus très touchée de ses attentions inattendues.  Elle s'excusa de ne pas m'avoir offert un lit, un vrai en Norvège quand nous avions campé sur la pelouse à côté de leur location. «Si j'avais su que tu étais malade, je ne t'aurais jamais laissé dormir dehors ! ». Attachante Isabelle.


    Il y eut Magali et ses préoccupations de jeune maman vivant loin de son mari, des cousins dont les plus jeunes étaient intimidés puisqu'ils ne me connaissaient pas encore vraiment, des visites impromptues polies et maladroites dont je salue quand même l'effort, Séb et Sabine.


    Il y en a dont je parlerai en d'autres circonstances en raison de leur caractère spécifique. Il y en a qui auraient pu venir et  ne l'ont pas fait pour des raisons qui leur appartiennent. Je sais surtout que nombreux étaient trop loin, à des milliers de kilomètres et/ou ignorant quelque fois ce par quoi je passais. L'amitié et l'affection en l'adversité ne sont pas ni simples, ni évidentes. Des attentions fugaces, un petit mot faussement anodin au détour des conversations, certaines réactions me montrent qu'ils étaient avec moi, en pensée.


    Nous nous laissons tous déborder par nos quotidiens et des préoccupations domestiques et/ou professionnelles, reportant au lendemain une visite, un appel, une lettre  sous prétexte que... et il arrive pareillement que nous les fuyons plus ou moins consciemment. Je sais seulement que ces attentions sont des bienfaits pour le malade, le blessé quand elles sont sincères et humaines, histoire de liens indicibles et souvent innommables.  Je sais également que si l'irrémédiable arrive, il doit être très pénible, voire insupportable de vivre avec ce geste non fait.


    Ayons le courage de dire simplement : « Je suis près de toi, je ne t'oublie pas, tu existes  toujours à mes yeux quoi qu'il se passe ».

    Parce que sans lien, nous ne sommes rien.


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  •  Alors que je travaillais avec Marie sur le verticalisateur, des stagiaires kiné vinrent dire au revoir au plateau technique, l'une d'elles vint vers moi me saluer expressément. Elle me dit qu'elle était contente de rentrer chez elle mais qu'également, elle était triste de partir ; étonnée, je lui demandai pourquoi, elle me répondit spontanément : « Parce que je ne vous verrai plus et que je serai loin de vous ! ».  Je n'en ai pas cru mes oreilles. Pouvais- je marquer à ce point quelqu'un en si peu de  temps ? J'en ai croisé des kinés en ces mois de rééducation. Dans les cabinets, à l'hôpital, dans divers services, à domicile. Certains passent seulement, d'autres marquent.


    Au cabinet, je travaillais seule forcément, j'étais assez autonome et exécutais les tâches qui m'étaient assignées en bavardant avec quelques compagnons de séances, sans plus.

    Au domicile, il y eut Julie, une ancienne élève du lycée où j'avais travaillé comme pion pendant trois ans et demi, nous nous connaissions de vue. Elle prit grand soin de moi avec tendresse, délicatesse,  pudeur et intelligence. C'était un plaisir de se retrouver et d'échanger. Nous nous embrassâmes chaleureusement quand elle quitta le cabinet où elle n'était que remplaçante. Elle reste un doux souvenir, son sourire et sa voix sont gravés dans ma mémoire.

    En neuro, je croisai ce jeune kiné dont le prénom m'échappe désespérément (Hervé ?). Taquin, il avait toujours une plaisanterie à la bouche pour détendre les patients. Il prenait grand soin d'Arlette, une femme incroyable, très attachante et drôle, handicapée par une attaque cérébrale .  Ils formaient une équipe pleine de complicité et de tendresse. Un jour, je le croisai en vêtements de ville, il me parut timide et effacé ; je compris en cet instant son humilité et la transfiguration qui s'opérait en lui quand il portait sa blouse de kiné. Il aimait son métier sincèrement et profondément.

    En rééducation, hôpital de jour, il y eut Raphi. J'ai déjà parlé de lui au détour des récits, il a été mon compagnon sur cette route, dans la descente vertigineuse puis dans la reprise en pied de la vie.  Réservé, il ne manque pas d'humour et de générosité, il prend son temps pour voir à qui il a affaire. J'entends encore aujourd'hui son pas trainant, nonchalant et son beau sourire dans la voix. Nos conversations furent mémorables et riches, nous avions une communion d'âme évidente. Il me souleva, me porta, me supporta et me soulagea souvent de  ses gestes réfléchis et de ses paroles chaleureuses. Il illumine toujours mes souvenirs.  Il y eut Alain, le cadre kiné avec qui nous aimions tant palabrer des choses petites et grandes de la vie. Je n'oublierai jamais notre conversation avec  Elodie sur l'Espagne, le labyrinthe de Pan d'el Toro, la musique, les récits de la guerre civile, du franquisme, du retour au pays pendant les vacances dans l'enfance... Je revois son expression quand nous  écoutâmes une chanteuse espagnole  dans son bureau et qu'il racontait ses souvenirs, parlant espagnol avec Elodie alors que je n'y comprends rien. Bulle de bonheur partagée.  Il y eut Marie ; je ne remarquai pas son mètre quatre-vingt depuis mon fauteuil d'où tout bipède était immense. Elle fut là pour mobiliser mes membres au creux de la vague, elle fut là pour me remettre debout avec le verticalisateur, elle fut là quand je dus ré apprendre à m'asseoir, à me tourner, à faire mes transferts à me lever seule, ... et surtout, elle fut là quand je fis mes premiers pas entre deux barres soutenue de mes pauvre petits bras pas musclés. Avec elle, je remobilisais mon corps, je retrouvais mes centres d'équilibre, je me redressais .Elle s'étonna de mon opiniâtreté quand retombant de ma première tentative de mise sur pied avec déambulateur, je recommençai de moi- même l'exercice sans attendre de directive.  Elle s'étonna quand je la remerciai chaleureusement de me permettre de marcher à nouveau sur quelques misérables mètres avec le déambulateur. « Et bien vous, vous en voulez ! » Comment peut-il en être autrement si la chance est donnée de vivre debout? «  Vous au moins, on peut dire que vous êtes  reconnaissante». Ah bon ? Pourquoi ? Ce n'est pas normal ?  Oui, Marie fut là en ces instants, discrète, sérieuse et amusée de mes frasques, mots et réactions.

    Enfin, il y eut une foule de stagiaires. Ces Allemands avec qui je ne pouvais communiquer et forcément très intéressés par mon cas « maladie rare ». Mes neuf ans d'étude de la langue ont réellement été d'une improductivité flagrante et je préfère en rire avec ce constat que je n'y comprends rien et suis incapable de faire une phrase correcte. Il y eut celui qui me découragea par sa conversation très technique avec Raphi ; heureusement, lui, il me sentit partir et rattrapa le coup avec une parole plus douce. C'est celui-là aussi qui vanta mon jeu de jambes, « Vous faites du ski ?- Non- Ah ben, vous devriez ! »    Hihihi.  Il y eut Mary, apparemment très froide et distante. Pourtant, sous la glace, se cachait une sensibilité particulière quand je pressentis en elle des blessures de la vie autour de la maladie de sa maman dont je ne sais rien. Il n'y avait pas lieu de poser de questions, nous avions un accord tacite muet. C'est elle qui demanda à avoir une photo de la mosaïque terminée et c'est elle qui laissa les premiers commentaires sur un début de blog ailleurs et resté sans suite pour des raisons techniques. Etrange échange que cette relation. Il y eut cette jeune femme dont j'ai ooublié le prénom. Née d'un père espagnol et d'une mère allemande, elle vivait en France et étudiait en Allemagne après avoir été prof de plongée dans les Galápagos et en Amérique du Sud. Son rêve était de travailler avec les dauphins en kiné et un jour, elle lâcha que c'était impossible. Je lui rétorquai que ce n' était pas plus impossible que de se retrouver prof de plongée aux Galápagos et en Amérique du Sud. Son sourire en cet instant fut le reflet de son illumination intérieure.


    Je fus le cas à la descente fulgurante, leur cas d'étude avec une maladie rare que j'expliquais  systématiquement alors qu'ils me rangeaient catégorie sep,. Je devins leur cas «elastic girl » épuisant toutes leurs ressources dans les séances d'étirements que ma souplesse rendait épiques. Je devins leur fée des agrumes, inévitablement avec mes paroles ciselées, pertinentes, drôles ou fulgurantes. Quand j'en revois quelques uns au détour des visites, nous nous retrouvons comme quelques vieux amis avec fierté et complicité.


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